Reviens Israël vers l’Eternel
Ce monde est comparable à un grand magasin dans lequel, après être entré, l’homme tourne en tous sens, sans rien trouver. A sa sortie, on l’interroge : « Comment as-tu pu sortir les mains vides d’un si grand magasin ?! », question qui le laisse confus.
De même, lorsque l’homme descend ici-bas, il est doté d’une âme extrêmement élevée, de mains, de pieds, d’yeux… S’il demande : « Qu’y a-t-il à faire dans ce monde ? », on lui répond : « Il y a vraiment de quoi faire : la Torah, les mitsvot, les bonnes actions, ou bien, boire, manger, profiter. »
Cependant, pour son plaisir, notre homme flâne comme un badaud, il fait du « lèche-vitrine », sans rien acheter. Aussi, lorsqu’arrive l’heure de sa mort, il monte au ciel et, à la question : « Es-tu revenu bredouille ? N’as-tu pas ramené la plus petite mitsva ? », il bégaye, confondu : « Je n’ai pas eu le temps… »
Pour prévenir ce scénario cauchemardesque, le prophète nous lance l’appel divin (Hochéa 14:2) : « Reviens Israël, vers l’Eternel, ton D. », autrement dit : « revenez à D. afin d’éviter d’essuyer une telle honte ». Quelle bonté du Créateur que d’intervertir ainsi les rôles : plutôt que nous Lui demandions pardon, Il nous demande de revenir vers Lui, ouvrant en grand les portes pour accueillir notre techouva.
De toute évidence, l’homme a certainement commis des fautes et s’est complètement détaché du Créateur mais, s’il se repent, il peut atteindre un niveau supérieur à celui des tsaddikim et une intense proximité du Créateur l’accueillant « à bras ouverts ». Pour reprendre les mots du Rambam, « hier encore, il était honnis devant D., objet de dégoût et de rejet, une abomination, tandis qu’aujourd’hui, il est aimé, agréable et proche ».
Deux éléments permettant la techouva. Le premier se lit en filigrane à travers le principe : « Le Saint béni soit-Il voulut conférer du mérite (lezacot) à Israël, c’est pourquoi Il leur multiplia Torah et mitsvot. » (Maccot 23b ; Avot deRabbi Nathan 41:17) Explication : si l’homme accomplit une mitsva à la perfection, il en viendra certainement à accomplir toutes les autres et sera pur (zakh – à rapprocher du mot lezakot) et sans tache, à travers la techouva. D’autre part, l’âme de l’homme est une étincelle divine supérieure, qui pousse l’homme à la techouva et aux bonnes actions. De ce point de vue, même lorsqu’un homme est impie, il reste lié au Très-Haut à travers ce « cordon ombilical » et doit impérativement se secouer de sa torpeur, se souvenir de D. et revenir vers Lui.
Ce dernier point n’est cependant pas sans poser problème : si cette « chape d’amnésie » fait que l’homme oublie le Créateur, pourquoi D. a-t-il créé l’oubli, ferment des fautes. Le souvenir constant ne lui eût-il pas été préférable ?
De fait, il faut distinguer deux types d’oubli. Le premier, effet de la Miséricorde divine, permet à l’homme d’aller de l’avant. En effet, comme l’indiquent nos Maîtres (Pessa’him 54b), « le jour de la mort est dissimulé des hommes ». N’eut-ce été le cas, l’homme n’accomplirait pas de mitsvot car il s’attristerait constamment à cette idée.
Mais cette capacité d’oubli a son pendant négatif que le mauvais penchant exploite pour faire oublier à l’homme les notions de récompense et de punition, ainsi que la mort, si bien que l’homme continue tout le temps à pécher et ne se repent pas, et il n’est de pire oubli que celui-ci. Sous son effet, lorsqu’arrive le mois d’Elloul, le mauvais penchant surgit et fait oublier à l’homme le jour du jugement, au point que l’homme ne ressent plus la crainte du jugement.
Pour contrer cela et ressentir cette peur, figurons-nous que nous sommes des touristes dans ce monde et que rien n’y est fixe. Gardons toujours à l’esprit qu’une voix nous appelle au repentir (Hochéa 14:2) : « Reviens Israël jusqu’à l’Eternel ton D., car tu es tombé par ton péché. »
Si l’on garde toujours cela à l’esprit, on aura spontanément la volonté de faire techouva. Car si l’homme attend que D. l’appelle, combien cruel et amer sera son sort, car qui sait à quel point il s’est dégradé pour que D. ait besoin de l’appeler, de le réveiller et de le tirer de l’abîme. Aussi est-il préférable qu’il y pense tout seul et fasse techouva de son propre chef.
Ce point nous permet de comprendre le fond de la divergence de vue entre Hillel et Chammaï, divergence qui s’étendit sur deux ans et demi. Les tenants du second prétendaient : « Il aurait été préférable que l’homme ne fût pas créé », tandis que leurs antagonistes défendaient la création de l’homme, y voyant plus de bien que de mal. Enfin, ils s’accordèrent à conclure qu’il eut mieux valu que l’homme n’ait pas été créé mais, dès lors qu’il existe, il doit examiner sa conduite.
L’opinion défavorable à la création de l’homme prenait certainement appui sur le risque de l’oubli, tendance qui peut détourner l’homme d’un Service divin en bonne et due forme. De ce point de vue, il aurait mieux valu que l’homme n’oublie pas et se souvienne sans cesse du jour de sa mort, pour accomplir la Volonté divine et se repentir. Mais étant donné que le mauvais penchant nous fait oublier cette échéance, il aurait été préférable que l’homme ne fût pas créé.
Toutefois, l’avis contraire existe : l’homme peut surmonter le mauvais penchant et la tendance à l’oubli. Pour conclure, ces deux écoles de pensée soulignèrent qu’au vu des dégâts causés, il aurait mieux valu que l’homme ne soit pas créé, toutefois, du moment qu’il existe déjà, il doit être attentif à sa conduite et se repentir. Il doit savoir qu’il n’est que de passage dans ce monde, être toujours habité de la crainte du jugement et revenir vers son Créateur de tout son cœur.
A cet égard, il faut savoir que D. juge l’homme sur chaque instant où il aurait pu accomplir une mitsva et ne l’a pas fait, ne fermant les yeux sur aucune seconde, ainsi que le souligne le Gaon de Vilna sur la Michna (Avot 3:1) : « devant Qui tu seras assigné (din) et appelé à rendre des comptes (‘hechbon) ». La notion d’être jugé et de devoir rendre des comptes ne fait pas double emploi, souligne ce maître : l’homme est jugé sur la faute en soi et d’autre part, ces instants qui auraient pu être employés à faire une mitsva sont également pris en compte.
Il est d’autant plus effrayant de comparer le péché à une allumette qui, seule, a le pouvoir de consumer un champ entier. De même, une faute peut faire tout perdre à l’homme, à l’inverse d’une mitsva dont le bénéfice est gigantesque, d’où le pouvoir extraordinaire de la techouva.
Pour preuve, rapportons le récit du repentir de Rabbi Elazar ben Dourdaya (Avoda Zara 17a) : « Il entendit un jour parler d’une femme de mauvaise vie qui louait ses services dans une lointaine ville portuaire, en contrepartie d’une bourse de dinars. Pour la rejoindre, il passa sept fleuves. Alors qu’il s’apprêtait à assouvir ses pulsions, elle émit un gaz et s’exclama : “De même que ce gaz ne peut être récupéré, de même ne pourras-tu faire techouva, Elazar ben Dourdaya !”
« Choqué par ses paroles, ce dernier prit place entre deux montagnes et s’écria : “Montagnes et collines, implorez la Miséricorde en ma faveur !” Réponse des hauteurs : “Plutôt que d’implorer la Miséricorde en ta faveur, nous devons déjà nous soucier de notre propre sort ”, comme il est dit : “car les montagnes chancelleront et les collines s’ébranleront” (Yechaya 54:10). Il s’écria alors : “Ciel et terre, implorez pour moi la Miséricorde.” “Avant de demander grâce pour toi, nous devons implorer pour nous-mêmes”, comme il est dit (ibid. 51:6) : “Car les cieux s’évanouissent comme la fumée, la terre s’en va comme un vêtement usé”. Il se tourna alors vers les astres célestes : “Soleil et lune, implorez pour moi la Miséricorde divine !” “Avant de demander pitié pour toi, nous devons supplier pour nous-mêmes”, répondirent les deux astres, comme il est dit (ibid. 24:23) : “Et la lune sera couverte de honte, le soleil de confusion”. “Etoiles et constellations, implorez en ma faveur”, supplia-t-il ensuite, supplique suivie du refus habituel : “Avant de demander grâce pour toi, nous devons la demander pour nous”, comme il est dit (ibid. 34:4) : “Toute la milice céleste se dissout”.
« En désespoir de cause, Rabbi Elazar ben Dourdaya en arriva à la conclusion suivante : “Cela ne dépend que de moi.” Il mit sa tête entre ses genoux et se mit à pleurer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Une voix céleste retentit alors : “Rabbi Elazar ben Dourdaya est convié à la vie du monde à venir.”
Ce récit laisse perplexe dans la mesure où celle qui remit en question Rabbi Elazar ben Dourdaya était une grande pécheresse. Comment put-elle lui faire ainsi la morale ? Il est évident que ses paroles témoignent de soudaines pensées de repentir. En effet, en voyant combien Rabbi Elazar, pourtant conscient de mal agir, s’était sacrifié pour l’accomplissement d’une faute, elle prit conscience du pouvoir du mauvais penchant et ressentit des sentiments de contrition profonds. Son repentir sincère trouva écho en Rabbi Elazar ben Dourdaya (ce point est évoqué plus en détails dans le chapitre sur Chabbat Chouva).
On en déduit que, de même qu’il est possible de se dévouer pour commettre une faute, il est possible de réaliser une mitsva et de se repentir avec abnégation.
Résumé
•L’homme peut hélas « flâner » dans ce monde pendant toute sa vie sans rien acheter. Dans ce cas, quelle honte après cent vingt ans, face au tribunal céleste ! L’homme doit donc être conscient qu’il faut revenir à D. et que cela est offert à tous, même aux plus humbles d’entre nous. Par une mitsva, par l’éclat de l’âme, étincelle divine que nous portons en nous, nous pouvons nous souvenir du Créateur au détriment du mauvais penchant et nous rapprocher de Lui.
•Si l’oubli a été créé, c’était pour nous faire oublier le jour de la mort, pensée qui pourrait attrister l’homme et le décourager d’accomplir les mitsvot. Mais cette capacité peut être manipulée par le mauvais penchant et nous faire oublier D. De ce fait, pendant les jours de techouva, l’homme devra lutter contre cet oubli, se souvenir de D. et revenir vers Lui. Cette démarche doit cependant venir de l’homme car s’il attend que D. l’éveille, sa situation est dramatique.
•Tel est par ailleurs le sens du désaccord entre les écoles de Hillel et Chammaï. Ce dernier pensait qu’étant donné que l’homme oublie le Créateur, il aurait mieux valu qu’il n’ait pas été créé. Son antagoniste, en revanche, soutenait que la création de l’homme était bonne car il pourrait surmonter cette tendance. Finalement, ils s’accordèrent à dire que, l’homme existant réellement, il lui incombe d’examiner sa conduite et de se repentir. Car D. le juge pour chaque instant de non-accomplissement d’une mitsva. Le repentir exige une bonne dose de dévouement, comme nous le démontre le récit concernant Rabbi Elazar ben Dourdaya : en voyant son zèle pour la faute, la prostituée en déduisit combien cette qualité devait être mise au service des mitsvot et de la techouva, se repentit, entraînant celui-ci dans son sillage.