HAYEI SARAH 19 NOVEMBRE 2011 22 HECHVAN 5772 |
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La valeur des hommes de bonté
(par Rabbi David Hanania Pinto Chelita)
« Mais tu iras dans mon pays et dans mon lieu natal chercher une épouse à mon fils, à Yitz’hak. » (Béréchit 24, 4)
Avraham a fait jurer à Eliézer de prendre pour Yitz’hak une femme de son pays natal, de ‘Haran. Dans son livre de commentaires, le Ran se demande pourquoi Avraham a guidé son serviteur vers les filles de son pays natal en excluant totalement celles de Canaan, alors que les deux peuples étaient aussi idolâtres l’un que l’autre! En quoi les habitants de ‘Haran se distinguaient-ils alors ?
Avraham savait que, bien qu’étant idolâtres, les gens de ‘Haran étaient dotés d’une certaine bonté. Or quiconque possède cette qualité finira par se construire et par grandir, même si, dans un premier temps, il semble mal se conduire. En effet il est écrit « le monde se construira sur la bonté » : chaque personne étant un monde en miniature, si elle possède ce trait de caractère, elle pourra « se construire » et s’améliorer. Voici donc la caractéristique qui était présente à ‘Haran et qui manquait chez les Cananéens.
En effet, la terre de Canaan abritait les villes de Sdom et ‘Amora, dont les peuples se moquaient de la bonté et de la charité. Dans ces villes, quiconque mendiait ou donnait de la tsedaka était tué sur le champ. D’ailleurs, le roi de Sedom avait demandé à Avraham : « Rends-moi seulement les prisonniers, tout le butin sera à toi ! » dans le but de dominer ces hommes.
Les habitants de ‘Haran, en revanche, bien qu’idolâtres eux aussi, possédaient la qualité de ‘hessed. Par exemple, lorsque Lavan a eu écho de l’arrivée d’Eliézer dans la ville et a remarqué les bijoux de sa sœur Rivka, il a envié la richesse de l’intendant et est sorti à sa rencontre avec l’intention de le tuer. Or celui-ci, voyant arriver Lavan armé, a prononcé le nom de D. et s’est ‘volatilisé’ avec ses dix chameaux. Forcé de constater qu’il ne pourrait pas le vaincre, Lavan s’est alors exclamé « Viens, bien-aimé de D ! Pourquoi restes-tu dehors alors que j’ai préparé la maison et une place pour les chameaux ? » (ibid. 24, 32), et Rachi commente : « ‘J’ai nettoyé la maison’ – de toute idole. » Pourquoi a-t-il enlevé les idoles ? Parce qu’il avait certainement pensé accueillir Eliezer chez lui et savait que ce dernier n’accepterait pas de résider dans une maison pleine d’idoles. Ceci est difficile à comprendre : s’il est sorti pour le combattre et le tuer, pourquoi avait-il l’intention de l’inviter ? En fait, même en route pour commettre un acte aussi grave que le meurtre, il avait envisagé l’éventualité de ne pas vaincre Eliezer. S’est alors de suite éveillée la mida de générosité qui sommeillait en lui et il a chassé les idoles de sa maison pour pouvoir recevoir Eliezer, au cas où celui-ci sortirait sain et sauf de l’affrontement.
C’est pourquoi Avraham a fait jurer à Eliézer de rechercher uniquement une jeune fille de ‘Haran, dont la population savait être altruiste.
Ainsi, Eliézer a trouvé Rivka, cette grande tsadéket qui n’a pas suivi les voies de son entourage impie. Effectivement, à son arrivée à Beer Cheva, elle a vu Yitz’hak de loin et s’est prosternée, car elle avait perçu la présence divine au-dessus de lui. (Il avait mérité d’abriter la présence divine suite à la akeida, car les anges lui ont enseigné la Torah durant trois années consécutives.)
Pourquoi les jeunes filles qui accompagnaient Rivka ne se sont-elles pas prosternées elles aussi ? Parce qu’elles n’ont pas perçu la présence divine. De même, toutes les filles de Beer Cheva qui voyaient Yitz’hak régulièrement ne le redoutaient pas non plus ! Aucune de ces filles n’était apte à déceler la Chekhina qui planait au-dessus de lui. Seule Rivka, qui était une femme juste, en était capable et s’est donc prosternée.
Mais qu’est ce qui faisait de Rivka une tsadéket ? Le développement de la mida de bonté exceptionnelle qui était ancrée en elle. C’est cette qualité qu’Eliézer a perçue : une petite fille de trois ans qui se propose d’abreuver toute l’escorte et les chameaux ! Avec sa force limitée, elle a puisé de nombreuses fois, jusqu’à ce que tous les chameaux aient terminé de boire, c’est à dire au moins cent litres par bête (c’est la quantité d’eau que boit un chameau), et il y avait dix chameaux ! Cela représente une quantité considérable à laquelle il faut ajouter ce qu’elle a apporté pour les hommes qui accompagnaient Eliézer. C’est cette mida de ‘hessed dont elle était pétrie qui lui a donné l’énergie de puiser de telles quantités. C’est pourquoi dès son arrivée dans la maison d’Yitz’hak, elle a bénéficié de la bénédiction de Sarah dans le pain, les bougies et la nuée.
Un supplément de vie
Nos Sages disent que « la conversation des serviteurs des ancêtres est préférable à la Torah des enfants. » En effet, de nombreux passages de Torah qui recèlent des principes de base sont écrits brièvement et par allusion, alors que l’aventure d’Eliézer, intendant d’Avraham, est rapporté longuement et de manière répétitive ! Quelle est la supériorité des paroles d’Eliezer par rapport aux autres enseignements de Torah ?
Son récit renferme les fondements de la qualité de bonté sur laquelle repose le monde. C’est pourquoi il cherchait une femme de bon cœur et a examiné Rivka minutieusement sous cet angle. C’est pour cela que les actes de générosité de notre mère Rivka sont rapportés avec insistance.
On raconte à ce sujet dans la Guemara l’histoire d’un Amora qui s’est assoupi, a pleuré, puis s’est levé et a ri. On lui a demandé le sens de ces attitudes surprenantes et il a répondu qu’il avait pleuré lorsque l’ange de la mort était venu le chercher car son existence avait atteint son terme. Puis il s’était mis à rire en voyant D. empêcher cet ange de lui retirer son âme. Puisqu’il était indulgent et bon avec les autres, D. lui a ajouté de belles années au-delà du terme prévu. A ce sujet il est dit : « Quiconque est indulgent avec autrui sera également jugé avec bienveillance pour ses fautes. »
LES HOMMES DE FOI
Récits sur les tsaddikim de la famille Pinto
Le départ en exil
En Elloul 5604, un an avant le décès de Rabbi ‘Haïm Pinto le Grand, que son mérite nous protège, la ville de Mogador fut détruite pendant la guerre entre les Marocains et les Français. De nombreux habitants de la ville, avec leurs femmes et leurs enfants, les jeunes et les vieux, furent contraints de fuir la ville jusqu’à ce que la situation redevienne normale. Or c’est extraordinaire ! Comment se fait-il que le tsaddik n’ait pas prié D. pour éviter que la guerre ne s’abatte sur la ville ? Par la force de sa grande sainteté, il aurait pu protéger le monde entier, et en particulier la ville de Mogador, pour qu’elle ne soit pas détruite !
Mais notre Maître Rabbi David Pinto a expliqué que nous savons que lorsque le tsaddik a vu ce décret si terrible, il est arrivé à l’annuler en le faisant remplacer par l’exil. C’est pourquoi il a préféré dire à tout le monde de fuir et de s’exiler, plutôt que de perdre leur vie s’ils restaient dans la ville. Parmi ceux qui sont partis à ce moment-là, il y avait aussi le tsaddik Rabbi ‘Haïm, que son mérite nous protège. Mais on ne trouvait pas d’ânes ni de charrettes à ce moment-là, c’est pourquoi il quitta la ville à pied, avec sa famille. Au moment de sa fuite, un goy arriva et il voulut frapper le Rav, mais sa main se dessécha immédiatement et il ne pouvait plus la lever, ce qui était un miracle. Le Rav était déjà âgé à ce moment-là, et la tâche était très loin d’être facile pour lui. C’est pourquoi son fils le tsaddik Rabbi Hadan zatsal le prit sur ses épaules. Il marcha ainsi un jour entier, sans se fatiguer, jusqu’à ce qu’ils arrivent à un endroit sûr, dans la ville d’Azgar.
Là, ils descendirent chez un homme pieux des nations, le gouverneur de la ville, du nom de ‘Haz Abdallah. Celui-ci assura leur subsistance honorablement, protégea la famille, et les sauva de la faim et de tout dommage. A la fin de la guerre, quand le calme revint, Rabbi ‘Haïm et sa famille se séparèrent du gouverneur pour rentrer à Mogador. Le Rav le remercia de tous les bienfaits qu’il leur avait accordés, le bénit et lui donna cette bénédiction en héritage pour lui et pour tous ses descendants après lui.
LES PAROLES DES SAGES
Il est possible de gagner sa vie honnêtement
La droiture et la loyauté dans le domaine du commerce sont gravées en nous déjà depuis Avraham, père de notre peuple. En effet, lorsqu’il a dû acquérir une parcelle de terre pour y enterrer son épouse Sarah, la Torah dit explicitement à son sujet : « Avraham compta à Efron le prix qu’il avait énoncé… quatre cents sicles d’argent, en monnaie courante » (Béréchit 23, 16).
Voici quelques comportements extraordinaires dans le domaine commercial que nous pouvons relever chez nos érudits, qui accroissent la paix et la perfection dans le monde.
Rabbi Chraga Feivel Frank, beau-père de Rabbi Moché Mordekhaï Epstein, directeur de la yéchiva de Slobodka et de Rabbi Isser Zalman Meltzer, directeur de la yéchiva Ets ‘Haïm, était commerçant. Un marchand juif venu d’une autre ville s’est une fois rendu dans son magasin pour acheter une grande quantité de peaux.
Le client a demandé à Rabbi Chraga quelle réduction il lui accorderait pour cette quantité importante de marchandise.
Le Rav a répondu : « Ceci est mon prix. Je m’y tiendrai afin qu’il me reste un bénéfice bien précis. Je ne le baisserai pas et je ne suis en aucun cas disposé à marchander. Quiconque n’en est pas satisfait est libre d’aller chez d’autres commerçants dans notre ville. » Sur ce, Rabbi Chraga Feivel lui a donné quelques adresses d’autres vendeurs de peaux.
Le client a donc quitté le magasin pour se rendre chez un concurrent. Après être entré dans plusieurs boutiques, il a été forcé de constater que le prix demandé par Rabbi Chraga Feivel était le plus intéressant. Il est donc retourné chez lui, décidé à acheter les peaux aux conditions du vendeur.
« Je vais vous vendre les peaux, mais pas au montant initialement exigé. Je vous accorde la réduction demandée » a déclaré le Rav.
Stupéfait, le client s’est exclamé : « Vous aviez pourtant refusé très fermement de m’accorder cette remise, tout en sachant que j’irais alors acheter ailleurs ! Maintenant que je suis prêt à accepter votre tarif, vous me proposez la réduction sans que je la demande ? »
Voici quelle a été sa réponse : « Dès que vous avez quitté le magasin, j’ai réfléchi et je me suis dit que la quantité que vous vouliez m’acheter était particulièrement importante et que je pouvais vous accorder la remise demandée sans être lésé puisqu’il me resterait un bénéfice respectable. En cette circonstance il n’y avait vraiment pas lieu de s’entêter et de camper sur des principes.
Maintenant que vous êtes de retour pour acheter les peaux chez moi, j’ai le devoir de mettre en pratique ma réflexion. En effet, le Roi David a dit : « Psaume de David, Hachem, qui séjournera sous Ta tente ? Qui habitera sur Ta montagne sainte ? Celui qui marche intègre, pratique la justice et dit la vérité en son cœur » (Téhilim 16). De même, tous les matins nous affirmons : « Chacun doit constamment craindre D. en privé comme en public, et dire la vérité en son cœur. » Je me dois d’appliquer les préceptes enseignés par le Roi David, chantre d’Israël, ainsi que les mots de ma prière quotidienne. Puisque je me suis aperçu que j’avais tort de vous refuser la réduction que vous demandiez, je vais à présent vous vendre les peaux au prix décidé après votre départ. En effet, chacun de nous a le devoir de « dire la vérité en son cœur. » »
La constance porte ses fruits
Rabbi Eliézer Kayzer, élève du « Tiféret Aharon » de Matersdorf tenait un magasin de chaussures. Un jour, quelqu’un est entré pour demander le prix d’une paire de chaussures. Le vendeur a annoncé un prix que le client s’est empressé de payer. Le vendeur, constatant que celui-ci n’avait pas négocié comme de coutume et avait rapidement payé le montant indiqué, lui a rendu la monnaie tout en lui accordant automatiquement une réduction.
Dans l’ouvrage « Beit Israël » où l’histoire est rapportée, Rav Eliézer explique son attitude : « Je pensais que, comme tout le monde le fait, vous marchanderiez afin que je baisse le prix officiel et j’avais donc l’intention de vendre au tarif après réduction. Vous n’avez pas agi ainsi mais je n’ai pas voulu enfreindre mon habitude de dire la vérité même dans mon cœur, c’est pourquoi j’ai appliqué la réduction. »
On raconte également que Rabbi Avraham Meir Ziswein avait ouvert une librairie et avait prospéré au point de devenir un grand commerçant qui fournissait en livres et en objets de culte de nombreux vendeurs au détail.
Il avait l’habitude de parler le moins possible. Il commerçait avec une foi pure et une grande confiance en D. Il était installé dans son magasin entre les clients et étudiait une Guemara ou des michnayot. Pour chaque livre, il avait déterminé un prix après avoir pris en compte toutes les réductions possibles. Ainsi, quand un client venait se renseigner, il lui indiquait le prix fixé sans y ajouter ou en retirer un centime. Puis il retournait à son étude sans tenter d’influencer ou de persuader le client d’une quelconque manière.
Quelqu’un a une fois beaucoup insisté pour qu’il baisse son tarif. « D’après mes calculs, je dois réaliser mon bénéfice avec ce prix-là » a été la réponse du Rav. Et il n’a rien ajouté.
Etonnamment, cet homme, avec sa constance exceptionnelle, a fait fleurir son activité bien plus que d’autres commerçants qui usaient de paroles doucereuses et de moyens de pression et de persuasion.
L’ouvrage « Beit Ya’acov » rapporte l’histoire suivante : le gaon Rabbi David Berisch Winfeld, auteur de « Dovev Meicharim », avant d’être nommé Rav de Tchibin, était marchand de charbon. Il était connu pour sa grande prudence et sa droiture dans la conduite de son commerce. Il se sentait engagé par ce qu’il disait et n’était pas prêt à revenir sur ses paroles, même pour tout l’or du monde.
Un de ses clients a raconté :
« J’ai une fois commandé à Rabbi Dov Berisch plusieurs sacs de charbon pour une certaine date. Quelques jours plus tard il m’a confié que le prix du charbon était sur le point de baisser et m’a donc conseillé de repousser mon achat à une date ultérieure. Il serait dommage qu’un juif perde de l’argent en faveur des riches revendeurs non-juifs ! »
Rabbi Dov Berisch, agent principal qui aurait pu tirer un bon bénéfice de cette affaire, se souciait davantage des clients que des fournisseurs.
GARDE TA LANGUE
Il transgresse un interdit
Quiconque rapporte des paroles de l’un à l’autre et vient dire : « Voici ce qu’Untel a dit à ton sujet ; telle personne t’a fait ceci ou cela ; j’ai entendu qu’il t’a fait telle chose ou qu’il a l’intention de le faire… » est appelé colporteur, même s’il ne raconte rien de mal, qu’il agit sans aucune mauvaise intention et qu’il ne nierait pas si on l’en accusait.
(‘Hafets ‘Haïm)
A LA LUMIERE DE LA PARACHAH
Extrait de l’enseignement du gaon et tsadik Rabbi David ‘Hanania Pinto chelita
Une bénédiction admise par tous
« Et Hachem bénit Avraham en tout » (24, 1)
Nos Sages rapportent (Béréchit Rabba 51, 2) au sujet du verset « Et Hachem fit pleuvoir sur Sdom » (Béréchit 19, 24) que toutes les fois où il est écrit ‘et Hachem’, il s’agit de Lui et de Son tribunal » Ainsi en est-il pour Avraham, puisqu’il est écrit « Et Hachem bénit Avraham » : D. et Son tribunal ont donc béni Avraham. Que signifie réellement « Hachem et Son tribunal » ? Nos Sages expliquent qu’il s’agit d’un moment où l’attribut de miséricorde et celui de rigueur sont en accord. Soit l’attribut de rigueur accepte de s’allier à celui de miséricorde pour le bien, soit au contraire, c’est la mida de miséricorde qui cède à celle de rigueur pour punir. Les justes développent tellement la miséricorde que l’attribut de rigueur est obligé de s’y soumettre. Les impies en revanche, amplifient la rigueur qui force alors l’attribut de miséricorde à la suivre. D’ailleurs, sur le verset (Béréchit 8, 1) « Alors D. (Elokim) se souvint de Noa’h », Rachi explique: « Il est écrit ici Elokim, qui est le nom de D. lorsqu’Il exerce la stricte justice. Celle-ci est transformée en bienveillance grâce à la prière des justes. La miséricorde, en revanche, cède la place à la stricte justice sous l’influence de la méchanceté des impies, ainsi qu’il est écrit : « Hachem vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre » et « Et Hachem dit : J’effacerai l’homme », là où pourtant le texte emploie le nom du D. de miséricorde. » Ainsi en a-t-il été à Sdom : la population s’est montrée si mauvaise que même l’attribut de miséricorde a accepté de la punir. Or ici, dans le cas d’Avraham, même la stricte justice a voulu le bénir. Il arrive parfois que D. bénisse un homme et le comble de bien, mais que l’attribut de justice en soit contrarié. Ici au contraire, Avraham a été béni par « Lui et Son tribunal » : l’attribut de justice a non seulement approuvé la bénédiction de D. mais s’y est même associé. Tout cet épisode est favorable à l’ensemble d’Israël : en effet, parfois Hachem veut bénir Son peuple mais la stricte justice s’y oppose, affirmant que les bnei Israël n’en sont pas dignes. Or à présent, le tribunal de D. s’est accordé avec D. pour bénir Avraham. Comme « Les actes des ancêtres sont un signe pour les enfants », l’attribut de justice doit également accepter qu’Israël soit béni et s’associer à cette bénédiction.
A LA SOURCE
« Sarah mourut à Kiryat-Arba, qui est ‘Hevron » (23, 2)
Rabbeinou Be’hayé explique pourquoi le texte mentionne deux noms pour un même endroit (« Kiryat-Arba, qui est ‘Hevron ») :
Kiryat Arba est appelée ‘Hevron car quiconque y est enterré voit son âme liée (mit’haberet) au domaine de D. avec les quatre (arba) armées de la Chekhina. Ce n’est donc pas en vain que les patriarches ont chéri cette ville : en effet, de là-bas les âmes peuvent rejoindre (léit’haber) leur origine, le trône de gloire.
Telle est la signification de : « Kiryat-Arba, qui est ‘Hevron. »
« Quatre cents sicles d’argent, en monnaie courante » (23, 16)
Le ‘Hida explique ce verset de manière allusive : avec les lettres qui précèdent dans l’alphabet celles qui composent le mot ‘so’her’ (monnaie courante), on peut écrire le terme « nezek (un dommage) ». Le mot « over » signifie « qui précède », comme dans l’expression « ‘Over la‘asiyatan ». De même Efron, qui était avare, a ressenti cette vente comme un dommage, comme l’expliquent nos Sages au sujet du verset « Et il ne s’aperçoit pas que la misère viendra fondre sur lui » (Proverbes 28, 22) : les lettres de « so’her (monnaie) » deviendront « ‘hesser (misère) ».
Voici une leçon que tout commerçant ne doit jamais oublier : face à « l’argent (so’her) » il y a la « perte (nezek) » et le ‘manque’ « ‘hasser (misère) ». Quiconque prête attention aux interdictions de « ne pas voler, ne pas exploiter, ne pas tromper et ne pas mentir » sera un bon commerçant et sera agréé par D. En revanche, celui qui les transgresse sera touché par les dommages et la misère.
Enfin, rapportons le proverbe de nos Sages (Ketoubot 66b) : « Le sel de l’argent est dans sa perte », ce qui est une allusion au fait que s’il en manque parce qu’on l’a donné à la tsedaka, cela permettra de réussir dans son commerce.
« Ils mangèrent et burent, lui et les gens qui l’accompagnaient » (24, 54)
Le ‘Hatam Sofer fait remarquer qu’il est d’abord écrit « il a posé devant lui de quoi manger » : alors qu’ils ne savaient pas encore qui était Eliézer et pourquoi il était venu, ils n’ont accueilli que lui pour le repas, laissant de côté ses hommes et ses accompagnateurs et les honorant uniquement avec de l’eau pour se laver les pieds.
Mais dès qu’ils ont appris qu’Eliezer était l’émissaire du riche Avraham et qu’il venait demander Rivka en mariage pour son maître, ils se sont soudainement montrés généreux et ont invité toute la délégation à leur table pour le repas : « Ils mangèrent et burent, lui et les gens qui l’accompagnaient… »
« Le nombre des années de la vie d’Ichmaël… » (25, 17)
La Guemara (Traité Méguila 17a) explique que le nombre des années de la vie d’Ichmaël nous permet de déduire que Ya’akov a fréquenté la maison d’Ever pendant quatorze ans pour y étudier. Il y a de quoi s’étonner : pour quelle raison l’épisode de Ya’akov, qui étudie la Torah pendant quatorze ans chez Ever, n’est-il pas mentionné explicitement dans la Torah mais uniquement déduit en fonction du nombre d’années de vie d’Ichmaël ?
Le gaon Rabbi Moché Feinstein tire d’ici un principe de base important et extraordinaire dans le service d’Hachem :
Quiconque sert D., même au niveau le plus élevé, ne doit pas s’enorgueillir de ses faits et gestes. Rabbi Yo’hanan ben Zakaï n’a-t-il pas enseigné : « Si tu as beaucoup étudié, ne t’enorgueillis pas car c’est pour cela que tu as été créé » ? Même pour une Torah du niveau de celle de Rabbi Yo’hanan, il n’y a pas lieu de s’enorgueillir, a fortiori pour celle de chacun de nous ! Pourquoi donc ? Parce que celui qui a la capacité d’étudier la Torah et de servir D. à un niveau supérieur ne fait que réaliser le but de son existence, donc pourquoi s’enorgueillirait-il ?
C’est la raison pour laquelle la Torah a passé sous silence l’étude ininterrompue de Ya’akov durant quatorze ans.
Lumière du Zohar
« Alors Avraham ensevelit Sarah, son épouse » (23, 19)
Rabbi Chim’on a raconté : lorsque Avraham est entré dans la grotte et y a fait pénétrer Sarah, Adam et ‘Hava se sont levés et n’ont plus voulu y rester enterrés. Ils se sont exclamés : « Nous sommes déjà honteux devant D. du fait de cette faute qui a entraîné la mortalité dans le monde. A présent, vos bonnes actions ne feront qu’intensifier notre humiliation ! »
Avraham leur a alors répliqué : « Je suis prêt à intervenir auprès de D. en votre faveur afin que vous ne soyez plus jamais honteux devant Lui »
Immédiatement : « après cela, il y enterra son épouse Sarah ». Que signifie « après cela » ? Après qu’Avraham s’est ainsi engagé, Adam est retourné dans sa tombe mais ‘Hava ne l’a pas suivi. Avraham s’est approché et l’a fait rentrer près d’Adam, qui l’a reçue à cause de lui.
C’est le sens du verset : « Après cela Avraham enterra son épouse Sarah. » Il n’est pas écrit « léSarah » mais « ett Sarah » : le mot ‘ett » vient inclure ‘Hava, qui a aussi été enterrée par Avraham. Et chacun est resté à sa propre place.
SUR LA VOIE DE NOS PERES
Participer à la douleur du prochain
Il arriva qu’après la mort d’Avraham, D. bénit YYitz’hak (Béréchit 25, 11)
Les Sages ont expliqué sur ce verset que le Saint béni soit-Il console les endeuillés. Cela figure également dans le commentaire de Rachi sur le traité Sota (14a) : Il bénit – Il l’a consolé pour la mort de son père et lui a adressé la bénédiction des endeuillés. A cause de nos nombreuses fautes, dit le ‘Hafets ‘Haïm dans « Ahavat ‘Hessed » (III, 5), beaucoup de gens se montrent négligents dans cette mitsva, en particulier quand cela arrive chez des pauvres, il est fréquent que personne n’ouvre leur porte. Or cela devrait être exactement le contraire, le deuil et la douleur d’un pauvre sont plus grands que ceux d’un riche, parce qu’il n’a rien d’autre qui puisse le réjouir, si ce n’est ses enfants. Mais il est proche de Hachem, ainsi qu’il est dit : « Hachem est proche de ceux qui ont le cœur brisé », si bien que la récompense de celui qui les console par des paroles douces est considérable.
Je n’ai éprouvé aucune douleur
Partager la douleur du prochain, le comprendre et participer à sa peine, est une qualité que l’on retrouve chez tous les grands d’Israël.
Par exemple, on raconte à ce propos que le jour de Sim’hat Torah, quelqu’un est entré chez le Rav de Poniewitz, le gaon Rabbi Yossef Chelomo Kahneman zatsal, quelqu’un qui était rescapé de l’Holocauste et avait le cœur éperdument brisé : « Rabbi, comment pourrons-nous le supporter ? »
Il se répandit en pleurs déchirants, dans une tempête d’émotion. Mais le Rav, qui le comprenait, et se souvenait parfaitement du principe selon lequel « on ne peut pas juger quelqu’un sur sa douleur », l’inonda de paroles de consolation, et lui dit :
« Si nous pensons aux morts qui ont été assassinés pour la sanctification du Nom de D., ils se trouvent à présent dans les palais du saint Tanna Rabbi Akiva et ses amis, et personne ne peut les égaler, heureux est leur sort. Et nous sommes bien malheureux, nous qui sommes restés, dont la vie a été épargnée par le brasier. C’est sur nous qu’il faut pleurer ! Sur les saints, il n’y a vraiment pas de quoi pleurer, ils sont dans un bon lieu ! »
En une autre circonstance, le Rav de Poniewitz a raconté ce qu’il avait entendu de la part de rescapés de l’Holocauste, qu’au moment où le Admor de Belz, Rabbi Aharon Rokea’h zatsal, avait été sauvé des massacres en Pologne et était passé en Hongrie, en 5703, et qu’on lui a annoncé là-bas le terrible nouvelle qu’aucun de ses sept enfants ni de tous ses petits-enfants n’était resté en vie, l’un des vieux ‘hassidim s’approcha pour le consoler, et lui adressa en particulier la bénédiction habituelle qu’il « ne connaisse plus de douleur ».
Le Rabbi lui saisit la main et s’écria en tremblant : « Est-ce que je suis suspect à tes yeux d’avoir jamais éprouvé de la douleur ? Jamais la moindre ! De ma vie je n’ai jamais éprouvé aucune douleur ! »
Comme un jeu d’enfants
L’histoire suivante et la merveilleuse leçon qu’elle renferme a été racontée par le gaon Rabbi Moché Sternbuch chelita dans son livre « Ta’am Vada’at » : Un jour le gaon Rabbi ‘Haïm Ozer Grojzenski zatsal est allé rendre visite au vénérable Rav de Lodz, le gaon Rabbi Eliahou ‘Haïm Meizel zatsal, et il lui a fait cadeau de son livre « A’hiezer ». Le Rav Eliahou fut heureux de recevoir le livre et exprima l’avis qu’il était merveilleux.
Rabbi ‘Haïm Ozer lui demanda : « Quand aurons-nous le plaisir que vous aussi rédigiez un livre ? » Rabbi Eliahou ‘Haïm lui répondit : « Moi, j’ai déjà un livre… »
Rabbi ‘Haïm Ozer s’étonna : « Si vous avez un livre, je vous en prie, montrez-le moi ! » Il répondit : « Venez avec moi. » Et il lui montra dans une armoire des reconnaissances de dette, qu’il s’était engagé à rembourser pour aider des talmidei ‘hakhamim, des veuves et des orphelins. Il ajouta que c’était cela son livre, « le livre des générations de l’homme », à savoir ses bonnes actions. Il ajouta que ce livre l’occupait tellement qu’il n’avait pas le temps de rédiger un livre comme celui de Rav ‘Haïm Ozer.
Ce dernier ne lui répondit absolument rien, mais sur son lit de douleur, peu de temps avant sa mort, il raconta cette histoire au gaon Rabbi Yossef Mishkowsky zatsal qui se trouvait à côté de lui, et ajouta que maintenant il voyait et comprenait qu’effectivement, Rabbi Eliahou ‘Haïm avait eu raison, et que l’essentiel du livre de l’homme, celui qu’il emmène avec lui dans la vie éternelle, était ses bonnes actions en ce monde-ci.
Et c’est ici le lieu d’ajouter une histoire qui figure dans le livre « Ha’Hafets ‘Haïm Vépoolo », que Rabbi ‘Haïm Ozer Grodzenski s’est exprimé vers la fin de sa vie devant des amis qui écoutaient en cherchant à s’instruire de sa riche expérience :
« Autrefois, dans ma jeunesse, je pensais que l’essentiel pour un homme comme moi était de trouver des quantités d’explications nouvelles dans la Torah et d’écrire des livres. Alors que maintenant, la rédaction d’un livre me paraît un jeu d’enfants à côté de la nécessité de soutenir les veuves et les orphelins, les pauvres et les talmidei ‘hakhamim ! »