Dans le domaine de la Torah, la chute ne vise que l’élévation

«Approchant du camp, Moïse aperçut le veau et les danses. Il jeta alors de ses mains les Tables, et les brisa au pied de la montagne» (Exode 32:19). Pourquoi précisément au pied de la montagne? Si les enfants d’Israël ont commis le péché du veau d’or, pourquoi Moïse descendit-il avec les Tables de la loi? Ils n’en avaient plus besoin, et Moïse n’aurait pas dû les briser...

Comme nous l’avons vu, le mauvais penchant porte le nom de «montagne»: c’est l’aspect qu’il revêt, notamment pour les Tsadikim (Soucah 52a; Zohar II 190b). Les enfants d’Israël s’en étaient débarrassés lors du don de la Torah (et avaient retrouvé son influence pendant le péché du veau d’or). Ils étaient donc en mesure de comprendre la Torah sans trop d’efforts... Le bris des Tables de la Loi signifiait que les enfants d’Israël devraient déployer de grands efforts pour les recoller, c’est-à-dire pour sonder les profondeurs de la Torah. Moïse a brisé les Tables sous la montagne, pour leur montrer que pour triompher du mauvais penchant, ils devraient entreprendre de grands efforts afin qu’il capitule sous leurs mains.

Moïse leur avait fait descendre les Tables pour leur rappeler que par le péché du veau d’or, ils avaient transgressé le précepte divin: «Tu n’auras pas d’autres dieux devant ma face» (Exode 20:3), ainsi que pour les inciter à exploiter leur chute afin de s’élever dans l’étude de la Torah. Il espérait que la vue des Tables de la Loi brisées, écrites par le doigt de Dieu, les ferait réfléchir et revenir à Dieu.

Moïse voulait surtout montrer aux enfants d’Israël que s’ils n’avaient pas péché, ils auraient toujours été béné ‘horin, libres, et le mauvais penchant ne les aurait pas attaqués. Commentant à cet effet le verset: «Ces Tables étaient l’ouvrage de Dieu, et ces caractères ‘harouth gravés sur les tables, étaient des caractères divins» (Exode 32:16), la Michnah (Avoth 6:2) ajoute: «ne dis pas ’harouth, mais ’hérouth (libre), pour t’indiquer que seul celui qui étudie la Torah est vraiment libre»: après leur péché, les enfants d’Israël durent donc livrer une bataille constante pour triompher du mauvais penchant.

On ne peut lui livrer bataille que «sous la montagne», c’est-à-dire en faisant preuve d’humilité, comme le Mont Sinaï sur lequel a été donnée la Torah: l’Eternel l’avait choisi parce qu’il était le plus humble... Celui qui vainc ses mauvais traits et se soumet à l’Eternel, se libère radicalement du mauvais penchant, et s’élève constamment dans l’étude de la Torah.

Citant la Mékhilta, Rachi interpète ainsi le verset: «Moïse descendit de la montagne vers le Peuple» (Exode 19:14): Moïse ne dérogeait à ses occupations que pour prendre soin du peuple. Quelles occupations? demande à cet effet Rabbi Ya’akov Yits’hak Chapira, auteur de Emeth LeYa’akov. C’est que, répond-il, le Tsadik ne veille essentiellement qu’à servir Dieu de son mieux, à se rattacher à Lui, et quand il doit montrer la voie divine aux Juifs, il doit descendre quelque peu de son niveau. Cette «chute» ne vise certes qu’à l’élever, mais il lui est difficile de se détacher ne serait-ce qu’un moment de Dieu...

C’est ce que faisait Moïse avant le péché du veau d’or... Car «celui qui dirige le peuple vers le bien, ne faillira jamais» (Avoth 5:21; Yoma 87a), et nos Sages louent grandement ses vertus. Il lui était certes difficile de descendre de son niveau, mais s’il s’abstenait d’enseigner les voies divines aux enfants d’Israël, il aurait failli à sa mission. D’ailleurs son contact permanent avec eux, aiguisait son savoir et son intelligence. Mais, après le péché du veau d’or, après que l’Eternel lui eut dit: «Va, descends... car ton peuple s’est corrompu», il comprit que cette chute ne visait nullement à une élévation quelconque (voir Bérakhoth 32b). Désirant cependant s’élever et élever les enfants d’Israël à partir de cette chute, Moïse descendit les Tables de la Loi et les brisa devant eux, pour leur montrer combien ils pouvaient s’élever (et lui avec eux) s’ils n’avaient pas fauté. Il espérait que le bris des Tables les émouvrait et les ferait revenir vers Dieu, qui expierait leur faute, ce qui constituerait leur élévation, car là où se tiennent les baalé-téchouvah, les plus grands Tsadikim n’ont pas leur place (Bérakhoth 34b; Sanhédrine 99a). C’est ce qui arriva en fait: les enfants d’Israël se sont repentis à la vue des Tables brisées: le visage de Moïse commença à rayonner (Exode 34:35). Le bris des Tables eut par conséquent des résultats.

Voici ce qu’écrit à ce sujet l’auteur de No’am Avimélekh sur le verset: «Aharon leva les mains vers le peuple, et il le bénit» (Lévitique 9:22): Le Juste est constamment rattaché aux hauteurs célestes; seuls ses soucis concernant Israël le font descendre quelque peu. Il implore constamment l’Eternel de les bénir et de leur envoyer le chéfa’ (l’abondance) dans tous les domaines. Voyant son attachement et son dévouement, ils voient leur coeur s’éveiller au service divin. Le Tsadik imprègne ses frères de l’amour et de la crainte de Dieu en leur disant: «Elevons notre coeur et nos mains vers Dieu qui est au Ciel» (Lamentations 3:41). L’amour qu’on porte à Dieu et l’enthousiasme qu’on manifeste à Le servir, font battre les mains... Le verset poursuit (Lévitique id.): «Puis il descendit, après avoir offert les sacrifices d’expiation, l’holocauste, et le sacrifice d’actions de grâces»: en d’autres termes, ce faisant, le Tsadik descend de son niveau; il ne cesse de vérifier s’il a jamais pensé à commettre un péché. Il s’en repent constamment: c’est ce à quoi fait allusion le sacrifice d’expiation qui rectifie les pensées du coeur (cf. Vayikra Rabah 7:3; Tan’houma 96:13; Zohar III, 254b). Quant au sacrifice d’actions de grâces, chélamim, il fait allusion à son rattachement à Dieu et à son souci de faire régner la paix, chalom, dans le tribunal céleste (Tan’houma, Toledoth 1; Torath Cohanim 3:156).

Aharon, élu de Dieu, devait lever les mains vers le peuple pour l’élever à son niveau personnel: du fait que sa sainteté dépassait de très loin la leur, il dut cependant s’abaisser quelque peu. Il dut par conséquent déployer des efforts qui affectaient ses vertus, pour descendre au niveau des enfants d’Israël. «Vous bénirez AINSI les enfants d’Israël» (Nombres 6:23): la bénédiction doit sortir d’un coeur entier, et être proportionnelle à leur niveau spirituel... Donc quand Aharon levait les mains, il les élevait réellement, en élevant les enfants d’Israël.

Aharon devait néanmoins prendre conscience du fait qu’il n’était qu’un intermédiaire, et que c’est de Dieu que proviennent toutes les bénédictions (cf. ’Houline 49a), comme il est écrit: «Que l’Eternel te bénisse et te garde» (Nombres 6:24). La bénédiction d’Aharon suscita néanmoins un grand éveil dans les cieux, et Dieu exauça les prières des enfants d’Israël (voir Or Ha’haïm, id.); d’ailleurs dans émor lahem (dis-leur), on retrouve les lettres qui forment romam éléh (élève-les)... C’est ce même concept qu’on trouve dans le verset: «Lorsque Moïse élevait sa main, Israël était le plus fort» (Exode 17:11): le mauvais penchant étant vaincu, un flux d’abondance spirituelle put descendre dans le monde en l’éclairant d’une Lumière surnaturelle... Aharon dut cependant déployer de grands efforts pour se rabaisser au niveau des enfants d’Israël, mais sa récompense était grande. Nous venons de voir là un exemple supplémentaire du concept: «régresser en vue de s’élever.»

En un clin d’il l’homme peut perdre toutes ses vertus: s’étant abstenus d’étudier la Torah, les enfants d’Israël perdirent patience, et n’attendirent pas que Moïse revienne de la montagne. Le mauvais penchant en a tiré profit; il s’est introduit en eux et leur a fait commettre le péché du veau d’or... Par conséquent, si nous subissons jusqu’à nos jours le contrecoup de cette faute extrêmement grave, c’est que nous ne déployons pas assez d’efforts pour nous débarrasser à jamais du mauvais penchant. C’est que «l’Eternel punit l’iniquité des pères sur les enfants» (Exode 34:7) lorsque les enfants  nous — suivent la voie de leurs pères et ne s’efforcent pas non plus d’éliminer le mauvais penchant. La seule correction, c’est l’étude assidue de la Torah; si on relâche un moment ses efforts, on chute et pour se relever il faut redoubler d’efforts.

Dernier aspect de ce concept: les relations entre le maître/ l’éducateur et son élève: le maître doit faire preuve de patience et de conciliation à l’égard de ses élèves. S’il agit de la sorte, sa récompense est grande car Dieu lui pardonnera ses fautes (cf. Yoma 23a; Méguilah 28a). Il ne doit pas considérer qu’il descend de son niveau puisqu’il aurait pu, au lieu de ces heures de cours, s’élever dans son étude de la Torah. Dieu accroît sa sagesse et il s’élève encore plus. Nous avons déjà vu le cas de Rabbi Préda qui enseignait jusqu’à quatre-cents fois des passages de Torah à son élève. Un jour, il devait sortir pour une mitsvah et lui apprit en répétant quatre-cents fois le même passage comme il en avait l’habitude. Estimant que Rabbi Préda allait partir d’une minute à l’autre, l’élève ne retint pas la leçon... A son retour, Rabbi Préda ne se fâcha pas le moins du monde contre lui, mais révisa avec lui la leçon quatre-cents fois supplémentaires! Une voix céleste proclama alors : Rabbi Préda vivra encore quatre-cents ans, et lui et sa génération auront part au monde futur (’Irouvine 54b). Sa descente ne visait donc, en fin de compte, que son élévation, ainsi que celle des autres.

 

 

«Pourquoi, ô Eternel, ta colère s’enflammerait-elle contre ton peuple?»
TABLE DE MATIERE
PARACHAT VAYAKHEL

 

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