Se souvenir de la sortie d’Egypte chaque jour : une mitsva intemporelle

La fête de Pessa’h porte aussi le nom de « fête de la délivrance » et « fête de la liberté ». En effet, elle commémore la libération – tant physique que spirituelle – de nos ancêtres de la servitude égyptienne.

Tout Juif a l’obligation de garder en mémoire, tous les jours de sa vie, celui de cette délivrance (cf. Devarim 16:3), même si, personnellement, il ne l’a pas vécue. Car si nos ancêtres étaient restés en Egypte, nous et nos enfants y serions encore et donc, cette libération nous concerne au plus haut point. D’une certaine manière, c’est donc comme si nous-mêmes avions été délivrés.

Quelques points restent cependant obscurs :

Pourquoi la Torah nous a-t-elle ordonné de nous souvenir de cet évènement chaque jour ? Ne pouvait-on se contenter d’en évoquer le souvenir quelques fois par an ? En outre, pourquoi rappelle-t-on cet évènement-clé à chaque fête ? Quel est le lien entre les différentes célébrations du calendrier et la sortie d’Egypte ? Enfin, quel est le rapport entre l’époque où nos ancêtres ployaient sous la botte égyptienne et la nôtre, où nous jouissons d’une liberté certaine ?

Dans la Torah, on peut lire : « C’est une nuit de gardes pour l’Eternel (…), [une nuit] de gardes pour tous les enfants d’Israël à toutes les générations. » (Chemot 12:42) Ainsi, la Torah elle-même définit la nuit de Pessa’h comme un moment prédestiné, pas seulement pour cette génération, mais pour toutes les autres, la nôtre comprise.

Cela dépend toutefois du ressenti de l’homme. Est-il capable de s’éveiller et de percevoir la souffrance de la servitude égyptienne ? Si l’on se met à la place de nos ancêtres, on réalisera ce que représentait cet esclavage – une privation de sa liberté, entravant totalement l’accomplissement de la Torah et des mitsvot. Seule la liberté retrouvée à la sortie d’Egypte était à même de permettre de se rapprocher de nouveau du Créateur. S’il n’est pas capable de concevoir cela, se considérant comme toujours libre, il ne pourra se représenter la souffrance des enfants d’Israël dans le creuset d’Egypte et la fête de Pessa’h ne pourra vibrer en lui.

Il est donc fondamental de faire ce travail d’imagination : ressentir dans sa chair la dureté de l’esclavage pour mieux intérioriser ce que représente la liberté. Même les plus grands tsaddikim doivent fournir cet effort, car l’attribut de la liberté ne s’éveille que si l’on s’y prépare. Dans le cas contraire, l’attribut de la servitude emplit tout son être au point qu’il devient incapable de ressentir la véritable liberté. En nettoyant et en purifiant sa maison de toute trace de ‘hamets avant la fête, on éprouve dans une certaine mesure ce que représente l’esclavage. Ainsi, lorsque Pessa’h arrive, on pourra ressentir la liberté. En d’autres termes, un travail tant physique que mental sont nécessaires pour concevoir la liberté.

A ce titre, tout autant nécessaire est la émouna, la foi de l’homme dans le miracle de Pessa’h et la sortie d’Egypte, dans l’esprit de l’affirmation : « Même si tes yeux ne l’ont pas vue, ton âme l’a vue ». Ce sentiment permet de ressentir la sortie d’Egypte comme si on l’avait vécue. Ce travail doit toutefois être entrepris avant Pessa’h ; c’est avant la fête qu’il faut ressentir la sortie d’Egypte, tandis qu’après celle-ci, il faut rester dans l’état d’esprit qui devait être celui de nos ancêtres suite à celle-ci. On ressentira alors assurément la sortie d’Egypte comme si l’on y était vraiment. Si ce n’est pas le cas, on ne pourra percevoir le miracle et, tout autant, la réalité de l’existence divine.

Néanmoins, peut-on se demander, comment un homme libre toute l’année peut-il ressentir qu’il était esclave et vient d’accéder à la liberté ? N’ayant jamais eu ce statut, comment peut-il se mentir à lui-même en prétendant que telle était sa condition et qu’il a été délivré ?

La réponse est qu’un serviteur de D. est toujours sensible aux obstacles qui peuvent entraver son Service. L’essentiel du miracle de Pessa’h est, dans cet esprit, de se représenter que nous étions sous la servitude de Paro – le mauvais penchant – et que nous en avons été libérés pour nous placer sous le joug du Créateur, que nous pouvons à présent servir en toute liberté, ce qui alors n’était pas le cas.

Un homme libre qui n’a pas ce ressenti ne pourra accomplir l’injonction de nos Maîtres (Pessa’him 116b) : « A chaque génération, l’homme a l’obligation (‘hayav) de se considérer comme étant lui-même sorti d’Egypte. » Nous avons déjà mentionné la difficulté que présente cette injonction : comment peut-on imposer à un homme libre de ressentir la servitude, se mentant à lui-même ?

Le Maarakhé Lev répond remarquablement à cette question : « Celui qui considère de façon superficielle l’ère messianique n’y verra que l’aspect décrit dans le verset (Mikha 4:4) : “et chacun résidera sous sa vigne et sous son figuier” [prophétie qui semble se rapporter au domaine matériel]. Mais en vérité, l’ère messianique sera caractérisée par une vie seulement spirituelle. » Dans le même ordre d’idées, le Ram’hal écrit que, même au cœur de l’exil, le tsaddik vit déjà une existence messianique. Qu’entend-il par là ? De même qu’après la venue du rédempteur, tous vivront une existence spirituelle, pour lui, c’est déjà le cas de son vivant.

Pour en revenir au sujet de la sortie d’Egypte, on peut donc avancer qu’à travers le labeur physique effectué dans son intérieur pour éliminer toute trace de ‘hamets, le Juif s’identifie à ses ancêtres qui servirent les Egyptiens de manière plus dure encore. Il peut alors pleinement ressentir le sentiment de liberté auquel ils accédèrent ensuite, puisque, pour cela, il est indispensable de passer au préalable par un réel ressenti de l’esclavage.

Le Gaon de Vilna souligne qu’à chaque fois que le terme ‘hayav est employé, il est question d’une mitsva, au sens strict du terme. Mais comment donc parvenir à observer pleinement cet ordre de se considérer comme étant soi-même sorti d’Egypte, alors que, dans les faits, on n’y a pas participé ? Justement en recherchant, avant Pessa’h, le ‘hamets de manière approfondie, en vérifiant dans les moindres recoins et en recherchant la plus petite miette. En nous conformant à cette obligation, nous ressemblons à un pauvre qui fouille les poubelles à la recherche de quelque infime reste de nourriture. Cet indigent ressent à n’en pas douter un sentiment de servitude intense, tel que nous donne cette recherche si poussée du ‘hamets. Quand arrive le soir du séder et que l’on s’accoude paisiblement comme un homme libre, quel sentiment de liberté !

Cela va nous permettre de répondre aux questions posées en début de développement. C’est précisément à Pessa’h que le Créateur nous a ordonné de nous rappeler chaque jour la sortie d’Egypte, afin que nous passions chaque jour par cette trajectoire bipolaire – du sentiment de l’asservissement à la conscience de la liberté – et nous rapprochions constamment de Lui.

Dans cette problématique se situe le nœud du lien entre la sortie d’Egypte et les différentes fêtes de l’année, car c’est toute l’année que nous devons cultiver ce souvenir. C’est aussi le nœud du lien entre cette époque si reculée et la nôtre : même si de nos jours, nous jouissons de la liberté, nous devons toujours garder en mémoire l’asservissement de nos pères en Egypte, afin de pouvoir ressentir, chaque jour et à chaque instant, la véritable liberté. Cela nous mènera prochainement, si D. veut, à la Délivrance finale ! Amen !

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