Récit de la sortie d’Egypte

Outre les multiples mitsvot liées à Pessa’h, comme le sacrifice de l’agneau pascal, la consommation de la matsa et du maror, il existe une obligation unique en son genre : le récit de la sortie d’Egypte, ainsi présenté : « Tu raconteras à ton fils en ce jour en disant : C’est pour cela que l’Eternel a agi en ma faveur quand je sortis d’Egypte. » (Chemot 13:8). En marge, Rachi note : « pour que j’accomplisse Ses mitsvot, telles que celles de pessa’h (« sacrifice de l’agneau pascal »), matsa et maror ». Pourquoi lors des autres fêtes, n’est-il fait mention d’aucune mitsva de cet ordre, d’un récit qui en expliciterait les raisons ?

En vérité, toutes les fêtes que nous célébrons sont liées à la sortie d’Egypte, car nous n’aurions pas eu le mérite de les fêter si l’Eternel ne nous avait pas fait sortir d’Egypte. De ce fait, la Torah met l’accent sur cette mitsva de relater la sortie d’Egypte à Pessa’h, considérée comme la « tête » de toutes les autres fêtes et de tous les mois, ainsi qu’il est dit (Chemot 12:2) : « Ce mois-ci est pour vous le premier (litt. la tête) des mois ».

Mais la Torah va plus loin lorsqu’elle nous demande de nous « étaler » dans ce récit, afin de développer en nous le sentiment et l’impression que cet évènement fait partie de notre présent, qu’il se déroule sous nos yeux et que nous en sommes les acteurs – tel est le sens de l’obligation de « se considérer comme étant soi-même sorti d’Egypte » (Zeva’him 116a).

C’est d’ailleurs pour la même raison qu’au moment où nous faisons ce récit, le soir du séder, se trouve devant nous un plateau garni d’un os, en souvenir du korban Pessa’h, de matsa et de maror, afin qu’à chaque instant de cette soirée, nous ressentions avec acuité l’actualité de ces évènements. Notre récit prend ainsi une autre dimension ; il devient vivant, interactif, comme si tout nous concernait au plus haut point, se passait au présent.

Le Rambam, dans son Séfer Hamitsvot (mitsva 157) abonde dans le même sens : « Il nous a été enjoint de raconter la sortie d’Egypte la nuit du 15 Nissan, dès le début de la nuit, selon la loquacité du narrateur. Plus on développera ce récit en soulignant l’ampleur de l’intervention divine face à celle de la servitude et de la cruauté égyptienne, et les représailles du Créateur, plus on Le louera pour tout le bien qu’Il nous a dispensé, mieux ce sera – comme disent nos Sages : “Celui qui prolonge ce récit est digne de louanges.” »

Nous évoquons chaque nuit la sortie d’Egypte, dans la prière d’Arvit, en vertu du principe qui veut qu’on fasse ce rappel la nuit (cf. Berakhot 1:5), note le Min’hat ‘Hinoukh. Dès lors, demande-t-il, pourquoi le Rambam établit-il le récit du soir de Pessa’h comme une obligation distincte ?

À priori, la réponse semble être que, tout au long de l’année, nous nous contentons de mentionner brièvement cet évènement au cours de la prière, sans nous étaler davantage. En revanche, la nuit de Pessa’h, on ne saurait se contenter d’une mention a minima ; au contraire, nous devons alors insister sur l’enchaînement des faits et revenir en détail sur tout leur historique, du début à la fin. C’est pourquoi il faut alors se montrer si prolixe, toute verve étant, à ce titre, digne de louanges, en cela qu’elle embellit cette grande mitsva.

Il existe à cet égard une autre différence de fond entre les autres nuits et celle du séder. En effet, tout au long de l’année, nous évoquons la sortie d’Egypte pour nous-mêmes, ce qui n’est pas le cas de la nuit de Pessa’h, où nous devons partager ce récit avec d’autres, qui ne le connaissent pas, comme le suggère le texte lui-même (Chemot 13:8) : « tu raconteras à ton fils ». C’est là l’idée développée par le Héguioné Halakha au nom de Rabbi Yichmaël Hacohen et du fils du Gaon de Vilna, Rabbi Avraham.

Nous comprenons à présent pourquoi le Rambam considère cette mitsva du récit de la sortie d’Egypte le soir de Pessa’h comme une mitsva à part entière, distincte de la mention succincte qui en est faite chaque soir dans la prière d’Arvit. En effet, à l’heure où l’os, la matsa et les herbes amères s’offrent à notre vue, ce souvenir arbore une dimension bien plus concrète ; on ressent alors cette sortie d’Egypte dans notre chair, comme si nous la revivions. Dans le même ordre d’idées, on raconte que l’Admour de Lelov zatsal et nombre d’autres tsaddikim avaient alors coutume de placer un ballot sur leurs épaules la nuit du séder, afin d’accomplir au pied de la lettre le verset (Chemot 12:34) : « leurs restes attachés à leurs vêtements sur leurs épaules ».

Nous allons à présent tenter d’éclaircir, à la lumière de toutes ces explications, le principe présenté par Rabban Gamliel (Pessa’him 10:5) : « Celui qui n’a pas fait mention des trois éléments suivants ne s’est pas acquitté de son obligation ; il s’agit de pessa’h, matsa et maror. » On pourrait objecter que tous ces éléments apparaissent clairement dans notre récit de la sortie d’Egypte. Pourquoi, dans ce cas, faut-il de nouveau les mentionner séparément, au point que si l’on s’en abstient, on n’est pas quitte de la mitsva ?

En outre, s’interrogent le Maharcha, le Tsla’h et le Aroukh Lanèr, c’est la seule occurrence d’une mitsva qui doit impérativement être assortie d’explications. D’habitude, on se contente de la récitation d’une bénédiction, tandis qu’ici, il faut à chaque fois en expliquer la raison. Comment cela se fait-il ?

Notre réponse permettra également de comprendre l’avis de Rabban Gamliel selon lequel, même si l’on s’attarde toute la nuit sur les détails du récit de la délivrance d’Egypte, conformément aux recomman- dations de nos Maîtres, on ne saurait faire l’impasse sur la mention plus concise de ces trois éléments, du fait qu’on aura peut-être manqué quelques passages importants. Cette trilogie remplira donc le même office en cela qu’elle condense l’ensemble du récit de l’esclavage et de la délivrance.

De plus, au moment où l’on soulève, tour à tour, chacun de ces aliments, on peut intérioriser le sentiment de liberté donné par la sortie d’Egypte, comme si celle-ci était un évènement de notre présent. Ce geste physique du rituel, loin d’être anodin, fait ainsi participer tout notre corps à ce mouvement de libération.

Voilà la raison pour laquelle le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 477:1) statue qu’il faut se montrer pointilleux quant à l’heure de consommation de l’afikoman, qui doit impérativement être mangé avant ‘hatsot (minuit astral). Et le Michna Beroura d’expliquer que, du fait qu’il s’agit d’un souvenir du korban Pessa’h, les mêmes restrictions temporelles s’y appliquent (cf. Zeva’him 5:8). A plus forte raison, il faudra impérativement éviter de consommer le premier kazaït <*44>44@G de matsa, sur lequel on récite la bénédiction concernant cette mitsva, après ‘hatsot. Ainsi, il est fondamental d’accomplir ces mitsvot à l’heure où les Hébreux le firent en Egypte, afin de ressentir la délivrance de ce pays de manière personnelle.

Pour répondre au Maharcha, au Tsla’h et au Aroukh Lanèr, cette mitsva diffère fondamentalement de toutes les autres : d’habitude, l’essentiel est l’accomplissement en soi, auquel cas la bénédiction puis l’acte concret qui s’ensuit sont suffisants. Mais, concernant la mitsva de relater la sortie d’Egypte, chaque point doit être détaillé, expliqué, car une part non négligeable de celle-ci est de se sentir au plus haut point concerné par cet évènement, de le revivre, ce que permettent les explications de chaque détail.

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