L’hospitalité, commandement et vertu

Il est écrit (Béréshit 18:1-3): « L’Eternel Se révéla à lui dans les plaines de Mamré, alors qu’il était assis à l’entrée de la tente dans la chaleur du jour. Et il leva les yeux et vit que trois personnages se tenaient debout devant lui... il courut du seuil de la tente à leur rencontre et se prosterna à terre... et il dit: Seigneur, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas outre ton serviteur... »

Combien notre intelligence limitée est loin de pouvoir saisir le sens de telles paroles.

1. Avraham se tient devant D. venu le visiter au troisième jour de la circoncision (Babba Metzya 86b), Il parle avec lui, expérience que n’importe quel individu espère et qui le rendrait tellement heureux! Justement à ce moment-là, tout à coup, Avraham quitte la Présence Divine et court accueillir ces hôtes inconnus, des gens de passage, peut-être sont-ils vertueux, peut-être sont-ils, malheureusement, pervers? Est-ce qu’il convient vraiment  de se conduire de la sorte lorsque l’on est en « tête à tête » avec la Présence Divine? Convient-il de quitter ainsi la Présence de D.?

2. Les Sages tirent de cela un enseignement (Shabbat 127a): « Accueillir des hôtes est plus important qu’accueillir la Présence Divine, puisque Avraham s’est séparé de D. pour accueillir ses hôtes ». Mais comment Avraham lui-même savait-il que l’hospitalité est un commandement plus important que celui d’accueillir la Présence Divine, et comment savait-il qu’il convient d’agir ainsi?

Avraham était bienveillant, telle est sa qualité principale (Zohar III 302a), comme il est écrit (Mich’a 7:20): « Tu témoignas à Ya’akov la fidélité, à Avraham la bienveillance ». Il avait naturellement tendance à courir à l’aide de tout un chacun, car il voyait en chacun l’image de D., et donc il se devait de lui venir en aide et de le soutenir, sans vérifier si ce nécessiteux était vertueux ou criminel. Au contraire, s’il savait qu’un tel était coupable, il s’efforçait d’autant plus de le corriger et de le ramener dans le bon chemin jusqu’à ce que l’image et la ressemblance divines qui l’avaient quitté à cause de ses fautes lui soient restituées. Avraham s’efforçait de restituer à chaque homme l’âme et la spiritualité qui l’avaient abandonné, car quel est le sens de la vie d’un homme s’il ne porte pas l’image de D. et s’il n’agit pas en imitant les vertus divines? Dans ce cas, il est comme mort. Telle était l’étendue de l’activité d’Avraham qui ramenait sous la protection de D. ceux qui s’en étaient éloignés.

Nous pouvons maintenant comprendre. D. visite Avraham chez lui, parce qu’il est malade, et Il lui parle. Avraham était attaché à D. et à Ses vertus, comme le disent les Sages (entre autres, Sotah 14a) concernant le verset « et attachez-vous à Lui » (Devarim 10:20): « Attache-toi aux vertus divines, de même qu’Il est miséricordieux, sois miséricordieux, de même qu’Il est plein de compassion, sois compatissant ». De lui-même Avraham faisait le bien, comme D., et il était parvenu à une telle élévation qu’il est dit que ce jour-là, il était devenu le porteur de la Présence Divine [Le Or Hah’ayim au début de la section Vayéra écrit: « Il semble que l’intention de la Torah est de nous faire savoir que D. a fait planer Sa Présence sur Avraham et l’a choisi pour être porteur de la Présence Divine, comme l’ont dit les Sages (Béréshit Rabba 82:7): « Les Patriarches sont le char de la Présence Divine... » et c’est alors que se révéla dans sa chair l’empreinte sacrée].

Lorsque Avraham vit les trois hommes qui se tenaient devant lui, il vit en eux l’image et la ressemblance de D. et il comprit qu’eux aussi avaient besoin d’être liés et attachés à D. car eux aussi portaient Son image et Sa ressemblance. Ce serait certainement un dommage spirituel pour le Créateur du monde de les perdre s’il ne courait pas à leur rencontre et ne les invitait pas sous son toit, et donc il valait mieux quitter D. et courir à leur rencontre, car D. aussi en éprouverait de la joie. On peut comparer cette situation à celle de ce roi qui avait l’habitude de consommer du poisson mais qui fut retenu, lui et sa suite, loin de son palais dans un endroit où il était presque impossible de trouver du poisson. Le roi fut pris du désir de manger du poisson. Et alors son pêcheur, qui l’accompagnait avec sa suite, jeta son hameçon à l’eau tandis que le roi était assis à ses côtés et conversait avec lui en attendant une bonne prise pour le repas. Tout à coup, le pêcheur sentit qu’un poisson quelconque mordait à l’hameçon... quelle fut sa réaction? Naturellement, et même brusquement, il interrompit sa conversation avec le roi (malgré le respect qui lui devait) et promptement il remonta le poisson attrapé, avant que celui-ci ne s’échappe et ne retourne au fond de l’eau, et ce afin de satisfaire la volonté et le désir du roi. Le roi ne considéra en aucun cas le fait d’avoir interrompu la conversation comme un manque de respect envers lui, au contraire, à ses yeux, le succès du pêcheur était tout à son honneur, et ce pêcheur méritait même de recevoir du roi de grandes marques de reconnaissance pour avoir pêché pour lui ce poisson, surtout en cet endroit isolé.

Telle était la situation spirituelle du temps d’Abraham. Le monde entier niait l’existence et l’unité de D., et personne ne Le craignait. Seul Avraham, l’unique, « le grand parmi les grands » (Midrash Avot, Zohar II 53a), qui de tout son cœur et de toute son âme proclamait l’unité de D., faisait connaître Son Nom dans le monde et le proclamait « D. du ciel et de la terre ». Et donc, tandis que D. lui parlait, Avraham vit trois personnes debout devant lui, et il comprit que les amener sous la protection divine et les attacher à D. était justement ce qui plairait à D. Ce ne serait en aucun cas considéré comme un manque de respect envers le Roi des rois, le Saint, béni soit-Il. Au contraire, le fait qu’il réussit à amener trois autres âmes sous la protection de D. serait considéré comme une marque de respect et un hommage, d’autant plus que par ses bonnes actions, il les amènerait à se repentir, et que sur leur visage se refléterait l’image de D. En agissant de la sorte, Avraham se conduisit conformément aux vertus de D., avec bienveillance et compassion. C’est la raison pour laquelle il interrompit soudain sa conversation avec le Roi - D. - pour s’empresser d’accueillir les hôtes de passage. En fait, Avraham n’a jamais quitté D. ne serait-ce qu’un bref instant, puisqu’il court vers la Présence Divine, vers Son image et Sa ressemblance, en Son honneur et pour Lui rendre hommage. Il savait que le fait même de se diriger vers eux et de les inviter, joyeusement et chaleureusement ferait plaisir à D. puisqu’Il désire que ces hommes reviennent à Lui et Le bénissent.

Il semble que le commandement d’hospitalité confère à l’hôte lui-même une double élévation:

Tout d’abord, en invitant des hôtes, il accueille aussi la Présence Divine chez lui et, si avant d’accueillir des hôtes, la Présence Divine n’était pas très sensible, à présent elle va être manifeste car les invités aussi partageront la connaissance de D. et Le loueront. Ensuite, par son hospitalité, il fait plaisir à Son Créateur, en ce qu’il est attaché à Ses vertus, qu’il se préoccupe du bien-être de toutes les créatures et leur apporte des bienfaits matériels et spirituels. Il parvient ainsi au degré suprême d’attachement à D. Combien il peut être heureux en ce monde et dans l’autre!

Il faut ajouter une autre considération concernant la grandeur du commandement d’hospitalité.

« Le jour de Kippour pardonne les fautes commises envers D., mais les fautes envers le prochain ne sont pardonnées que si l’on a obtenu le pardon de son prochain » (Yoma 85b). Que doit-il faire s’il est dans l’impossibilité de lui demander pardon? Dans ce cas-là, sa faute est grande, et il doit même aller sur la tombe de la personne envers qui il a eu des torts, et l’apaiser (Yoma 87a, Shoulh’an Arouch’ Orah’ H’ayim 606:2).

A ce propos, le Talmud (Ta’anith 21a) rapporte une histoire terrible, concernant Nah’oum Ish Gamzou: « Une fois j’étais en chemin... j’avais avec moi trois ânes chargés... un pauvre est venu vers moi et m’a dit: Rabbi, donne-moi à manger. Je lui ai dit: Attends que je décharge l’âne. Je n’avais pas achevé de le décharger que le mendiant rendit l’âme. Je suis allé vers lui, je suis tombé sur lui, et je lui ai dit: que mes yeux qui n’ont pas eu pitié de toi deviennent aveugles, que mes mains que je n’ai pas tendues vers toi soient estropiées, que mes pieds qui n’ont pas couru vers toi soient amputés, et je n’ai trouvé de repos que lorsque j’ai dit: que tout mon corps se recouvre d’ulcères ». Tel est l’essentiel de cette histoire.

Les Sages ont dit (Babba Metzya 86b): « Ce jour [où les visiteurs sont venus chez Avraham] était le troisième jour après la circoncision, et D. avait causé une chaleur torride afin qu’il ne soit pas dérangé par des hôtes de passage ». Donc, lorsqu’Avraham vit trois personnes debout devant lui, il pesa en pensée ce qu’il devait faire: devait-il rester devant D. ou bien Le quitter et courir vers les passants, car il faisait extrêmement chaud dehors et qui sait depuis combien de temps ils n’avaient ni bu ni mangé? Ils étaient peut-être en danger de mort.

C’est pourquoi il décida de quitter la Présence de D. au risque que ce geste lui soit compté comme une faute et un péché, mais les fautes vis-à-vis de D. peuvent être pardonnées à Yom Kippour et sûrement cette faute lui serait pardonnée. Par contre, s’il n’avait pas couru vers les hôtes de passage, cela aurait été une faute envers le prochain pour lequel il n’aurait pas de pardon à Yom Kippour tant qu’il n’aurait pas obtenu le pardon de son prochain, et qui sait s’il aurait encore l’occasion de se faire pardonner par ces trois visiteurs, de leur vivant? Peut-être allaient-ils mourir avant qu’il ait eu le temps de les nourrir et de leur donner à boire, comme ce fut le cas pour Nah’oum Ish Gamzou, et ne pourrait demander leur pardon qu’après leur mort (et trouverait-il des gens qui accepteraient de l’accompagner sur leurs tombes)? Ne serait-ce pas un crime trop lourd à porter?

C’est pourquoi Avraham, qui était naturellement bienveillant, miséricordieux, attaché aux vertus de D. (Sotah 14a), et voyait en chacun un ami et un proche, a pris sur lui-même le risque de quitter la Présence de D., et a préféré courir vers les hôtes de passage pour leur servir à manger et à boire; si « le devoir de sauver une vie repousse même les interdits du Shabbat » (Shabbat 132a), que dire dans ce cas? Les Sages l’ont déjà dit: « mieux vaut transgresser un Shabbat pour sauver quelqu’un afin de lui permettre d’observer par la suite beaucoup d’autres Shabbatot » (Yoma 85b). Si la personne que l’on aurait pu sauver en venait à mourir, elle ne pourrait plus pratiquer aucun commandement, mais en lui sauvant la vie, on lui donne l’occasion et la possibilité de servir D. tous les jours de sa vie. C’est la raison pour laquelle « Accueillir des invités est une action plus importante qu’accueillir la Présence Divine ».

Nous voyons là la grandeur sublime d’Avraham, qui, à chaque instant, cherchait par quoi et comment faire davantage plaisir à son Créateur, au point qu’il comprit que D. voulait qu’il aille à ce moment-là vers les hôtes de passage. Il aime D., d’où il s’ensuit « qu’il aime les créatures » (Avot VI:1) et désire leur bien, comme Aaron HaKohen (Avot I:12). Effectivement, il a mérité d’être nommé par D. « Avraham que J’aime » (Midrash Avot, Zohar I 85a, 89a). Chaque Juif doit se conduire selon cette vertu-là, et il sera heureux dans ce monde et dans le monde à venir.

 

 

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