Grandeur de la techouva – « cela ne dépend que de moi »
Nos Sages nous rapportent (Avoda Zara 17a) un récit illustrant le pouvoir infini de la techouva : « Il n’était pas une prostituée au monde avec laquelle Rabbi Elazar ben Dourdaya n’ait eu commerce. Il entendit un jour parler d’une femme de mauvaise vie qui louait ses services dans une lointaine ville portuaire, en contrepartie d’une pleine bourse de dinars. Pour la rejoindre, il passa sept fleuves. Alors qu’il s’apprêtait à assouvir ses pulsions, elle émit un gaz et s’exclama : “De même que ce gaz ne peut être récupéré, de même ne pourras-tu faire techouva, Elazar ben Dourdaya !”
« Choqué par ses paroles, ce dernier prit place entre deux montagnes et s’écria : “Montagnes et collines, implorez la Miséricorde en ma faveur !” Réponse des hauteurs : “Plutôt que d’implorer la Miséricorde en ta faveur, nous devons déjà nous soucier de notre propre sort ”, comme il est dit : “car les montagnes chancelleront et les collines s’ébranleront” (Yechaya 54:10). Il s’écria alors : “Ciel et terre, implorez pour moi la Miséricorde.” “Avant de demander grâce pour toi, nous devons implorer pour nous-mêmes”, comme il est dit (ibid. 51:6) : “Car les cieux s’évanouissent comme la fumée, la terre s’en va comme un vêtement usé ”. Il se tourna alors vers les astres célestes : “Soleil et lune, implorez pour moi la Miséricorde divine !” “Avant de demander pitié pour toi, nous devons supplier pour nous-mêmes”, répondirent les deux astres, comme il est dit (ibid. 24:23) : “Et la lune sera couverte de honte, le soleil de confusion”. “Etoiles et constellations, implorez en ma faveur”, supplia-t-il ensuite, supplique suivie du refus habituel : “Avant de demander grâce pour toi, nous devons la demander pour nous”, comme il est dit (ibid. 34:4) : “Toute la milice céleste se dissout”.
« En désespoir de cause, Rabbi Elazar ben Dourdaya en arriva à la conclusion suivante : “Cela ne dépend que de moi.” Il mit sa tête entre ses genoux et se mit à pleurer jusqu’à ce que mort s’ensuive. Une voix céleste retentit alors : “Rabbi Elazar ben Dourdaya est convié à la vie du monde à venir.” A l’écoute de cette nouvelle, Rabbi pleura et s’exclama : “D’aucuns acquièrent le Monde futur en une heure seulement !” Puis d’ajouter : “Non seulement on accepte les repentis, mais ils reçoivent même le titre de Rabbi !” »
Les questions ne manquent pas sur ce passage :
Comment comprendre qu’une femme de mauvaise vie se donnant au plus offrant, puisse faire la morale à ces hommes, venus parfois de loin pour pécher avec elle ? En agissant ainsi, elle s’exposait au risque que tous les hommes fuient sans lui donner un sou ! Dans ce cas, ce n’est plus une prostituée mais une moralisatrice, œuvrant dans le domaine de la techouva !
En outre, n’aurait-il pas été plus logique qu’elle se repente d’abord elle-même, pour ensuite ramener autrui sur la bonne voie, en vertu du principe mis au jour par nos Maîtres (Baba Metsia 107a) sur le verset de Tsefania (2:1) « Recueillez-vous, tâchez de vous ressaisir (…) » : « Redresse-toi toi-même avant de redresser les autres ! »
D’où cette débauchée connaissait-elle la gravité de la faute de Rabbi Elazar ben Dourdaya, au point de se permettre d’affirmer que sa techouva ne serait pas acceptée par le Créateur ? C’était pourtant aller à l’encontre du célèbre principe (Yoma 86a) : « Grande est la techouva, qui atteint jusqu’au trône de gloire ! »
Nos Sages ne tarissent pas d’éloges sur les vertus et le pouvoir du repentir, interprétant ainsi le verset « Tu réduis le mortel en poussière (ad daka) » (Tehilim 90:3) : « jusqu’à [en ressentir de] l’accablement (dikhdoukha chel nefech) » (Yerouchalmi ‘Haguiga 9:2). Car rien ne résiste à la techouva.
Pourquoi Rabbi Elazar se tourne-t-il vers ciel et terre, montagnes et collines pour qu’ils implorent en sa faveur la Miséricorde divine ? Ne dit-on pas : « la prière du malade pour lui-même est supérieure à celle de tout autre homme » (Beréchit Rabba 53:19) ? Pourquoi, dans ce cas, ne pria-t-il pas en personne pour lui-même ?
En outre, Rabbi Elazar aurait pu se rendre chez le Juste de sa génération afin qu’il lui indique l’amendement à opérer. En effet, nos Sages indiquent que « celui qui a chez lui un malade ira chez un Sage lui demander d’implorer la Miséricorde divine » (Baba Batra 116a). Dans ce cas, pourquoi ce fauteur en voie de repentir s’adressa-t-il à des éléments naturels et à des astres ?
Le premier élément de réponse tient, me semble-t-il, dans le fait que celui qui faute pense, à ce moment là, que personne ne le voit (cf. Avot 2:1 ; Midrach Michlé 85), conception absolument erronée. Même dans la plus stricte intimité, l’homme est vu et « s’il commet une transgression en cachette, le Saint béni soit-Il le proclamera publiquement » (Sota 3a). Les poutres et les briques témoigneront en effet, après la mort de l’homme, comme le déduisent nos Sages (Taanit 11a) du verset (‘Habakouk 2:11) : « Oui, la pierre dans le mur crie [contre toi], et le chevron, dans la charpente, lui donne la réplique. » L’homme qui a commis une faute dans les champs aura donc, comme témoins à charge, le ciel et la terre. S’il a péché sur des montagnes ou des collines, celles-ci crieront son forfait. A-t-il péché le jour que le soleil se charge de l’accusation ; la nuit, la lune et les étoiles se chargent du réquisitoire. On comprend donc à présent pourquoi Rabbi Elazar ben Dourdaya juge utile de s’adresser à tous ces témoins de ses vilenies.
D’autre part, plus l’homme est grand, plus l’accusation pesant sur lui est grande. Car plus il connaît le Créateur et en est proche, plus son péché est grave, même si à priori, sa faute peut sembler tout à fait minime ; « le Saint béni soit-Il est pointilleux envers Ses fidèles [même pour un écart] de l’épaisseur d’un cheveu » (Yevamot 121b).
Si l’on y regarde de plus près, un certain degré d’exigence s’impose envers tout Juif. En effet, nous sommes considérés comme des soldats de l’armée divine chargés de combattre de toutes leurs forces le mauvais penchant et de de l’anéantir pour servir le Créateur.
Pour prolonger cette métaphore, rappelons que, dans toute armée, il existe une multitude de grades, allant du simple soldat au maréchal, en passant par le sergent, le caporal, le lieutenant, le capitaine, le commandant, le colonel et le général. Or, plus le grade d’un militaire est élevé, plus il est responsable d’un grand nombre de soldats placés sous ses ordres et plus il est proche du roi ou du président. A cet égard, on ne peut comparer l’erreur et l’échec d’un général à celui d’une simple recrue. Il est évident que la punition du premier sera bien plus lourde, au vu des conséquences, que celle du second. Toutefois, même un simple soldat peut être puni très sévèrement dans le cas où il nuit gravement aux intérêts de son royaume. Le sabotage est en effet d’une gravité extrême et puni avec la plus grande rigueur.
Lorsqu’un homme faute, l’accusation pesant sur lui est très lourde, pas seulement à cause du péché en soi mais aussi en cela qu’il a sciemment opté pour la mauvaise voie, alors qu’il est dit : « tu choisiras la vie » (Devarim 30:19). Car il est extrêmement grave, à l’heure où un homme a la possibilité de choisir la juste voie et de servir le Créateur, de se mettre en danger et d’opter pour le mal. Dans ce cas, l’accusation est très lourde : « Si tu as décidé après réflexion d’opter pour le mal, pourquoi n’as-tu pas eu la jugeote de choisir l’autre voie ? Pourquoi n’es-tu pas conscient du danger dans lequel tu te places par ton choix ? Pourquoi n’utilises-tu pas cette énergie déployée pour faire le mal au service du bien ? »
Dans cet esprit, Elyahou Hanavi réprimanda un pécheur rencontré en chemin, et celui-ci de répondre : « J’ai une réponse toute prête pour le jour du jugement : je n’ai pas été doté d’une intelligence suffisante pour comprendre ce qui est permis et interdit. » « Quel est ton métier ? » l’interrogea le prophète. « Je suis pêcheur », reprit celui-ci. « Tu es suffisamment intelligent pour jeter des filets à la mer. Or, si tu as eu l’intelligence d’apprendre ton métier, il se peut que tu aies également de l’intelligence pour le Service divin, comme le dit la Torah (Devarim 30:14) : “Non, la chose est tout près de toi : tu l’as dans la bouche et dans le cœur, pour pouvoir l’observer !” Si tu désirais vraiment servir D., tu pourrais facilement surmonter ton mauvais penchant et le vaincre ! » rétorqua le saint homme.
Le droit chemin que l’homme choisira
Tel est le sens de la demande du roi David (Tehilim 119:73) : « Donne-moi l’intelligence pour que j’apprenne à connaître Tes commandements ». Autrement dit, l’homme doit apprendre de toute chose, et même des plus petites. De la plus infime créature, il peut déduire des enseignements extraordinaires. Car nous avons été dotés d’une intelligence nous permettant de distinguer le bien du mal.
Même un simple moustique est porteur d’un message extrêmement puissant, si nous y prêtons attention. Comme le disent nos Sages (Vayikra Rabba 14:1) : « Pourquoi l’homme fut-il créé après tous les animaux ? Pour que, s’il en vient à s’enorgueillir, on lui rappelle qu’un simple moustique l’a précédé ». Cette réflexion permettra de ramener les choses à leur juste proportion et ramènera l’homme à la raison, lui faisant perdre tout orgueil.
Voilà qui nous invite à la réflexion, laquelle doit toujours précéder l’action. Avant même de nous fourvoyer dans la mauvaise voie, arrêtons-nous un instant et demandons-nous si c’est la bonne et si cela vaut la peine de nous mettre en danger pour des jouissances interdites. Même si l’homme est plongé dans les quarante-neuf degrés d’impureté, par sa réflexion, par une méditation intense, il pourra parvenir à la Vérité. Pour réussir ce tour de force et gagner la voie de la techouva, il devra se secouer, dépasser la matérialité et méditer les actes de D. et ses propres actions.
Lorsque le doux chantre d’Israël s’écrie (Tehilim 104:24) : « Que Tes œuvres sont grandes, Seigneur ! (…) » et (ibid. 8:4) : « Lorsque je contemple Tes cieux, œuvre de ta main, la lune et les étoiles que Tu as formées… », en d’autres termes, la Création tout entière porte le sceau de D., dont elle est le « diplôme », témoignant de l’existence divine.
D’ailleurs, comme se plaisent à le souligner les ouvrages kabbalistiques, le mot olam est à rapprocher de néélam (dissimulé), en cela qu’il faut fournir des efforts pour en découvrir les secrets, la part cachée – D. qui se dissimule sous le couvert de la nature.
Comparons cela à un médecin qui se rend dans une certaine ville pour y exercer. Dans sa sacoche se trouve son certificat, son diplôme délivré par un grand professeur, de renommée internationale. Aussi, même si nul ne le connaît dans cette ville, le certificat dont il est porteur témoigne incontestablement de sa capacité d’exercer et tous se fient à cette signature, à ce cachet.
De même, toute la Création émane de D., dont elle est le cachet et le sceau, authentifiant la Création et l’existence du monde, en vertu du principe (Chabbat 55a) : « Le sceau de D. est vérité ». Or, « il n’est de vérité que la Torah » (Yerouchalmi Roch Hachana 3:8). Par Son seul Nom, le Saint béni soit-Il créa le monde – celui-ci comme le monde à venir –, comme il est dit : « Car par Y-a Il a créé les mondes » – celui-ci, créé par la lettre hé, et le monde futur, crée par le youd (Mena’hot 29:72).
Par le mérite de la Torah, le Nom divin est donc inscrit au cœur de la Création. Car, comme le disent nos Sages (Mekhilta Yitro 19) : « Toute la Torah est constituée des Noms du Saint béni soit-Il ». Le célèbre incipit de la Torah pointe d’ailleurs ce fait : « Au commencement (beréchit) D. créa (…) », d’après le commentaire du Midrach (Beréchit Rabba 1:1) : « Il créa le monde pour la Torah, appelée réchit (commencement), et pour Israël, appelé réchit. » A cet égard, la Torah est le certificat de la Création, comme il est écrit (Yechaya 8:16) : « Grave le certificat, scelle la Torah parmi mes étudiants. »
En d’autres termes, par la Torah l’homme peut parvenir à la connaissance du Créateur et de ce qu’il représente, de son objectif, dans l’esprit de l’impératif : « Sache d’où tu viens (…) » (Avot 3:1). « Connais l’Eternel, le D. de ton père, et sers-Le (…) », disait ainsi le roi David à son fils (Divré Hayamim I 28:9). A travers cette connaissance de D., l’homme ne peut arriver qu’au bien.
En outre, le roi David ajoute (Tehilim 46:9) : « Venez, contemplez les œuvres de l’Eternel (…) ». Autrement dit, prendre conscience de la Présence divine amène aussi à connaître le bon chemin. D’ailleurs, nombreuses sont les personnes qui ont décidé de quitter la mauvaise voie après avoir vu le tsaddik, pilier du monde, en prières, déversant son cœur devant le Créateur.
En effet, les étincelles et lumières de sainteté émanant du Juste éveillent l’homme au repentir, en suscitant dans son cœur la peur.
Ainsi, un regard juste posé sur le monde associé à une véritable connaissance et compréhension de la Torah, de D. et de la Création, amène l’homme au niveau de perception exprimé par le verset (Tehilim 104:24) : « Que Tes œuvres sont grandes, Seigneur ! (…) »
En revanche, si cet effort d’observation et de réflexion n’est pas mené, une accusation extrêmement lourde pèse sur l’homme, de l’ordre de celle ainsi exprimée par l’organe du prophète (Yechaya 1:3) : « Israël ne connait rien ; mon peuple n’a pas considéré. » Le peuple juif est ici accusé de ne pas avoir contemplé le monde pour en tirer leçon. Au lieu d’observer la Création et d’y voir, avec émerveillement, le sceau divin, une telle personne choisit, à D. ne plaise, la mauvaise voie, au point d’être prête à se mettre en danger pour les jouissances de ce monde, au détriment de celles du monde futur.
« Tu choisiras la vie »
A la lumière de ces explications, le récit concernant Rabbi Elazar ben Dourdaya s’éclaire. En voyant cet homme prêt, pour pécher avec elle, à mettre sa vie en péril, au point de traverser sept fleuves pour quelques instants de jouissance, elle aurait naturellement dû s’enorgueillir de sa « célébrité », de la motivation qu’elle suscitait. Au contraire, cet épisode constitua pour elle un électrochoc. En réalisant tout ce que cet homme avait traversé pour parvenir jusqu’à elle, elle éprouva d’intenses sentiments de culpabilité, de peur et de contrition. Comment comprendre que des hommes soient prêts pour des plaisirs temporels, pour pécher avec moi, à passer de nombreux obstacles ? se demanda-t-elle. Et pourtant, je ne suis rien. Malheur donc à ces hommes se mettant en danger pour moi, sans prendre le temps de réfléchir et de choisir la bonne voie mais, au contraire, en optant pour le mal ! En outre, s’interrogea-t-elle, pourquoi ai-je moi-même fait ce choix ? De plus, s’il est possible de se mettre en danger de mort pour une jouissance momentanée, pourquoi ne pas recourir à ce même dévouement pour le bien ? Elle se prit alors, grâce à Rabbi Elazar ben Dourdaya, à regretter ses fautes passées et se repentit totalement, entraînant dans son élan Rabbi Elazar ben Dourdaya.
Cela nous démontre que même le plus grand impie, dans l’état où il est, dispose du libre-arbitre précisément au moment où il faute, afin de « retourner sa veste » de façon positive en choisissant le bien, la vie spirituelle. Rien ne résiste à la volonté, « Toutes les affaires du cœur dépendent de la volonté » dit le Zohar (II 162b). Même un impie peut parvenir, grâce à celle-ci, à briser le mauvais penchant et le vaincre.
En ce sens, le Rambam écrit (Hilkhot Techouva 5 :1) : « La possibilité est donnée à tout homme, s’il décide de s’orienter vers la voie du bien et d’être tsaddik (…), comme le laisse entendre la Torah (Beréchit 3:22) : “Voici l’homme devenu comme l’un de nous, en ce qu’il connaît le bien et le mal.” »
L’homme ressemblait à D. en cela qu’il pouvait par sa réflexion discerner le bien du mal. Cela dit, il est libre de choisir l’une ou l’autre voie. Le libre-arbitre, dont dispose tout homme, peut lui permettre de passer du mal au bien.
Nous savons par ailleurs que le nom de tout ce qui est bien témoigne lui-même de cette nature positive et fructueuse. A l’inverse, le nom de ce qui est mal indique dès la base sa mauvaise nature et n’amène sur le monde que des maux et la destruction. Pourtant, il existe des personnes qui, de par nature, restent totalement aveugles au mal qu’elles portent où dont elles sont le vecteur ; elles ne sont sensibles qu’à celui qui se trouve en l’autre, et c’est là leur seul espoir de réveil. Car face aux péchés d’autrui, elles peuvent soudain prendre conscience de leurs propres défaillances, auxquelles la force de l’habitude les rendait aveugles. Et pour cause : celui qui s’habitue à mal agir finit par considérer que cela est permis ; il intègre la faute en lui au point d’y devenir totalement aveugle. Dans ce cas, seul l’exemple du mal chez l’autre l’interpelle, lui permettant de ressentir ses propres défaillances. Pour prendre un exemple caricatural, lorsqu’un chameau en rencontre un autre, il s’esclaffe en voyant la bosse dont son comparse est affublé. Pourtant, s’il avait une once d’intelligence et le sens de l’observation, il s’apercevrait bien vite qu’il a la même !
Nous comprenons à présent la nature de la décharge de techouva qui ébranla cette femme. Cette pécheresse invétérée se réveilla lorsqu’elle se trouva confrontée à l’ampleur du mal à l’œuvre chez Rabbi Elazar. Elle prit alors conscience du mal qui l’habitait et dont elle était l’incarnation et en éprouva culpabilité et regret. Car si l’on peut déployer une telle énergie dans le mal, se dit-elle, pourquoi ne pas l’employer pour faire le bien. Elle réalisa alors combien elle-même était plongée dans ses fautes et combien elle faisait ainsi trébucher les autres.
Du fait qu’elle eut la première cette prise de conscience, elle joua auprès de Rabbi Elazar le rôle de moralisatrice. L’élément avec lequel elle interpella la conscience de son « client » – à savoir, cette émission de gaz – délivrait un puissant message. De même que l’on a ni aucun profit ni plaisir à conserver cette odeur nauséabonde – au contraire, on souhaite s’en débarrasser au plus vite –, il faudrait, dans le domaine spirituel, tirer profit au maximum de ses énergies positives, et s’empresser de se débarrasser de tout relent de mal. Celui qui refuse d’abandonner le mal est donc en quelque sorte semblable, voulut signifier la prostituée à Rabbi Elazar, à cette flatuosité qui « ne peut être récupéré[e] » et dont on voudrait au contraire se défaire au plus vite. En outre, une telle personne, à l’image de ce gaz bien vite évaporé, ne peut revenir à son Créateur, ne peut se repentir, voulait-elle lui signifier.
A cet égard, plus il s’agit d’un homme d’envergure, tel un général d’armée, plus les charges pesant sur lui seront lourdes : pourquoi n’a-t-il pas observé et tiré leçon ? Pourquoi n’a-t-il pas décidé de se repentir et de s’orienter vers le bien ?
Voilà les pensées qui animaient alors cette femme. Après s’être repentie face au pouvoir brut du mal qui habitait Rabbi Elazar, en connaissance de cause, elle ramena Rabbi Elazar sur la voie de la techouva. (Or plus un homme est grand, plus ses fautes sont graves, et plus l’accusation pesant sur lui est lourde.)
Ce faisant, ses paroles émanèrent du plus profond de son cœur et se firent un puissant écho en Rabbi Elazar, du fait que « des paroles émanant du cœur pénètrent le cœur » (Séfer Hayachar de Rabbénou Tam) – même celui d’un impie et fauteur.
De ce fait, le discours de cette femme ébranla profondément Rabbi Elazar, lequel, après s’être défait de tout attrait pour la faute, put ressentir soumission et humilité face à celle-ci, et il décida alors de se repentir totalement.
La techouva fait disparaître les accusateurs
Cependant, en parallèle avec sa techouva, Rabbi Elazar eut le désir d’annuler toute accusation pesant sur lui, et c’est pourquoi il voulut que les témoins de sa faute acceptent de retirer leur témoignage, afin qu’il se retrouve pur et sans faute.
Dans ce but, il s’adressa aux montagnes et collines, au ciel et à la terre, etc., témoins de ces errements, comme nous l’avons précédemment expliqué, afin qu’ils renoncent à témoigner à charge et, au contraire, implorent la Miséricorde divine en sa faveur. Il leur demanda de prier le Créateur de pardonner ses péchés. Si les astres et autres éléments naturels invoqués acceptaient de se charger de cette mission, cela serait le signe qu’ils annulaient leur témoignage et que sa faute serait expiée.
Et pourtant, les témoins refusèrent de se rendre à sa demande, par « acquit de conscience ». En effet, en tant que témoins de faits, on ne pouvait leur demander de renoncer à témoigner, en vertu du principe (Vayikra 5:1) : « s’il ne raconte pas, il portera son crime », outre le fait qu’« un accusateur ne peut se transformer en défenseur » (Berakhot 59a). En vérité, cela ne dépendait nullement d’eux mais de lui seul.
Comme argument, les éléments invoqués s’écrièrent : « Avant de demander Miséricorde pour toi, nous devons implorer pour nous-mêmes. » Autrement dit, nous avons déjà besoin pour nous-mêmes d’une clémence accrue, du fait que nous voyons tous les jours des personnes commettre une faute, qui n’accomplissent pas la Torah, ce qui remet en cause notre existence même.
En effet, au moment de la Création, le Saint béni soit-Il posa une condition : « Si Israël accepte la Torah, tant mieux ; et sinon, Je les ramène au néant. » (Chabbat 88a) Or, chaque jour, ce serment est mis à mal et la pérennité du monde se trouve donc menacée. Nous ne devons notre maintien en vie qu’à la grande Miséricorde divine, quotidiennement évoquée dans notre prière : « Qui éclaire la terre et ses habitants par Miséricorde et, dans Sa bonté, renouvelle constamment de jour en jour l’œuvre de la Création ». De ce fait, voulaient souligner les différents éléments invoqués, nous devons implorer la Miséricorde pour nous-mêmes ; en ce qui te concerne, tu devras seul te charger de la clémence pour toi-même.
Lorsque Rabbi Elazar constata la fin de non-recevoir qui lui était opposée, lorsqu’il comprit que ces élément ne pouvaient prier pour lui car il leur avait porté atteinte, il en arriva à la conclusion que cela ne dépendait que de lui. Lui seul pouvait prier pour lui-même afin d’effacer toute trace de ses fautes pour pouvoir ensuite espérer que les témoins plaident en sa faveur.
Car, en faisant techouva seul, il pouvait réparer le tort qu’il leur avait causé, l’atteinte portée à l’ensemble de la Création, et ses crimes seraient transformés en mérites (Yoma 86b).
Pourquoi ne prit-il pas l’initiative d’aller chez le Juste, pour qu’il demande grâce en sa faveur ? Parce que, comme le soulignait Hillel, « si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? (…) » (Avot 1:14). Si je n’entreprends pas seul cette courageuse démarche de techouva, de prières et de bonnes actions pour expier mes fautes, qui pourra le faire à ma place ? Quel garant pourra prier en ma faveur ?
Si l’homme ne fait aucun effort pour se repentir personnellement, mais se contente de se rendre auprès des justes de la génération – les montagnes et collines (cf. Tan’houma Be’houkotaï 5) –, il restera un impie du fait qu’il ne compte absolument pas sur lui-même et sur sa techouva personnelle. Dans ce cas, il est difficile d’évaluer l’ampleur de l’accusation pesant sur lui.
Cependant, Hillel ne s’arrête pas là : « (…) Et quand je suis pour moi, que suis-je ? » En d’autres termes, après avoir passé cette étape incontournable de la techouva personnelle, l’homme peut ensuite se rendre chez le juste de la génération pour qu’il lui indique la voie à suivre pour maintenir ce cap. Cette étape aussi est fondamentale, tout autant que celle de la techouva personnelle. Autrement dit, le repentir seul est insuffisant, de même que la prière du tsaddik. L’effort personnel doit donc constituer le point de départ de ce processus, suite à quoi le juste peut prendre le relais en donnant une poussée élévatrice à ses prières et en les instruisant « de la voie qu’ils ont à suivre et de la conduite qu’ils doivent tenir » (cf. Chemot 18:20).
Nous avons ainsi décrypté le message des éléments naturels : « Cela ne dépend que de toi, et lorsque tu te seras repenti, tu pourras demander aux justes de prier pour toi, et les prières ainsi que ta techouva seront alors acceptées. »
On peut déceler une autre allusion à ce principe dans la paracha Haazinou (Devarim 32:1-2) : « Ecoutez cieux, je vais parler ; et que la terre entende les paroles de ma bouche. Que mon enseignement s’épande comme la pluie, que mon discours distille comme la rosée (…) ».
En d’autres termes, lorsque l’homme aspire à ce que les cieux et la terre, ses témoins, prêtent attention à ses paroles, prient pour lui et acceptent de retirer leur témoignage, il doit d’abord accomplir la seconde partie du verset précité : « Que mon enseignement s’épande comme la pluie, que mon discours distille comme la rosée » – se repentir et prier lui-même, déverser son cœur devant le Créateur et faire techouva. Cette démarche ne doit certainement pas rester purement théorique mais être validée par la pratique de cet « enseignement » (léka’h), terme qui renvoie à la Torah, comme l’explique la Guemara (Taanit 7a), notamment en marge du verset (Michlé 4:2) : « Car Je vous ai donné un bon enseignement, n’abandonnez pas Ma Torah ! » L’homme pourra ainsi réparer le tort causé à l’œuvre de la Création.
Car, comme nous l’avons dit, si les enfants d’Israël n’accomplissaient pas la Torah, le monde devrait revenir au néant. Une fois la Torah accomplie, l’homme peut donc parvenir au niveau où « mon discours distille comme la rosée », où sa techouva est agréée et où les témoins à charge deviennent des avocats, par cet attachement à la Torah, comparée à la rosée (cf. Baal Hatourim ad loc.). Après que l’homme, dans sa démarche de techouva, accepte de se soumettre au joug de la Torah et des mitsvot, les témoins disparaissent d’eux-mêmes.
Combien est claire à présent la formule que nous répétons tous les jours dans notre prière matinale : « Qui éclaire la terre et ses habitants par miséricorde et, dans Sa bonté, renouvelle constamment de jour en jour l’œuvre de la Création » !
La pérennité du monde dépend en effet de l’étude et de l’accomplissement de la Torah. Tout défaut dans ce domaine met en danger le monde entier. C’est pourquoi les cieux et la terre refusèrent catégoriquement de prier en faveur de Rabbi Elazar ; ils devaient avant tout demander grâce pour eux-mêmes afin d’échapper à la destruction qui les menaçait du fait de l’absence d’étude de la Torah. Pourtant, dans Sa miséricorde infinie, « D. éclaire la terre et ses habitants » et, « dans Sa bonté, renouvelle constamment de jour en jour l’œuvre de la Création ». Toutefois le monde et l’ensemble de la Création restent affectés par les fautes de l’homme jusqu’à ce que celui-ci leur apporte l’amendement par la Torah, la techouva et les bonnes actions.
Importance de l’investissement personnel pour se rapprocher de D.
Nous pouvons à présent comprendre pourquoi la voix céleste qui suivit la mort de ce repenti accola à son nom le titre de « Rabbi », de maître, clamant : « Rabbi Elazar est convié à la vie du monde à venir ». En effet, il mit à jour un enseignement de première importance en ce qui concerne la techouva : on ne peut se reposer sur la techouva de nul autre que sur la sienne propre. Comme le dit si bien Rabbi Elazar ben Dourdaya lui-même : « Cela ne dépend que de moi ! »
Si l’on désire transformer les témoins à charge en avocats, il convient de se repentir par ses propres moyens et de se soumettre de façon absolue au joug de la Torah et des mitsvot. Exemple à fuir : ces personnes qui fautent, puis se repentent pour recommencer de nouveau, et se rendent chez les justes pour recevoir des berakhot, segoulot <*11>11@G et autres, en pensant que cela suffira pour faire disparaître leurs péchés, que leurs fautes seront expiées et qu’elles pourront jouir de la proximité divine sans fournir d’efforts personnels, sans se repentir réellement.
Quelle grossière erreur ! Il faut savoir que si elles ne se soumettent pas au joug de la Torah et des mitsvot, lesquelles sont les balises sur la voie du repenti, leur techouva est nulle et non avenue et elles retomberont dans le péché. Car seul un investissement personnel est à même de permettre à l’homme de se rapprocher de D.
Dès lors, nous comprenons l’épilogue de la Guemara : « Rabbi se mit à pleurer et dit : d’aucuns acquièrent le monde [futur] en une heure », puis d’ajouter : « Non seulement, les repentis sont acceptés mais on leur donne le titre de “Rabbi” ! »
Ce dénouement est parfaitement clair à la lumière de nos explications antérieures : la techouva n’a pas le pouvoir d’annuler l’accusation et de récuser les témoins à charge, si elle n’est pas assortie d’une véritable acceptation de la Torah et des mitsvot, réelle et dévouée.
Seul D., Qui « sonde les reins et le cœur », connaît la valeur réelle de la techouva du repenti et Lui seul peut en témoigner. Pour ne citer que la remarquable analyse du Rambam (Hilkhot Techouva 2:2) : « que le fauteur abandonne définitivement sa faute, l’ôte de sa pensée et prenne la ferme résolution de ne plus la commettre (…) Et celui Qui détient la clé des mystères témoignera sur lui qu’il n’y reviendra jamais ». Agir ainsi permet de considérablement relever son niveau aux yeux du Créateur.
Ainsi, Rabbi Elazar, dont le repentir suivit cette ligne directrice et qui prit sur lui avec abnégation le joug de la Torah et des mitsvot, fut immédiatement considéré comme un grand sage, au point de mériter d’emblée le titre de Rabbi, du fait que « D. considère la bonne intention comme l’acte en soi » (Kiddouchin 40a).
Au vu de ce prodigieux phénomène, Rabbi s’écria : « D’aucuns acquièrent le monde futur en une heure ». Autrement dit, en une seule heure d’acceptation de la Vérité, l’homme peut atteindre un niveau de « Géant », niveau auquel même les grands tsaddikim ne peuvent accéder. En ce sens, nos Sages proclament (Berakhot 34b) : « A la place où les repentis se tiennent, les justes parfaits ne peuvent accéder. » Celui qui se repent du fond de son cœur a la possibilité d’atteindre un niveau supérieur aux plus grands justes et Maîtres de la génération !
Il est remarquable de constater ce qu’un repenti peut gagner en une seule heure – acquérir tout son monde futur. Mais ce privilège ne s’acquiert qu’au prix d’une réflexion et d’une méditation sur la voie à suivre, car « dans la voie qu’un homme veut suivre, on le conduit » (Maccot 10b). S’il se précipite dans la bonne voie, « l’éveil d’en Haut » qui s’ensuivra sera porteur de bénédictions, et il est extrêmement bénéfique en cela qu’il pourra atteindre un niveau supérieur à celui de bien des justes de sa génération. A l’inverse, s’il opte pour la voie du mal, il tombera des hauteurs célestes dans les profondeurs de l’abîme (cf. ‘Haguiga 8b) et les portes de la techouva se scelleront devant lui.
En outre, ainsi que nous l’apprend le plus sage des hommes (Michlé 24:16), « sept fois (chéva) le tsaddik tombe et se relève ». En d’autres termes, même lorsque l’homme chute à un moment où il est abreuvé – savéa, à rapprocher du terme chéva – de jouissances et de plaisirs terrestres, en un seul instant, en une heure seulement, il peut acquérir le monde futur et se relever immédiatement, pour être aussitôt considéré comme un grand tsaddik, à condition toutefois qu’il se réveille – « l’éveil d’en bas » –, entreprenne une techouva authentique et absolue. Il méritera alors d’atteindre des sommets spirituels, dans ce monde comme dans le monde futur, en vertu du principe : « Qui vient se purifier est aidé d’en Haut » (Yoma 38b). Amen !
Résumé
•Pour illustrer le pouvoir de la techouva, nous avons rapporté l’exemple de Rabbi Elazar ben Dourdaya, fauteur invétéré, dont aucun élément naturel n’accepta de prendre la défense jusqu’à ce qu’il s’en charge lui-même, techouva qui se conclut par sa mort. Une voix céleste annonça alors qu’il était convié à la vie du Monde futur. Ce récit nous démontre que, quel que soit l’endroit où un homme faute, le théâtre de son péché en est le témoin – même les pierres peuvent de ce point de vue témoigner contre lui. A cet égard, plus l’homme est grand, plus les charges retenues contre lui sont lourdes. Du monde qui l’entoure, l’homme doit comprendre que toute création accomplit la Volonté céleste, ce que lui aussi doit faire, disposant par contre du libre arbitre. « Fais-moi comprendre et j’apprendrai » (Tehilim 119:73), disait David Hamelekh, désireux d’apprendre de toute chose. La Torah est à ce titre essentielle car elle est le « diplôme » de l’ensemble de la Création.
•Dans l’histoire de Rabbi Elazar ben Dourdaya, la prostituée fut bouleversée et ébranlée par la volonté déployée par cet homme dans le vice. Face à une telle impiété, elle réalisa combien elle-même était corrompue et en éprouva de soudains sentiments de culpabilité. Elle décida alors de le tancer pour qu’il se repente également et de le tirer du mal dans lequel il était plongé. Lorsqu’il demanda aux différents éléments naturels d’intercéder en sa faveur, ils refusèrent d’en prendre la défense, étant eux-mêmes innocents. Il comprit alors que cela ne dépendait que de lui, de sa volonté et de sa techouva, éclata en sanglots déchirants jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il mérita alors le titre de Rabbi pour avoir mis à jour un point fondamental dans le domaine de la techouva : la clé se trouve entre les mains du pécheur lui-même. Il se repentit totalement, techouva qui fut agréée et lui donna accès au Monde futur, du fait que D. considère une intention louable comme un acte.
La voie à suivre
La techouva dépend de l’homme lui-même, et nul ne peut se repentir à la place du pécheur. Ce dernier, s’il se repent totalement, peut être considéré aux yeux de D. comme un « Rabbi », comme un maître de grande envergure, car D. concrétise sa volonté dans ce domaine et lui permet d’opérer une techouva absolue. Le repenti a le pouvoir de mener l’ensemble de la Création à sa réparation et permettre un « éveil d’en Haut » – le déversement d’une abondance de bénédictions pour le monde entier.