De l’importance de s’attacher à Dieu et à ses mitsvoth

Notre parachah raconte l’histoire de la mort de Nadav et Avihou, au moment où ils ont offert un feu étranger qui ne leur avait pas été ordonné (Lévitique10, 1). Les Sages rapportent qu’ils avaient déjà commis auparavant une faute que Dieu n’avait pas punie jusqu’alors. Sur le verset : « Ils contemplèrent Dieu, mangèrent et burent » (Exode 24, 11), ils disent que Nadav et Avihou ont contemplé Dieu d’un cœur grossier, en mangeant et buvant, et qu’à ce moment-là ils ont encouru la mort pour avoir regardé ce qu’il était interdit de regarder (Bérakhoth 17a, Vayikra Rabah 20, 10, Tan'houma Béhaalotkha 16). Mais comme Dieu ne voulait pas altérer la joie de cette occasion, Il a attendu pour exécuter la sentence qu’ils se trouvent dans la Tente d’Assignation.

Ces affirmations comportent plusieurs difficultés. Si Nadav et Avihou ont regardé, cela signifie que c’étaient des justes et qu’ils en avaient le droit, sans quoi ils n’auraient rien vu du tout. Dans ce cas-là, pourquoi l’Eternel a-t-Il jugé bon de les punir ? S’ils avaient reçu un signe évident qu’ils pourraient voir, en quoi sont-ils passibles de mort ? Et si l’on dit qu’en vérité, il était interdit de regarder ce qu’ils ont regardé, comment ont-ils pu le faire en continuant à manger et à boire ?

Il y a plus. Les Sages ont énuméré une quantité de fautes commises par Nadav et Avihou. Ils marchaient derrière Moïse et Aaron en se disant : « Quand ces deux vieillards-là vont-ils mourir pour que toi et moi puissions mener la génération ? » (Sanhédrin 52a, Vayikra Rabah 20, 7). Ils ne se sont pas mariés (Vayikra Rabah Ibid.). De plus, ils sont entrés dans le Sanctuaire en état d’ivresse (Vayikra Rabah 12, 1, Tan'houma A’harei Mot 6). Comment concevoir que ces deux tsaddikim maudissent Moïse leur maître et Aaron leur père en souhaitant qu’ils meurent et que ce soit eux qui dirigent la génération ? Leur droiture est connue de tous [certains ouvrages disent qu’ils sont morts par la faute de l’arbre de la connaissance du bien et du mal...]. S’ils avaient vraiment prononcé de telles paroles, comment pourrions-nous continuer à les admirer ? Pourquoi sont-ils entrés en état d’ivresse dans le Sanctuaire et ne se sont-ils pas mariés, ils devaient pourtant bien savoir que la première des mitsvoth est celle de croître et multiplier. Comment ont-ils espéré pouvoir mener le peuple d’Israël sans être mariés, et qui plus est en pénétrant en état d’ivresse dans le lieu où réside la Présence divine ?

Par dessus tout, il n’en reste pas moins que Dieu a dit d’eux « Je me sanctifierai par mes proches » (Lévitique 10, 3), et que Moïse a dit à Aaron : « Je pensais qu’il s’agissait de moi ou de toi, maintenant je vois qu’ils sont plus saints que nous » (Vayikra Rabah 12, 2). C’est donc qu’ils étaient de grands tsaddikim, au point que Dieu a ordonné aux benei Israël : « Et vos frères, toute la maison d’Israël, pleureront ceux qu’a brûlés le Seigneur » (Lévitique 10, 6). Comment concilier ces faits avec tout ce qu’on leur reproche ?

Il est vrai que nos Sages ont déjà beaucoup parlé de la parachah de Nadav et Avihou, mais chacun a le droit de donner son interprétation, et je vais également présenter ma contribution, avec l’aide de Dieu.

Nadav et Avihou se sont attachés à Dieu d’une façon qui dépassait la nature et les forces ordinaires, au point de désirer modifier des règles bien établies. Or on sait que tout homme peut progresser dans le service de Dieu en fonction de sa compréhension et de son niveau, car au fur et à mesure qu’il élargit son cœur pour y faire entrer la crainte du Ciel, il reçoit dans les mêmes proportions une abondance de rayonnement et de sainteté, à l’infini, comme un robinet d’eau qui coule abondamment tant qu’il est ouvert.

Nadav et Avihou avaient le sentiment qu’ils pouvaient prendre la responsabilité des benei Israël et les diriger dans les voies de Dieu, et leur cœur leur disait que la voie qui convenait était celle de la vigueur, à savoir de la justice et non de la miséricorde, alors que ces deux vieillards, Moïse et Aaron, conduisaient le peuple avec mansuétude parce qu’ils n’avaient pas la force de leur imposer l’intransigeance. C’est pourquoi ils ont dit : Quand ces deux vieillards-là vont-ils mourir ! Ils estimaient qu’il fallait faire preuve de rigorisme plutôt que de miséricorde. Par conséquent, se disaient-ils, nous, qui sommes encore jeunes, nous pouvons gouverner la génération par la justice et enseigner la Torah aux benei Israël de cette façon. Leurs intentions étaient totalement pures, et n’étaient nullement de maudire Moïse leur maître ni Aaron leur père. Leur répugnance au mariage provenait également de la même source, car ils pensaient que les dirigeants étaient âgés, allaient mourir, et qu’eux allaient avoir la charge des benei Israël. Ils devaient donc se tenir prêts en état constant de pureté pour parler avec la Chekhinah, ce qui impliquait de s’écarter de la femme comme l’avait fait Moïse qui s’était séparé de sa femme Tsipporah (Chabath 87a, Avoth Derabbi Nathan 2, 3), ainsi qu’il est écrit « à propos de la femme noire qu’il avait prise » (Nombres 12, 1) – et dont il s’était séparé. Ils ne se sont donc pas mariés et n’ont pas eu de descendance, pour ne pas s’embarrasser des problèmes causés par la femme et les enfants. Tout cela était dans le but de mieux servir Dieu, car l’Ecriture témoigne sur eux qu’ils étaient des justes, c’est pourquoi les benei Israël devaient les pleurer (Lévitique 10, 6). Une autre raison pour laquelle ils voulaient prendre la conduite du peuple à leur maître et à leur père est qu’ils voulaient donner leur vie pour les benei Israël, dans la ligne de la plus grande rigueur (midath hadin).

Cela explique également leur « état d’ivresse », comparable à celui de ‘Hana dans sa prière, quand le grand prêtre Héli l’a crue chikorah (« ivre ») (I Samuel 1, 13). Un homme ivre se conduit de façon irrationnelle, et même si son ivresse n’est qu’apparente, le résultat paraît suffisamment bizarre pour qu’on le croit ivre. Ainsi ‘Hana « parlait à son cœur » (Ibid.), ce qui signifie qu’elle était totalement plongée dans sa prière, mais Héli l’a crue ivre. Il en va de même de Nadav et Avihou, qui adhéraient si intimement à Dieu qu’ils s’étaient élevés à un niveau de sainteté extrême, semblable en tous points à celui des anges, si bien que pour un regard humain, leur comportement paraissait insolite. En réalité, ils n’agissaient que par amour du ciel, dans le but de conduire les benei Israël selon la rigueur et de les élever à des sommets glorieux.

Il n’en reste pas moins que cette démarche ne coïncidait pas avec ce que voulait Dieu, puisqu’elle est qualifiée de « feu étranger qui ne leur avait pas été ordonné » (Lévitique 10, 1). Ils sont entrés dans le Sanctuaire pendant leur service en introduisant un feu étranger, c’est-à-dire une Torah étrangère, car il est écrit à propos de la Torah : « De lui une loi de feu » (Deutéronome 33, 2), et les Sages disent à ce propos que la Torah est de feu et a été donnée dans le feu (Tan'houma Ytro 13, Mekhilta Ibid. 19, 18). Or ils ont cherché à introduire un feu étranger, une Torah étrangère, qui n’était pas bonne pour les benei Israël. En effet, d’une part il est interdit de modifier la voie tracée par Dieu, et d’autre part la génération n’était pas digne de tels chefs, elle avait besoin d’être dirigée selon la voie de la miséricorde et non selon la voie de la rigueur, qui aurait risqué de provoquer son anéantissement complet. Chacun doit d’ailleurs se comporter envers le prochain avec indulgence (Baba Kama 100a, Baba Metsia 30b), même s’il lui a causé du tort. Si Nadav et Avihou avaient pris la tête des benei Israël et que quelqu’un ait encouru la justice divine, ils n’auraient pas du tout intervenu, estimant que le châtiment était mérité, alors qu’avec Moïse et Aaron tout se passait selon la miséricorde et ils priaient pour les pécheurs, comme au moment de la faute du Veau d’Or et de la révolte de Coré, quand ils ont dit : « Vas-tu sévir contre toute la communauté parce qu’un seul homme a péché ? » (Nombres 16, 22). C’est pourquoi Nadav et Avihou ont été punis : même si toute leur intention était de servir Dieu, ce n’était pas la bonne façon de conduire les benei Israël, et nous savons que plus une personne est proche de Dieu, plus Il se conduit sévèrement avec elle (Yébamoth 121b, Vayikra Rabah 27, 1).

En outre, le fait qu’ils ne se soient pas mariés pour que leur cœur reste libre de parler avec Dieu leur est également compté comme une faute, car ils auraient pu se marier jusqu'à la disparition de Moïse et Aaron et ensuite seulement se séparer de leur femme, comme l’avait fait Moïse. En ne se mariant pas du tout, ils ont négligé la mitsvah d’avoir des enfants, au lieu d’attendre la mort de Moïse et Aaron pour se séparer de leur femme. Ils ont donc agi en hommes ivres en approchant un feu étranger, à savoir des opinions étrangères et inacceptables, car tout ce que Dieu n’ordonne pas s’appelle étranger. Il est interdit de se comporter avec les autres selon la stricte justice, il faut avoir pitié de chacun et ne pas ressembler à un homme ivre, car nos actes doivent être acceptables pour tout le monde, comme nous l’enjoint la Torah : « Soyez irréprochables devant Dieu et devant Israël » (Nombres 32, 22).

Mais par ailleurs, Dieu savait que leur intention était entièrement de manifester leur amour pour Lui, Il connaissait la droiture de leur cœur et la pureté de toutes leurs actions, Il s’est donc sanctifié par eux, car Il se montre exigeant à l’extrême envers ceux qui sont proches, et Il « veille sur les pas de ses adorateurs » (I Samuel 2, 9). C’est pourquoi les benei Israël les ont pleurés, car ils sont morts pour eux.

Tout ce que nous venons de dire nous permet de comprendre la nature de ce qu’ils ont regardé au moment où ils mangeaient (« Ils contemplèrent Dieu, mangèrent et burent » (Exode 24, 11)). Il est écrit à propos de ce repas : « Aaron et tous les Anciens d’Israël vinrent partager le repas du beau-père de Moïse devant Dieu » (Ibid. 18, 12). La Guemara (Bérakhoth 64a) fait remarquer qu’ils n’ont pas mangé devant Dieu, mais devant Moïse et Aaron, ce qui nous enseigne que lorsqu’on se trouve à la même table qu’un talmid ‘hakham, c’est comme si l’on accueillait la Chekhinah. Elle affirme ailleurs (Chabath 127a, Chavouoth 35b) que recevoir des invités est plus important que d’accueillir la Chekhinah. A ce repas de Ytro, Tsipporah et ses enfants étaient invités, et Moïse ne s’est pas assis, il s’est tenu debout et les servait (Sotah 13b). Il avait appris cela d’Abraham qui avait demandé à Dieu de l’attendre pendant qu’il s’occuperait des invités qui venaient de se présenter (Genèse 18, 3). Or Moïse aurait pu regarder la Chekhinah et parler avec elle, car Dieu se présentait toujours à lui. C’est pourquoi Nadav et Avihou, constatant eux aussi cette présence de la Chekhinah au cours de ce repas, se sont considérablement élevés, au point que Dieu s’est révélé à eux. Alors, au lieu de se couvrir la face au moment de ce dévoilement, comme Moïse le faisait sans cesse (« Moïse se couvrit le visage, craignant de regarder le Seigneur » (Exode 3, 6)), ils ont contemplé la gloire de l’Eternel, si bien que la colère de Dieu s’est enflammée contre eux, leur reprochant de vouloir prendre la place de Moïse sans pour autant se comporter comme lui, qui se voilait le visage, alors qu’eux n’avaient pas hésité à regarder la Chekhinah dès sa première apparition. Il ne les a pas punis immédiatement pour ne pas abîmer la joie de l’occasion, mais il n’en reste pas moins que leur façon de vouloir s’élever et adhérer à Dieu était erronée.

Il ressort de tout ce qui précède que même sans voir Dieu, l’homme doit croire en Lui et Le servir, voir et sentir Sa présence en chaque chose. Quand un serviteur qui voit continuellement son maître le sert avec droiture, cela n’a rien de surprenant. Mais s’il travaille avec ardeur en rajoutant même des heures sans voir son maître et sans demander de salaire, sa récompense est très grande, car il s’affaire même en l’absence de son maître, si quelqu’un fait une bêtise il la répare rapidement pour ne pas l’irriter, et il trouve son bonheur dans le fait que son travail soit exécuté parfaitement. Il mérite donc le nom de serviteur droit et bon, et il est certain que son maître ne lui ménagera pas sa récompense. C’est ainsi qu’il en va de tout juif, qui sert Dieu avec joie et droiture même sans le voir, et dont la récompense est considérable.

C’était l’attitude de Moïse, et il l’a enracinée dans le cœur de chaque ben Israël. Il aurait toujours eu la possibilité de contempler Dieu, qui parlait avec lui, ainsi qu’il est écrit : « C’est l’image de Dieu même qu’il contemple » (Nombres 12, 8). Pourtant il préférait se couvrir le visage d’un voile (« Moïse remettait le voile sur son visage » (Exode 34, 35)), car il ne voulait pas regarder Celui qui gouverne le monde entier, et qu’on peut servir sans le voir, par la seule conscience de Son existence. Nadav et Avihou ont voulu Le voir véritablement, et ils ont été punis, car ils auraient dû prendre exemple sur Moïse. Ils ressemblaient au serviteur qui ne sert son maître que lorsqu’il le voit, alors qu’il faut servir Dieu en toutes circonstances pour arriver à adhérer à Lui et à Ses mitsvoth.

 

L’effacement devant le tsaddik
Table de matière
La faute de Nadav et Avihou et leur infinie grandeur

 

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