La vie éternelle face à la vie temporelle

Il est écrit (Béréchith 25 :24-25) : « Les enfants se bousculaient l’un l’autre dans son sein, et elle dit : s’il en est ainsi qu’en est-il de moi ? Elle alla consulter l’Eternel. Et l’Eternel lui dit : deux nations sont dans ton sein, et deux peuples sortiront de tes entrailles, ils se sépareront, un peuple sera plus puissant que l’autre, et l’aîné sera soumis au plus jeune ».

Rachi rapporte les paroles de nos Sages (Béréchith Rabah 63 :7) : « Lorsque Rivka passait devant les lieux d’étude de la Torah, Ya’akov poussait pour sortir comme il est écrit (Yérémia 1 :5) : « Avant de te former Je te connaissais », et si elle passait devant des lieux où se pratiquait l’idolâtrie, c’est Essav qui s’empressait de vouloir sortir, comme il est écrit (Téhilim 58 :4) : « Dès le sein de leur mère, les méchants sont pervertis ». Elle alla consulter l’Eternel auprès de Chem  et Ever ».

Le sens est clair. Ya’akov était saint par essence et tout son être consacré à D.  Par contre Essav était au départ méchant vis-à-vis de D. car il tendait de tout son être aux plaisirs interdits, aux actes mauvais et licencieux. Lorsque leur mère passait devant les maisons d’étude, Ya’akov voulait sortir et Essav tentait de le retenir, il se battait avec lui afin de l’empêcher de sortir et ceci, pour que lui-même, Essav, ne fût pas entraîné vers les lieux d’étude de Torah. Mais lorsque Rivka passait devant les temples idolâtres, c’est Essav qui s’empressait de vouloir sortir et Ya’akov qui tentait de l’en empêcher, et il se débattait contre lui et le saisissait par le talon (ibid. 25 :26) pour le retenir, car Ya’akov craignait d’être entraîné à sa suite vers ces lieux d’idolâtrie, comme disent les Sages (Avodah Zarah 27b) : « L’hérésie est différente car c’est une chose qui attire et entraîne ». C’est pourquoi ils se bousculaient l’un l’autre. En fait, Ya’akov était la cause principale ; parfois il poussait et était poussé, parfois il empêchait et était empêché, et c’est pourquoi Rivka pensait que tous ces mouvements étaient peut-être dus à un seul enfant qui se tournait parfois dans un sens, parfois dans l’autre, et elle alla consulter D. à ce sujet auprès de Chem et Ever.

La raison de cette agitation est expliquée dans le Tana D’Bey Eliyahou (Zouta 19, au nom du Yalkout Toledoth 32 :4), que nous allons citer entièrement, tant ses paroles nous sont chères : « Nos Sages ont dit, lorsque Ya’akov et Essav étaient dans le ventre de leur mère, Ya’akov dit à Essav : Essav mon frère, nous sommes frères d’un même père, et il y a deux mondes devant nous, ce monde-ci et le monde à Venir. Dans ce monde on mange et on boit, on se marie et on a des fils et des filles, mais dans le monde à Venir il n’y a rien de tout cela. Si tu veux, prends pour toi ce monde-ci, et moi, je prendrai le monde à Venir... »

Déjà dans le ventre de leur mère ils ont partagé entre eux les mondes, la sanctification et l’impureté. Ya’akov a choisi pour sa part le monde à Venir, il a opté pour une vie sainte, tandis qu’Essav a choisi pour sa part ce monde, et opté pour l’impureté, ce qui explique pourquoi Ya’akov s’agitait pour sortir devant les maisons de Torah et Essav devant les maisons d’idolâtrie, et pourquoi ils se bousculaient.

Les questions qui se posent sont nombreuses :

1. Rivka alla consulter D. auprès de Chem et Ever. Elle n’a pas été chez des médecins demander des soins médicaux car elle comprenait bien que ce qu’elle ressentait n’était pas un problème physique. Lorsque l’un voulait sortir vers les maisons d’étude l’autre l’en empêchait, tandis que, devant les maisons d’idolâtrie le second cherchait à sortir et le premier l’en empêchait ; il est donc sûr que l’un était vertueux et l’autre méchant. Pourquoi n’a-t-elle pas compris cela d’elle-même, et pourquoi est-elle allée demander une explication à Chem et Ever ? Il est certain qu’elle porte deux enfants, l’un bon l’autre méchant, et qu’il y a dans son ventre deux forces qui s’opposent, la sainteté et l’impureté. Quel besoin a-t-elle de consulter D. ?

2. Il faut expliquer le sens de l’expression « Qu’en est-il de moi ? »

3. Pourquoi est-ce que Ya’akov voulait sortir devant les maisons d’étude de la Torah, puisque les Sages disent (Nidah 30b) : « Le bébé dans le ventre de sa mère a une lumière qui brille au-dessus de sa tête, et un ange lui enseigne toute la Torah » ? Pourquoi Ya’akov fait-il souffrir sa mère en voulant sortir étudier la Torah, alors que dans le ventre de sa mère aussi il apprend la Torah ?

4. Si un ange enseigne la Torah à Ya’akov dans le ventre de sa mère, forcément il l’enseigne aussi à Essav. Est-il possible qu’il fasse à cet ange l’affront de vouloir le quitter, au milieu de l’étude, pour aller vers les maisons d’idolâtrie ?

5. Est-il possible qu’Essav, issu d’une famille de gens vertueux comme le sont Yits’hak et Rivka, n’ait pas bénéficié de leur bonne influence ? De plus, il avait une foi profonde dans les bénédictions de son père Yits’hak (Béréchith 27 :34, 39), pourquoi a-t-il tout de même dénigré et vendu le droit d’aînesse pour un plat de lentilles ?

6. Pourquoi est-ce seulement devant les maisons d’étude ou les maisons d’idolâtrie que les enfants se débattaient, tandis que dans la maison d’Yits’hak ils ne se disputaient pas ? Ya’akov n’aurait-il pas dû vouloir sortir pour jouir de la sainteté qui y régnait, et Essav pour la fuir ?

7. En quoi l’explication donnée à Rivka, « deux nations sont dans ton sein et deux peuples sortiront de tes entrailles, ils se sépareront... » est-elle satisfaisante ?

8. Il faut aussi expliquer pourquoi la vie de Ya’akov fut faite de difficultés et d’embûches qu’il dut sans cesse surmonter ? Pourquoi ne lui fut-il pas donné de servir D. dans le calme ? Pourquoi fut-il submergé de soucis en ce monde, les soucis causés par Essav, par Laban, par Dina, (Rachi, Béréchith 43 :14) et autres, qui ne lui laissaient pas de repos ?

9. Le Midrach Tana D’Bey Eliyahou nous enseigne le partage des mondes entre Ya’akov et Essav. Il faut se demander pourquoi ce partage s’est fait justement dans le ventre de leur mère ? De plus, pourquoi est-ce Ya’akov qui a pris l’initiative de proposer la chose à Essav, et non pas le contraire ? Surtout, pourquoi est-ce après le partage des mondes entre eux que Ya’akov et Essav ont commencé à se bousculer l’un l’autre dans le ventre de leur mère ?

Pour répondre à toutes ces questions présentons les propos de Rabbeinou Raphaël Berdugo, auteur de Mey Menouch’ot. Il rapporte le verset (Kohéleth 1 :1) : « Vanités des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanités des vanités, tout n’est que vanité » et demande : « Comment Chlomo HaMelekh, le plus sage de tous les hommes, a-t-il pu penser que les œuvres de D. sont des vanités, alors qu’il est écrit (Téhilim 104 :31) : « Que la gloire de l’Eternel dure à jamais ! Que l’Eternel Se réjouisse de Ses œuvres ! » et que la Torah est explicite (Béréchith 1 :31) : « Et D. vit tout ce qu’Il créa, tout était excellent ». Comment dire que ce sont des vanités ? » Tel est l’essentiel de sa question.

C’est que nous voyons qu’il y a deux chemins dans la vie, celui de Ya’akov et celui d’Essav. Le seul but de Ya’akov en ce monde était de gagner sa place dans le monde à Venir car « ce monde n’est que le vestibule qui permet de pénétrer dans le palais, le monde éternel » (Avoth IV :21). Par contre Essav n’avait pour but que de jouir de ce monde, de ses plaisirs, de ses gratifications matérielles et éphémères dans le sens où il est dit « mangeons et buvons, car demain nous serons morts ». Les choses de ce monde étaient sa raison d’être et il ne voyait rien à gagner dans le monde à Venir. Il préférait voler et tuer, jouir de tous les plaisirs en transgression de tous les préceptes de la Torah, pourvu qu’il obtînt la satisfaction de ses désirs maintenant, justement maintenant, en ce bas monde.

C’est à cela que Chlomo HaMelekh se réfère lorsqu’il dit : « Vanités des vanités, tout n’est que vanité », s’adressant à celui dont le seul but est la vie transitoire de ce monde, auquel il dit : Sache et comprends que si tu suis la voie de ceux qui fautent et font le mal, ton monde n’est que vanité, il est rempli de vide, et pour de telles vanités, ta vie n’a pas de sens. Ce n’est pas le cas du Juif qui s’attache aux vertus de Ya’akov dont la vie en ce monde est consacrée à la Torah et au service de D., car D. peut alors Se réjouir des œuvres qu’Il a créées, et témoigner que tout ce qu’Il a fait est extrêmement bon, lorsque que le monde suit la voie indiquée par la Torah qui est bonne (Brach’oth 5a), comme il est écrit : « Je vous ai donné un bon enseignement, n’abandonnez pas Ma Torah » (Michley 4 :2). Ce n’est que lorsque nous menons une vie vertueuse que la création du monde se révèle une bonne chose.

Telles sont les deux voies, celle de Ya’akov et celle d’Essav. Le but de Ya’akov en ce monde est de parvenir au monde éternel, et ce monde n’est que le « début » du chemin. Pour comprendre le sens de ce qui est « bon », les Sages remarquent (Béréchith Rabah 9 :5) : « Nous avons vu que dans le Séfer Torah de Rabbi Meir il est écrit au lieu de Tov Méod, tout était très bon, Tov Mavét, la mort est une bonne chose ». C’est parce que tout ce qui est bon en ce monde ne se révèle qu’après la mort, dans la vie éternelle, et cela uniquement grâce à la Torah, car « sans Torah le ciel et la terre ne pourraient pas exister » (Nédarim 32a). Pourquoi ce monde n’est-il qu’un « vestibule qui permet de parvenir au monde à Venir » ? De quelle façon ? En observant la Torah, en obéissant à ses commandements, et en faisant le bien. Sans cela, le monde entier n’est effectivement que vanité ! Essav, dans sa méchanceté, n’avait d’autre but dans la vie que la jouissance des choses de ce monde qu’il s’appropriait pour le court instant que dure la vie, par le vol, les abus et le crime, sans tenir compte de la vie éternelle dans l’autre monde. C’est à cause d’une telle licence que le monde est privé des bénédictions divines et que seules perdurent les futilités, tout n’est que vanité, sans raison d’être, sans sainteté, et sans pureté.

Cela nous permet de comprendre le comportement de ces deux frères, Ya’akov et Essav. Pour Ya’akov, conformément à sa philosophie de la vie, l’homme naît en ce monde afin d’œuvrer et de peiner dans la voie de la Torah et la pratique de ses commandements. Les Sages enseignent effectivement que « l’homme est né pour la peine, pour peiner dans l’étude de la Torah et servir D. » (Sanhédrin 99b). Ce qui explique pourquoi Ya’akov s’efforçait de sortir devant les maisons d’étude - il voulait faire l’effort d’acquérir la Torah et d’en pratiquer les commandements, et il ne se contentait pas d’être assis face à l’ange comme un élève devant son maître (ce qui répond à notre troisième question). Il voulait éliminer les vanités de ce monde sous le souffle de la Torah qu’il apprendrait de lui-même, et ainsi réaliser ce qui est « très bon » dans toute la création, en transformant les vanités de ce monde (Havalim), en souffle (Hével) de Torah.

Par contre, Essav aspirait de toute son âme aux vanités de ce monde. Pour lui, c’est justement lorsque l’homme dédaigne les choses de ce monde, lorsqu’il se prive de ses plaisirs, que tout devient vanité, c’est pourquoi il recherchait les plaisirs de ce monde. Le monde éternel ne comptait pas à ses yeux. Il pensait sans doute ne pas le mériter, et refusait de renoncer à ce qui est sûr pour miser sur l’incertain ? Ce que l’ange lui enseignait ne l’intéressait pas, ne lui plaisait pas... il ne voulait pas entendre ses leçons car il ne voulait pas renoncer aux plaisirs et aux vanités de ce monde. Il n’éprouvait aucune gêne à quitter l’ange au milieu de l’étude pour tenter de sortir lorsque sa mère passait devant les lieux d’idolâtrie, car pour lui la vie n’avait de sens que si l’on jouit de ses plaisirs. Il n’avait que faire des plaisirs éternels et vrais du monde à Venir. Au milieu de l’étude, il se débattait pour sortir vers les pratiques idolâtres (ceci répond à la question 4). Son seul but était de jouir des joies de ce monde, et c’est la raison pour laquelle l’enseignement de l’ange, en ce qui le concerne, était une mauvaise chose (et non pas « très bonne ») et il courait vers l’idolâtrie.

En fait, Ya’akov connaissait bien Essav. Il s’était saisi de son talon, qu’il ne lâchait pas, il tentait de l’empêcher de courir vers les idoles, d’éliminer ses mauvaises pensées et de le ramener dans le bon chemin pour lui faire mériter la vie éternelle - la vie dans l’autre monde. Voyant qu’il n’y réussissait pas, Ya’akov décida, en tant qu’aîné puisqu’il fut conçu « par la première goutte » (Béréchith Rabah 63 :8), de parler à son frère Essav déjà dans le ventre de leur mère du partage des deux mondes, ce monde-ci et le monde à Venir (ce qui répond à la question 9). C’est que Ya’akov vit très tôt que son frère ne tirait pas profit de l’enseignement de l’ange, et il se dit que si maintenant, alors qu’il n’avait pas encore de bon ou de mauvais penchant, il se conduisait de la sorte, à plus forte raison lorsqu’il viendrait au monde et que le mauvais penchant le saisirait, il était sûr qu’il fauterait de plus belle et qu’il valait mieux dès maintenant partager les deux mondes afin qu’à leur naissance chacun suivît son propre chemin - Ya’akov vers une vie faite de spiritualité et Essav vers une vie de profits matériels. Il voulait priver Essav de la possibilité de se plaindre par la suite d’avoir perdu sa part du monde éternel, car il aurait pu prétendre que s’il avait su que pour gagner la vie éternelle il fallait surmonter les embûches et les tentations de ce monde, il est possible qu’il aurait accepté de le faire... Afin d’ôter à Essav la possibilité de présenter un tel argument à l’avenir, Ya’akov décida de partager dès maintenant les deux mondes, en expliquant à Essav : il y a ce monde, où on peut jouir de tous les plaisirs matériels, et il existe l’autre monde qui ne s’acquiert que par la connaissance de la Torah, l’observance des commandements et la pratique des bonnes actions, choses qui ne sont réalisables qu’en ce monde, et par des souffrances, comme le disent les Sages (Brach’oth 5a) : « Erets Israël, la Torah et le monde éternel ne s’acquièrent que dans la peine ». Les nombreuses peines et les grandes souffrances que nous devons surmonter en ce monde nous permettent de gagner la vie éternelle de l’autre monde et s’il n’en était pas ainsi, effectivement la vie en ce monde, sans discipline, ne serait que vanité.

Essav avait d’autres pensées. Les plaisirs du monde à Venir peuvent-ils être supérieurs à ceux qui lui sont donnés en abondance en ce monde ? Il accepta donc de partager les mondes et de prendre ce monde pour lui. Après ce partage, les coups commencèrent à se faire sentir violemment dans le ventre de Rivka, car Ya’akov voulait sortir vers les maisons d’études pour apprendre la Torah par ses efforts personnels, au lieu d’écouter passivement ce que lui enseignait l’ange, son maître, et il désirait ardemment en réaliser les préceptes car « l’essentiel n’est pas l’étude mais la pratique » (Avoth I :17). Essav le dérangeait. De son côté Essav ne désirait qu’assouvir ses appétits, il niait l’existence de l’autre monde, il dénigrait les enseignements de la Torah, et c’est pourquoi il tentait de sortir vers les maisons d’idolâtrie afin de ne rien perdre des attraits de ce monde. Chacun tentait d’attirer l’autre à lui, tant Ya’akov qu’Essav, et il est écrit (ibid. 25 :26) : « Il tenait dans sa main le talon d’Essav », ce qui montre que Ya’akov voulait attirer Essav dans son domaine - le monde à Venir - mais sans succès.

Le monde à Venir

Ce que nous avons dit permet de comprendre le verset (ibid. 25 :31) : « Vends-moi, ce jour, ton droit d’aînesse », littéralement « comme ce jour ». Ya’akov dit à Essav : vends-moi ce droit comme tu l’as fait lorsque nous avons partagé les mondes dans le ventre de notre mère. Si je n’étais pas l’aîné, je n’aurais pas entamé ce sujet avec toi. Par la suite (ibid. 25 :32) il est écrit : « Essav dit : en fait, je vais mourir, qu’ai-je à faire du droit d’aînesse ? » Ya’akov a expliqué à son frère qu’afin de mériter le droit d’aînesse et le monde éternel, il faut non seulement pratiquer les commandements de la Torah et faire le bien en dépit des souffrances et des difficultés, sans se laisser entraîner par des plaisirs illusoires, mais il faut aussi vivre en ce monde, c’est pourquoi il a demandé le droit d’aînesse. Essav, qui ne croyait pas en l’autre monde et qui refusait la vie éternelle, dit à Ya’akov : Je vais mourir à cause de ce droit d’aînesse, car je crois qu’il faut se réjouir en ce monde et non pas dans le monde à Venir, je ne veux pas faire l’effort d’étudier la Torah et de pratiquer les commandements afin de mériter l’autre monde auquel je ne crois pas. Il ajouta : « qu’ai-je à faire du droit d’aînesse ? » car « il niait la résurrection des morts » (Pessikta 12 :4), il ne croyait pas en la vie éternelle de l’âme, et il se disait : Je n’ai aucune raison de peiner en ce monde, de ne pas tuer, de ne pas voler, et de ne pas fauter, uniquement pour gagner l’autre monde, auquel je ne crois pas plus qu’en la résurrection. Si tu veux, prends pour toi le droit d’aînesse que tu désires. En fait, je ne comprends pas pourquoi tu as besoin d’acheter ce droit étant donné que tu l’as déjà reçu dans le ventre de notre mère. Sans attendre de réponse, Essav refusa le droit d’aînesse, nia la résurrection des morts, le monde éternel, et il ne lui resta plus que les plaisirs et les jouissances de ce monde.

Revenons à ce que nous avons dit à propos de Rivka. Ne savait-elle pas qu’elle portait un être vertueux et un être méchant, et que chacun d’eux tirait de son côté pour aller son chemin ? Pourquoi dit-elle : « Qu’en est-il de moi ? » Et cela nous conduit à une autre question : Quel est le sens de la réponse qu’elle reçut : « Deux nations sont dans ton sein » ?

Il nous semble, en toute humilité, que Rivka savait bien qu’elle portait en elle un homme vertueux et un homme méchant, car elle sentait leurs mouvements contraires, mais c’est justement pourquoi elle est allée consulter D. auprès de Chem et Ever, car ce qu’elle ressentait était un phénomène hors du commun :

Premièrement, chaque fois qu’elle passait devant une maison de prière ou une maison d’étude, elle entendait s’élever de son ventre une voix qui criait : « Moi ! », c’est pourquoi, pleine d’étonnement, elle s’est demandé « Qu’en est-il de Moi ? » (Cela répond à la question 2). Pourquoi est-ce que devant les maisons de prière j’entends cette voix crier « Moi ! » et devant les maisons d’idolâtrie j’entends aussi une voix qui crie « Moi ! ». En vérité « Moi » est la parole de D. (Chemoth 20 :2) comme il est dit : « Je suis Moi l’Eternel ton D. » Comment se fait-il que devant les maisons d’idolâtrie j’entende aussi « Moi » ? C’est ce qu’elle a demandé à Chem et Ever, afin de savoir ce qui l’attendait, et ils lui répondirent : « Il est vrai que tu entends s’élever une voix qui dit « Moi » autant devant les maisons d’étude et de prière que devant celles des idolâtres. C’est parce que tu portes deux nations dans ton sein, deux peuples qui, au sortir de tes entrailles, se sépareront car ils ont déjà partagé entre eux ce monde-ci et le monde à Venir. Le méchant a pris pour lui ce monde, et le vertueux a pris l’autre monde. Devant les maisons d’étude et de prière, tu entends la voix de Ya’akov, le vertueux, qui est comme le peuple d’Israël qui, lorsqu’il reçut la Torah et ses commandements au Mont Sinaï, a entendu la voix de D. dire « Je suis Moi l’Eternel ton D. qui t’ai fait sortir de la terre d’Egypte » (ibid.). Par contre, l’autre voix est celle d’Essav le méchant, qui est comme la tourbe qui s’est jointe au peuple d’Israël à la sortie d’Egypte, ceux qui ont commis la faute du veau d’or et qui ont dit « Voici ton dieu, Israël, qui t’a fait sortir du pays d’Egypte ». Et pourtant « un peuple sera plus puissant que l’autre », c’est-à-dire que leur guerre se poursuivra en tout temps et durant toutes les générations, car Ya’akov luttera toujours pour sanctifier le Nom de D. et Essav pour justifier ses profanations et ses plaisirs mondains. Et Rivka demanda : Que sera la conclusion de tout cela ? Il lui fut dit : « L’aîné sera soumis au plus jeune », Ya’akov triomphera d’Essav, comme il est écrit : « Les libérateurs monteront sur la montagne de Sion pour faire justice au mont d’Essav, et la royauté appartiendra à l’Eternel » (Ovadia 1 :21).

Deuxièmement Rivka savait qu’elle portait deux fils, l’un bon et l’autre mauvais, et donc elle était étonnée qu’ils ne se bousculent que lorsqu’elle passait devant des maisons de Torah ou d’idolâtrie, mais que par contre, lorsqu’elle était chez elle, ils fussent calmes et sans se  bousculer pas dans son ventre (cela répond à la question 6). Si chacun cherchait à aller son chemin, lorsqu’elle était à la maison, celui qui était vertueux aurait dû tenter de sortir afin de jouir de la sainteté qui remplissait le foyer, et le méchant aussi afin de fuir cette sainteté et cette pureté. Il faut donc se demander pourquoi il ne se débattait pas dans la maison. Rivka en était fort étonnée, et elle consulta Chem et Ever afin d’élucider cette énigme. Ils lui firent savoir qu’elle portait deux nations, deux puissances, l’une bonne, l’autre mauvaise, chacune désireuse de se séparer de l’autre. Celui-ci optait pour une vie de Torah et celui-là pour une vie de plaisirs matériels. Mais à l’intérieur de la maison, il n’y avait aucune lutte entre eux parce que l’environnement dans lequel ils se trouvaient - la maison sainte d’Yits’hak - avait une bonne influence sur eux, et tous deux étaient heureux de passer leurs jours à l’intérieur de cette maison. Là, dans la maison de son père, loin des attractions de ce monde, Essav se sent bien, et il va sans dire que Ya’akov aussi, car il est saint et pur. Mais dès qu’ils quittent la sainteté de ce lieu où règne la Présence Divine et qu’ils sortent dans la rue, la bousculade commence, parce que hors de l’influence puissante de la maison d’Yits’hak, chacun veut aller son chemin - Essav vers les vanités et les futilités, et Ya’akov vers ce qui saint et pur. Lorsque Rivka entendit ces explications, elle en fut effectivement apaisée (cela répond à notre question 7).

Nous voyons à quel point un lieu baigné de sainteté peut avoir une influence favorable sur ses habitants. Par exemple, n’importe quel homme simple qui entre dans une pareille maison se sent immédiatement élevé au-dessus de ses préoccupations quotidiennes. Il se couvre la tête, il dit les bénédictions, il prie, tout en jouissant de tant de sainteté et de bonté. Par contre, au dehors, il se retrouve dans la situation où « la faute est tapie sur le seuil » (Béréchith 4 :7), car là le mauvais penchant reprend le dessus, et alors de nouveau il se découvre la tête, mange et boit sans bénédiction, et commet même des fautes, tout comme Essav qui est « Juif chez lui et goy dehors ». Il est vrai que l’influence du foyer et sa sainteté auraient pu marquer Essav à l’extérieur aussi, s’il l’avait voulu, mais sa philosophie de la vie le portait à rechercher les jouissances d’un monde futile, à courir après les plaisirs temporaires et à mépriser la vie éternelle - le monde à Venir. Dans la maison paternelle il n’avait pas le choix, il était obligé de se conduire correctement car il habitait avec des gens vertueux, observant la Torah et les commandements, comme Yits’hak son père, Rivka sa mère, et son frère Ya’akov. Il est possible qu’en faisant un petit effort, en prenant les choses sérieusement, il aurait pu se rendre compte combien sa situation était précaire et qu’il avait intérêt à  modifier son comportement à l’extérieur. Il aurait même pu devenir comme son frère Ya’akov. Mais ce n’est pas ce qu’il voulait. Son calme dans la maison n’était qu’une façade, il ne cherchait qu’à tromper son père Yits’hak et sa mère et à leur faire croire qu’il était tout aussi vertueux que Ya’akov, mais ce n’était qu’une apparence. Dès son enfance, il trompait son père en lui demandant comment prélever la dîme sur le sel ou le foin (Béréchith Rabah 63 :10) ce qui montre qu’il était fondamentalement mauvais et ne cherchait qu’à faire le mal, contrairement à Ya’akov qui était saint en tout ce qu’il faisait.

Telle est la différence entre Ya’akov et Essav. Elle explique pourquoi Essav n’a pas subi l’influence de ses parents et pourquoi les événements de la vie de Ya’akov sont empreints de souffrances, sans qu’il trouve de repos (c’est la réponse aux questions 5 et 9).

« Essav était un habile chasseur, un homme des champs » (Béréchith 25 :27), et la traduction en Araméen explique : « Un homme qui n’avait rien à faire et qui chassait les animaux sauvages et les oiseaux », tandis que « Ya’akov était un homme accompli, qui restait dans la tente » (ibid.). Ya’akov a rejeté toute sa vie les tendances de l’homme des champs, homme oisif, attaché à la terre, à la poussière, à la matérialité, car il voulait s’élever au-dessus des choses matérielles afin d’atteindre les sommets de la spiritualité, auxquels il n’est possible de parvenir que par l’effort et la souffrance. « Les hommes vertueux souffrent en ce monde mais en fin de compte ils connaissent le repos » (Béréchith Rabah 66 :5). De l’homme attaché à la Torah, il est dit (Brach’oth 17a) : « Heureux celui qui étudie la Torah... et qui donne satisfaction à son Créateur (par ses actes) », c’est pourquoi la vie de Ya’akov est une suite de souffrances et de douleurs, afin qu’il mérite les grands bienfaits qui lui sont réservés, à lui et à tous les hommes vertueux, dans la vie éternelle, le monde à Venir.

Quant à Essav, il est oisif, et « l’oisiveté conduit à l’ennui » (Kétouboth 59b). Il ne vit que pour les plaisirs matériels et les jouissances passagères. Il a laissé à Ya’akov son frère le lot des peines qui sont pour lui un objet de dégoût, et il n’aspire qu’aux gratifications du monde matériel. Il trompe son père, il est paresseux pour apprendre la Torah que lui enseigne l’ange dans le ventre de sa mère, il nie la résurrection des morts et la réalité de la vie éternelle, il trompe les gens par ses mensonges. Ses saints parents n’ont pas d’influence sur lui - bien qu’il ait la possibilité d’être bon - car il adore des dieux étrangers, un culte qui conduit ses pratiquants au fin fond de l’enfer.

Il faut suivre l’exemple de Ya’akov en dépit des nombreuses souffrances, car les Sages ont dit (Midrach HaGadol, Vayé’hi 47 :28) : « Les hommes vertueux ont des débuts douloureux dans la vie, mais leur fin est heureuse » et « à l’avenir, les hommes vertueux siègeront couronnés et jouiront de la Splendeur Divine » (Brach’oth 17a). Tout cela, grâce à la Torah et aux commandements qu’ils ont pratiqués et multipliés durant leur vie en ce monde, car le but de l’homme en ce monde est de mériter la vie éternelle - le monde à Venir.

 

 

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