Jusqu’où doit aller le don de soi dans le service de D-ieu

« L’Eternel appela Moïse et lui parla ». Pourquoi utiliser deux termes (appeler et parler) qui disent apparemment la même chose ? Et si l’on commence par il appela, pourquoi utiliser ensuite un autre mot (il parla) ? De plus, pourquoi le mot vayikra est-il écrit avec un petit aleph ?

Nous essaierons aussi d’expliquer ce que dit Rachi au nom des Sages (Yérouchalmi Ta’anith 3, 4, Torath Cohanim sur ce verset) sur le fait que léémor (lui parla) signifie que Dieu a dit à Moïse de dire (léémor) à Israël des paroles sévères [vis-à-vis de lui-même], à savoir qu’Il ne parlait avec lui qu’à cause du peuple d’Israël (la preuve en est que pendant les 38 ans qui ont suivi l’épisode des explorateurs, Il ne s’est plus adressé à lui). Pourquoi cet enseignement trouve-t-il sa place ici ?

Nous chercherons également à comprendre ce qui se cache derrière le fait que quand on enseigne la Torah à de très jeunes enfants, on commence par la parachat Vayikra (Tan’houma Tsav 14, Yalkout Chimoni) afin qu’ils soient éduqués dans la sainteté et la pureté, comme les sacrifices dont il est question, qui sont saints et purs.

Le sujet de la parachat Vayikra est le dévouement inconditionnel que l’homme doit manifester envers Dieu, comme l’enseigne le verset « Si un homme d’entre vous (mi-kem, littéralement : de vous) offre un sacrifice à l’Eternel », qu’on peut lire ainsi : « Si un homme fait de lui-même un sacrifice à l’Eternel ». De plus, le mot mi-kem a la valeur numérique de cent, allusion aux cent bénédictions qu’on doit dire quotidiennement (Mena’hoth 43b, Bemidbar Rabah 18, 17, Zohar III 179a), enseignement tiré du verset : « Et maintenant, Israël, qu’est-ce que (mah) l’Eternel ton Dieu demande de toi » (Deutéronome 10, 12), mah étant lu méah (cent). Là aussi il s’agit d’un engagement total, sans lequel il serait difficile de dire cent bénédictions par jour, surtout quand on est sollicité par les besoins du public ou qu’on doit gagner sa vie.

Mais il existe deux sortes d’engagement. Le premier est celui d’un homme qui ne cherche qu’à se rapprocher que de Dieu et à s’élever spirituellement jour après jour pour arriver jusqu’à l’Eternel, mouvement évoqué par le verset « avec une force toujours croissante » (Téhilim 84, 8). Tout son désir n’est que de donner entière satisfaction à son Créateur. Même quand il est fatigué, il ne tient aucun compte de son état personnel et n’aspire qu’à s’améliorer spirituellement et à faire du bien à la Chékhinah qui est en exil, comme pour la faire lever de la poussière où elle se trouve (Zohar II, 238a). Il s’agit d’un rapprochement (hitKaRVouth). On ressent constamment  qu’on est encore très loin, et on désire ardemment se rapprocher (K-R-V) de Dieu et arriver aux cinquante portes de la sainteté, sans se préoccuper de rien pour soi-même.

La deuxième sorte d’engagement est moins intense que la première. C’est celui d’un homme qui certes s’adonne à la prière, à l’étude de la Torah, à la charité et aux bonnes actions, mais sans que ce soit exclusivement pour l’amour du Ciel : il a aussi en tête les honneurs qu’il pourrait recevoir ou le bien qu’il fait au prochain. Il observe les mitsvoth de tout coeur, mais ses intentions ne sont pas totalement pures. Il se lève tôt pour aller à la synagogue mais bavarde pendant la prière, ou n’est pas suffisamment concentré. Et dans ce cas-là, à quoi va lui servir tout son dévouement ? On peut le qualifier de pourri (RaKouV), comme un morceau de pain moisi. Les lettre de RaKouV sont les mêmes que celles de KaRoV (proche), dans un autre ordre.

C’est à cela que la Torah fait allusion quand elle dit « Si un homme d’entre vous (mi-kem) offre un sacrifice à l’Eternel » : le service de l’homme a pour but principal de se rapprocher soi-même (mi-kem) de l’Eternel à chaque instant, par cent bénédictions et une étude constante de la Torah, pour arriver aux cinquante portes de la pureté, car c’est cela le véritable sacrifice (KoRBan), qui est un rapprochement (haKRaVa). Le mot korban est en effet composé des lettres k-r-v (proche) et noun (dont la valeur numérique est cinquante). Il s’agit de se rapprocher des cinquante portes de la sainteté, et de s’éloigner d’un engagement qu’on pourrait qualifier de « pourri » (r-k-v). Le mot « pourriture » (RiKaVon) est formé de r-k-v (pourri) et de noun, car cet engagement incomplet peut mener l’homme aux cinquante portes de l’impureté. En effet, les Sages nous ont mis en garde contre le fait d’utiliser la Torah à nos propres fins (Pirkei Avoth 4, 5, Nédarim 62a).

Pour s’éloigner de ce genre d’attitude, il faut évoquer le jour de la mort, particulièrement quand on est assailli par la tentation (Bérakhoth 5a). Cela aussi se trouve en allusion dans le mot KoRBan (sacrifice), formé des lettres k-v-r (kévèr, la tombe) et noun. Si l’on garde cela présent à l’esprit, on ne recherchera qu’à se consacrer totalement à Dieu, en faisant abstraction de tout motif impur.

Le sacrifice nous enseigne également l’humilité, celle des animaux qui tendent le cou pour être égorgés en l’honneur de l’Eternel. Mais il ne faudrait surtout pas leur ressembler par le côté bestial et matériel. Les Sages ont dit que l’animal ne domine l’homme que lorsqu’il a l’impression d’être en présence d’un autre animal (Chabath 151b, Sanhédrin 38b, Zohar I 71a), et il est écrit : « Eternel, tu sauves l’homme et la bête » (Téhilim 36, 7). Tout en se gardant de ressembler à la bête dans son animalité, il faut apprendre d’elle l’humilité et l’effacement.

Nous avons déjà dit que l’humilité mène à la Torah, et les Sages enseignent que c’est l’une des qualités par lesquelles elle s’acquiert (Pirkei Avoth 6, 5) et qu’on la trouve chez les humbles (Ta’anith 7a). La même idée se dégage de l’étude des sacrifices. Autrefois, les benei Israël étaient témoins de miracles quotidiens dans l’enceinte du Temple (Pirkei Avoth 5, 5), et il leur était donc très facile de vaincre leur mauvais penchant, sans compter qu’au moment où le sacrifice était offert, ils percevaient la vérité, et alors toutes leurs fautes étaient pardonnées et ils étaient purifiés. De plus, comme ils se rendaient compte que tout ce qui était fait à la bête aurait dû être effectué sur leur propre corps (voir Ramban sur Vayikra 1, 9). ils se repentaient instantanément et se rapprochaient de Dieu. Mais à notre époque, comment vaincre le mauvais penchant ? Si c’était difficile au temps du Temple où tout était si clair, que dire de nous, qui n’avons plus ni Temple ni sacrifices ? Comment allons-nous pouvoir nous rapprocher de Dieu ?

C’est précisément ce manque qui va nous y aider, car il nous reste une arme capitale : la Torah et la prière, ainsi qu’il est écrit : « Nous paierons des taureaux avec nos lèvres » (Hochéa 14, 3). Cela signifie que les prières remplacent les sacrifices (Bérakhot 26b, Zohar III 28b). La Torah de son côté représente également un sacrifice, car quiconque étudie les holocaustes est considéré comme ayant offert un holocauste (Mena’hoth 110a). Nous possédons par conséquent deux formes de sacrifices ! Si l’on étudie la Torah en s’y consacrant de toutes ses forces, on s’offre soi-même à Dieu en se tuant pour ainsi dire pour elle (Bérakhot 63b, Chabath 73b). En effet quand le verset dit : « Lorsqu’un homme mourra dans une tente » (Bemidbar 19, 14), cela peut signifier qu’il doit se « tuer » dans la tente de la Torah, suivant ainsi les traces de Jacob, « homme droit installé dans les tentes » (Genèse 25, 27), qui sont les tentes de Chem et Ever où il étudiait la Torah (Méguilah 17a). Il est donc évident que même à notre époque, nous pouvons avoir une récompense considérable, car par la force de la Torah, de la prière et des cent bénédictions, nous avons la possibilité de devenir un sacrifice totalement consacré à Dieu, même si nous ne voyons plus ce qu’on fait à la bête au moment où on l’offre. Si nous arrivons à tirer le meilleur parti de l’exil, nous pouvons même atteindre un niveau plus élevé que celui des générations du Temple. Alors nous deviendrons semblables à un sacrifice offert à Dieu, nous surmonterons toutes les épreuves, et notre sort sera enviable.

Revenons à la question de savoir pourquoi c’est par cette parachah que l’on commence à enseigner la Torah aux jeunes enfants. Si elle parle essentiellement d’engagement et d’enthousiasme, c’est clair, car les enfants sont capables de se consacrer sans aucune restriction à ce qui les intéresse, par exemple les sucreries, et il faut leur enseigner à canaliser cette force vers la sainteté et la pureté. Non seulement nous apprenons des sacrifices comment se donner tout entier à la sainteté, mais nous apprenons aussi des enfants comment parvenir à un dévouement total envers Dieu, en observant la ferveur que met l’enfant à atteindre ses buts personnels.

Nous allons également pouvoir répondre à la difficulté que nous avions soulevée sur le fait que Dieu a dit à Moïse de dire à Israël des paroles qui étaient sévères à son propre égard. Quel rapport y a-t-il avec le contexte, et d’où Rachi a-t-il tiré cette interprétation ? Rappelons-nous que Moïse voulait entrer dans la Tente d’Assignation mais ne le pouvait pas, à cause de la Nuée divine (Exode 40, 35). A ce moment-là, il a compris qu’il ne pourrait parler avec l’Eternel que par le mérite d’Israël (Bérakhoth 32a). Ayant ainsi constaté la grandeur des benei Israël aux yeux de Dieu, il s’est immédiatement fait tout petit et a écrit un petit aleph, qui vient nous expliquer que lorsque l’Eternel l’appelle, c’est uniquement par le mérite des benei Israël (la notion de « petit » renvoie à eux par allusion, puisqu’il est le Maître et eux sont les disciples). Il constate que toute sa force ne provient que de leur mérite, et c’est cela il appela - il parla. Le mot parla (d-b-r) évoque un chef, comme dans l’expression « DaBaR e’had le-dor, un seul chef pour une génération » (Sanhédrine 8a). Qu’il s’agisse de sa qualité de chef ou du fait que Dieu l’ait appelé, les deux proviennent entièrement du mérite des benei Israël, car par lui-même, il ne pouvait pas entrer dans la Tente d’Assignation.

Un très grand principe se dégage de cette analyse : tout ce qu’un grand Rav ou un grand érudit reçoit de Dieu n’est là que par le mérite de ses disciples; c’est grâce à eux qu’il peut s’élever spirituellement et continuer à former d’autres disciples. Le Rav lui-même doit apprendre de là comment enseigner à ses disciples, et aussi comment apprendre d’eux à s’engager totalement, comme Moïse notre Maître qui a constaté le dévouement des benei Israël. Dans cet esprit, les Sages ont dit : « Quand un disciple est exilé, on exile son maître avec lui » (Makoth 10a). C’est également pourquoi il est écrit : « Parle aux cohanim fils d’Aaron et dis-leur » (Lévitique 21, 1), répétition qui a pour but d’enjoindre aux grands de veiller sur les petits (Yébamoth 114a). Dieu met en garde les grands contre l’orgueil, car ce n’est que par le mérite des petits qu’ils deviennent grands... par conséquent il convient de s’abaisser devant ses disciples et de ne pas garder sa Torah pour soi-même, dans l’esprit de la michnah : « Si tu as appris beaucoup de Torah, ne t’en sais aucun gré à toi-même » (Avoth 2, 8). Il ne faut pas se lasser d’enseigner, comme nous l’avons appris de Rav Peréda qui enseignait quatre cents fois à son disciple (Erouvin 54b). Il faut s’effacer devant lui, lui enseigner le dévouement tout en l’apprenant de lui, et de cette façon on pourra ressembler à un sacrifice offert à l’Eternel.

 

La modestie et l’humilité permettent d’acquérir la Torah et d’attirer la Chékhinah
Table de matière
L’enthousiasme et l’effort mènent à la sainteté

 

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