Parachat Aharei Mot Kedochim 6 Mai 2017 י' אייר תשע"ז |
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Sur la voie de la sainteté, l’abnégation
Rabbi David Hanania Pinto
Un lien étroit unit les parachiot de A’haré Mot et Kédochim. Lorsque mon père, le Tsaddik Rabbi Moché Aharon, de mémoire bénie, entendait quelqu’un médire d’un défunt, critiquer sa crainte du Ciel ou son accomplissement des mitsvot, il le réprimandait aussitôt en citant, dans l’ordre, les noms des parachiot A’haré Mot, Kédochim et Émor, que l’on peut respectivement traduire par « après la mort », « saints » et « dis ». Autrement dit, après la mort, on doit considérer le disparu comme saint. La Halakha (Choul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm 606, 3) corrobore ce point, en mentionnant l’interdit absolu de médire d’une personne qui n’est plus parmi nous, ce qui est d’ailleurs de longue date l’objet d’un anathème. Le Michna Broura va aussi dans ce sens, et c’est pourquoi celui qui a transgressé cet anathème doit faire téchouva.
« Ne hais point ton frère en ton cœur : reprends ton prochain, et tu n’assumeras pas de péché à cause de lui », nous dit par ailleurs le verset (Vayikra 19, 17). Et nos Sages d’expliquer (Baba Métsia 31a) qu’il faut être prêt à le reprendre même cent fois. Dans l’ouvrage Zékhout Avot, il est expliqué que même si la première et la deuxième fois, nos remontrances tombent dans l’oreille d’un sourd, il ne faut pas se décourager, mais répéter ses reproches – bien sûr avec tact et délicatesse. La patience est de mise, car on ne peut pas savoir quand nos paroles finiront par l’ébranler. Et même si, pour le moment, notre interlocuteur n’accepte pas le reproche, il se peut qu’après un certain temps, voire des années – et parfois même au seuil de la mort –, celui-ci lui revienne en mémoire et l’amène à se repentir complètement. Ainsi, il pourra quitter ce monde pur et sans fautes.
Cela nous permet de comprendre la juxtaposition des parachiot A’haré Mot et Kédochim : en acceptant, tôt ou tard, voire in extremis, de se soumettre aux reproches, l’homme éprouve des remords pour ses mauvaises actions et fait téchouva jusqu’au bout. Puis, par sa mort, il devient saint, ayant eu le mérite de quitter ce monde comme les saints – leur âme monte au Ciel pure, dégagée de tout péché.
La Guémara (Brakhot 63b) commente ainsi le verset « lorsqu’un homme mourra dans la tente (…) » : « La Torah ne s’accomplit qu’en celui qui se tue [à la tâche] pour elle. » En d’autres termes, celui qui veut mériter la couronne de la Torah doit se tenir à l’écart de ce monde et de ses agréments, et se sacrifier pour la Torah. Par contre, la Torah ne pourra résider en celui qui privilégie les plaisirs de la vie.
C’est ce que résume ainsi le Rambam (Hilkhot Talmud Torah 3, 10) : « Les paroles de Torah ne se maintiennent pas chez celui qui se repose sur ses lauriers, ni chez ceux qui étudient en se vautrant dans les plaisirs, et notamment ceux du palais, mais seulement chez celui qui se tue pour elle, mortifie son corps en permanence et ne prend pas le temps de dormir, de fermer l’œil. »
Et d’ajouter (halakha 13) : « Bien que ce soit une mitsva d’étudier jour et nuit, l’homme n’acquiert la majorité de sa sagesse que la nuit. C’est pourquoi celui qui désire acquérir la couronne de la Torah devra faire attention de ne pas perdre une seule nuit à dormir, boire, manger ou discuter, etc., mais devra s’y consacrer à l’étude de la Torah et des paroles de sagesse. »
Celui qui a le mérite d’acquérir la Torah au prix d’efforts, en limitant son sommeil, son alimentation et les autres plaisirs, devient un homme pur et saint, incarnant le verset « Soyez saints, car Je suis saint, Moi, l’Eternel ». Une sainteté acquise grâce à cette abnégation.
Tel est le sens de la succession des sections de A’haré Mot et Kédochim : après avoir voué sa vie à la Torah, l’homme acquiert la kédoucha. Car c’est seulement au prix de ces mortifications, de ces sacrifices, de cette prise de distance vis-à-vis des plaisirs terrestres que l’on peut parvenir à ce niveau.
Reprenons, pour conclure, ce mot de nos Sages (Avot 2, 4) : « Accomplis Sa volonté comme si c’était la tienne afin qu’Il réalise la tienne comme si c’était Sa volonté propre. »
LA VOIE TRACÉE
Un voyage d’élévation
Chaque année, au mois d’Elloul, mois de Miséricorde et des seli’hot, nous organisons un grand pèlerinage sur les tombes des Tsaddikim enterrés en Europe, pèlerinage auquel se joignent de nombreuses personnes de tous les coins de la planète et de toutes les couches sociales.
Une année, un groupe d’hommes d’affaires s’y joignit, au nombre desquels on pouvait compter l’une des plus grosses fortunes de la planète.
Au cours de ce périple, nous nous sommes déplacés en autobus dans des conditions souvent difficiles – nous ne disposions pas toujours de lits pour dormir. Après ce circuit éreintant, nous avons pris un vol pour le Maroc, à l’occasion de la hilloula de mon ancêtre le Tsaddik Rabbi ‘Haïm Pinto zatsal.
Quelle ne fut pas ma surprise quand, après toutes ces tribulations, les participants demandèrent à me suivre en Israël, pour deux jours supplémentaires de renforcement et d’élévation !
Etonné, j’interrogeai l’un des membres du groupe, propriétaire d’une dizaine de banques : « Vous avez pourtant des affaires en pleine expansion, comment, dans ce cas, pouvez-vous les laisser de côté pour vous joindre à nous ?
– Toutes mes affaires ne sont rien à côté de l’extraordinaire expérience spirituelle que représente pour moi ce voyage, dont le summum sera certainement ces deux jours en Israël », me répondit-il.
Lorsque nous avons atterri en Israël, le jour commençait à poindre. Ayant épuisé toutes mes forces, je pris un peu de repos, tandis que les membres du groupe se rendirent directement de l’aéroport au Kotel, ce vestige de notre Temple, pour y prier à l’aube, et ce, en dépit de la fatigue accumulée lors de cette semaine intense.
Ces hommes m’ont montré ce qu’est l’amour d’Israël. En dépit de leur fatigue accumulée tout au long de ce périple éreintant, ils n’étaient pas prêts à renoncer à ce voyage pour la Terre Sainte. Plus, à peine en avaient-ils foulé le sol qu’oubliant leurs besoins physiques, ils se précipitèrent au Kotel pour y déverser leur cœur. Sensibles à la sainteté ambiante, ils avaient spontanément ressenti ce besoin de se rendre sur les ruines de notre Temple, lieu que la Chékhina n’a jamais délaissé.
PAROLES DE TSADIKKIM
Le rôle de journaliste
« Il l’enverra, sous la conduite d’un exprès, dans le désert. » (Vayikra 16, 21)
Le rôle de ce mandataire était de procéder à une confession générale de toutes les fautes de l’ensemble du peuple juif. On peut se demander comment un être de chair et de sang pouvait être à même de détailler les moindres péchés de ses coreligionnaires de manière exhaustive.
Cette question fut posée, en son temps, au Gaon Rav Méir Shapira de Lublin par un journaliste d’une importante publication l’interviewant sur le judaïsme ‘harédi de l’époque. Celui-ci se faisait un plaisir de fouiller les zones d’ombre du passé, soulignant les « crimes » du public orthodoxe.
Tout en écoutant le long réquisitoire du journaliste, le Rav lui demanda soudain, comme s’il changeait de sujet : « Est-ce que vous savez où le mot journaliste apparaît pour la première fois dans la Torah ? »
Parmi ceux qui se trouvaient dans la pièce, personne ne connaissait la réponse. Mais le Rav, imperturbable, poursuivit son apparente digression :
« A Yom Kippour, au plus fort de ce jour si saint pour notre peuple, quand le bélier est envoyé à Azazel, on le confie à un ich éti. De qui s’agit-il ? On peut le comprendre dans le sens de itonaï – journaliste. Pourquoi confier cette mission à un journaliste ? Aucun autre personnage ayant un rôle public n’aurait-il pu s’en charger ?
« Nos Sages nous enseignent que c’est parce qu’il fallait évoquer devant cette bête, destinée à être envoyée à Azazel, dans le désert, tous les péchés et manquements du peuple juif – si une faute avait été oubliée, elle ne pouvait être expiée à l’issue de ce processus. Or, seul un journaliste est en mesure de se souvenir dans les moindres détails de chaque manquement du peuple juif, étant tout bonnement incapable de les oublier.
« L’idéal étant, bien sûr, poursuivit le Gaon avec une pointe de malice, d’en envoyer un travaillant pour un important journal, aussi largement distribué que le vôtre… »
CHEMIRAT HALACHONE
L’enfer est pavé de bonnes intentions
Il est interdit de parler à une personne d’une autre qu’elle n’apprécie peut-être pas, de peur qu’elle n’en vienne à la critiquer.
Abonder en louanges sur une personne, même si ce n’est pas devant ses ennemis, est interdit. Cela peut en effet mener celui qui fait ces éloges ou ses auditeurs à nuancer ensuite ces propos en mentionnant tel ou tel défaut de cette personne.
DE LA HAFTARA
« La parole de l’Eternel me fut adressée en ces termes : Ô toi, fils de l’homme ! » (Yé’hezkel, chap. 22)
Lien avec la paracha : Le prophète clame les fautes d’Israël, ce qui nous renvoie aux avertissements de la paracha, de ne pas imiter les abominations des nations.
Dans les communautés ashkénazes, la haftara lue est celle commençant pas les mots « N’êtes-vous pas pour Moi comme les fils de l’Ethiopie, ô enfants d’Israël ? » (Amos, chapitre 9, verset 7 et suivants). Il y est question de la royauté d’Israël exilée du fait des fautes de la génération. C’est malheureusement la concrétisation de la menace exprimée dans la paracha : « Craignez que cette terre ne vous vomisse si vous la souillez » (Vayikra 18, 28).
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
A-tu fixé des moments pour l’étude de la Torah ?
« Signifie à Aaron, ton frère, qu’il ne peut entrer à toute heure dans le sanctuaire (…) » (Vayikra 16, 2)
Comme le souligne la Torah, cet ordre fut transmis à Aharon par le biais de Moché Rabbénou, suite à la mort de ses deux fils. Pourquoi a-t-elle jugé opportun d’évoquer ce funeste épisode à ce moment précis ?
Il me semble que l’on peut l’expliquer en se basant sur le fait, rapporté par ‘Hazal, qu’après 120 ans, lorsque l’homme se présente devant la Cour céleste, on lui demande s’il a fixé des moments pour l’étude de la Torah. Il s’agit en effet d’une obligation concernant tout Juif, impliquant d’y consacrer des plages horaires quotidiennes, en se libérant de toutes ses autres activités pour cela. Et il faut se dévouer pour ne pas annuler une seule de ces sessions d’étude, même ponctuellement.
Tel est également le sens de la mise en garde « il ne peut entrer à toute heure dans le sanctuaire » : on ne peut étudier n’importe quand, sans régularité, un jour oui et le lendemain non, car l’essentiel de l’élévation spirituelle d’un homme découle de cette régularité, de ce sérieux. Celui qui veille à ne pas rater un seul jour le cours de Torah auquel il participe régulièrement, sa progression spirituelle est elle aussi régulière et continue, et il s’épanouit sans cesse davantage.
Côtoyant d’innombrables personnes, j’ai été amené à constater que parfois, même si elles prient et accomplissent les mitsvot, elles ne s’améliorent pas fondamentalement dans le domaine spirituel. Elles ne semblent pas être sur une pente ascendante et paraissent, pour ainsi dire, dénuées de vitalité dans le domaine spirituel. C’est dû au fait qu’elles ne consacrent pas de moment fixe à l’étude de la Torah. Lorsqu’elles ont un battement dans leur emploi du temps, il peut certes leur arriver de venir étudier un peu, mais sans la moindre continuité ni régularité. Elles ne sont pas opposées à l’idée d’étudier, mais elles n’aménagent pas concrètement leur existence pour matérialiser ce désir. Ce type de situation représente un danger spirituel pour leurs enfants également : quand le fils voit que son père n’accorde pas tant d’importance à la Torah et n’y consacre pas des moments réguliers, il suit naturellement la même voie. C’est ainsi que l’on a affaire à des individus spirituellement « morts ».
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Torah juxtapose l’interdit de pénétrer à tout moment dans le sanctuaire et la mort des deux fils d’Aharon. Le but est ainsi de souligner allusivement que celui qui pénètre dans la maison d’étude n’importe quand, au gré de ses envies et de son temps libre, sans régularité ni continuité, doit savoir qu’il risque au final de déplorer la « mort » – spirituellement parlant – de ses fils. L’inverse est vrai : quand un fils voit que son père n’est pas prêt à renoncer à son étude régulière, même un seul jour, il en déduit l’importance de la Torah pour son père et lui emboîte le pas.
À MÉDITER
Rabbi ‘Haïm de Volozhin avait pris sur lui de ne pas réciter de brakha sans avoir à ses côtés une personne susceptible de répondre « Amen », conformément à l’affirmation du Zohar selon laquelle une brakha à laquelle personne n’a répondu Amen est telle une lettre restée scellée.
Il arriva une fois, tard dans la nuit, que le Maître soit pris d’une soif intense. Il aurait voulu boire, mais il était hors de question qu’il réveille quelqu’un à cause de cela. C’est ainsi qu’il souffrit en silence un bon moment, quand soudain, on tapa à sa porte. Il s’agissait d’un des élèves de la Yéchiva, venu le questionner sur le sens d’un passage de Guémara. Le Rav profita de sa présence pour réciter la brakha de chéhakol puis, après avoir étanché sa soif, celle de boré néfachot. Le Maître éprouvait une joie intense à l’idée du secours dont il avait bénéficié pour pouvoir réciter sa brakha en présence d’une tierce personne, et ne se priva pas de remercier chaleureusement l’élève qui lui avait permis de se désaltérer et de louer le Ciel tout en respectant ses principes. Le Rav et son disciple s’entretinrent ensuite d’étude pendant un moment, après quoi ce dernier prit congé.
Le lendemain matin, à son entrée à la Yéchiva, le Maître alla trouver le jeune homme, afin de lui réitérer ses remerciements. Mais celui-ci eut une réaction très surprise, comme s’il n’était au courant de rien : « Quand suis-je allé voir le Rav la nuit dernière ? Où cela ? » C’était vraiment à tomber des nues.
A compter de ce jour, Rabbi ‘Haïm témoigna un respect particulier à cet élève, car si, du Ciel, on lui était apparu sous ses traits, c’était sûrement qu’il sortait du lot.
EN PERSPECTIVE
Cette paracha comporte un certain nombre de mises en garde dans le domaine des relations interpersonnelles, et notamment celle de ne pas donner de mauvais conseil, risquant de nuire à autrui. Au contraire, nous devons le conseiller du mieux que nous pouvons.
On proposa une fois un chidoukh entre deux jeunes gens, dont les familles respectives vinrent séparément demander conseil au ‘Hazon Ich.
Lorsque le père du jeune homme se présenta, le ‘Hazon Ich lui conseilla d’accepter la proposition, qu’il lui décrivit comme avantageuse pour son fils.
Pourtant, quand le père de la jeune fille le consulta, le son de cloche était quelque peu différent, si bien qu’il rejeta finalement ce chidoukh.
Ayant eu vent des faits, le chadkhan, étonné, se rendit auprès du ‘Hazon Ich. Pourquoi le Sage avait-il donné aux deux candidats des réponses contradictoires ?
« Je conseille à chacun ce qu’il y a de meilleur pour lui. Au père du jeune homme, j’ai conseillé d’accepter la proposition, car c’était ce qu’il y avait de mieux pour son fils. Par contre, j’ai donné un avis différent au père de cette jeune fille, car elle pourrait trouver un meilleur chidoukh ! »
DES HOMMES DE FOI
En Elloul de l’année 1844 (5604) (un an avant la disparition de Rabbi ‘Haïm Pinto Hagadol, durant la guerre entre le Maroc et la France, la ville de Mogador fut dévastée. Nombre d’habitants durent s’enfuir avec leurs familles, jusqu’au retour du calme, pour échapper à la mort et à la disette.
Cependant, pourquoi le Tsaddik n’avait-il pas prié pour empêcher la guerre d’atteindre la ville ? Si la grandeur de sa sainteté avait le pouvoir de protéger le monde entier, à plus forte raison pouvait-elle protéger Mogador de la destruction.
En fait, nous savons qu’un dur décret peut être évité en subissant un exil à la place. C’est pourquoi Rabbi ‘Haïm préféra ordonner à tout son peuple de s’enfuir et de vivre en exil plutôt que de risquer de mourir en restant à Mogador.
Rabbi ‘Haïm rejoignit un groupe d’habitants de Mogador qui quittait la ville à pied, car, en ces temps troublés, on ne trouvait pas de carrioles ni d’ânes – ils avaient été réquisitionnés par l’armée. Au cours de cette fuite, un non-juif tenta de frapper le Tsaddik. Mais quand il leva le bras, celui-ci se figea miraculeusement en l’air, l’interrompant dans son mouvement.
Le Tsaddik était déjà âgé de quatre-vingt-six ans et le voyage lui était très pénible.
Son fils, le Tsaddik Rabbi Hadan, se proposa de le porter sur ses épaules. Ils voyagèrent ainsi pendant toute une journée, jusqu’à parvenir à la ville de Azghar. Là, ils trouvèrent refuge dans la demeure du gouverneur de la ville, ‘Haz Abdallah, qui était un Juste parmi les nations.
Celui-ci nourrit le Rav et toute sa famille et les entretint avec largesse. Il veilla sur eux durant toute cette période et les préserva ainsi de la famine et de tout mal.
Après la guerre, ils prirent congé du gouverneur afin de retourner à Mogador. Avant de le quitter, Rabbi ‘Haïm le bénit, lui souhaitant d’être comblé de tous les bienfaits, en remerciement de son comportement exemplaire à leur égard.