Parachat Michpatim 6 Février 2016 27 Chevat 5776 |
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La Torah et sa récompense
(par Rabbi David Hanania Pinto Chelita)
« Et voici les lois que tu placeras devant eux. Quand tu acquerras un esclave hébreu, il travaillera pendant six ans, et la septième année il sortira librement et gratuitement » (Chemot 21, 1-2).
Rachi écrit : « Que tu placeras devant eux – comme une table dressée, prête pour celui qui s’installe pour y manger. »
Le Saint, béni soit-Il ordonne à Moché d’enseigner aux bnei Israël toutes les lois et les statuts que comporte la Torah, en insistant sur le fait que ces lois doivent être claires et placées devant les bnei Israël comme une table dressée pour quelqu’un, qui ne doit pas avoir besoin de travailler pour chercher quelque chose à manger. Dans le même esprit, Il a ordonné à Moché de ne pas transmettre ces lois aux bnei Israël de telle façon qu’ils doivent ensuite les apprendre et les commenter, mais plutôt d’expliquer les lois clairement, au point qu’elles soient limpides pour les bnei Israël et ressemblent à une table dressée et ordonnée.
Or cela suscite un étonnement : pourquoi Hachem n’a-t-Il pas dit à Moché « Voici la Torah que tu placeras devant eux » ? Tout le monde sait que sans étudier la Torah, il n’y a aucune possibilité d’accomplir les mitsvot. Au contraire, c’est la Torah qui mène à l’acte, et quiconque observe les mitsvot sans étudier la Torah, en fin de compte finit par n’accomplir qu’une partie des mitsvot, alors que celles qui sont difficiles et peu compréhensibles, il les délaissera, et ne les accomplira pas avec beaucoup d’enthousiasme. Tout cela parce que la Torah mène l’homme à la crainte du Ciel et fait pénétrer en lui le message qu’il faut exécuter les mitsvot de la Torah sans aucune différence ni distinction, uniquement parce que Hachem l’a ordonné. Or dans une situation où l’on n’étudie pas la Torah, comment atteindre ce niveau ? Donc on comprend mal pourquoi la Torah enjoint aux bnei Israël de respecter les lois avant de leur avoir dit d’étudier la Torah. Apparemment, il aurait fallu d’abord leur prescrire d’étudier la Torah, et ensuite seulement leur faire part des lois.
De plus, on comprend mal pourquoi la Torah a choisi la mitsva de l’esclave hébreu comme première mitsva d’introduction aux lois, alors qu’elle ne s’applique pas à toutes les générations, et qu’à notre époque elle n’a plus rien à voir avec la réalité. Il faut donc expliquer pourquoi la Torah a choisi comme exemple justement cette mitsva-là et non quelque chose de plus général qui s’applique en tous temps, comme par exemple la viande et le lait, les tsitsit, les tefilin, et ainsi de suite.
On peut l’expliquer par le fait que de même qu’on ne va à la synagogue que pour prier, c’est le but explicite, et de même que quelqu’un qui est invité le Chabbat, c’est dans l’intention qu’il participe au repas, il était également clair pour les bnei Israël que le but de leur venue au monde était de recevoir la Torah. C’est pourquoi quand Hachem S’est adressé à eux pour leur demander s’ils voulaient l’accepter, ils ont immédiatement répondu sans hésitation « nous ferons et nous écouterons », ils ont fait passer l’action avant l’étude, contrairement à la tendance naturelle, parce que tout au fond d’eux-mêmes ils avaient conscience que c’était leur but et leur raison d’être en ce monde. Avant même que l’âme ne descende dans le corps, on lui fait jurer d’étudier la Torah, et sans cette étude elle n’a ni possibilité ni droit d’existence en ce monde. Cela veut dire que toute la base de la création de l’homme et de sa venue au monde est d’étudier la Torah et d’en arriver à observer les mitsvot.
Et de même que les choses bien connues n’ont pas besoin d’être prouvées, dans le sujet qui nous occupe, D. n’a vu nul besoin d’ordonner aux bnei Israël une fois de plus d’étudier la Torah, étant donné que c’était déjà quelque chose de clair et de connu d’eux, ainsi qu’il est dit (Mekhilta Bechala’h) : « La Torah n’a été donnée qu’à ceux qui se nourrissent de manne. » Cela signifie que le haut niveau auquel se trouvaient les bnei Israël leur a donné le mérite de recevoir la manne du ciel, et c’est elle qui a gravé en leur cœur l’obligation d’accepter la Torah, de l’étudier et d’accomplir les commandements.
Dans le même ordre d’idées, on peut citer ce que dit le Ibn Ezra (Chemot 20, 2) : ou peut se demander pourquoi il est écrit « Je suis Hachem ton D. Qui t’a fait sortir du pays d’Egypte » plutôt que « Je suis Hachem Qui a créé le ciel et la terre », puisqu’il semblerait que la création du monde suscite chez l’homme un plus grand sentiment du devoir et le pousse davantage à croire en D. que la sortie d’Egypte. En effet, la création du monde et son existence concerne la totalité de l’humanité dans toutes les générations, alors que la sortie d’Egypte s’adressait seulement à cette génération-là.
Le Ibn Ezra répond à cela que Hachem a choisi de fonder la foi d’Israël justement sur le miracle de la sortie d’Egypte parce que la connaissance de la création du monde était déjà admise dans tous les cœurs, et il n’y avait nul besoin d’expliquer une nouvelle foi que D. est le Créateur du ciel et de la terre. Alors que l’histoire de la sortie d’Egypte était nouvelle pour eux, et qu’ils s’émerveillaient des grands miracles qui leur avaient été faits. C’est pourquoi Hachem a choisi de faire dépendre la foi d’Israël des miracles de la sortie d’Egypte.
La Torah dit donc directement : « Et voici les lois que tu placeras devant eux », sans commencer par évoquer l’étude, parce que le principe de l’étude de la Torah était connu et accepté sans discussion, puisque c’était pour cela que les bnei Israël étaient sortis d’Egypte. Il restait donc maintenant à leur enseigner les mitsvot.
La Torah a commencé par la mitsva de l’esclave hébreu, qui dépend d’une époque et n’existe pas dans toutes les générations, et non par une autre mitsva valable en tous temps, parce que l’évocation de l’esclave fait pénétrer au sein du peuple d’Israël le message qu’il est le serviteur de D. et n’a été créé que pour Le servir. Lorsque l’homme est le serviteur de D. et ne se trouve pas sous l’emprise des vanités du monde et des désirs, il devient en fait libre et sort gratuitement, ainsi qu’il est dit (Pirkei Avot 6, 2) : « Il n’y a d’homme libre que celui qui étudie la Torah. »
L’asservissement à Hachem est plus élevé et plus glorieux que tout asservissement à des considérations humaines, parce que plus l’homme est asservi à Hachem plus il se libère du joug du mauvais penchant de la matérialité et des désirs, jusqu’à ce qu’il devienne un maître et domine ses pensées et ses aspirations.
D’après cela, on peut expliquer sur le mode de l’allusion les mots « que tu placera devant eux ». Le mot « tassim » (tu placeras) évoque l’élévation (nessia). Lorsqu’on accomplit toutes les lois et les statuts qui ont été placés comme une table dressée, on mérite de s’élever par ces mitsvot, et ainsi de se libérer de la servitude des vanités de ce monde-ci.
SUR LA PENTE ASCENDANTE
Il guérira sûrement
Tous les ans le jour de Lag Baomer, jour de la hilloula du saint Tanna Rabbi Chimon bar Yo’haï, je me rappelle ce qui est arrivé dans mon enfance au Maroc par le mérite de Rabbi Chimon bar Yo’haï.
Ma sœur aînée avait reçu un grand coup à la tête, en résultat de quoi elle était restée infirme et ne pouvait plus marcher. Pendant de nombreuses années, ma mère l’avait emmenée chez de grands médecins et des spécialistes qui avaient essayé de la guérir, mais aucun d’entre eux n’avait réussi à la faire mettre debout sur ses jambes.
Tous les ans, le jour de Lag Baomer, mon père avait l’habitude de faire chez nous une hilloula en l’honneur du saint Tanna Rabbi Chimon bar Yo’haï, avec la participation de nombreux invités. Les participants chantaient tous, disaient des poèmes, et racontaient les miracles et les louanges de Rabbi Chimon bar Yo’haï.
Une année, après la fin de la hilloula, lorsque tous les participants furent partis, ma sœur infirme s’adressa à mon père pour lui demander naïvement : « Papa, si Rabbi Chimon bar Yo’haï a tant de pouvoir, pourquoi ne guérit-il pas mes jambes pour que je puisse marcher ? Qu’est-ce que je vais devenir quand je serai grande et que j’arriverai à l’âge des chidoukhim, quel jeune homme voudra d’une infirme comme moi ? »
Quand la famille entendit la question innocente et douloureuse, tout le monde éclata en sanglots. Une fois que tout le monde se fut calmé, mon père lui dit :
« Ma chère fille ! Si D. le veut, par le mérite de Rabbeinou le saint Chimon bar Yo’haï, tu te lèveras sur tes jambes et tu marcheras comme tout le monde. »
Cette nuit-là même, on entendit un cri terrifiant venant de la chambre de ma sœur. Comme cela nous avait tous réveillés, nous avons couru vers elle, paniqués.
A notre grande stupéfaction, nous l’avons découverte en train de marcher, tout droite sur ses deux jambes !
Naturellement, nous avons tous été très émus et nous nous sommes émerveillés de l’immense miracle qui lui avait été fait. Seul mon père a gardé son sang-froid. Il s’est adressé à ma sœur pour lui demander doucement : « Pourquoi as-tu crié, ma fille ? Raconte-moi ce que tu as senti dans ces moments-là. »
Ma sœur, très émue, a répondu qu’au milieu de la nuit, elle avait ressenti comme si quelqu’un lui faisait un massage sur ses jambes infirmes, jusqu’à ce que des vagues de chaleur se mettent à les traverser. Ensuite elle avait entendu une voix qui lui avait murmuré : « Lève-toi, tu peux déjà marcher », et c’est effectivement ce qui s’était passé. Elle avait essayé de se lever, et avait découvert qu’elle était capable de marcher comme tout le monde.
Quand mon père a entendu l’histoire de la bouche de ma sœur, il lui a dit que c’était certainement le saint Rabbi Chimon bar Yo’haï qui était venu la guérir, grâce à sa foi pure dans les mérites du tsaddik.
GARDE TA LANGUE
Raconter sur celui qui raconte
De la même façon qu’il est permis de faire savoir que quelqu’un a causé du tort à un autre (dans les conditions évoquées la semaine dernière), il est également permis de raconter sur quelqu’un qu’il a dit du lachon hara d’une autre personne, à condition que l’autre sache déjà que celui-ci a parlé de lui, car dans le cas contraire cela fait partie de la médisance et c’est interdit.
A LA LUMIERE DE LA PARACHAH
Extrait de l’enseignement du gaon et tsadik Rabbi David ‘Hanania Pinto chelita
Le mérite de la Torah
« Moché monta sur la montagne que la nuée recouvrait » (Chemot 24, 15)
Quand Moché est monté aux cieux pour en faire descendre la Torah, les anges se sont immédiatement insurgés et ont voulu le consumer, parce qu’ils s’étonnaient : « Qu’est-ce que le fils d’une femme vient faire parmi nous ? » (Chabbat 88b), ce qui signifie : qu’est-ce qu’un corps matériel, fait de chair et de sang, vient faire à l’endroit de la Présence divine, là où se trouvent les anges qui n’ont ni corps ni rien de corporel ? Lorsque Hachem a vu que les anges n’étaient pas satisfaits de la présence de Moché aux cieux, Il leur a dit qu’il venait recevoir la Torah. En réfléchissant, on s’aperçoit que cette réponse de D. n’avait pas de quoi calmer les anges ni répondre à leurs questions, car leur problème était la présence d’un corps matériel parmi eux. Si vraiment Hachem voulait donner la Torah à Moché, Il aurait pu la lui donner sur terre, pourquoi l’a-t-Il fait monter aux cieux ?
On peut expliquer que le Saint, béni soit-Il n’a délibérément pas donné de réponse satisfaisante aux anges, parce qu’Il voulait que Moché se mesure lui-même à leur protestation et leur réponde. Apparemment, cette conduite suscite l’étonnement, car le roi est censé protéger ses hôtes, et il ne peut pas venir à l’esprit que l’invité du roi se sente menacé par ses protecteurs. Alors pourquoi Hachem a-t-Il laissé Moché répondre seul aux anges, puisque si sa réponse n’avait pas été satisfaisante, ils auraient risqué de le consumer ?
On peut dire que l’altercation entre Moché et les anges était délibérée, parce que Hachem voulait prouver à Moché qu’après cent-vingt ans, il ne pourrait pas résider dans le monde qui est entièrement bon ni se trouver proche de la Chekhina si dans ses années sur terre il n’avait pas veillé à se remplir de paroles de Torah. Cela comporte un message à Moché que même lui à son niveau supérieur ne pouvait pas demeurer au ciel à la proximité des anges sans Torah, parce que la matérialité est incompatible avec la sainteté et la pureté que l’on trouve dans le monde de vérité.
La raison pour laquelle Hachem a accordé la Torah à Moché au ciel et non sur la terre, provoquant ainsi une altercation avec les anges, est le désir de le voir faire passer aux bnei Israël le message que l’entrée du monde à venir passe forcément par la Torah et l’accomplissement des mitsvot, car sans cela l’homme n’a aucune possibilité de contempler la présence de Hachem ni de se trouver à proximité du Trône de gloire après cent-vingt ans.
En montant aux cieux, Moché a transmis à la communauté d’Israël que c’est seulement la Torah qui soutient l’homme en fin de compte et lui procure le mérite de se trouver dans le monde de vérité. Et même Moché, malgré sa grandeur et son immense élévation, se trouvait en danger de la part des anges, parce qu’il lui manquait la Torah. C’est le sens du verset (Yéchayah 58, 8) : « ta droiture marche devant toi », lorsque vient le moment pour l’homme de quitter ce monde, la Torah, qui s’appelle droiture, marche devant lui et lui ouvre les portes du gan Eden.
A LA SOURCE
« Voici les lois que tu placeras devant eux » (21, 1)
Dans le contexte du commentaire de Rachi, « comme une table dressée, prête pour celui qui s’installe pour y manger », le livre « Otsar Hayédiot » apporte une merveilleuse allusion qu’il a trouvée au nom de l’un des saints de l’Holocauste, le gaon Rabbi ‘Haïm Samet :
Il y a, comme on le sait, quatre parties au Choul’han Aroukh : Ora’h ‘Haïm, Yoré Dea, Even HaEzer et ‘Hochen Michpat, où se trouvent exposées toutes les lois de notre Torah.
La valeur numérique des quatre parties du Choul’han Aroukh est de mille sept cent cinq, ce qui est également le nombre des simanim du Choul’han Aroukh (six cent quatre-vingt dix-sept dans Ora’h ‘Haïm, quatre cent trois dans Yoré Déa, cent soixante dix-huit dans Even HaEzer et quatre cent vingt-sept dans ‘Hochen Michpat, en tout mille sept cent cinq).
« N’humiliez pas la veuve ni l’orphelin. Si vraiment tu l’humiliais, et qu’il se mette à vraiment crier vers Moi, J’entendrai certainement son cri » (22, 22).
En observant ce verset, on s’aperçoit que la mise en garde « qu’il se mette à vraiment crier vers Moi » est au singulier, cela ne concerne que l’orphelin mais pas la veuve.
Pourquoi ?
Le livre « Or LaMéïr » l’explique à la lumière des paroles des Sages : « On doit toujours veiller à ne pas faire de tort à sa femme, parce que comme elle pleure facilement, on a vite fait de lui causer du tort » (Baba Metsia 59a). La femme se vexe volontiers, elle pleure facilement, et le châtiment de l’avoir vexée arrive rapidement.
C’est pourquoi la veuve est incluse dans l’ordre « N’humiliez pas la veuve ni l’orphelin », mais elle n’est pas comprise dans la mise en garde de la punition, qui concerne seulement le tort fait à un orphelin qui se mettrait à crier vers Hachem.
En effet, en ce qui concerne le tort fait à la veuve, Hachem punit rapidement, même si elle n’a pas crié.
« Si tu prêtes de l’argent à quelqu’un de Mon peuple, au pauvre qui se trouve avec toi » (22, 25).
Voici comment Rabbi Yéhouda Moualam zatsal comprend ce verset :
Les Sages ont dit (Pirkei Avot 6, 10) qu’au moment du décès de quelqu’un, ce n’est ni l’argent ni l’or ni les pierres précieuses qui l’accompagnent, mais uniquement la Torah et les bonnes actions.
Mais « si tu prêtes (talvé) de l’argent », si quelqu’un désire que son argent l’accompagne (ylavé) après une longue vie, alors il doit faire profiter de son argent « le pauvre qui se trouve avec toi », en donnant de la tsedaka ou un prêt lorsqu’il en a besoin. De cette façon, cet argent avec lequel on aura fait de bonnes actions vous accompagnera aussi au moment de la mort, comme dans l’expression « ta droiture marchera devant toi ».
LA VIE DANS LA PARACHA
A partir de l’enseignement de Rabbeinou ‘Haïm ben Attar
« Tu ne lèseras pas l’étranger et tu ne l’exploiteras pas » (22, 21).
On peut citer une introduction connue : les âmes des bnei Israël ont une racine sainte, ce sont les descendants d’Avraham, Yitz’hak et Ya'akov, l’héritage de D., et les autres n’ont pas cette bonne part. C’est pourquoi on ne doit pas léser quelqu’un qui n’a pas eu cette chance ni l’exploiter, en le considérant comme quelqu’un d’inférieur du point de vue de la sainteté, ce qui engendrerait d’autres réactions brutales. C’est pourquoi quand on ordonne aux bnei Israël de ne pas léser ni exploiter l’étranger, la raison en est qu’on ne doit pas dire qu’il provient d’une mauvaise racine, ou que par nature il s’assimile aux forces impures. Cela enlèverait de la valeur au ben Israël, car « vous avez été étrangers en Egypte », ce qui signifie, comme je l’ai expliqué, que les âmes des bnei Israël eux-mêmes avaient été plongées dans l’impureté. Cet étranger doit donc être comme l’un de vous, sans aucune différence, c’est pourquoi il ne faut ni le léser ni l’exploiter.
LES CHEMINS DE LA FOI
Etudes sur la droiture dans les midot
Un jour de l’année 5729, de grands rabbanim se sont rassemblés dans le hall de Porat Yossef pour trouver une solution à la décadence spirituelle au sein du peuple d’Israël. L’assemblée avait été convoquée par le Roch Yéchiva, le gaon Rabbi Yéhouda Tsadka zatsal, et d’autres personnes. Une partie des participants ont fait un discours, en apportant diverses propositions, et ils ont demandé qu’on prenne des décisions afin de les mettre en pratique.
Vers la fin de la discussion, l’un des rabbanim organisateurs de la réunion, qui était grand dans la Torah et les midot, s’est levé et a commencé a résumer tout ce qui avait été dit pendant la séance. Il a parlé un peu plus longtemps que de coutume, au point que l’un des rabbanim convoqués a perdu patience et s’est levé pour le faire taire en public en disant quelque chose du genre « Bravo, mais il y a peu de temps et beaucoup à faire… »
Le silence est tombé sur la salle, un silence retentissant de l’affront fait au Rav et à toute l’assemblée. L’orateur s’était totalement tu. Le Rav qui l’avait fait taire conclut rapidement, et l’assemblée se dispersa.
Quand le Roch Yéchiva sortit de la yéchiva, il s’adressa à Rabbi Naïm Eliahou zatsal, qui à sa demande avait servi de secrétaire à l’assemblée, et demanda : « Savez-vous où habite le Rav ? »
Lorsque Rabbi ‘Haïm lui répondit affirmativement, il lui dit : « Dans ce cas venez, nous allons chez lui pour lui demander pardon. »
Les deux partirent ensemble chez le Rav et le trouvèrent penché sur ses livres, en train d’étudier. Il fut effaré de les voir : « Qu’est-ce qui se passe ? »
Rabbi Yéhouda dit : « Nous sommes venus vous demander pardon, doublement pardon : pardon qu’on vous ait fait taire, et pardon de nous être tus. »
Ce ‘hakham hocha la tête et répondit : « De ce qu’on m’ait fait taire – en quoi cela vous concerne-t-il ? De plus, je lui ai déjà pardonné de tout cœur. Et de vous être tus, c’est ce que vous avez fait de mieux, car si vous aviez émis le moindre mot, il y aurait immédiatement eu un scandale. Vous avez accompli les paroles du plus sage de tous les hommes (Michlei 17, 14) : « Avant que la querelle éclate, quitte la place. » »
Rabbi Yéhouda zatsal répondit à une chose après l’autre : « Je savais d’avance que vous aviez pardonné à cette personne de tout cœur. Mais en même temps, il faut tout de même demander pardon, pour qu’il y ait aussi un pardon oral exprimé et connu, et pas seulement secret. Et sur le deuxième sujet, c’est vrai, vous avez raison. »
Cette histoire, qui est citée dans le livre « Vézot Lyhouda », dévoile tout un trésor des qualités élevées du Roch Yéchiva zatsal. Et en particulier une compréhension profonde de l’âme de l’autre, une très grande sensibilité à son honneur et à sa tranquillité, et une attention extraordinaire à ne pas trébucher le moins du monde par des paroles touchant quelqu’un d’autre. Ces trois aptitudes étaient surtout ce qui caractérisait ses rapports avec autrui.
Voici une autre histoire le concernant, alors qu’il s’occupait du chidoukh d’un jeune homme de la yéchiva auquel il était personnellement mêlé, avec un autre Rav qui avait été autrefois son élève, dans toutes les étapes préliminaires, jusqu’à ce que les deux côtés en arrivent à conclure positivement.
Le soir où eurent lieu les fiançailles chez les parents de la jeune fille, tout à coup arriva un certain talmid ‘hakham, qui avait demandé au Rav de sortir avec lui, car il avait quelque chose de secret à lui dire.
Lorsqu’ils se trouvèrent dehors, l’homme lui raconta qu’il venait d’apprendre que la jeune fille souffrait s’une maladie sérieuse, et que tout le chidoukh relevait d’une erreur. A son avis, il fallait immédiatement tout annuler et ne pas se laisser entraîner dans une situation douteuse.
Le Rav répondit immédiatement à ce talmid ‘hakham que malgré tout ce qu’il avait raconté, ce n’était pas une chose à faire. Il était totalement impossible d’offenser de façon si brutale la jeune fille et sa famille. Il rentra immédiatement à l’intérieur et on continua à fêter l’événement comme si de rien n’était.
Le lendemain, il réfléchit avec son élève sur la suite à donner. Il était clair pour eux qu’on devait informer le jeune homme des renseignements obtenus, et c’est ce qu’ils firent. Parallèlement, ils décidèrent, en ce qui concernait le problème lui-même, de poser la question au Rav de Brisk zatsal : fallait-il annuler le chidoukh ou non ?
Les deux partirent lui exposer le cas. Le Rav de Brisk écouta attentivement, réfléchit quelques instants, mais sa réponse fut : « Je ne sais pas. Je ne sais tout simplement pas quoi faire. »
Ils sortirent perplexes. Que faire ?
Mais Rabbi Yéhouda se remit rapidement et dit : « Maintenant, c’est à nous de prendre une décision. Je vais donc donner mon avis. Il me paraît évident que ce chidoukh doit continuer malgré tout. »
Le jour même, le talmid ‘hakham revint vers lui très étonné et agité. « Je suis venu demander pardon, parce qu’entre temps j’ai appris qu’on m’a trompé en me racontant des mensonges et qu’il n’y a jamais rien eu de pareil. La jeune fille est en bonne santé, elle n’a aucune maladie. »
Et cela parut extraordinaire.
A ce moment-là, Rabbi Yéhouda répondit : « Celui qui s’efforce de surtout ne pas blesser le prochain, le Saint, béni soit-Il le protège et il ne provoque aucun mal. »
HISTOIRE VECUE
L’essentiel, c’est « ce qu’on dit de nous dans le Ciel »
Rabbi Yitz’hak Zéev Soloveitchik, le Rav de Brisk, était sans cesse animé d’une foi tangible selon laquelle rien ne peut empêcher Dieu de sauver, quelles que soient les circonstances. C’est pourquoi même dans les circonstances les plus difficiles, il soulignait que ce n’est pas la situation qui compte, mais uniquement « ce qu’on dit de nous dans le Ciel ». Voici ce qu’on raconte sur lui dans le recueil Cha’arei Torah : Quand notre maître était à Vilna, en 5700 (1940), les Russes décrétèrent une réquisition des appartements pour les officiers de l’armée. Voici comment ils procédaient : d’abord, ils édictaient une réquisition de certains appartements, puis ils envoyaient les officiers qui étaient intéressés se choisir un appartement parmi ceux qui avaient été réquisitionnés. Quand un appartement plaisait à un officier, le propriétaire devait le libérer dans les quarante-huit heures, et il recevait en échange un appartement dans un endroit lointain de la ville.
Un jour, quand les fils de notre maître arrivèrent chez eux, le Rav leur raconta que les Russes étaient dans la maison et l’avaient réquisitionnée. Ils en furent désespérés car ils n’y avait nulle part où aller, étant donné que l’appartement qu’on leur avait proposé en échange était très loin de la ville et qu’il n’y avait aucun moyen de transport, sans compter qu’il n’avait pas de fenêtres. Quand notre maître vit la tristesse de ses enfants, il soupira : « Cette semaine, nous lisons la parachat Vayichla’h, où se trouve le verset : « Et il dit : ton nom ne sera plus Jacob mais Israël, car tu as lutté contre des puissantes céleste et humaines, et tu es resté fort. » Et Rachi explique : « Des puissances humaines – Esaü et Laban ». Cela demande explication. Certes, Jacob avait déjà vaincu Laban, mais il n’avait pas encore rencontré Esaü, comment peut-on donc dire « tu es resté fort » ?
L’explication, c’est que l’homme qui avait lutté avec Jacob était l’ange tutélaire d’Esaü, et les Sages enseignent qu’ils avaient lutté jusqu’au siège de gloire, à savoir que leur lutte portait sur leur statut dans le Ciel. Par conséquent, une fois que Jacob avait vaincu l’ange tutélaire d’Esaü dans le Ciel, il avait par là même également vaincu Esaü ici sur terre, bien qu’il ne l’ait pas encore rencontré.
De même, termina notre maître en s’adressant aux habitants de sa maison, nous devons nous soucier en priorité de ce qu’on dira de nous dans le Ciel ; si là-bas on se montre bienveillant envers nous, il n’y a plus à craindre qui que ce soit ! » Et c’est effectivement ce qui arriva : bien que l’appartement de notre maître à Vilna ait été grand et beau, il n’a pas plu aux officiers qui l’avaient visité, et c’est seulement après le départ de notre maître pour Erets-Israël que quelqu’un d’autre eux est venu, a aimé l’appartement et l’a pris.