La peur du jugement et du châtiment

« Et Yossef dit à ses frères: Je suis Yossef... mais ses frères ne purent lui répondre, car il les avait frappés de stupeur, et il leur dit: Approchez-vous de moi, je vous prie, et ils s’approchèrent. Il reprit: Je suis Yossef votre frère, que vous avez vendu à l’Egypte » (Béréchith 45:3-4).

« Ils ne crurent pas qu’il était Yossef; c’est pourquoi il les fit approcher et leur montra la circoncision » disent les Sages (Béréchith Rabah 93:11; Tan’houma Vayigach 5).

Il y a lieu d’expliquer les versets concernant la rencontre de Yossef avec ses frères.

1. Tout d’abord il faut se demander en quoi le fait d’être circoncis est plus convaincant que le fait de parler Hébreu (Béréchith Rabah 93:10). Pourquoi Yossef doit-il donner à ses frères un signe de reconnaissance supplémentaire?

2. S’ils furent frappés de stupeur, c’est qu’ils l’ont cru. Pourquoi, par la suite, ont-ils douté au point qu’il fut nécessaire de leur donner une preuve?

3. Pourquoi leur dit-il tout d’abord: « Je suis Yossef », et n’ajouta que la deuxième fois: « votre frère »?

4. Il est certain que Yossef voulait se réconcilier avec ses frères lorsqu’il se révéla à eux et qu’il leur montra le signe de la circoncision. Pourquoi leur rappelle-t-il justement à ce moment-là qu’ils l’ont vendu à l’Egypte? Un tel rappel ne risquait-il pas de minimiser quelque peu les chances d’une réconciliation?

5. Il faut aussi se demander pourquoi Yossef dit à ses frères de s’approcher de lui. Ils étaient en sa présence pendant ce pourparler, comme le souligne le Midrach (Béréchith Rabah 93), pourquoi leur demander de s’approcher?

6. Nous devons aussi comprendre comment Yossef était tellement sûr que ses frères le croiraient lorsqu’ils verraient le signe de la circoncision, et en quoi c’était une preuve, puisqu’en ce temps-là, les enfants d’Ichmaël et ceux de Kétoura étaient aussi circoncis. Était-ce une preuve qu’il était bien Yossef?

La rencontre de Yossef, le roi, avec ses frères fait allusion au Jour du Jugement, où tous passent en revue devant D., le Roi des rois (Roch HaChana 16a). Si ses frères furent frappés de stupeur et incapables de répondre à ses reproches, lorsque Yossef leur demanda de s’approcher de lui, et qu’il leur fit savoir la vérité merveilleuse qui expliquait et élucidait leurs doutes et tous les événements jusque-là inexplicables, nous-mêmes, êtres de chair et de sang, à quel point serons-nous incapables d’affronter les reproches que D. - qui est à la fois juge et partie - nous fera, car Il juge chacun tel qu’il est vraiment, sans aucun favoritisme.

Chacun doit se préparer chaque jour pour le Jour du Jugement, car « après avoir été créé, l’homme doit examiner et peser ses actes » (Yirouvin 13b) afin de les améliorer, progresser dans la voie de la moralité et pouvoir se tenir devant le Juge. Faute de quoi, que répondrons-nous, et comment nous justifierons-nous, lorsque le Juge nous reprochera nos fautes, nos transgressions et nos péchés? « Le Tout-Puissant a su dévoiler l’iniquité de tes serviteurs » (Béréchith 44:16). Comment pourrait-on se tenir devant Lui en jugement lorsqu’Il jugera le monde? « D., Créateur de toutes choses, connaît et évalue tout, Il est à la fois témoin, partie et juge, béni soit-Il! En Lui, il n’y a ni injustice, ni oubli, ni corruption et Il tient compte de tout » (Avoth IV:29). Quels avocats aurons-nous pour défendre nos actes devant Lui, et qui parlera en notre faveur? En quoi avons-nous placé notre confiance pour mériter d’être acquittés au Jour du Jugement? Il est bon de se rappeler, chaque jour de l’année, les confessions de Rabeinou Nissim Gaon, ainsi que celles du Rabbin Chem Tov Ardoutiel (prononcées durant le service de Moussaf de Yom Kippour), afin d’être imprégnés de la crainte du jugement, car il est plus facile de se repentir chaque jour de ses fautes et de ses transgressions, et selon l’opinion d’un de nos Sages (Roch HaChana 16a) « L’homme est jugé chaque jour ».

Combien édifiantes sont les paroles de la suite de cette Michna (Avoth IV:29) qui nous enseigne le repentir: « Ne te laisse pas aveugler par tes passions et ne t’imagine pas que la tombe sera un refuge. C’est malgré toi que tu as été créé et malgré toi que tu as vu le jour; c’est sans ton consentement que tu vis, c’est contre ton gré que tu mourras et que tu devras rendre compte de tes actions devant le Roi des rois, le Saint, béni soit-Il ». Nous serons couverts de honte et de confusion lorsque nous nous présenterons devant Son Trône le Jour du Jugement en réalisant notre petitesse et notre insignifiance par rapport à la grandeur sublime de D.

Nous tirons de là une leçon pour la vie. Parfois l’homme se trouve dans un milieu de Torah, sa bouche et son cœur répètent les paroles de la Torah, il en pratique tous les commandements à la lettre, ceux qui sont faciles autant que ceux qui sont difficiles, et il peut se croire proche de D.  Mais à la vérité, il en est aussi loin qu’un pôle de l’autre, s’il ne fait pas tout ce qui est en son pouvoir, et même au-delà, pour rester lié et attaché à D. Il est certain que ce n’est pas le lieu en soi qui détermine la proximité à D. puisque « D. est la Place du monde et le monde n’est pas la place de D. » (Cho’har Tov 4:10). Quelqu’un peut se trouver entre les quatre murs de la maison d’étude, ou bien dans la synagogue au moment des prières, et pourtant être très loin de D.  Par exemple, s’il est négligent dans son étude (et les Sages nous ont enseigné (Yoma 19b): « Tu prononceras des paroles de sagesse, et non pas des paroles vaines), ou bien s’il ne concentre pas sa pensée au moment de la prière, et le prophète se lamente à ce sujet (Ichaya 29:13): « Ce peuple ne Me rend hommage qu’en paroles et M’honore du bout des lèvres, il tient son cœur éloigné de Moi... » Par contre, un autre peut se trouver loin de ces lieux et pourtant être attaché à D. et se trouver en Sa présence, comme il est dit: « Partout où Mon Nom est invoqué, Je serai présent et Je te bénirai », car être proche de D. ne dépend que des actions de l’homme lui-même, comme le disent les Sages (Edouyot V:7): « Tes actes te rapprocheront et tes actes t’éloigneront ».

Nous pouvons à présent expliquer la suite du verset: « Et Yéhouda s’avança vers lui en disant: de grâce, mon seigneur! » (Béréchith 44:18). « Il ne faut pas lire mon seigneur, mais Seigneur, D. ». Yéhouda dit à Yossef: nous sommes tellement liés et attachés à D. que Sa Présence est en nous en permanence, comme il est écrit: « Je résiderai parmi eux » (Chemoth 25:8), en  eux et non entre eux, et il est dit aussi: « Je fixe constamment mes regards sur le Seigneur » (Téhilim 16:8). Il ne faut donc pas me soupçonner d’avoir volé la coupe, car D. est en moi, au fond de moi, de Lui ne vient que la vie. Nous ne pouvons ni voler ni mentir, puisque l’existence de D. et Son sceau sont Vérité (Chabath 55a). C’est pour cette même raison aussi que je ne te crains pas.

Et alors, Yossef lui répondit: Si ce que tu dis est vrai, où était donc la Présence de D. lorsque vous avez vendu Yossef votre frère à l’Egypte? Il aurait mieux valu pour vous et pour lui le tuer, car au moins il serait mort innocent, ce qui est préférable que de devenir esclave et vivre parmi les non-juifs où il risque de s’assimiler et de se perdre. Afin de nous mettre en garde, les Sages enseignent: « Il est plus grave de faire commettre à un autre une transgression que de le tuer » (Béréchith Rabah 21:5). Vous êtes donc dans l’erreur si vous pensez que vous pouvez rester liés et attachés à D. alors que vous avez une telle faute sur la conscience. La Présence de D. vous a quittés, l’image de D. n’est plus en vous. En entendant ces reproches sévères, les frères de Yossef furent saisis de stupeur, et ils furent incapables de lui répondre.

Lorsque les frères descendirent en Egypte la première fois, Yéhouda dit: « Le plus jeune est auprès de notre père en ce moment et l’autre n’est plus » (Béréchith 42:13), et maintenant il dit explicitement que son frère est mort (ibid. 44:20), ce qui est une contradiction. Comment se fait-il que Yéhouda n’ait pas craint de mentir? D’autant plus que Yossef leur avait montré qu’il était capable de vérifier leurs dires à l’aide de la coupe qui lui servait à la divination (Tan’houma Vayigach 4), et il pouvait savoir si ce frère était vivant ou mort. Rachi écrit à ce sujet que Yéhouda a prononcé ce mensonge par peur, car s’il avait dit que son frère était vivant, Yossef lui aurait demandé de le faire venir. Mais je vais apporter une autre réponse à cette question.

Nous savons que « les méchants même de leur vivant sont appelés morts » (Brach’ot 18b). A partir du moment où Yossef fut emmené en Egypte, lieu de débauche et d’impureté tant les Egyptiens étaient pervers (Chemoth Rabah 1:22), les frères ont pensé que, sans aucun doute il s’était assimilé et avait abandonné la voie du Judaïsme. Pour cette même raison, Ya’akov ne les a pas crus lorsque les frères lui dirent que Yossef était vivant, comme il est écrit (Béréchith 45:26): « Mais son cœur restait froid, parce qu’il ne les croyait pas » jusqu’à ce qu’il vît « les chars (Agalot) que Yossef avait envoyés pour l’emmener » (ibid. v. 27). Ce n’est qu’en voyant le signe de reconnaissance envoyé par Yossef que « la vie revint au cœur de Ya’akov leur père » (ibid. v. 27), car il s’était séparé de lui alors qu’ils étudiaient la loi de la génisse Egla dont on brise la nuque (Béréchith Rabah 94:3).

Ce qui nous permet de dire que Yéhouda avait l’intention de signifier que son frère était mort spirituellement, car il le croyait perdu parmi les non-juifs. Yossef, en se faisant reconnaître de ses frères leur dit seulement « Je suis Yossef » sans ajouter « votre frère ». Il répondait à leur pensée: Je suis Yossef, je suis resté vertueux, je n’ai en rien changé depuis que j’ai quitté la maison de mon père, comme Rachi l’explique (Chemoth 1:5): « Yossef est devenu roi et il est resté le même homme vertueux ». Mais comme ils ne l’ont pas cru, il leur dit de s’approcher de lui, de se rendre compte par eux-mêmes qu’il était resté tout aussi vertueux qu’avant, le fils bien-aimé de Ya’akov, et tout comme son père, fidèle et attaché à D.

Mais la seconde fois, lorsqu’il les réprimanda, il leur dit: « Je suis Yossef votre frère ». Je suis votre frère, pourquoi m’avez-vous vendu à l’Egypte? Il leur signifiait que dorénavant tous les fils de Ya’akov méritaient d’être frères, car effectivement il avait conservé la pratique du Judaïsme, à la fin de sa vie comme au début.

Comme preuve, il s’est découvert et leur a montré le signe de la circoncision (Béréchith Rabah  93:9). L’intention de Yossef était de leur montrer qu’il n’avait pas porté atteinte ni dénaturé le signe de l’Alliance jusqu’à ce jour. Et il ajouta: « ...que vous avez vendu à l’Egypte », pour signifier que ce n’est que lorsque l’homme se trouve face à une épreuve que l’on peut savoir jusqu’à quel point il a « les regards fixés toujours sur le Seigneur ». Si eux avaient eu toujours leurs regards fixés sur le Seigneur, ils se seraient gardés de le vendre et ils ne lui auraient pas fait courir ce grand risque de tomber au plus profond de l’enfer, parmi les Egyptiens pervers. « Si je n’étais pas resté toujours proche de D., je n’aurais pas pu surmonter toutes les épreuves que j’ai dû affronter. Lorsque la femme de Poutiphar a tenté de me séduire avec tous ses charmes et de me faire fauter, je me suis souvenu du visage de mon père Ya’akov qui est gravé sur le Trône de Gloire (Sotah 36b; Béréchith Rabah 82:2). C’est ainsi que j’ai réussi à surmonter la tentation ». Nous savons que c’est parce que Yossef fut capable de vaincre ses penchants qu’il est devenu gouverneur de toute l’Egypte (Tan’houma Nasso 28).

Comme nous l’avons dit, le Midrach nous fait entendre que dans les temps à venir aussi, les reproches que D. nous fera nous laisseront sans réponse. Lorsqu’Il nous demandera: Avez-vous étudié la Torah, avez-vous prié, etc. (Chabath 31a), nous répondrons que nous fréquentions les maisons d’étude, que nous avons étudié la Torah, prié, etc. mais alors D. dira: Vous ne M’avez rendu hommage que du bout des lèvres et Il réprimandera chacun selon les intentions de son cœur: Si effectivement tu Me connais, pourquoi as-tu été négligent dans l’étude, pourquoi as-tu eu tant de conversations futiles, pourquoi as-tu vilipendé l’honneur de la Torah, pourquoi n’as-tu pas pensé aux sens des paroles que tu as prononcées dans la prière? Non seulement il nous sera demandé compte de notre conduite dans les maisons d’étude et de prières qui sont « des temples en miniature » (Méguilah 29a) où nous aurions dû ressentir la Présence de D., mais aussi en dehors de ces lieux, en quelque endroit où nous étions. Le reproche sera d’autant plus sévère envers celui qui se considère, ou que les autres considèrent, comme serviteur de D., et il sera jugé pour avoir trompé D. et les hommes. Chacun sera jugé selon ses actes.

Dans tout ce que nous faisons et partout où nous nous trouvons nous devons nous efforcer d’être sincèrement proches de D. et Il sera proche de nous, comme il est écrit (Téhilim 145:18): « L’Eternel est proche de ceux qui L’invoquent, de tous ceux qui L’appellent avec sincérité ». Mais ceux qui « M’honorent du bout des lèvres et dont le cœur est loin de Moi », sont loin du Roi du monde et leur punition sera sévère et amère.

L’homme, qui est un être de chair, doit considérer qu’il fait peut-être partie de ces gens-là, à D. ne plaise, mais il est incapable de se tester lui-même et de se faire à lui-même des reproches, si ce n’est à l’heure de l’épreuve. Même un homme doté de suprématie doit s’examiner, surtout celui que D. a doué de sagesse et de compréhension se doit de servir D. avec plus de perfection que les autres, à la mesure de sa plus profonde connaissance de D. Un tel homme doit s’efforcer d’autant plus de se perfectionner dans la pratique de la Torah et l’observance des commandements. En remplissant son cœur de crainte et de terreur, en se rendant compte combien son entendement est restreint, combien ses fautes sont grandes, combien il a endommagé les choses sacrées et causé de dégâts aux canaux de la sainteté et de la prospérité par ses mauvaises actions, il aura honte de ses fautes, il sera déconfit à cause de ses péchés, et il déversera ses supplications devant D., afin de ne pas « entrer en jugement avec Ton serviteur car nul vivant ne peut se trouver juste à Tes yeux » (Téhilim 143:2). Seules les bontés de D. et Sa grande miséricorde peuvent le soutenir. La peur du jugement le conduira rapidement à réaliser que la miséricorde et la bonté de D. sont infinies et l’amènera à se repentir. Celui qui a pour seul but de s’élever spirituellement prospérera dans ce monde et dans l’autre.

 

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