Pessa’h et la matsa, symboles de l’humilité

Nos Sages affirment (Pessa’him 6b ; Meguila 29b) : « On se penche sur les halakhot spécifiques de Pessa’h dès trente jours avant la fête. » Pourquoi ne pas commencer l’étude de ces lois une ou deux semaines avant seulement ?

Pourquoi, par ailleurs, le Chabbat précédant cette fête est-il appelé Chabbat Hagadol ? Cette fête porte en outre d’autres noms – ‘hag haguéoula (« fête de la délivrance »), ‘hag ha’hérout (« fête de la liberté »), etc. –, aussi pourquoi utilise-t-on principalement le nom de Pessa’h ? Pourquoi ne pas lui avoir préféré le nom, autrement plus éloquent de « fête de la sortie des enfants d’Israël d’Egypte – ‘hag yetsiat bné Israël méérets mitsraïm » ?

Il se pose une autre question, de taille. La Torah mentionne le fait qu’à leur sortie d’Egypte, « ils ne s’étaient pas munis de provisions » (Chemot 12:39). Pourtant, si les Hébreux savaient que le 15 Nissan, ils seraient libérés, pourquoi ne se préparèrent-ils pas de victuailles pour la route ? Nos Sages (Mekhilta Chemot 13:79) vont jusqu’à dire qu’au moment où Paro entendit l’annonce de la mort des premiers-nés, il fut pris de terreur, étant lui-même aîné, et c’est pourquoi il chassa immédiatement les enfants d’Israël, ne leur laissant pas le moindre laps de préparation.

Cette absence totale de préparatifs est d’autant plus étonnante que les enfants d’Israël étaient pourvus de familles très nombreuses – chaque naissance était celle de sextuplés (Chemot Rabba 1:8). La responsabilité qu’impliquait une telle charge parentale aurait dû les rendre plus prévoyants. Comment comprendre ce qui peut, de ce point de vue, passer pour une négligence ?

La valeur d’une alimentation cachère

Avant de répondre à toutes ces questions, je vais vous rapporter le fait qui m’est arrivé lors d’un de mes voyages en avion. Lors du vol, je remarquai un Juif portant ostensiblement sur la poitrine une étoile de David, et qui, pourtant, consommait sans vergogne la nourriture non cachère offerte par le personnel de bord, ainsi que le vin proposé.

Du fait que cet homme voyageait en première classe en compagnie d’autres personnes, je n’eus pas au départ l’occasion de converser avec lui. Aussi me contentai-je d’interroger une des hôtesses de l’air à haute et intelligible voix : avait-il été prévu de la nourriture cachère pour tous les Juifs se trouvant à bord de l’appareil ? Pour ma plus grande déconvenue, elle me répondit que ce n’était pas le cas. Pire, même la ration que j’avais commandée au préalable avait été oubliée. Je me plaignis alors : il était scandaleux que l’on néglige de prévoir un plat cachère pour qui en avait commandé !

Toute cette « mise en scène » visait, de fait, à attirer l’attention de ce Juif, sur le fait que je récriminais contre l’absence de nourriture cachère à bord du vol. Peut-être cela lui rappellerait-il qu’après tout, il était tout aussi Juif que moi et devait donc s’efforcer de ne consommer que de la nourriture permise selon la loi. Hélas, en vain ! Ce Juif se gaussa plutôt de ma déconvenue et continua, comme si de rien n’était, à manger cette nourriture interdite, avec ses compagnons de voyage.

Pendant la suite du vol, qui était très long, j’abordai ce Juif en lui demandant du feu pour allumer une cigarette, et il me demanda quelle était ma destination, et si je partais en vacances ou me rendais dans une communauté juive. Je lui répondis que là où j’allais, il y avait, grâce à D., une petite communauté composée de personnes qui faisaient leur maximum pour accomplir Torah et mitsvot. Cette communauté était le but de mon voyage. Ce n’était pas un simple voyage d’agrément.

Après cela, je continuai à discuter avec lui de judaïsme et, de fil en aiguille, nous abordâmes la question de la nourriture cachère. Je lui expliquai que l’on devait observer les mitsvot dans toutes les situations. « Nombreuses sont les personnes qui sont prêtes à souffrir pour préserver la pureté de leur corps, se privant d’aliments et de vins non-cachère, lui dis-je. Car ceux-ci “bouchent” le cœur, ils atténuent la sensibilité à la sainteté (Yoma 39). A cause de cette nourriture non-cachère qu’il a absorbée, l’homme établit une paroi entre lui et le Créateur. Sans même sans apercevoir, il s’éloigne de Lui. »

Toujours persuadé d’être dans son bon droit, l’autre me rétorqua : « J’ai foi en D. et dans les tsaddikim même si je ne mange pas toujours cachère. Tous les matins, je mets les tefillin, et chez moi, je mange cachère. » Je lui répondis qu’il n’est pas possible de croire en D. sans croire en la Torah et les mitsvot, car c’est alors une émouna factice. On ne peut pas se lier au Maître du monde par la pose des tefillin alors qu’on a le cœur et le cerveau gâtés par la consommation d’aliments non cachère. On ne peut pas non plus être croyant que chez soi, manger cachère à la maison, et se comporter comme un hérétique au-dehors en mangeant n’importe quoi.

Au bout de deux heures de conversation à bâtons rompus, mon interlocuteur me demanda de quelle ville je venais.

« De Lyon », lui répondis-je.

Il se leva alors soudainement et me demanda : « Est-ce que vous connaissez le Rav Pinto, de Lyon ? Mon père va souvent le voir. »

« Il est assis depuis deux heures à tes côtés et discute avec toi ! »

Confondu, il se mit à bégayer : « Je suis désolé d’avoir mangé non-cachère à côté de vous, et à partir de ce jour, je m’efforcerai de toujours manger cachère. »

Je lui dis : « Tu as honte d’avoir mangé non-cachère à côté de moi, parce que tu avais entendu parler de moi, même si tu ne me connaissais pas. Si tu m’avais identifié plus tôt, tu n’aurais pas mangé cette nourriture non-cachère, même si le voyage avait duré plusieurs jours. S’il en est ainsi, comment peux-tu dire que tu crois en D. tout en continuant à manger non-cachère, alors qu’Il est présent partout, à tout moment ? C’est la preuve que ta foi n’est pas sincère, pas intégrée (Baba Metsia 49a ; Bamidbar Rabba 7:4). Si le Nom divin était gravé en toi, tu n’aurais pas osé manger un aliment non-cachère.

« C’est là l’œuvre du mauvais penchant, qui pousse l’homme à prétendre qu’il est croyant, et même à mettre les tefillin tous les matins, tandis que par ailleurs il l’empêche de croire en D. de façon sincère. C’est exactement le sens de ce qui est écrit dans le psaume 78 (versets 36-37) : “Ils L’amadouaient avec leur bouche, en paroles ils Lui offraient des hommages menteurs, mais leur cœur n’était pas de bonne foi à Son égard ; ils n’étaient pas sincèrement attachés à Son alliance.”

« Sais-tu pourquoi Hachem ne veut pas que l’on mange non-cachère ? repris-je. Il existe de nombreuses raisons mais, selon moi, la cause essentielle est la suivante : il y a des animaux que la Torah interdit de consommer, et d’autres qu’elle permet à la consommation, établissant une première distinction, qui n’est certainement pas arbitraire. Elle correspond à la volonté du Créateur. La vraie raison n’est connue que de Lui seul.

« Mais même en ce qui concerne ces animaux qui nous sont permis, on ne peut les manger qu’après une che’hita <*45>45@G cachère, en bonne et due forme. Or, qu’est-ce que la che’hita ? C’est le symbole de la soumission à D. et de la modestie, que nous pouvons d’ailleurs observer dans l’attitude de ces animaux. Comment s’illustre-t-elle ? Cette bête, à qui on va faire la che’hita et qu’on va sacrifier devant le Créateur, avance avec joie, courbant l’échine en signe d’annulation et de soumission.

« Au-delà de cette explication, ces bêtes, dont la consommation nous est permise, savent que nous les mangeons afin de prendre des forces pour servir D. C’est pourquoi elles sont soumises et se sacrifient avec joie pour notre subsistance, “conscientes” que grâce à elles nous nous fortifions pour remplir notre mission. Elles sont donc un exemple pour nous de soumission absolue au Très-Haut. »

C’est aussi la raison pour laquelle la consommation de sang (dam), qui fait allusion à l’orgueil (le terme gaava a une valeur numérique équivalente, plus ou moins un, à trois fois dam), nous est interdite. Adam (« l’homme ») a une guematria de 45 ; à un près, cela équivaut à celle de dam. C’est dire combien l’homme ne peut effacer toute trace d’orgueil et se comporter avec humilité et effacement qu’en s’inspirant de la bête sacrifiée devant le Créateur. L’orgueil doit être « réservé » au Service divin, dans l’esprit du verset (Divré Hayamim II 17:6) : « Son cœur s’enorgueillit dans les voies du Seigneur. »

Ce point se trouve allusivement évoqué dans le nom de tout homme (adam), dérivé du terme désignant le flux vital (dam) qui coule dans ses veines et qu’il doit soumettre à son Créateur, afin de ne pas tomber dans l’orgueil, la colère, la jalousie ou la haine. Car, comme nous l’avons dit, l’orgueil – de même valeur numérique que le Nom Y-a – ne sied qu’à D., dans l’esprit du verset (Tehilim 93:1) : « L’Eternel règne, paré d’orgueil ».

Ce Nom se retrouve allusivement dans ceux de l’homme (ich) et de la femme (icha), respectivement à travers le youd et le hé, comme pour évoquer le fait qu’Il les a créés. D’ailleurs, lorsque la discorde prévaut, la Présence divine disparaît et le seul dénominateur commun qui leur reste est ech – un feu dévorant (Sota 17a).

A cet égard, lorsque l’homme se garde de consommer des aliments interdits, il parvient à se détacher de tous ces vices que sont l’orgueil, la convoitise, l’envie, pour ne s’attacher qu’aux vertus.

Trente jours contre l’orgueil

Cette analyse, basée au départ sur un fait réel, nous permettra de répondre à notre première question, concernant les trente jours d’apprentissage préalables à la fête de Pessa’h. Le but est de nous permettre d’arriver à la fête, le 15 Nissan, dans cet idéal d’homme (adam) raffiné dans ses moindres traits de caractère.

En effet, la gaava (« l’orgueil ») a une guematria de 15, comme la date de cette fête. Or, si l’on ajoute 30 à ce nombre, on obtient la guematria du mot adam ! Cela met en exergue le fait que, pendant ce laps de temps de Pourim à Pessa’h, il nous est donné une possibilité unique d’annuler toute trace d’orgueil, de « ‘hamets » (cf. Berakhot 17a). On peut ainsi arriver à Pessa’h dans un esprit d’effacement, à l’image de la matsa, si humblement plate. C’est aussi l’occasion de changer la nature de notre sang, d’éviter qu’il ne soit trop « chaud » et bouillonnant pour les envies de ce monde, et qu’il ne fasse preuve de cette chaleur que pour le Service divin.

C’est pourquoi nos Sages expliquent qu’au cours du Chabbat Hagadol, les Hébreux attachèrent l’agneau, idole des Egyptiens, au pied de leurs lits, aux yeux de ceux-ci (Zohar III 251b), tout autant médusés que muets. Cela constituait une allusion à la nécessité d’être attaché au Tout-Puissant, allusion communiquée précisément par cette bête cachère destinée à être sacrifiée, qui se soumet à l’abattage avec une humilité dont nous devons nous inspirer.

Le nom du Chabbat précédant Pessa’h – Chabbat Hagadol – traduit cette grandeur acquise par les enfants d’Israël, qui annulèrent leur ego devant le Créateur, atteignant ainsi la véritable humilité. Lorsqu’arriva la nuit de Pessa’h, où la mort des premiers-nés était prévue, et que D ; vit le sang de l’agneau badigeonné sur les linteaux et les montants des portes des maisons juives, Il en conclut que les Hébreux se comportaient avec humilité en cela qu’ils Lui avaient inféodé le sang – toute leur impétuosité – ; c’est pourquoi Il « sauta » par-dessus leurs demeures.

C’est également pourquoi, de toutes les appellations de la fête, c’est celle de Pessa’h qui est privilégiée, en rappel de ce saut (passa’h) du Créateur comme conséquence de la modestie des enfants d’Israël, base et préparation au don de la Torah le 6 Sivan.

Le linteau, à travers sa position élevée, évoque d’ailleurs l’orgueil. En répandant le sang de l’agneau sur celui-ci, les enfants d’Israël démontrèrent qu’ils inféodaient tout sentiment d’orgueil au Créateur, privilégiant dans leur comportement une humilité de bon aloi. En outre, la mezouza, sur laquelle est inscrit le Nom divin, représente notre lien au Créateur.

Ceci nous permet également de comprendre pourquoi nous mangeons de la matsa à Pessa’h, à l’exclusion de tout ‘hamets, nourriture « gonflée » qui symbolise l’orgueil. Du fait qu’en Egypte, les Hébreux étaient plongés dans les quarante-neuf degrés d’impureté (Zohar ‘Hadach Yitro 39a), le Créateur voulait qu’ils se repentent et reviennent à un état d’esprit humble, et c’est pourquoi Il leur ordonna cette consommation.

A présent, le fait que les enfants d’Israël se soient abstenus de préparer des victuailles prend tout son sens. Pris de modestie, ils avaient annulé tout leur être, toute leur essence devant le Créateur. Celui-ci ne leur ayant pas ordonné de préparer des victuailles, ils sortirent sans provision, armés d’une foi pure, de modestie et d’un effacement absolu devant le Créateur – comportement dont l’Eternel leur gardera souvenir, comme l’évoque le prophète : « Ainsi parle l’Eternel : Je te garde le souvenir de l’affection de ta jeunesse, de ton amour au temps de tes fiançailles, quand tu Me suivais dans le désert, dans une région inculte. » (Yirmyahou 2:2)

Au-delà, les enfants d’Israël prirent bien note de ce qu’il leur était permis ou non de consommer à Pessa’h, prescriptions qu’ils acceptèrent sans rien y redire, avec une humilité parfaite. En outre, bien qu’ils fussent alors, pour reprendre les termes du verset, dans l’étape appelée « ’hessed néourayikh » – traduit ici par « l’affection de ta jeunesse » –, terme pouvant être rapproché de « ménouarim », en allusion à leur état de dénuement en mitsvot, D. leur en donna deux – le sang du sacrifice pascal et de la mila (Mekhilta Bo 12:6), qui leur donnèrent le mérite d’être délivrés d’Egypte.

Or, et c’est là qu’intervient la notion d’aliments non-cachère, ce n’est que si l’on mange cachère que l’on peut mériter cela. L’importance de ce point apparaît clairement dans la Parachat Chemini, où est rapportée la section concernant les aliments non-cachère. L’huile évoque ce qui est gras, et donc l’orgueil, afin d’apprendre à tout homme à se placer au niveau de chemini (litt. « huit »), dimension au-delà de la nature, à cultiver une sainteté et une pureté exceptionnelles en se tenant à l’écart du chémen, de toutes les « graisses interdites » et autres, qui maculent son cœur et son cerveau.

Tout homme doit donc se sanctifier et se purifier même dans ce qui lui est permis (cf. Yevamot 20a), prendre notamment extrêmement garde à la nourriture qu’il ingère, et il atteindra alors la dimension du chemini – le niveau du chiffre huit et l’orgueil au seul service du Créateur (cf. Divré Hayamim II 17:6).

Voilà pourquoi la section concernant les aliments interdits se trouve dans la paracha de Chemini, afin d’évoquer la pureté et la sainteté qu’apporte une alimentation cachère, qui permet d’accéder à la crainte du Ciel et d’acquérir la Torah.

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