«Le peuple pourrait se raviser» — Fuis le mal et fais le bien

Lorsque Pharaon eut laissé partir le peuple, Dieu ne le conduisit point par le chemin du pays des Philistins, qui était pourtant plus proche; car Dieu dit: «Le peuple pourrait se raviser en voyant la guerre et retourner en Egypte» (Exode 13:17).

Il est écrit plus bas: «...qu’ils reviennent, et qu’ils campent devant Pi-Ha’hiroth... Pharaon se dira que les enfants d’Israël sont égarés dans le pays... J’endurcirai le cœur de Pharaon et il les poursuivra...» (id. 14:2-4): S’ils étaient passés par le pays des Philistins, c’est pour que Pharaon les poursuive (et leur fasse donc la guerre) et que Dieu se venge de lui... Les versets semblent donc se contredire: pourquoi ont-ils fait un détour par la Mer Rouge, au lieu de traverser le pays des Philistins?

Il faut d’autre part essayer de comprendre pourquoi le peuple serait retourné en Egypte en voyant la guerre. Ils venaient d’en sortir après des épreuves terribles. Les enfants d’Israël ne craignaient-ils pas la vengeance des Egyptiens qui avaient essuyé les dix plaies à cause d’eux. Le danger était évident: Voulaient-ils subir le même sort que les quatre cinquièmes de leurs frères qui n’avaient pas voulu sortir d’Egypte et avaient péri lors de la plaie des ténèbres? (Tan’houma Béchala’h 1). N’oublions pas que l’Eternel n’avait libéré d’Egypte les enfants d’Israël que pour leur donner la Torah (Chémoth Rabah 3:4), comme il est écrit: «Quand tu auras fait sortir ce peuple de l’Egypte, vous servirez Dieu sur cette montagne» (Exode 3:12). S’ils restaient en Egypte et n’arrivaient pas au pied de la montagne, ils étaient exposés en tant que peuple aux dangers les plus graves. S’ils revenaient en Egypte, ne craignaient-ils pas d’irriter l’Eternel? Pourquoi en vérité voulaient-ils retourner en Egypte chaque fois qu’ils avaient une plainte à formuler, ainsi qu’ils le disaient: «Donnons-nous un chef et retournons en Egypte» (Nombres 14:4). Ignoraient-ils le danger que cela représentait?

En fait Dieu voulait leur faire emprunter d’abord le chemin du pays des Philistins parce qu’il était plus court, et pour leur faire prendre conscience de la guerre qui y sévissait... L’esclavage des enfants d’Israël en Egypte les avait affaiblis physiquement et moralement. Comme nous l’avons vu, ils sont certes arrivés à y observer un certain nombre de mitsvoth, mais ils n’en tiraient aucune satisfaction ni physique, ni spirituelle...

En sortant de ce pays de débauche (Chémoth Rabah 1:22), les enfants d’Israël étaient entièrement «nus de mitsvoth» (cf. Ezéchiel 16:7), mais ils commençaient déjà à avoir un avant-goût de la liberté et de ses avantages. Ils prenaient goût aussi à l’argent: le Midrach rapporte à cet effet qu’ils s’étaient considérablement enrichis en vendant de l’eau aux Egyptiens lors de la plaie du sang (Chémoth Rabah 9:10; Yalkout Chimoni, Vaéra 182), et en voyant les trésors des Egyptiens pendant la plaie des ténèbres (Chémoth Rabah 14:3; Tan’houma Bo, 3), si bien que l’Egypte finit par se vider entièrement (Bérakhoth 9b). Et comme si cela ne suffisait pas, ils s’enrichirent encore davantage en s’emparant du butin après la traversée de la Mer Rouge.

L’Eternel voulait donc les faire passer par le «chemin le plus court», c’est-à-dire là où ils pouvaient, à tête reposée, se rappeler la situation précédant leur libération d’Egypte, comparée à celle des nations, et apprécier à sa juste valeur la bonté dont Dieu avait fait preuve à leur égard. Cela leur permettait de déployer tous leurs efforts pour s’élever dans le culte divin.

Mais Dieu revint sur sa décision de faire passer les enfants d’Israël par le pays des Philistins, où ils étaient susceptibles de considérer l’attrait de la liberté... avant même de recevoir la Torah. Car le cœur de l’homme est plein de convoitise et ils auraient pu se complaire dans les plaisirs du monde (Tan’houmah Chéla’h 15). Ce chemin, cette voie, était «proche d’eux», c’est-à-dire qu’elle était proche des forces du mal, de la klipah.

Ainsi, s’ils succombaient aux plaisirs matériels, dénudés de Torah, ils n’étaient pas en mesure de lutter contre le mauvais penchant et s’exposaient aux plus grands dangers. Ils auraient alors songé à retourner en Egypte: oubliant toute la bonté manifestée par l’Eternel à leur égard, ils auraient imité les Egyptiens et les Philistins, qui eux étaient libres de toute contrainte.

Dieu fit donc dévier le peuple du côté du désert, vers la Mer des Joncs (Exode 13:18). Il voulait faire comprendre aux enfants d’Israël que, tout comme celui qui veut faire téchouvah, et se rapprocher de Dieu, ils devaient d’abord s’éloigner au maximum des lieux d’impureté, et éviter toute épreuve susceptible de les faire fauter. Il valait mieux pour eux séjourner provisoirement dans le désert, plutôt que dans des régions pleines d’attraits matériels qui risquaient de causer leur déclin moral, semblable à celui de Rabbi Elazar ben Arakh, dont le Talmud relate le récit (Chabath 187b).

Par conséquent, celui qui veut être un ben Torah et suivre les préceptes religieux doit s’éloigner des plaisirs et de la matérialité de ce monde; autrement il ne pourra résister à la séduction du mauvais penchant, et risquera de redevenir ce qu’il était avant d’être religieux; il lui sera alors très difficile de reprendre le chemin de la droiture (cf. Mekhilta, Michpatim 22:2).

Par conséquent, Dieu refusa de faire passer les enfants d’Israël par le pays des Philistins, de peur de les voir tomber de nouveau dans la klipah de l’impureté, ne fût-ce que par la pensée. Ainsi on peut comprendre Rachi qui commente le verset: (Exode 13:13) «Le peuple pourrait se raviser» — «les enfants d’Israël penseront et regretteront d’être sortis d’Egypte et voudront y retourner.» Car les mauvaises pensées corrompent l’homme. Nos sages ont certes enseigné que «Dieu ne joint pas la mauvaise pensée à l’action» (Kidouchine 40a, Zohar I, 28b) [c’est-à-dire que D. ne punit pas un Juif pour une mauvaise pensée comme Il le fait pour une mauvaise action], mais n’oublions pas qu’elle laisse un mauvais impact sur l’homme... (Il est possible de dire qu’une telle pensée — le fait de retourner à une situation antérieure — est considérée comme une pensée d’idolâtrie qui, elle, équivaut à une action et mérite donc le châtiment de l’Eternel.) Chaque fois que les enfants d’Israël avaient une plainte à formuler dans le désert, ils s’irritaient contre l’Eternel et Moïse Son serviteur, et menaçaient de retourner en Egypte.

C’est ce qu’enseignent les Sages: «Quiconque se met en colère, ressemble à un idolâtre» (Rambam sur Pirké Avoth 2:10; Zohar I, 27b): Dans son irritation, il perd tout sens de la mesure et est susceptible de briser des objets ou tout ce qui se trouve autour de lui... et même d’en arriver à l’athéisme. La pensée même des enfants d’Israël de retourner en Egypte irritait l’Eternel qui leur avait expressement prescrit de ne plus jamais la revoir (cf. Exode 14:13), surtout après avoir reçu la Torah, la gloire de Dieu et la sainteté, alors qu’en Egypte il ne restait plus qu’impureté et idolâtrie. Loin de nous d’accuser cette «génération de la connaissance»

(Vayikra Rabah 9:1; Psikta Rabah 14:9) d’avoir vraiment voulu retourner en Egypte. Sous l’emprise de leur colère, les enfants d’Israël, et surtout les plus intègres d’entre eux, ne faisaient qu’y penser... Les considérant comme des insensés, car «celui qui faute ne le fait que par un vent de folie» (cf. Sotah 3a; Zohar I, 121a), l’Eternel ne les châtia pas sévèrement, car en vérité ils n’avaient nullement l’intention de se rebeller contre Lui.

Nous pouvons maintenant comprendre les propos de Pharaon adressés à Moïse et Aharon: «Prenez garde, le malheur, ra’ah, est devant vous» (Exode 10:10). Ce malheur n’est rien d’autre que la colère, sans doute l’un des pires défauts de l’homme. «C’est cette colère, poursuivit Pharaon, qui incitera les enfants d’Israël à revenir en Egypte; il vaudrait mieux par conséquent qu’ils y restent esclaves, et ne quittent jamais le pays...» Nous voyons ainsi que Pharaon aussi a choisi le mauvais chemin, alors qu’il aurait pu choisir le bon... Moïse s’était plaint devant l’Eternel en Lui disant: «Pourquoi les Egyptiens disent-ils: «c’est pour leur malheur qu’il les a fait sortir» (Exode 32:12). En d’autres termes, comment pouvaient-ils affirmer que le Saint, béni soit-Il, les avait rendus irritables afin qu’ils veuillent revenir en Egypte, pays de l’immoralité et de l’idolâtrie, malgré l’interdiction d’y retourner, et pour les anéantir dans le désert?

L’Eternel voulait donc faire passer les enfants d’Israël par le désert vers la Mer des Joncs, pour que Pharaon puisse dire: «Ils sont égarés dans le pays.» En d’autres termes, Dieu voulait faire clairement comprendre aux enfants d’Israël que Pharaon et son peuple ne souhaitaient que leur perte, et malgré les plaies terribles que les Egyptiens subirent, alors qu’ils les avaient renvoyés avec de l’argent et de l’or, ils les poursuivaient maintenant et voulaient les faire revenir en Egypte pour les soumettre de nouveau à l’esclavage... C’était là une leçon pour les enfants d’Israël: ils devaient purifier leurs cœurs de toute colère qui les inciterait à retourner en Egypte.

La question reste cependant posée: pourquoi, malgré tous les miracles auxquels ils avaient assisté, exprimaient-ils encore de temps à autre le désir de retourner en Egypte?

C’est là, à notre humble avis, la voie du mauvais penchant qui continue à traquer le Juif qui se repent en abandonnant toutes les choses interdites qui risquent de lui rappeler son passé — son entourage et les épreuves... Il attend que ce Juif se trouve dans une situation difficile pour s’attaquer à lui, lui faire subir les pires épreuves comme Pharaon, le mécréant... Celui qui désire sincèrement revenir à Dieu, se voit généralement confronté à toutes sortes d’obstacles au point de s’écrier: «D’où me viendra le secours?» (Psaumes 121:1). Il doit cependant savoir qu’en invoquant sans cesse Dieu, il aura droit à son tour à son miracle de la Mer Rouge, et triomphera totalement de son mauvais penchant...

Lorsque des épreuves s’abattent sur un homme et que Dieu l’aide à se renforcer et à les vaincre, cela représente une très grande délivrance. Même si ses malheurs persistent, il réussit à rester joyeux. Dans un deuxième cas, la délivrance peut être totale: il est alors entièrement libéré de sa situation précaire.

Chacun peut «choisir» et décider quelle délivrance est la sienne. A mon avis, la première est préférable en ce sens que: «une heure de mitsvoth, de bonnes actions, de repentir et d’épreuves dans ce monde est préférable à tout le monde futur» (cf. Pirké Avoth, 4:17).

Il est écrit: «Vayéhi lorsque Pharaon envoya les enfants d’Israël...», et nos Sages disent (Chémoth Rabah, 20:1): «...Pharaon cria «vay» parce qu’il avait renvoyé les enfants d’Israël. Et pourquoi se lamentait-il? Parce qu’il pensait qu’il pourrait dévoiler devant eux des trésors d’or et d’argent, les mettant ainsi à l’épreuve. Car l’épreuve de la richesse est plus forte que celle de la pauvreté, comme cela écrit dans les Proverbes (30:8), et leur téchouvah n’aurait pas résisté à la richesse... Et c’est pouquoi Pharaon les poursuivit avec l’or et l’argent, en leur inculquant la cupidité, espérant leur retour en Egypte...

On peut ainsi comprendre pourquoi Dieu, à la sortie d’Egypte, n’a pas fait passer les enfants d’Israël par la terre des Pélichtim, «car elle était proche de l’Egypte» et il leur était facile de retourner au pays de l’esclavage. Le retour était fort dangereux, ils devaient fuir les plaisirs de ce monde, d’autant plus qu’ils n’avaient pas encore reçu la Torah, arme redoutable contre le mauvais penchant.

Dieu voulait ainsi montrer aux enfants d’Israël que Pharaon, malgré toutes les plaies, était resté égal à lui-même: il les haïssait toujours et voulait les faire sombrer dans la cupidité afin de les ramener en Egypte. Ce qui sous-entend qu’ils n’auraient pu recevoir la Torah, ce qui causa la mort du cinquième des enfants d’Israël durant la plaie des ténèbres (cf. Tan’houma Béchala’h, 1), car ils avaient sans doute préféré l’argent et les biens matériels à la Torah. Il est probable que tout cela était connu de Pharaon et c’est leur mort qu’il cherchait. Tout le «bien» que les mécréants cherchent à prodiguer est en vérité un mal. En fait il ne voyait partout que le mal: «Voyez que le mal est en face de vous» (Exode 10:10).

Ainsi, Dieu endurcit-il le cœur de Pharaon pour qu’il poursuive les enfants d’Israël, et c’est justement cette épreuve qui leur a été favorable, ce qui nous sert d’enseignement: les nations ne font preuve de bienfaisance à l’égard des Juifs que dans le but de susciter contre eux la colère de Dieu... Ce serait la signification de dérekh érets/Pélichtim: l’Eternel prodigue cette leçon d’éthique (dérekh érets) au moyen de l’épisode de la terre des Philistins.

La leçon qu’on doit tirer de tout cet enseignement, c’est qu’il ne faut pas se laisser aveugler par le mauvais penchant qui ne cherche qu’à éloigner l’homme du chemin de la droiture. Le Yetser hara’ lui fait oublier les souffrances causées par les fautes passées, ou bien s’efforce de le persuader que ses malheurs ne sont pas le «fruit» de ses transgressions. Il l’aveugle et le pousse même à commettre encore des péchés qui présentent des dangers certains. L’homme — et en particulier celui qui s’abstient d’étudier la Torah — est dans ces circonstances susceptible de régresser, car la passion qu’il devrait éprouver pour la Torah est centrée sur des futilités.

C’est ce qui arriva aux enfants d’Israël dans le désert, en dépit des nombreux miracles auxquels ils avaient assisté sur la Mer Rouge (Bechala’h, Mekhilta) en dépit de la manne, «de ce pain de délices» (Psaumes 78:25), celui des anges du ciel (Yoma 75b) qu’ils ont consommé, ils ont éprouvé le désir perpétuel de retourner en Egypte, de recommencer à pécher.

Nous avons personnellement assisté au cas tragique d’un de nos jeunes amis de Paris, qui décida de faire téchouvah... pour reprendre quelque temps après le mauvais chemin qui était le sien auparavant. Après un accident terrible qui faillit lui coûter la vie ainsi qu’à sa femme, nous sommes allés lui rendre visite à l’hôpital. «J’ai assisté à des miracles, nous avoua-t-il, et seul Dieu m’a sauvé... Dorénavant, je serai un bon Juif...» Grande fut notre stupéfaction de le voir dernièrement retourner à ses transgressions. Que s’est-il passé? Le mauvais penchant lui a fait oublier tout son passé. Il lui a même sans doute expliqué qu’aucun miracle ne lui était arrivé, et que seul le hasard l’avait sauvé de son terrible accident. Même les goyim sortent indemnes d’accidents encore plus terribles, aurait-il expliqué. Le Saint, béni soit-Il, accomplit-Il des miracles pour ceux qui méprisent et haïssent les Juifs? Le mauvais penchant refroidit le cœur de l’homme et le conduit sur le mauvais chemin.

Par conséquent, ne soyons pas surpris que les enfants d’Israël aient souhaité plus d’une fois revenir en Egypte. Profitant de leur colère passagère, le mauvais penchant leur a fait oublier leur passé et même leur présent. Ils ont oublié que «l’Eternel les guidait le jour, par une colonne de nuée qui leur indiquait le chemin» (Exode 13:21)... Et si, en fin de compte, Dieu ne les a pas fait passer par le pays des Philistins, c’est pour les préserver du mal et les conduire sur la voie de la droiture et du bien, dont ils jouiront dans ce monde-ci comme dans le monde futur.

 

PARACHAT BO
Table de matière
Sans l’aide de dieu nul ne peut vaincre le mauvais penchant

 

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