Le juste périt à cause du mal

(Lamentation et oraison funèbre pour le tsaddik Rabbi Mordekhaï Frankel de mémoire bénie)

Sur le verset « Quand on fut (VaYéHi) au huitième jour, Moïse appela Aaron », les Sages nous disent (Méguilah 10b) que ce jour-là il y a eu une aussi grande joie devant Dieu que le jour où ont été créés le ciel et la terre. En effet, ici il est écrit « Quand on fut (VaYéHi) au huitième jour, Moïse appela Aaron et ses fils et les anciens d’Israël », et là-bas il est écrit « Il y eut (VaYéHi) un soir et il y eut (VaYéHi) un matin » (Genèse 1, 5).

Il faut essayer de comprendre pourquoi Moïse a éprouvé le besoin de monter et de démonter le sanctuaire tous les jours pendant les sept jours de l’inauguration (Tan’houma Pékoudei 11, Yalkout Chimoni Bemidbar 712), au lieu de le dresser dès le premier jour pour qu’il y ait tout de suite une joie semblable à celle de la création du ciel et de la terre.

L’auteur de ‘Hessed Le-Avraham a donné la réponse suivante : lorsque le monde a été créé, la Chekhinah aurait dû résider dans ce monde-ci, car c’est dans ce but qu’il avait été créé. Mais à cause des fautes des benei Israël elle est montée jusqu’au septième ciel (Zohar I 41a 69a). Par la suite, les Patriarches et Moïse ont remis les choses en place, si bien qu’au moment où la Torah a été donnée, il est dit : « Dieu descendit sur le mont Sinaï » (Exode 19, 20) ; ils avaient réussi à faire descendre la Chekhinah de ciel en ciel. Cependant, elle s’est de nouveau séparée d’Israël au moment de la faute du Veau d’Or (Zohar I, 53a), et elle est remontée au septième ciel. C’est pourquoi chacun de ces sept jours, Moïse montait et démontait le sanctuaire : la réparation n’était pas encore achevée, chaque jour il faisait descendre la Chekhinah d’un ciel, et le huitième jour elle est venue sur Israël (Torath Cohanim, Séder Olam 7). Donc à ce moment-là, le huitième jour, il y a eu une joie semblable à celle du jour où ont été créés le ciel et la terre : on venait d’atteindre le but de la création, qui est que la Chekhinah s’établisse dans le monde d’en bas.

Malgré tout, la difficulté demeure. En effet jusqu'à Moïse, les Patriarches n’avaient pas encore la Torah, et les benei Israël n’avaient pas encore dit : « Nous ferons et nous écouterons » (Exode 24, 7), si bien que cela a pris beaucoup de temps pour faire redescendre la Chekhinah de ciel en ciel jusqu'à Israël ; il fallait la faire descendre d’un ciel à chaque génération, jusqu'à ce qu’elle soit revenue parmi les benei Israël. Mais maintenant, après « nous ferons et nous écouterons », elle n’était repartie qu’à cause de la faute du Veau d’Or, or les benei Israël s’étaient repentis et il y avait parmi eux beaucoup de justes. Pourquoi donc a-t-il tout de même fallu sept jours pour la faire redescendre ? Un instant aurait dû suffire pour la faire descendre de chaque ciel, et elle aurait dû revenir sur terre dès le premier jour ! Si l’on dit que c’est pour atteindre le moment où la joie serait aussi grande devant Dieu que le jour où le ciel et la terre ont été créés, rappelons-nous qu’ils ont été créés le premier jour, et qu’ici nous sommes au huitième.

A mon humble avis, au moment de la faute du Veau d’Or les benei Israël ont endommagé les six jours de la création et le Chabath . En effet, dans le récit de la création, il est dit : « Et Dieu créa », et chaque créature est venue à l’existence par Sa parole, ainsi qu’il est écrit : « Le monde a été créé en dix paroles » (Avoth 5, 1). De son côté; le Chabath vaut autant que tous les autres jours de la semaine, car c’est en lui qu’ils trouvent leur bénédiction (Zohar Yitro 88a). Il est dit à son propos : « En ce jour Il s’est reposé de tout son travail » (Genèse 2, 3), et aussi : « Le septième jour il a mis fin à l’oeuvre et s’est reposé » (Exode 31, 17). De qui s’agit-il ? De Dieu ! On sait d’ailleurs parfaitement que le verset commençant par « Va-ikhoulou » est récité debout, afin de témoigner que Dieu a créé le monde (Tour Ora’h ‘Haïm début du par. 268). Or voilà que les benei Israël ont fabriqué un veau et ont dit : « Voici ton dieu (Eloheikha), Israël » (Exode 32, 4), lui et non l’Eternel (Elokim), ils ont donc porté atteinte à toute la création.

C’est pourquoi ils ont dû réparer tout ce qui avait été abîmé dans chaque jour de la semaine par les paroles : « Voici ton dieu, Israël ». Ainsi quand le jour se terminait, la Chekhinah descendait d’un ciel supplémentaire, jusqu'à la fin des sept jours, où tout s’est trouvé réparé. Le huitième jour a donc fait l’objet d’une grande joie, car tous les jours de la semaine étaient alors rectifiés comme il convenait. C’est ce que signifie « Quand on fut (VaYéHi) au huitième jour », le jour du début de la Création. Nos Sages ont dit à juste titre (Méguilah 10b) qu’en ce jour il y a eu une joie semblable à celle de la création du ciel et de la terre, car toute la création s’est trouvée réparée, c’est donc comme si le ciel et la terre avaient été créés de nouveau. [On peut ajouter que le verset cité pour évoquer la Création, « Il y eut un soir et il y eut un matin », fait allusion au fait que la création s’est trouvée réparée en même temps que la faute du Veau d’Or, commise par le erev rav (Tan'houma 701, 19), mot qui désigne une « foule nombreuse », mais qu’on peut aussi lire « soir immense ». Par opposition, la réparation de la faute a mené au matin, à la lumière du jour, allusion à l’œuvre de création qui emploie l’expression « il y eut un soir et il y eut un matin.]

Et pourtant ! La Guemara (Sanhédrin 102b) affirme qu’aucun malheur n’arrive qui ne contienne un peu de la réparation de la faute du Veau d’Or, ainsi qu’il est écrit : « Le jour où j’aurai à sévir, je leur demanderai compte de ce péché » (Exode 32, 34), car lorsqu’une génération démérite, Dieu punit également ses descendants. Mais par ailleurs, même quand nous commettons des fautes, la présence divine ne nous quitte pas. Nous avons réparé le péché du Veau D’Or de telle façon que la Chekhinah ne s’éloignera plus de nous (Zohar I, 53a), car on sait ce qu’ont dit les Sages : la présence divine n’a jamais quitté le Mur occidental (Tan’houma Chemoth 10, Zohar II 90b). Il n’en reste pas moins que nos errements donnent de la vitalité à la kelipah de la faute du Veau d’Or, et que nous en sommes punis. Seulement, comme les justes de chaque génération la protègent des conséquences du Veau d’Or, Dieu a pris soin de répartir ces justes dans toutes les générations (Yoma 38b). On peut voir une allusion à ce phénomène dans la valeur numérique du mot Eguel (« veau »), qui est la même que celle de Maguini (« protéger ») : les justes protègent leur génération de la faute du Veau d’Or. Les mots Avon HaEguel (« faute du veau ») ont la même valeur numérique que Hou HaTsaddik (« c’est le juste »), ce qui véhicule le même enseignement.

En contrepartie se dresse Amalek, pour inciter au péché. Les lettres du mot Amalek sont les mêmes que celles de Am Kal (« un peuple léger »), léger et méprisable, et la valeur numérique de ces mots est la même que celle de Ram (« élevé, hautain »). « Amalek » est également constitué des premières lettres de l’expression Essav Marad Lifnei Kadoch (« Esaü s’est révolté devant le Saint »), le saint étant ici Isaac. Or ce qui s’est passé chez les Patriarches est un signe pour leurs descendants, c’est pourquoi Amalek a été appelé ainsi. On sait que les benei Israël ont reçu l’ordre d’effacer le souvenir d’Amalek (Deutéronome 25, 19) : Il s’agit du Amalek qui est en chacun, à l’intérieur de lui, car chaque faute qu’on commet réveille le souvenir d’Amalek et celui de la faute du Veau d’Or, et la Chekhinah s’en va. En effet Amalek a l’esprit hautain, et il est dit à propos de l’orgueilleux : « lui et Moi ne pouvons pas cohabiter » (Arakhin 15b), « Tout cœur hautain est en horreur à l’Eternel » (Proverbes 16, 5), ou encore « Des yeux hautains, un cœur gonflé d’orgueil, Je ne puis les supporter » (Psaumes 101, 5). Il a eu en horreur Amalek et Esaü, qui étaient orgueilleux et sont partis en guerre contre Lui. Amalek est la cause de ce que le Nom et le Trône de l’Eternel ne sont pas entiers, jusqu'à ce que son souvenir soit effacé (Tan’houma Tetsé 11), ainsi qu’il est dit : « Puisqu’il porte la main sur le trône (kes et non kissé) de Dieu (Y-ah et non le Tétragramme, ces deux termes figurent donc sous un forme amputée), guerre à Amalek de par l’Eternel, de génération en génération ! » (Exode 17, 16). Mais les justes qui protègent la génération de la faute du Veau d’Or complètent le Nom de l’Eternel, car ils portent les noms de Dieu (voir Cho’her Tov 19, 7), et par leur intégrité ils viennent en aide aux pécheurs de la génération.

La Guemara dit que la mort des justes est aussi grave que l’incendie de la maison de Dieu (Roch Hachana 18b). Comment peut-on rapprocher les deux choses ? La raison d’être du Temple est que la Chekhinah puisse résider parmi les benei Israël , par conséquent il est évident que le juste ressemble au Temple, puisque la présence divine habite en lui, ainsi qu’il est écrit « Faites-moi un Temple et Je résiderai parmi eux » (Exode 25, 8), à l’intérieur de chacun d’entre eux. Certes, Nadav et Avihou ont mérité la mort au moment où ils ont regardé la Chekhinah en mangeant et en buvant (Tan’houma Béhaalotkha 16), mais Dieu a attendu jusqu’au huitième jour. A ce moment-là ils ont approché un feu étranger que Dieu n’avait pas ordonné (Lévitique 10, 1), et ils sont morts. Dieu avait attendu jusque là parce qu’Il ne voulait pas mélanger la joie et la douleur (Yalkout Chimoni Vayikra 525). S’ils étaient morts avant que le Sanctuaire soit dressé, nous n’aurions pas su que leur mort pèse autant que la destruction du Temple, puisque celui-ci n’aurait pas encore existé.

Alors qu’après leur mort il est écrit : « Et vos frères, toute la maison d’Israël, pleureront ceux qu’a brûlés le Seigneur » (Lévitique 10, 6). Ce verset nous enseigne que si les benei Israël fautent et que le Temple soit détruit, ce qui s’est effectivement produit à deux reprises, il faut savoir que la mort des justes ressemble à l’incendie de la maison de Dieu et pèse autant. Car si le feu qui a brûlé les fils d’Aaron était un châtiment, pourquoi les benei Israël auraient-ils dû les pleurer ? Et pourquoi d’ailleurs Nadav et Avihou ont-ils été condamnés à être brûlés (Sanhédrin 52a) ? C’est parce que les justes, comme on le sait, sont prêts à donner leur vie pour l’ensemble de la communauté d’Israël. C’est exactement ce qu’ont fait Nadav et Avihou, c’est pourquoi ils sont morts par le feu, qui évoque la chaleur et l’enthousiasme, afin que leur mort vienne expier les fautes de la communauté et la protéger. Toute la maison d’Israël doit donc les pleurer, car « le juste périt à cause du mal » (Isaïe 57, 1).

Voilà la spécificité du juste, qui relève du « huit » (chemini), au-dessus de la nature. Et c’est également cela « Quand on fut au huitième jour » : alors ce fut la joie que le Sanctuaire soit monté sans plus être démonté, comme le jour où le ciel et la terre ont été créés. Ce jour-là, la réparation a été totale. Mais celui qui enfreint l’alliance que Dieu contracte avec l’homme au huitième jour (la circoncision), c’est comme s’il enfreignait toutes les 613 mitsvoth, car la circoncision pèse autant que tout le reste de la Torah (Nédarim 32a), et la réparation de ce manquement fait partie des 613 mitsvoth. Quand quelqu’un porte atteinte à cette alliance, au lieu de 613 mitsvoth il n’en reste que 612, ce qui forme le mot TaRiV (« tu combattras »), à savoir qu’une négation de cet accord déclenche la guerre contre Dieu et contre la création. Car le mot Beriat (« création ») vaut 613, et il est écrit « Si mon alliance avec le jour et la nuit cessait de subsister, je n’aurais pas fixé de lois au ciel et à la terre » (Jérémie 33, 25). Sans la circoncision, le ciel et la terre n’existeraient pas (Nédarim 32a). De plus, la construction du sanctuaire est le complément de la création du ciel et de la terre, pour que Dieu vienne habiter chez les créatures d’en bas. L’essentiel de la résidence de la Chekhinah est dans l’homme, qui conclut une alliance avec Dieu Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu beaucoup de fautes à réparer pendant les sept jours, en parallèle avec les six jours de la création et le Chabath qui est l’équivalent de toutes les autres mitsvoth (Yérouchalmi Bérakhoth 1, 5, Chemoth Rabah 25, 16), et qu’au huitième jour seulement on a atteint la perfection et la paix. Les initiales des mots CHemonat Yamim (huit jours) sont chin et yod, qui forment le mot CHaÏ, ce qui renvoie aux 210 mondes (valeur numérique de CHaÏ) que Dieu donnera en héritage à chaque juste (fin de Ouktsin, Zohar II 166b). Or tous les benei Israël ont une part dans le monde à venir (Sanhédrin 90a). C’est pourquoi il est écrit ici : « Quand on fut au huitième jour », le jour de la mise sur pied du sanctuaire, qui a reçu dix couronnes (Séder Olam 7, Torath Cohanim 9, 1). Ce jour-là, la faute des benei Israël a été pardonnée et ils ont mérité 310 mondes.

 

De la solidarité comme assise de la présence divine
Table de matière
A l’Eternel exclusivement... l’unité, la destruction du mauvais penchant et l’effacement devant le tsaddik

 

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