Le compte des hommes devant D.

« L’Eternel parla en ces termes à Moché dans le désert du Sinaï... faites le relevé de la communauté des Enfants d’Israël... (Bamidbar 1:1-2). « Par amour pour eux, D. les compte en toute occasion, Il les compte à la sortie d’Egypte; après la faute du veau d’or beaucoup sont tombés et Il compte ceux qui restent, et Il les compte avant de faire descendre Sa Présence sur eux. Le premier du mois de Nissan, le Tabernacle fut élevé et Il les compte le premier du mois d’Iyar » (Rachi, Midrach Hagadah).

Le Chiourey Torah s’étonne de ce commentaire de Rachi. Comment est-il possible de faire une telle comparaison et de dire que de même que l’homme a la tendance naturelle de compter à toute heure ce qui lui est cher, de même D. compte les Enfants d’Israël à toute heure, tant Il les aime. Si l’homme fait le compte de ses possessions, c’est pour en savoir le nombre, mais D., « de qui aucun mystère n’est caché » (Daniel 4:6), a-t-Il besoin de les compter pour le connaître? Les hommes recomptent ce qu’ils possèdent pour vérifier s’ils ne se sont pas trompés, mais D. peut-Il Se tromper et avoir des doutes?

Il est impossible de comparer le compte de D. aux comptes que font les hommes, puisque rien n’est caché à D. Il sait ce qu’il y a dans le cœur et dans la pensée de chaque individu et « Il connaît le nombre des constellations et le nom de chacune d’elles... Sa sagesse est sans limite... Il donne la pâture aux bêtes, aux petits des corbeaux qui la réclament » (Téhilim 147:4-5, 9). Si D. sait le nombre de toutes les créatures vivantes, à plus forte raison Il connaît le nombre de Ses enfants sans avoir besoin de les compter. Et pourtant, par amour, Il les compte et les recompte... C’est que l’homme doit savoir que D. tient compte de lui à toute heure, même s’il est tombé au plus bas. Dans ce cas, D. l’examine pour savoir quelle punition lui donner, pour ces fautes que seul D. connaît et qu’aucun homme ne peut voir.  D. examine les progrès de l’homme avec amour pour lui donner tous les bienfaits qu’il mérite en ce monde, et le faire bénéficier de Sa Présence.

Le Midrach dit: « Parce qu’Il les aime, Il les compte à toute heure », pour signifier que l’amour de D. est le même, que l’homme progresse ou qu’il régresse, car « L’Eternel châtie celui qu’Il aime » (Michley 3:12). Nous sommes Ses enfants et Il nous dit: « Tu sauras dans ton cœur que l’Eternel ton D. te châtie comme un père châtie son fils » (Devarim 8:5). Mais l’homme doit savoir que lorsqu’il tombe et qu’il faute, D. le punit et le compte, et s’il se repent de ses fautes par des bonnes actions, D. le compte avec amour. « L’homme doit toujours passer ses actes en revue » (Brach’oth 5a), pour ne pas être compté lorsqu’il tombe mais plutôt lorsqu’il s’élève, et c’est pourquoi le verset dit: « Faites le relevé de toute la communauté d’Israël » (littéralement: élevez), pour indiquer que l’homme doit toujours s’élever, et alors il est compté pour le bien et les bénédictions, et il reçoit toutes les bontés. Sinon, il est puni même s’il ne sait pas pour quelle faute, car D. « ne fait pas justice sans justice » (Brach’oth 5b).

A présent, nous comprenons le sens du Midrach. Parce que D. les aime, Il les compte à chaque occasion - lorsqu’ils s’élèvent ou lorsqu’ils s’abaissent. La communauté d’Israël fut comptée à la sortie d’Egypte, alors qu’elle était engloutie dans les quarante-neuf degrés de l’impureté avant d’être sauvée (Zohar,Yithro 39a), et pourtant ils furent comptés avec amour, et D. dans Sa grande miséricorde, les sauva de la fournaise d’Egypte (voir Devarim 4:20). Il les a comptés après la faute du veau d’or pour séparer le coupable de l’innocent, car Il ne punit pas celui qui n’a pas fauté, comme il est écrit (Yérémia 17:10): « Moi l’Eternel, Je scrute les cœurs, Je sonde les reins, Je rétribue chacun selon ses voies, selon le fruit de ses œuvres ». Ceci lorsqu’ils sont tombés, afin de leur faire comprendre qu’ils sont punis pour avoir quitté la source de leur vie et s’être abreuvés « dans des citernes percées ». De même, lorsqu’ils ont inauguré le Tabernacle et que D. désirait y faire reposer Sa Présence, comme il est écrit (Chemoth 25:8): « Faites-Moi un Sanctuaire pour que Je réside parmi eux », Il les compte pour les préparer à la perfection voulue, car D. ne peut pas faire résider Sa Présence parmi eux s’ils ne sont pas « resplendissants comme l’éclat du firmament » (Daniel 12:3). D. rétribue chacun selon ses actes.

Expliquons la rigueur du jugement de D. envers Ya’akov. Ya’akov aurait dû sentir de tout son cœur et de toute son âme que la promesse de D. de le protéger était valable aussi pour la protection de sa fille Dina contre la convoitise d’Essav. Ya’akov n’a pas craint qu’Essav prenne sa femme Ra’hel, bien qu’il fût débauché et qu’il volât les femmes à leur mari (Béréchith Rabah 65:1). C’est Yossef qui s’est placé devant sa mère pour la cacher aux yeux d’Essav (Béréchith Rabah 78:10) mais Ya’akov n’a rien fait pour la protéger et ne l’a pas cachée dans une carriole. De même, il n’aurait pas dû cacher Dina. Ya’akov, qui était très sensible et qui avait l’âme délicate, se rendait compte qu’il n’avait pas agi correctement. Il craignait d’avoir commis quelque faute, mais il ignorait laquelle. Le fait est qu’il avait peur, car même si une faute est minime, elle entraîne la peur, comme il est écrit: « Les méchants sont terrifiés à Sion... » (Ichaya 33:14). Nous ne connaissons pas les raisons du Ciel, mais nous savons par tradition que nous devons tirer une leçon des faits et gestes des Patriarches.

Les Sages ont dit (Brach’oth 10b) « Il ne faut pas se tenir sur une hauteur pour prier, car personne ne peut s’élever devant D. comme il est écrit (Téhilim 130:1): Des profondeurs je T’invoque, ô Eternel! ». Le Chiourey Torah  souligne que nous devons être impressionnés par la sensibilité à la moindre faute des Sages, qui ont institué une telle loi. Leur intention n’est pas de dire qu’il faut se tenir en un lieu bas, mais que la prière doit jaillir du fond du cœur, comme le dit le Maharal de Prague. Les Sages soulignent qu’il y a un rapport entre un lieu élevé et un cœur orgueilleux, de même qu’il y a un rapport entre le corps et l’âme, et ils ont tenu compte du fait qu’il est impossible à la prière de jaillir du fond du cœur - ce qui exige de l’humilité et de la soumission - lorsque l’on se tient sur une hauteur. Celui qui se tient sur une hauteur, quelle qu’elle soit, ressent de l’orgueil, et même si ce sentiment est à peine perceptible, il suffit à détériorer un tant soit peu sa prière. Tous les décisionnaires le disent (Choul’han Aroukh 90:1-2): « Il est interdit de prier sur une hauteur de plus de 30 cm au-dessus du sol », mais même une  élévation moindre éveille l’orgueil. Il faut être soumis et humble dans la prière, et elle doit jaillir du fond du cœur.

Nous pouvons ajouter ce que le Tanya (I, Likoutey Maamarim, ch. 51) écrit au sujet du verset: « ...de ma chair je verrai D. » (Iyov 19:26): « De même que l’âme habite toutes les parties de son corps, de la tête aux pieds, mais réside essentiellement dans le cerveau d’où elle s’étend à tous les membres... de même c’est avec le cerveau que l’homme a connaissance de tous les gestes de ses membres et de ses muscles. Tout ce qui leur arrive passe par le cerveau... » Ce qui signifie que l’homme a l’obligation de se tenir « en bas », sur le sol, pour prier, afin de mieux sentir sa petitesse et sa dépendance de D. Lorsqu’il ne cherche pas un endroit bas, mais que ses pieds - qui sont commandés par la tête - le conduisent vers un endroit élevé pour prier, il est motivé par un orgueil qui est nuisible à la prière. Ceci ne s’applique pas seulement à celui qui prie avec la communauté, car il se trouvera toujours quelqu’un pour lui indiquer sa faute mais aussi à celui qui prie seul, lorsqu’il n’y a personne pour lui faire remarquer son orgueil. Il faut toujours chercher l’endroit le plus bas, afin que la prière soit des plus parfaites, prononcée avec humilité et soumission. L’orgueil ne permet pas à la prière d’être entendue car celui qui prie se tient en jugement devant D., comme il est écrit (Téhilim 62:13): « Tu rémunères chacun selon ses actes ».

Il est écrit (Béréchith 34:1): « Et voilà que Dina, la fille de Léah, sortit voir les filles du pays ». Le Midrach commente (Béréchith Rabah 80:4): « Mon droit parlera pour moi au jour à venir (Béréchith 30:33), Rabbi Yéhouda, fils de Rabbi Simon, dit: Ne te félicite pas du lendemain car tu ne connais pas le lot de chaque jour (Michley 27:1), et toi Ya’akov, tu as dit: Mon droit parlera pour moi au jour à venir? Demain, ta fille sortira et elle sera enlevée, comme il est dit: Et Dina sortit... Rabbi ‘Hanina, au nom de Rabbi Abba HaKohen, fils de Rabbi Elazar, dit: La sympathie de ses amis devrait s’adresser à celui qui se consume de chagrin, eut-il même renoncé à la crainte de D. (Iyov 6:14). Tu n’as pas eu de bienveillance à l’égard de ton frère... tu n’as pas voulu donner ta fille en mariage de façon permise, elle se mariera de façon interdite ».

Le Na’halat Eliézer écrit à ce sujet: « La première interprétation attribue le malheur de Dina à l’assurance exagérée de Ya’akov. Ya’akov a eu raison de dire à Laban: « Mon droit parlera pour moi au jour à venir », mais en disant cela il inclut les membres de sa famille, ce qui montre qu’il ne les soupçonnait d’aucune faute. Il ne surveillait donc pas les tendances de sa fille Dina et il ne se rendit pas compte de sa curiosité à l’égard des filles du pays. Peut-être a-t-il aussi été puni pour avoir utilisé une expression qui montre sa certitude en l’avenir. Nous constatons combien chacun doit être prudent dans ses paroles et choisir soigneusement ses mots pour éviter des implications erronées.

D’un côté, nous voyons que Ya’akov était sûr de lui-même, de sa famille, et même de sa fille Dina. Il était sûr de son bon droit, même pour l’avenir. S’il en est ainsi, pourquoi, par ailleurs, a-t-il si peur et cache-t-il Dina dans la carriole? Si sa droiture devait parler pour lui au jour à venir, lorsqu’il rencontrerait son frère Essav, pourquoi craignait-il pour Dina?

C’est qu’il fut pris au mot. Son assurance n’était pas tellement grande, son droit ne parla pas pour lui ce jour-là et Dina fut enlevée par un non-juif. Ya’akov avait agi avec une bonne intention et dans la crainte de D. en ne voulant pas qu’Essav épouse sa fille, car « Il faut marier sa fille à un homme qui possède la Torah » (Pessa’him 49a), et non à un vilain comme Essav. Malgré sa méchanceté, sa fausseté, son hypocrisie, Essav avait étudié la Torah dans la Yéchivah de Chem et Ever, et il possédait des qualités enfouies qu’il utilisait parfois pour faire la volonté de D., comme honorer ses parents, et il avait foi en la bénédiction de son père Yits’hak comme l’exprime le grand cri qu’il poussa en apprenant que Ya’akov lui avait pris sournoisement les bénédictions (Béréchith 27:34, 36, 38). S’il a foi dans les bénédictions de son père, c’est qu’il a foi en Celui qui pourvoie à toutes les bénédictions, en D., dont la Gloire emplit le monde, et son avidité pour les plaisirs de ce monde n’était peut-être pas un défaut incorrigible.

Le Rabbin Ya’akov ‘Hayim Sofer, auteur de Isma’h Israël, écrit des choses merveilleuses concernant la grandeur d’Essav. A propos du verset: « Il se jetta à son cou et l’embrassa et ils pleurèrent » (ibid. 33:4), cet auteur écrit: « Pourquoi pleurent-ils tous deux? Il est possible que Ya’akov pleure parce qu’il sait qu’Essav va plus tard détruire le Temple (Essav, c’est Rome. Voir Avodah Zarah 2b) et exiler Israël de sa terre et de son pays. Et Essav pleure car il sait qu’à l’avenir, à la fin des temps, toutes les bénédictions dont Yits’hak a béni son fils Ya’akov se réaliseront, et que lui Essav disparaîtra du monde, comme il est écrit (Ovadia 1:21): « Et les libérateurs monteront sur la montagne de Sion, pour se faire les justiciers du mont de Essav, et la royauté appartiendra à l’Eternel ».

Nous voyons là que même Essav a eu une divination en cet instant de vérité (lorsqu’il rencontra son frère Ya’akov) car, spontanément, il pleura sur son destin et le destin de ses descendants qui seraient livrés aux enfants de Ya’akov. A ce moment-là, il ne manquait à Essav qu’un léger soutien, et il est possible - qui sait - que ce soutien ait pu venir justement de Dina, la fille de Ya’akov. Mais pour l’avoir cachée, Ya’akov a privé Essav de cette aide, car s’il l’avait épousée légalement, elle l’aurait sûrement corrigé et amené à un repentir sincère, vu qu’il possédait certaines qualités. Ya’akov est responsable de ce qui est arrivé et D. l’a puni en faisant contracter à sa fille un mariage interdit, pour avoir selon les mots du Midrach (rapportés ibid. par Rachi) « empêché son frère de l’épouser, peut-être l’aurait-elle corrigé... »

« Tout est entre les mains de D., sauf la crainte de D. » (Brach’oth 33b). L’homme transgresse le commandement de craindre D., parce que D. lui a donné le libre arbitre. Essav, malgré ses fautes, avait la possibilité de « choisir la vie » (Devarim 30:19), et il aurait pu  se repentir « en un instant et en un clin d’œil » (Zohar I, 129a), tout comme il a pu en un instant commettre de grandes fautes. Qui sait? Si Essav avait vu Dina, une jeune fille pudique et vertueuse, il aurait peut-être regretté ses fautes, et même s’il l’avait épousée pour des raisons égoïstes, en fin de compte il en serait venu à « faire le bien pour le bien » (Pessa’him 50b). A ce moment-là, Ya’akov aurait lui-même sauvé son frère du feu de l’enfer, et qui sait? cela aurait peut-être changé le cours de l’histoire... Mais nous n’avons que faire de telles spéculations qui sont au-delà de notre entendement, et la justice divine a des raisons qu’il nous est parfois difficile de comprendre.

L’événement en lui-même est significatif. Ya’akov, qui avait une si grande confiance en D., aurait dû peser ses mots afin de ne pas contredire sa confiance en D. S’il était tellement sûr de Dina qu’il la laissa se promener seule dans la ville de Chekhem, une ville de gens méchants (Béréchith Rabah 80:2; Makoth 10a, Sanhédrin 102a) sans craindre qu’il ne lui arrive malheur car il avait confiance en D., il aurait dû avoir la même confiance concernant la rencontre avec Essav et ne pas craindre qu’il la désire. Était-il possible que D. annule Sa promesse de le protéger dans tout ce qu’il ferait, justement lorsqu’il allait rencontrer Essav? Il est certain qu’Essav n’aurait eu aucun penchant pour elle, puisque D. le protège. Dans ce cas, pourquoi Ya’akov a-t-il peur d’Essav au point de cacher Dina à ses regards?

Il y a plus. Quel profit Ya’akov tire-t-il du fait d’avoir caché Dina?  Essav aurait pu apprendre que Ya’akov avait une fille en plus de tous les garçons qu’il voyait devant lui, et demander à la voir. Le fait qu’il n’a pas cherché à savoir s’il avait une fille prouve que Ya’akov a mal jugé son frère. En effet, si la promesse de D. est toujours valable, de quoi a-t-il peur? Cela soulève une autre question: Pourquoi Essav n’a-t-il pas demandé si Ya’akov avait une fille? Cela montre qu’Essav est resté ce qu’il était, il avait en lui des tendances contradictoires, il ne demanda pas si Ya’akov avait une fille car il ne désirait pas épouser « la fille du roi » puisqu’il ne voulait pas changer son mode de vie mais bien continuer à jouir des plaisirs de ce monde, pour le reste de ses jours.

Il aurait pu en être autrement si Essav avait vu Dina de ses propres yeux, puisque tout homme jouit du libre arbitre et il aurait eu alors la possibilité de se corriger grâce à Dina, et c’est Ya’akov qui l’en a empêché. C’est de cela que Ya’akov fut puni.

« Il accomplira ce qu’il a dit »

Ce qui a été dit nous permet de comprendre plus clairement la rigueur de la justice divine.

Après l’enlèvement de Dina, il est écrit (Béréchith 35:1): « Et D. dit à Ya’akov: Va, monte à Béthel y séjourner, et élèves-y un autel au D. qui t’apparut lorsque tu fuyais devant Essav ton frère ». Rachi rapporte le commentaire des Sages (Tan’houma ad. loc.): « Parce que tu as tardé en chemin (tu n’as pas réalisé ta promesse de rentrer tout de suite), tu as été puni, et ce malheur est tombé sur ta famille ».

1. Plus haut, nous avons cité le Midrach Rabah (76:9) selon lequel la faute de Ya’akov était d’avoir caché Dina (ibid. 80:4) et d’avoir manqué de bienveillance envers son frère. Ici, le Midrach Tan’houma dit que Ya’akov fut puni pour avoir tardé en route et tardé à accomplir son vœu.

2. Le Na’halat Eliézer pose une autre question. Nous lisons dans le Midrach (ibid. 81:2): « Rabbi Abba Bar Kahana dit: A l’heure où tu étais dans la peine, tu as fait un vœu, et maintenant que tu es dans le confort, tu as oublié... D. dit à Ya’akov: Tu as oublié ton vœu! Va, monte à Béthel, la maison de D., et élèves-y un autel au D. qui t’a appelé. Si tu ne le fais pas, tu es comme Essav qui prononce des vœux et ne les réalise pas. Le Na’halat Eliézer demande s’il est vraiment possible de comparer Ya’akov à Essav parce qu’il a tardé à réaliser son vœu? Ya’akov a toujours sincèrement eu l’intention de remplir son vœu, et il a seulement tardé à le faire (il avait promis (ibid. 28:21-22): « Si je retourne en paix dans la maison paternelle... cette pierre que je viens d’ériger en monument deviendra la maison du Seigneur et de tous les biens que Tu m’accorderas, je prélèverai la dîme »), mais Essav a trahi son serment car il avait fait le serment de vendre à Ya’akov son droit d’aînesse (ibid. 27:33), et finalement il a dit: « Yakov a pris mon droit d’aînesse » (ibid. 27:36) comme si Ya’akov le lui avait volé. Il a trahi son serment parce qu’il regrettait de lui avoir vendu son droit d’aînesse tout à fait légalement, et il voulait même tuer son frère  (ibid. verset 41).

3. Si D. Lui-même témoigne qu’Essav est méchant et n’a pas l’intention de réaliser sa parole, Ya’akov a raison de vouloir cacher Dina au regard d’Essav. S’il en est ainsi, pourquoi en serait-il puni par l’enlèvement de Dina?

Pour répondre à ces questions, il faut dire que la qualité qui caractérise Ya’akov est la vérité, comme il est écrit (Mich’a 7:20): « Tu as donné la vérité à Ya’akov ». Ya’akov est un homme « intègre » (µt) dont la valeur numérique comptée avec le mot lui-même, est égale à celle de tma, vérité. Il n’y a donc pas lieu de le comparer à Essav qui est menteur, voleur, brigand, et commet d’innombrables transgressions. Lorsque Ya’akov s’enfuit chez son oncle Laban, il fit le serment que s’il retournait en paix dans la maison de son père, il passerait par Béthel et y réaliserait son vœu et prélèverait la dîme de tous ses biens, mais par la suite, sa peur d’Essav prit le dessus et il se dit qu’il avait peut-être commis quelque faute, même s’il ne savait pas laquelle. Tout cela, avant sa rencontre avec Essav, mais en se revoyant, les deux frères se sont embrassés et ont pleuré, la peur de Ya’akov disparut et donc il aurait dû sentir qu’il avait causé du tort à son frère en lui cachant Dina. De plus, Essav savait que les bénédictions de Ya’akov se réaliseraient et par conséquent Dina aurait pu l’amener à se repentir. Pourquoi Ya’akov a-t-il persisté dans sa méfiance envers son frère et n’a-t-il pas reconnu sa faute envers lui? Même si Ya’akov a tardé en route, s’il avait reconnu et corrigé sa faute envers son frère, il est possible que la sentence à l’encontre de Dina aurait été annulée. Non seulement il n’a pas reconnu sa faute, mais il a aussi tardé en route, et c’est pourquoi l’attribut de Justice a pris le dessus: Non seulement tu n’as pas reconnu ta faute (si tu l’avais reconnu, la sentence aurait été annulée, puisque tu vois qu’Essav n’a pas demandé si tu as une fille), mais tu as aussi tardé en route et tu n’as pas empêché ta fille de sortir dans les rues de la ville de Chekhem, exposée à la convoitise de tous. La justice l’a poursuivi à cause de ces deux fautes: pour avoir caché Dina sans se rendre compte du tort que cela causait à Essav, pour avoir tardé et pour avoir laissé sa fille se promener dans Chekhem (Ya’akov l’a cachée à Essav mais pas à Chekhem), et c’est pourquoi il fut puni par le malheur qui arriva à Dina, ce qui montre que les divers Midrachim ne se contredisent pas.

Du fait que Ya’akov n’a pas reconnu sa faute envers Essav et qu’il a tardé à réaliser son vœu, D. l’a comparé à Essav. De même qu’il a privé son frère de la possibilité de se repentir et que c’est à cause de lui qu’Essav est resté ce qu’il était - un homme sans parole - de même Ya’akov ne tient pas sa parole, et ses fautes sont comptées à la mesure de sa valeur, lui qui est un homme de vérité. En tant que tel, une fois sa peur évanouie, il aurait dû reconnaître le tort qu’il avait causé à son frère, et monter tout de suite à Béthel, sans tarder en route. Il ne l’a pas fait, et donc, après le déshonneur qu’il a subi à cause de Dina, D. lui dit: « Va (littéralement debout!), monte ». Afin de corriger tes lacunes, tu dois t’élever, c’est cette élévation qui palliera tes failles.

Maintenant, nous pouvons comprendre les implications de ce récit. Celui qui fait un vœu doit le réaliser au plus vite, en surmontant les empêchements qui peuvent se trouver sur sa route, comme le montre l’enchaînement des événements. Lorsque Ya’akov alla de la maison de son père vers la maison de Laban, il avait l’intention d’accomplir son vœu, mais la condition de son vœu n’était pas remplie tant qu’il n’avait pas rencontré Essav. Après l’avoir rencontré, va-t-il fauter envers lui? Il aurait dû s’appuyer sur les promesses de D. et s’il ressent de la peur, c’est peut-être - aurait-il dû se dire - parce qu’il a caché Dina dans la carriole? Pourquoi ne craint-il pas pour sa femme Ra’hel? Pourquoi ne se méfie-t-il pas des gens de Chekhem? Pourquoi ne se rend-il pas compte qu’il fait du tort à son frère? Pourquoi tarde-t-il en route et ne n’accomplit-il pas son vœu? Un tel comportement ne risque-t-il pas de le faire ressembler à son frère, qui ne tient pas sa parole? Mais le danger qu’il court est bien plus grand!

Le fait qu’il n’ait pas reconnu sa faute, le fait qu’il ait tardé en route et son manque de méfiance envers les gens de Chekhem ont appelé sur lui les foudres de la justice divine et c’est pourquoi il fut puni en ce qui est arrivé à Dina.

Le Tiphéret Tsvi écrit: « Le sens de beaucoup de récits de la Torah nous échappe, parce que nous essayons de les comprendre selon le langage auquel nous sommes habitués, mais dans notre langage à nous, ils n’ont aucun sens. En fait, la langue de la Torah est différente de la nôtre et ses critères sont différents des nôtres. Chez nous, la faute ou la bonne action commence lorsque nous agissons, mais dans la Torah, le début de l’action est de loin antérieur à l’acte lui-même et commence avec la sainteté, la pureté et la propreté de la pensée qui le précède ».

Cela explique la grande colère de D. envers Ya’akov, et pourquoi il fut puni, même si la rigueur de la justice divine est une chose qui nous est difficile à comprendre.

Citons ce qu’en dit le Rambam, dans son Code de Loi (Halakhoth Meyla VIII:8): « Il convient à chacun de méditer les lois de la sainte Torah et d’en comprendre la raison d’être dans la mesure de ses capacités, [mais] si l’on n’en comprend pas la raison d’être et si l’on ne leur trouve pas de sens, il ne faut pas pour autant s’aventurer à s’élever contre D. sous peine de provoquer Sa colère (voir Chemoth 19:24). Il ne faut pas penser à D. comme on pense aux réalités de la vie courante. Voyez combien la Torah est sévère envers celui qui fait un usage impropre des choses saintes. Si du bois et des pierres, de la cendre et de la poussière, à partir du moment où ils ont été sanctifiés ne serait-ce qu’en parole, deviennent sacrés [et interdits à tout usage profane] au point que celui qui les utilise commet un abus (meyla) doit apporter un sacrifice expiatoire même s’il a commis cet abus par inadvertance, à plus forte raison il ne faut pas se rebeller contre les commandements que le Saint, béni soit-Il, nous a donnés et dont nous ne comprenons pas le sens. Il ne faut pas substituer nos raisons qui sont fausses à celles de D. et Lui attribuer les pensées que nous avons vis-à-vis des choses profanes ». Telles sont les paroles en or du Rambam.

Le saint Rabbin Aaron Kotler a parlé de ce sujet dans un congrès d’éducateurs, en l’an 5721 (1960-61), et nous allons citer ici un extrait de ce qu’il dit:

« La sainte Torah est plus vaste que la terre et plus profonde que les mers (voir Iyov 11:9). Si l’homme aborde la Torah avec son intelligence limitée et sa compréhension quasi nulle, il rabaisse la Torah au niveau de son intelligence et de sa compréhension restreintes, et il n’y a pas de plus grande profanation des choses sacrées... Ainsi parle le Rambam (Halakhoth Avodah Zarah II 3): « Il n’est pas seulement interdit de tourner ses pensées vers l’idolâtrie, mais nous devons aussi nous détourner de toute pensée contraire aux principes fondamentaux de la Torah... parce que la compréhension de l’homme est faible, et peu de gens sont capables de parvenir à la vérité telle qu’elle est... la Torah nous met en garde contre cela en disant (Bamidbar 16:39): Ne suivez pas les penchants de votre cœur... c’est-à-dire qu’il nous est interdit de suivre notre opinion étroite et de croire avoir atteint la vérité ».

Les Sages disent à propos de Rabbi Eliézer HaGadol (Avoth D’Rabbi Nathan 25:3; Zohar I, 99a): « Si toutes les mers étaient faites d’encre, et tous les bosquets de roseaux, si tous les hommes étaient des scribes, et tout le firmament un parchemin, nous ne pourrions pas écrire toute la sagesse que Rabbi Eliézer HaGadol a reçue de ses maîtres, et qui, par rapport à la science de ses maîtres, n’est qu’une goutte d’eau dans la mer ».

Quelle différence entre la compréhension de la Torah de Rabbi Eliézer et celle de ses maîtres! Nous sommes donc loin de pouvoir comprendre la Torah et le sens des récits de nos ancêtres ou de comprendre les indications qui nous sont données de la rigueur de la justice divine, et de même que nous n’avons aucun moyen de saisir ce que sont les anges, nous n’avons aucun moyen de saisir la grandeur de nos saints Patriarches.

 

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