Israël face à l’Egypte – matsa contre ‘hamets

Dans la Torah, on peut lire : « Ils firent cuire la pâte qu’ils avaient emportée d’Egypte, des gâteaux-matsot, car elle n’avait pas fermenté ; parce que, repoussés de l’Egypte, ils n’avaient pu s’attarder (…) » (Chemot 12:39)

Ce verset laisse entendre que la seule raison pour laquelle les enfants d’Israël firent des matsot est leur sortie précipitée d’Egypte, qui ne permit pas à leur pâte de lever. Pourtant, on sait par ailleurs que le Créateur Lui-même leur ordonna de consommer de la matsa en lieu et place de ‘hamets, comme il est dit (ibid. 12:20) : « Vous ne mangerez d’aucune pâte levée ; dans toutes vos demeures vous consommerez des pains azymes. » Comment concilier cet impératif absolu avec l’idée d’une matsa issue du concours de circonstances de ce départ hâtif – sans quoi les Hébreux auraient, semble-t-il, consommé du ‘hamets !?

La réponse à cette problématique met en relief un puissant miracle : d’un côté, D. avait demandé aux Hébreux de ne pas consommer de ‘hamets, et même de le brûler et d’annuler toute trace se trouvant en leur possession. Ainsi, ils pourraient se préparer à la formidable éclosion qui devait suivre la sortie d’Egypte. Leurs corps purifiés, ils deviendraient dignes du don de la Torah, en vertu du principe selon lequel il n’était pas convenable de donner la Torah à des hommes affublés de tares – ce pourquoi, tous les défauts physiques furent soignés à ce moment-clé (Vayikra Rabba 18:4).

Ceci rejoint par ailleurs l’enseignement de nos Sages (Maccot 24a ; Tan’houma Tetsé 2) selon lequel les 248 membres et 365 tendons du corps humain font pendant aux 613 mitsvot. Dès lors, si l’on porte atteinte à une mitsva, on touche également le membre correspondant. Par conséquent, dire que les enfants d’Israël opérèrent un travail de « réparation » sur leurs 248 membres et 365 tendons à l’approche du don de la Torah, c’est dire qu’ils furent aussi guéris physiquement.

Cependant, d’un autre côté, les Egyptiens pressèrent les enfants d’Israël de sortir d’Egypte, afin que ceux-ci n’aient pas le temps de cuire leurs matsot et de les priver ainsi de mitsvot. Car si l’on n’enfourne pas les matsot, elles fermentent, ce qui nous empêche de réaliser cette mitsva.

Ce point était en soi une grande épreuve pour les Hébreux. En effet, si le Tout-Puissant leur avait ordonné de cuire leurs matsot quelques jours auparavant, leur laissant le temps de les préparer tranquillement afin qu’elles soient prêtes le jour de leur sortie, les Egyptiens n’auraient pu les perturber. Mais en leur ordonnant de les cuire au dernier moment, le Créateur voulait leur faire réaliser que leur éclosion coïnciderait précisément avec la dernière plaie assenée aux Egyptiens.

Ainsi, le Tout-Puissant leur ordonnait la chose suivante : « A l’instant où les Egyptiens viendront vous presser de sortir d’Egypte, ne les écoutez pas et ne vous laissez pas séduire par leurs richesses, qu’ils pourraient vous céder en guise de pot-de-vin, mais continuez imperturbablement la cuisson des matsot, ainsi que Je vous l’ai ordonné dans la Torah, sans abandonner la pâte, alors irrémédiablement condamnée à gonfler, à devenir ‘hamets – ce que les Egyptiens visaient en fait. »

Ainsi, si une lecture superficielle du texte donne l’impression que les enfants d’Israël s’étaient hâtés de cuire leurs matsot à cause des Egyptiens, comme le suggèrent notamment les versets : « Et le peuple emporta sa pâte avant qu’elle lève » (Chemot 12:34) et « parce que, repoussés de l’Egypte, ils n’avaient pu s’attarder (…) » (Chemot 12:39), il n’en est rien. Car la confection et la cuisson des matsot ne relevaient que de l’ordre divin et non d’une difficile conjoncture.

Cela nous permet de mesurer l’ampleur de la perversité des Egyptiens, qui, même à l’heure de détresse de leurs ennemis, voulaient les empêcher de cuire les matsot en vertu de la Volonté divine, en les pressant de quitter le pays. En filigrane, c’est leur volonté d’entraver la renaissance du peuple juif qui se dessine. Ils visaient ainsi à susciter la colère du Créateur sur Ses enfants, et à remettre en question leur délivrance.

Un autre fait concomitant est révélateur du machiavélisme égyptien. Nos Sages nous apprennent qu’avant la sortie d’Egypte, Moché Rabbénou rechercha les ossements de Yossef, afin de se conformer au serment : « Et Yossef adjura les enfants d’Israël en disant : Le Seigneur vous visitera, et alors vous emporterez mes ossements de là. » (Beréchit 50:25) Mais le guide du peuple juif se heurta à une difficulté : la dépouille mortuaire était introuvable. Séra’h, fille d’Acher, intervint alors, le conduisant auprès du fleuve pour lui indiquer l’emplacement du cercueil (Sota 13a). Ensuite, pour l’extraire de l’eau, il eut recours au Nom ineffable (Zohar Bechala’h).

Ce « parcours du combattant » ne semble pas cadrer avec la hâte des Egyptiens à voir leurs esclaves affranchis quitter le pays. De deux choses l’une : ou bien ils étaient pressés de voir les Hébreux partir, ce que suggère le fait qu’ils ne les laissèrent pas s’attarder ni préparer de provisions, ou bien ils cherchaient à les retenir, ce que semble indiquer cette absence de soutien dans la « recherche de l’arche perdue », sans laquelle ils ne pourraient quitter le pays.

De fait, connaissant la promesse des Hébreux à Yossef d’emporter avec eux ses ossements lors de leur sortie, c’est à dessein que les Egyptiens firent tout pour précipiter leur départ, les munissant d’ustensiles d’or, d’argent et de vêtements (Chemot 12:35), pourvu qu’ils quittent le pays au plus vite… sans le cercueil du tsaddik, trahissant ainsi leur promesse.

Non seulement cela aurait provoqué la colère divine, ce dont les perfides tortionnaires étaient pleinement conscients, mais cela aurait entravé l’ouverture de la mer. Car, comme l’indiquent nos Sages dans le Midrach (Beréchit Rabba 87:8), celle-ci se fendit devant le cercueil du tsaddik, autrement dit, par son mérite : « La mer vit [la dépouille du juste] et fuit. » (Tehilim 114:3) Le cas échéant, les enfants d’Israël seraient éternellement restés leurs esclaves !

Mais, dans sa grande sagesse, Moché Rabbénou s’attacha au contraire à réaliser cette promesse ultime avant la sortie d’Egypte, dans l’esprit du verset (Michlé 10:8) : « le cœur sage prendra des mitsvot ». Il cherchait ainsi à prémunir son peuple contre les vils desseins des idolâtres, qui le pressaient de partir afin de l’empêcher d’accomplir ces deux mitsvot – la préparation des matsot, en provoquant leur fermentation, et la réalisation de la promesse faite à Yossef. Ainsi, ces machinations échouèrent et le berger du peuple juif put le faire sortir d’Egypte, le tirer de l’impureté, pour le conduire vers la sainteté.

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