Les Tsadikim sont plus grands après leur mort que de leur vie

Paroles prononcées à l'occasion du premier anniversaire de la mort de Rabbi Moché Aharon Pinto, 5 Av 5746, Chabath de la sidrah Vééléh HaDévarim.

Nous commencerons par un résumé du Midrach sur les sections 'Houkath et Mass'é, rapporté par Rabbi 'Haïm 'Houri dans son livre Vaya'al Aharon, écrit en arabe et traduit en hébreu.

Le Saint, béni soit-Il, dit à Moché: Prends Aharon avec son fils El'azar et fais-les monter sur le mont Hor-HaHar; dépouille Aharon de son vêtement... (Nombres 20:25). Dis lui: L'heure est venue pour toi de rejoindre tes pères. Moché dit à l'Eternel: Maître de l'univers, comment pourrai-je le dire à mon frère? C'est un décret que J'ai prononcé et Je ne peux l'annuler, répondit l'Eternel. Sa mort ne sera pas livrée à l'ange de la mort. Or, les enfants d'Israël se levaient tôt pour étudier avec Moché à l'entrée de sa tente. Ce jour là, Moché a changé son habitude et ils se présentèrent alors devant l'entrée de la tente d'Aharon. Pourquoi as-tu changé ton habitude? demanda Aharon à Moché. C'est l'ordre que j'ai reçu de Dieu! répondit Moché. Tout le monde aimait Aharon plus que Moché, car il aimait la paix et la recherchait sans cesse: s'il voyait deux personnes qui se querellaient, il les réconciliait et les ramenait sur le bon chemin. Et si Aharon voyait quelqu'un marcher seul dans la nuit, il s'enquerrait de ses intentions jusqu'à ce qu'il avouait sa faute et s'en repentait.

Au sommet de la montagne, Moché a demandé à Aharon: Dieu a-t-il laissé un gage chez toi que tu dois rendre? Le gage qu'Il m'a laissé, ce sont la Tente d'Assignation et les pièces du Sanctuaire. En aurais-je fait un mauvais usage? L'Eternel a remis entre tes mains le candélabre avec ses sept lampes et les sept bras du chandelier, lui dit Moché. Aharon ne comprenait pas qu'il faisait allusion à son âme, comme il est écrit: L'âme de l'homme est une lampe divine (Proverbes 20:27). Mon frère, dit alors Moché à Aharon, l'heure est venue pour toi de disparaître (lit. de te libérer) de ce monde! Aharon se mit à crier et pleurer. Il mit les mains sur la tête en criant: Venez et contemplez les bienfaits de Dieu! Merveilleuse est son action sur les fils de l'homme (Psaumes 66:5). Ils entrèrent alors dans la grotte. Moché dit à Aharon: Les patriarches saints se trouvent ici, et toi tu te revêts de vêtements de prêtrise? Tu es susceptible de les souiller. Dépouille-toi de tes vêtements et revêts-en El'azar. Aharon s'exécuta. Il monta sur un lit, ferma les yeux, étendit les mains et mourut... Moché aspira avec ardeur à une telle mort. Sur ta vie, lui promit l'Eternel, tu connaîtras la même mort, comme il est écrit: de même que ton frère Aharon est mort à Hor-HaHar et est allé rejoindre ses pères (Deutéronome 32:50; Sifri, loc. cit.).

Commentant en outre le verset: Une chose est précieuse aux yeux de l'Eternel, c'est la mort de Ses pieux serviteurs (Psaumes 116:15), nos Sages enseignent qu'avant sa mort, Moché s'est assis près d'Aharon et ils ont lu ensemble chaque passage du livre de la Genèse. A la lecture de chacune d'elles, Aharon disait: Le Saint, béni soit-Il, a agi avec sagesse, Sa Créature est belle.

Aharon, le Grand Prêtre, a donc connu une mort dite mitath néchikah: l'Eternel prenant son âme en l'embrassant. C'est aussi le sort qui a été réservé à Moché. Ils n'ont pas connu l'ange de la mort, la vermine ne les a pas rongés (cf. Bava Bathra 17b).

Ce Midrach pose un certain nombre de questions:

1) Par quel mérite Aharon a-t-il connu pareille mort? On peut le comprendre dans le cas de Moché, qui est monté au Ciel pour recevoir la Torah, a entretenu une longue conversation avec les anges (Chabath 89a), étudié la Torah dans la montagne de la bouche du Tout-Puissant ('Irouvin 54a), parlé face à face avec Dieu et contemplé le visage de Dieu même (Nombres 12:8), s'est abstenu de boire et de manger durant quarante jours (Deutéronome 9:9), a reçu le secret de l'encens de l'ange de la mort (Chabath, loc. cit.) comme il est écrit: Tu es remonté dans les hauteurs, après avoir fait des prises (Psaumes 68:19) et s'est séparé de sa femme (Chabath 87a). Moché a donc ainsi accédé au rang d'ange et méritait que seul Dieu pouvait lui prendre son âme de cette façon. Mais par quel mérite Aharon a-t-il donc connu une mort aussi remarquable? Est-ce que c'est parce qu'il s'est interposé entre les morts et les vivants, arrêtant ainsi la mort de nombreux Juifs (Nombres 17:13)?

2) Pourquoi l'Eternel a-t-Il ordonné  à Moché d'informer Aharon de sa mort prochaine? Dieu informe-t-Il tout celui dont la mort est proche? Et s'Il devait l'informer, pourquoi ne pas l'annoncer à Aharon lui-même?

3) D'après le Midrach, Aharon est mort à cause du problème des eaux de la controverse et a accepté sur lui le jugement divin. Comme nous l'avons vu plus haut, Moché a imploré l'Eternel de lui réserver cette même mort et l'Eternel a exaucé son vœu. Pourquoi alors avant sa mort a-t-il récité cinq cent quinze prières (valeur numérique de VaET'HaNaNe) pour annuler le décret (Yalkout Réouvéni, début de Vaet'hanane)? Pourquoi n'a-t-il pas agi comme son frère et accepté le sort qui lui a été réservé?

4) Nous savons que cet homme était le plus humble des hommes qui fût sur terre, tandis qu'Aharon aimait la paix et la poursuivait sans cesse. Leur service divin différait-il, ou bien est-ce que les deux étaient modestes et recherchaient la paix?

Le Midrach (Yalkout Chimoni, Proverbes 835) enseigne que le monde a été créé avec sagesse, comme il est écrit: L'Eternel par Sa sagesse a fondé la terre (Proverbes 3:19). Il est écrit aussi que le rempart de la sagesse, c'est le silence (Pirké Avoth 3:13). Le silence peut conduire à l'humilité: Quand on humilie quelqu'un et qu'il ne réagit pas, il fait preuve de deux qualités: premièrement, il ne poursuit pas la controverse; deuxièmement, il s'abaisse pour se concilier avec celui qui l'a humilié. Ce dernier tire alors une leçon du comportement de son ami et apprend à ne plus léser personne.

L'humilité peut donc conduire à l'amour de la paix et à sa recherche continue. Et ainsi, nombreux étaient ceux qui imitaient Moché dans son humilité et devenaient des partisans de la paix entre un individu et son prochain. Quand il cherchait à établir la paix entre deux adversaires, Aharon se faisait parfois injurier, mais il n'en faisait pas cas. Il s'entendait humilié, mais ne réagissait pas (cf. Chabath 88b): il incarnait donc aussi la vertu de modestie. Il savait qu'on pardonne tous les péchés de celui qui fait preuve d'indulgence (Yoma 23a). D'ailleurs, le silence qu'il a gardé à la mort de ses deux fils (Lévitique 10:3) lui a valu une récompense (Zéva'him 115b).

En s'exclamant: Que sommes-nous? (Exode 16:8), Moché a témoigné que Aharon était aussi humble. Moché a dévoué toute sa vie à la sauvegarde d'Israël. Implorant l'Eternel de pardonner aux Israélites le péché du veau d'or, il va jusqu'à dire: Sinon, efface-moi du livre que Tu as écrit (ibid. 32:32). Aharon aussi en a fait de même: en s'interposant entre les vivants et les morts pour arrêter la mortalité, il courait le risque d'être lui aussi emporté par le fléau, car alors l'ange destructeur ne distingue pas entre les justes et les méchants, comme l'enseigne le Talmud (Bava Kama 60a). Moché et Aharon étaient donc doués des mêmes vertus, comme le montre le Psalmiste: Moïse et Aharon et ses prêtres (Psaumes 99:6). C'est pourquoi Aharon et Moché sont morts d'une mitath néchikah (Chir HaChirim Rabah 4:12).

Aharon, qui s'est tellement dévoué pour Israël, estimait qu'il ne faisait pas partie du commun des mortels car il était plus fort que l'ange de la mort. Pour ne pas le décevoir, l'Eternel a chargé précisément Moché de l'informer graduellement que son heure était venue et Il ne le lui a pas annoncé directement. La sentence était prononcée, mais Moché lui expliquera que l'Eternel a pris en considération son dévouement pour la cause d'Israël et que c'est exclusivement Lui qui se chargerait de sa disparition. Aharon accepta le jugement divin. Moché désira alors une mort pareille, mais s'il a imploré l'Eternel de le laisser encore vivre, c'est essentiellement parce qu'il a pris conscience de la grandeur de son frère (n'oublions pas par exemple que sa mort a engendré la disparition des nuées de gloire) et qu'il se souciait aussi du sort des enfants d'Israël après sa propre disparition. Toutefois, il n'y a ni sagesse, ni prudence, ni résolution qui vaillent contre l'Eternel (Proverbes 21:30) et il devait lui aussi disparaître.

Comme nous l'avons vu, Samuel a oint Chaoul comme roi d'Israël (Samuel I, 9:16), mais Chaoul ayant épargné Agag, ainsi que les meilleures pièces du menu et du gros bétail (ibid. 15:9), l'Eternel ordonna à Samuel d'oindre un autre roi (ibid. 11). Samuel, consterné, implora l'Eternel toute la nuit, car il a vu que l'œuvre de ses mains serait annulée durant sa vie. Aussi l'Eternel abrégea-t-Il sa vie pour ne pas assister à son échec (Ta'anith 5). C'est ce que Dieu avait d'ailleurs fait pour Moché et Aharon, pour les mêmes motifs.

Au cours de la controverse connue entre Rabbi Eliézer et les Sages dans l'épisode du four à anneaux (Bava Métsia' 59a), Rabbi Eliézer s'est écrié: Les murs de la maison d'étude témoigneront que c'est moi qui ai raison. Les murs ont alors commencé à trembler. Rabbi Yéhochoua' les a alors réprimandés et les murs sont restés penchés... Or, si c'est Rabbi Eliézer qui a raison, pourquoi se sont-ils figés; et la halakhah n'est pas comme lui, qu'ils reprennent leur place d'origine... C'est qu'ici aussi, Dieu n'efface pas les paroles des Sages et leurs actes restent pour l'éternité. Par conséquent, si les murs sont restés penchés, c'est par respect pour Rabbi Eliézer et Rabbi Yéhochoua'.

Moché aussi a compris qu'Aharon ne méritait pas la mort parce qu'il s'était tellement dévoué pour la cause d'Israël: Comment pourrais-je lui annoncer que sa fin est proche? demanda-t-il à l'Eternel. Dieu lui conseilla d'agir avec sagesse et prudence et de la lui annoncer progressivement. Il le dissuada de craindre l'ange de la mort et de l'informer que c'est Lui qui se chargerait de sa disparition. Comme nous l'avons vu, l'ange de la mort revêt des aspects différents pour s'emparer de l'âme des Tsadikim, comme Moché lui-même, le Roi David et d'autres Justes (Chabath 30a)...

Ce sont ces nobles vertus de Moché et Aharon qui ont caractérisé le regretté Tsadik, mon père, mon maître et mon Rav, Rabbi Moché Aharon Pinto. Ne portait-il pas le même nom que ces grands justes? Que son mérite nous protège. Amen.

 

Éloigne-toi du voisin méchant et ne te lie pas au mécréant
TABLE DE MATIERE
Hor-HaHar le mauvais penchant

 

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