Le mauvais œil, cause de la faute et sa réparation

Il est écrit (Béréshit 2:25): « Ils étaient tous deux nus, l’Homme et sa femme, et ils n’éprouvaient pas de honte. » C’était avant la faute. Mais après avoir mangé du fruit de l’arbre de la Connaissance, il est écrit (ibid. 3:7): « Leurs yeux se dessillèrent et ils surent qu’ils étaient nus ». De quelle connaissance s’agit-il? Les commentateurs écrivent à ce sujet (Targoum Yonathan ben Ouziel 3:10, Ohr Hah’ayim) que l’Homme et sa femme eurent honte de leur nudité, c’est pourquoi « ils cousirent des feuilles de figuier et s’en firent des pagnes » (ibid.).

Et alors D. dit à l’Homme (ibid. 3:11): « Qui t’a dit que tu es nu? Aurais-tu donc mangé de l’arbre dont Je t’ai interdit de manger? » D. demande à l’Homme: qui t’a dit que c’est une honte d’être nu? Et tout d’abord, comment sais-tu que tu es nu? En effet, jusqu’à présent tu n’avais pas honte, ni vis-à-vis de Moi, ni vis-à-vis de H’ava ta femme, ni même vis-à-vis des anges, car tu étais plus grand qu’eux, comme disent les Sages (Sanhédrin 59b): « Adam est installé au Jardin d’Eden et les anges font rôtir de la viande pour lui », et « ils dansent devant lui en chantant ses louanges » (Béréshit Rabba 8:9). Et voilà que justement maintenant, tu as honte d’être nu!

Comment se fait-il que le premier Homme ait fauté et ingéré une nourriture que D. lui avait interdite? Comment a-t-il su qu’il était honteux d’être nu, étant donné qu’il n’était susceptible d’avoir aucune mauvaise pensée (Rabbeinou Beh’aye, Béréshit 3:6), et de quelle manière exprime-t-il cette connaissance?

Si nous approfondissons notre réflexion, nous découvrons des idées tout aussi mystérieuses que merveilleuses. Avant d’avoir fauté, l’Homme n’avait aucune notion du mal et de son point de vue, tout était bon, si bien que même ces choses que nous jugeons aujourd’hui mauvaises et qui constituent des défauts, comme par exemple le manque de pudeur, lui étaient inconnues. Au contraire, le signe de l’Alliance, fondamental (Zohar I 189b), est « une source de lumière pour l’Homme vertueux et une cause de joie pour ceux qui ont le cœur pur » (Téhilim 97:11). L’Homme pouvait engendrer durablement des générations et faire venir au monde des âmes pures et limpides, participant ainsi à l’œuvre de la création et perpétuant l’existence du monde.

Toutefois, après avoir mangé du fruit de l’arbre de la Connaissance, Adam fut totalement privé de la lumière, si bien que le signe de l’Alliance devint pour lui un objet de honte. Dorénavant, l’Homme va devoir se couvrir, veiller à préserver sa sainteté, et ne se découvrir devant personne, afin de ne pas corrompre ses yeux par le spectacle de sa nudité. Car la faute d’Adam a commencé avec les yeux, des yeux qui ne connaissaient pas la honte avant la faute, ont failli en regardant l’arbre de la Connaissance comme il est écrit (Béréshit 3:6): « Il est un plaisir pour les yeux », et ils ont éveillé en lui le désir de manger ce dont il n’avait aucun besoin. Son regard lui fit profaner la sainteté du signe de l’Alliance et ses yeux s’obscurcirent. C’est pourquoi Adam et H’ava, auparavant baignés de lumière, ressentent dorénavant la honte - car la lumière a disparu. Ils comprirent le mal qu’ils avaient fait, se rendirent compte qu’ils étaient incapables d’obéissance (Béréshit Rabba 19:6, Rashi ad. loc.). Dès lors, ils doivent se couvrir et veiller à la pureté de leurs regards. Après s’être eux-mêmes causé tant de mal, ils doivent se couvrir pour ne pas dégrader davantage leur regard, dans le sens où il est dit que « une faute entraîne une autre faute » (Avot IV:2), car ce qui auparavant était permis, dorénavant ne l’est plus. L’homme doit avant tout contrôler ses désirs.

Ce sont les yeux qui réveillent le désir, comme le disent les Sages (Yoma 74b): « Regarder une chose induit à la désirer » ou (Tanh’ouma Shalah’ 15): « L’œil voit et le cœur désire », et encore (Yéroushalmi Brach’ot 1:5): « L’œil et le cœur sont les deux agents du péché ». Lorsqu’ils se regardèrent l’un l’autre et virent qu’ils étaient nus, ils ressentirent qu’ils avaient corrompu leur regard et que le mauvais penchant avait pris le dessus. S’ils n’avaient pas regardé l’arbre de la Connaissance, ce que D. avait interdit, ils n’en seraient pas venus à en désirer les fruits.

A la réflexion, nous comprenons que la faute d’Adam était d’avoir mis en question les paroles de D. Si l’on ne doute pas, si l’on a foi en D., on ne transgresse pas Ses commandements. Mais celui qui les remet en question et cherche à en peser les raisons finira par fauter. Ishmaël ben Elisha en est un exemple (Shabbat 12b). Il savait que les Sages avaient ordonné (ibid. 11a) de ne pas lire le Shabbat à la lumière d’une lampe à huile, ce qui risquait d’amener à pencher la lampe pour en accroître la luminosité. Rabbi Ishmaël se dit: je vais lire et je ne pencherai pas la lampe, mais en fin de compte, plongé dans sa lecture, il en est venu à transgresser cet interdit. Il en fut profondément contrit, et s’exclama: combien grandes sont les paroles de nos Sages qui ont ordonné de ne pas lire à la lumière de la lampe! C’est-à-dire, combien ils sont grands, ils ont décrété un interdit sans en donner la raison, car il n’est pas nécessaire d’en connaître la raison. C’est une chose stupéfiante! Car il ne s’agit pas d’un homme quelconque, mais d’un saint maître du Talmud qui a transgressé les paroles des Sages par inadvertance, simplement parce qu’il connaissait la raison de l’interdit.

Il en est de même concernant Adam. Il est « la création de la main de D. » (Kohélet Rabba 3:14), et « il domine les anges » (Zohar H’adash 14), mais à partir du moment où il lui fut interdit de manger du fruit de l’arbre de la Connaissance, il lui fut également interdit de le regarder, car il faut s’éloigner autant que possible de ce qui est interdit. Le Ari zal écrit qu’il ne faut pas regarder une chose interdite, comme par exemple une charogne, afin de ne pas se pénétrer de son impureté. Les Sages eux-mêmes ont dit (Méguilah 28a): « Il est interdit de contempler le visage d’un homme méchant » et ceci, afin de ne pas s’imprégner de sa méchanceté. De même, l’Homme n’aurait pas dû regarder l’arbre de la Connaissance afin de ne pas éveiller en lui le désir d’en manger. Car si D. en a interdit la consommation, il s’ensuit qu’il est inutile de le regarder. Mais Adam s’est trompé, il s’est dit qu’il pouvait contempler l’arbre sans en manger... et il en est venu à en manger. C’est ce regard qui a enflammé le désir d’Adam et de H’ava et les a amenés à consommer le fruit de l’arbre de la Connaissance.

Pourtant, immédiatement après la faute, ils en ont compris la gravité, et ils l’ont regrettée. Nous savons qu’Adam s’est repenti (Béréshit Rabba 22:28) et a dit le « Cantique du jour du Shabbat » (Téhilim 92:1). Ils se sont rendu compte aussi qu’ils étaient nus, dénués du seul commandement qu’ils avaient reçu, et se sont couverts pour ne pas exposer leur honte. C’est pourquoi D. ne les a pas mis à mort immédiatement mais Il a couvert leur faute comme eux, puisqu’en se couvrant ils ont exprimé leur regret et leur repentir, et ils ont corrigé ainsi la faute commise avec les yeux.

Expliquons maintenant comment Adam a pu fauter, puisqu’il n’avait pas d’emblée de mauvais penchant? Pourtant, dès que D. lui dit de ne pas manger du fruit de l’arbre de la Connaissance, le mauvais penchant est né en lui et l’a tenté. C’est un paradoxe, car le but de l’interdit était de le protéger et de lui permettre de parvenir à la perfection, en récompense de son obéissance au commandement de D. et voilà justement que c’est cet interdit lui-même qui a suscité en lui la tentation de manger... L’Homme aurait dû se garder contre cette tentation, mais il s’est laissé entraîner par ses yeux, en dépit de son intention de regarder l’arbre sans en manger.

C’est ce que disent les Sages (Brach’ot 61a): « Mieux vaut suivre un lion que marcher sur les pas d’une femme », car la tentation vis-à-vis d’une femme est plus grande que le danger représenté par un lion, et de même qu’il faut  fuir un lion pour ne pas mourir déchiqueté, de même il faut fuir la tentation vis-à-vis d’une femme étrangère. En fait, celui qui sait préserver la sainteté du signe de l’Alliance, saura aussi se préserver contre les bêtes sauvages, lions et autres. Il est évident que celui qui n’a pas profané sa sainteté pour une femme étrangère n’a rien à craindre d’un lion.

Lorsqu’Adam et H’ava se repentirent, il est écrit (Béréshit 3:21): « L’Eternel D. fit pour l’Homme et sa femme des tuniques de peau et Il les en couvrit ». Les Sages disent à ce sujet (Béréshit Rabba 20:29) « Dans le Séfer Torah écrit par Rabbi Meir le mot ׂr/[׃, peau, est écrit ׂr/a׃, lumière, (par interversion de la lettre ayin avec la lettre aleph). C’est-à-dire qu’après qu’ils se sont repentis et ont corrigé la faute commise par leurs yeux, la lumière leur est revenue. Il est écrit auparavant (verset 17): « Ils cousirent des feuilles de figuier et s’en firent des pagnes ». Si nous y prêtons attention, nous constatons que « des tuniques de peau » ainsi que « des feuilles de figuier » sont deux expressions inséparablement liées. Après s’être regardés l’un l’autre et avoir constaté qu’ils étaient nus, ils se sont repentis et ont cousu des feuilles téena de figuier - ils se sont élevés aléh grâce au repentir. Bien que D. les ait chassés du Jardin d’Eden (ibid. 3:23-24), Il leur fit des tuniques de lumière afin de corriger la faute commise par les yeux, ce qui est aussi le sens de « feuilles de figuier » (aléh téena). « L’objet qui a causé la faute a servi à sa correction » (Sanhédrin 70b), et comme le disent les Sages (Shabbat 105b, Nédarim 32a): « La faute et la punition sont à la mesure l’une de l’autre ». S’il en est ainsi, un vêtement fabriqué avec les feuilles de l’arbre par lequel ils ont fauté, et qui selon l’opinion d’un de nos Sages (Béréshit Rabba 15:8) était un figuier, représente pour eux une réparation de leur faute et une élévation. Lorsqu’ils ressentirent avec honte qu’ils étaient dénués du commandement qu’ils avaient reçu, D. leur fit des tuniques de peau, ou de lumière, pour les inciter à s’élever, dans le sens où il est dit que par le repentir « les fautes intentionnelles sont comptées comme des mérites » (Yoma 86b). La feuille de l’arbre lui-même est devenue couverture de lumière et cause d’élévation.

Chacun peut en tirer enseignement. Chaque interdit de la Torah est lié à un mauvais penchant qu’il nous faut dominer. L’interdit a pour but de nous éloigner le plus possible des tentations et des épreuves du mauvais penchant. Seul ce qui est permis, nous est imposé, est lié au bon penchant et nous devons tendre vers ce qui est bon, et nous habituer à faire le bien.

Nous apprenons aussi que celui qui a fauté doit faire réparation par les voies mêmes par lesquelles il a fauté. Par exemple, celui qui a dénaturé son regard doit corriger son regard, et même si sa faute a été volontaire, D. la comptera comme mérite. Cette assurance nous permet de nous corriger et de nous élever.

Lorsque quelqu’un se repent de ses fautes involontaires, elles lui sont comptées comme mérites, car tout compte fait, il ne comprend ni la gravité de la faute ni même sa nature et il ne connaît pas la raison de la punition. Quoi qu’il en soit, en fautant il satisfait à un de ses désirs, et si par la suite il les refrène, il contente D. à condition qu’il décide de ne jamais plus commettre cette faute (Rambam, Halach’ot Teshouva 2:2). Celui qui fait plaisir à D. corrige le plaisir qu’il a procuré à ses propres sens et lorsque son repentir est motivé par l’amour de D., même ses fautes intentionnelles sont transformées en mérites. Tout acte d’obéissance à D. (c’est notre obéissance qui est pour Lui une source de plaisir) amoindrit le pouvoir du mauvais penchant, et permet à la sainteté de prendre le dessus.

A ce sujet les Sages ont dit (Souca 52b): « Le mauvais penchant de l’homme reprend force chaque jour, et cherche à le perdre », signifiant que chaque jour il est plus fort que la veille. Mais le mauvais penchant n’a aucune influence sur celui qui a décidé de ne plus fauter et les tentations d’hier sont toutes aujourd’hui sans effet. Non seulement il n’a plus la possibilité de se renforcer, mais il a perdu tout son pouvoir. Celui qui ne cherche qu’à obéir à la volonté de D. transforme toutes ses fautes passées en mérites, bien que le mauvais penchant essaie toujours de l’atteindre.

« Même les Justes les plus parfaits n’arrivent pas au niveau de celui qui s’est repenti de ses fautes » disent les Sages (Brach’ot 34b). Pourquoi? Parce que quelqu’un qui se repent de ses fautes regagne en un instant la place qui lui est réservée dans le monde à venir, comme il est dit (Avoda Zara 10b, 17a): « Il en est qui gagnent leur place dans le monde à venir en un instant » et « un seul instant et une seconde » (Zohar I 129a). Celui qui n’a jamais fauté ne peut pas se mesurer à celui qui se repent de ses fautes, car il manque du mérite que le repentir accroît en un instant. C’est pourquoi celui qui se repent surpasse le Juste le plus parfait.

La force du repentir est tellement grande que nous pouvons comprendre qu’Adam et sa femme H’ava aient pu corriger leur faute en la transformant en mérite et être revêtus de tuniques de lumière. C’est ce qui est écrit (Béréshit 3:7): « Leurs yeux se dessillèrent », car la lumière et la sainteté des yeux leur furent restituées. Ils ont réparé ce par quoi ils ont fauté.

 

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