Lekh Lekha 28 Octobre 2017 ח' חשון תשע"ח |
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La descente de l’âme en ce monde
Rabbi David Hanania Pinto
« L’Éternel dit à Avram : Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. » (Béréchit 12, 1)
Certains commentateurs expliquent ce verset en référence à l’âme humaine : l’Éternel ordonne à celle-ci de quitter son pays – les mondes supérieurs –, son lieu natal – le trône céleste –, et de se rendre vers le pays qu’Il lui indique – ce monde-ci. L’âme n’a pas la possibilité de s’élever dans le monde de la Vérité, mais seulement dans ce monde-ci, et c’est pourquoi, le Saint béni soit-Il lui dit : « Je te ferai devenir une grande nation », autrement dit, lorsque l’âme humaine luttera contre le mauvais penchant, elle créera des mondes et permettra des réparations, procurant de la satisfaction à son Créateur. Pourtant, au départ, l’âme se montre réticente à ce projet, comme le souligne la sentence : « Malgré toi tu es appelé à vivre » (Avot 4, 29) ; Dieu lui enjoint alors : « Va pour toi : pour ton profit et pour ton bien. » En effet, l’âme ne peut s’amender que dans ce monde. D’ailleurs, le Tana poursuit : « malgré toi tu es appelé à mourir », car une fois que l’âme a constaté qu’elle ne peut s’élever que suite à une lutte contre le mauvais penchant dans ce monde, elle ne veut plus le quitter.
Dans son ouvrage Maguen David, le kabbaliste Rabbi David Pérets, que son mérite nous protège, évoque brièvement cette idée selon laquelle le verset fait ici allusion à l’âme. Je voudrais expliquer la différence entre les qualificatifs désignant ce monde-ci – « le monde du mensonge » – et le monde à venir – « le monde de la Vérité ». La différence entre ces deux mondes explique peut-être pourquoi le Saint béni soit-Il a fait descendre la Torah, appelée Vérité, du monde futur vers ce monde, plutôt que de la donner directement dans ce monde – qui est mensonge. Ainsi, il est rapporté que lorsque Moché Rabbénou monta au ciel, il vainquit les anges, qui lui offrirent des cadeaux. L’ange de la Mort lui fit le cadeau suivant : il lui révéla le secret de l’encens (Yalkout Chimoni sur Bamidbar, 752), bien que cela aille à l’encontre de sa propre mission, puisque ce secret permettrait à Moché de l’empêcher d’enlever des âmes humaines. Cependant, dans le monde de la Vérité, on n’entre pas dans de telles considérations.
À présent, comment comprendre que ce monde-ci soit appelé « monde du mensonge » ? Le Saint béni soit-Il a créé la Vérité et Son sceau est Vérité (Chabbat 55a), aussi, comment dire qu’Il a créé un « monde du mensonge », alors que tous Ses attributs sont Vérité ? En réalité, il semble que ce monde-ci soit lui aussi un monde de Vérité, mais le mauvais penchant qui s’y trouve a le pouvoir de transformer cette vérité en mensonge. Le rôle du mauvais penchant est de présenter à l’homme le mensonge comme s’il s’agissait de la Vérité. Un homme est capable d’adresser des prières à son Créateur – acte de vérité – tout en étant préoccupé par des pensées extérieures ; sa prière devient alors “mensongère”. De même, lorsqu’un homme mange, l’acte de se nourrir fait en soi partie de son service divin, car le but de la nourriture est de lui procurer les forces nécessaires à cette mission. Par contre, un homme qui mange par plaisir cultive le mensonge.
La mission de l’homme dans ce monde consiste à transformer son être de mensonge en vérité, métamorphose qui ne peut se faire que par le biais de la sainte Torah, appelée Vérité. Ainsi, le Saint béni soit-Il a fait descendre la Torah du monde de Vérité, afin que l’homme ne puisse pas prétendre avoir transgressé les paroles de la Torah car elle ne serait pas véridique, ayant été donnée dans un monde de mensonge. On ne peut avancer cet argument, car la Torah provient du monde à venir, qui est Vérité, et par le don de la Torah, la Vérité est donc descendue du monde futur vers ce monde-ci. Par conséquent, l’étude de la Torah permet à l’homme de surmonter le mensonge (et simultanément, le mauvais penchant).
La Guémara (Yoma 35b) rapporte que trois catégories de personnes sont appelées à comparaître devant le Saint béni soit-Il : le riche, le pauvre et le bel homme. L’Éternel leur demande alors pourquoi ils n’ont pas étudié la Torah : étaient-ils plus pauvres que Hillel, ou plus importunés par le mauvais penchant que Joseph – célèbre pour sa beauté –, et ainsi de suite… Pourtant, ces derniers ont étudié la Torah et maîtrisé les épreuves de ce monde ! Cela prouve donc que la Torah représente le seul moyen d’élévation pour l’homme dans ce monde, comme le souligne la sentence : « J’ai créé le mauvais penchant, et J’ai créé la Torah comme antidote. » (Kidouchin 30b) Il en résulte que même si la Torah est descendue dans ce monde, elle a gardé sa sainteté et est à la disposition de quiconque désire l’acquérir. Seule la Torah possède le pouvoir de détacher l’homme des vanités de ce monde et de le lier à des valeurs réelles.
Il est rapporté qu’avant sa mort, Rabbénou Hakadoch leva ses dix doigts vers le ciel en proclamant qu’ils étaient témoins qu’il n’avait pas joui de ce monde (Ketouvot 104a). En effet, Rabbi était très riche, mais n’avait jamais profité de son opulence, conscient qu’elle n’était qu’un fruit de ce monde, mensonger. Cependant, le Saint béni soit-Il désire procurer du plaisir à Ses créatures, c’est pourquoi Il a créé la richesse ; ainsi, le monde matériel est un outil, mis à la disposition de l’homme, pour mieux Le servir. Pourtant, certains Justes appliquent le principe : « Sanctifie-toi dans ce qui t’est permis », renonçant au monde matériel. Mais Rabbi ne restreignait pas autrui comme il le faisait pour lui-même. Il est affirmé (Avoda Zara 11a) que le raifort et le radis n’ont jamais fait défaut sur la table de ce Juste, néanmoins il s’en privait, car à son niveau, il les considérait comme un luxe superflu. En outre, le fait que le radis (tsenon) ne faisait jamais défaut sur sa table, peut être interprété différemment : le terme tsenon a pour sens refroidir, allusion à la lutte de Rabbi contre le mauvais penchant, qu’il “refroidissait”. De même, Rabbi ’Hanina ben Dossa ne se nourrissait, durant toute une semaine, que d’un kab (petite quantité) de caroubes (Berakhot 17b), car il savait que tout objet matériel, y compris ceux qui semblent répondre à un besoin humain, est soumis à l’influence du mauvais penchant.
Lorsque l’homme étudie la Torah, il transforme le mensonge en vérité. Par ailleurs, il est écrit : « Dans toutes tes voies, songe à Lui » (Michlé 3, 6). Ainsi, l’homme a la possibilité de servir le Créateur de multiples manières : en mangeant, en buvant, en se reposant, ou en répondant à d’autres besoins physiques. S’il exécute ces actions dans le but de mieux Le servir et non d’en jouir, elles seront considérées comme partie intégrante de son service divin.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Pourquoi dis-tu, Yaakov (…) ? » (Yéchayahou 40, 29 et suivants)
Cette haftara évoque, en écho à la paracha, la guerre menée par Avraham contre les quatre rois – « Qui lui soumet les rois ? » (ibid. 41, 2).
CHEMIRAT HALACHONE
Lorsque l’intention de nuire est apparente
Si une personne dispose d’éléments tangibles indiquant que son prochain veut lui nuire physiquement ou financièrement, même si jusque-là, personne ne lui a fait part de telles intentions, il a le droit de se renseigner et d’enquêter là-dessus auprès d’autres personnes. Il demandera si Untel a l’intention de lui nuire dans tel ou tel domaine afin de savoir comment s’en prémunir. Il ne doit pas craindre, dans un tel cas, que cela conduise les gens à médire de lui.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Torah ou affaires ?
Un Juif new-yorkais vint un jour me confier sa détresse : son fils, atteint de la terrible maladie, était dans un état très grave. Il me demandait donc de bien vouloir prier pour ce dernier et d’invoquer le mérite de mes saints ancêtres pour qu’il guérisse.
Je répondis positivement à sa demande et, grâce à D.ieu, après un certain temps, son fils guérit et recouvra la santé. « À présent, vous devriez consacrer ce fils au Créateur en acceptant qu’il devienne un homme de Torah », dis-je à son père en apprenant la bonne nouvelle. Mais cette idée lui était difficile à accepter, et il me fit la proposition suivante : « Faisons un contrat, Rav : ce fils, qui est si intelligent et brillant, fera son chemin dans les affaires, et c’est mon deuxième fils que je consacrerai à la Torah. » Mais je m’entêtai : « Votre fils qui a reçu la vie en cadeau sera un homme de Torah, ce qui ne l’empêchera pas, en parallèle, de faire des affaires. »
Cet homme s’inclina, et aujourd’hui, son fils évolue certes dans le monde des affaires, mais la Torah est l’essentiel dans sa vie, tandis que son travail n’est que secondaire. Il réserve chaque jour plusieurs heures à l’étude, et grâce à D.ieu, il a eu le mérite de terminer plusieurs fois l’étude du Talmud. Quant au cadet, il a suivi l’exemple de son frère et est un véritable homme de Torah, à laquelle il consacre le plus clair de son temps.
De simples maux de tête ?
Une année, quelques jours avant Pourim, eut lieu, dans le Collel de nos institutions à Paris, une grande fête. Mais voilà que soudain, au milieu des réjouissances, un Avrekh du nom d’Ouriel fit irruption dans la pièce, le visage défait, et se dirigea aussitôt vers moi. Il éclata alors en sanglots incontrôlables, tout en me montrant sa tête du doigt.
Pensant qu’il voulait faire allusion à de violents maux de tête dont il souffrait, je l’apaisai, lui souhaitant, par le mérite de mes saints ancêtres et de sa foi pure, que les maux de tête passent et ne reviennent pas.
Mais cela ne suffit pas à l’apaiser, et il parvint enfin à me raconter que le même jour, il avait fait des examens, dont les résultats prouvaient clairement qu’il était atteint de la maladie que tous redoutent au cerveau. Je lui dis de recommencer ces examens, l’assurant qu’on verrait bientôt qu’il n’avait rien au cerveau.
Le lendemain, il revint me voir, visiblement très ému, pour me raconter que les médecins étaient stupéfaits du miracle qu’il avait vécu. Ils n’en croyaient pas leurs yeux : la veille, ils avaient clairement vu, d’après les résultats des examens, qu’il était atteint au cerveau, et puis le lendemain, la maladie avait disparu comme si elle n’avait jamais été là !
En vérité, je dois avouer qu’au départ, lorsque cet Avrekh s’était présenté en larmes en me montrant sa tête, il ne m’était pas venu à l’esprit qu’il puisse avoir cette terrible maladie. Je pensais naïvement qu’il souffrait de violents maux de tête qui passeraient avec le temps. C’est la raison pour laquelle je le bénis alors du fond du cœur, certain que son problème allait s’arranger.
Si j’avais su qu’il était question de quelque chose de bien plus grave, il se peut que ma foi dans son prochain rétablissement en eût été atteinte, et peut-être n’aurais-je pas pu prier pour lui avec autant de ferveur.
Mais, du Ciel, on fit en sorte que je n’en sois pas tout de suite informé, afin que je prie du fond du cœur pour qu’il aille mieux, et c’est grâce à cette prière et à ma certitude que tout allait s’arranger qu’il échappa à un très grave décret.
Il ne faut pas croire, en outre, que mon mérite personnel était en jeu ; c’est certainement celui de mes saints ancêtres et de leur Torah qui a permis à ma prière d’arriver devant le Saint béni soit-Il et d’éveiller Sa Miséricorde en faveur de cet Avrekh, afin qu’il jouisse d’une guérison complète.
PAROLES DE TSADDIKIM
Sommes-nous assujettis à la Torah ?
« Les âmes qu’ils avaient faites à ‘Haran » (Béréchit 12, 5)
Rachi propose à ce sujet deux interprétations :
D’après la première, il s’agit des personnes qu’Avraham et Sarah avaient fait entrer sous les ailes de la Chékhina, Avraham convertissant les hommes et Sarah les femmes, et c’est pourquoi le verset les mentionne en quelque sorte comme leurs concepteurs.
La deuxième explication, plus littérale, indique qu’il s’agit des serviteurs et servantes qu’ils avaient acquis – le verbe « faire » renvoie, en effet, à cette idée d’acquisition.
Onkelos traduit ceci un peu différemment : « les âmes qu’ils avaient asservies à la Torah ». La notion de chiboud, traduite ici dans le sens d’« asservissement », peut aussi se comprendre comme « hypothéquer ».
Comment comprendre notre verset dans ce contexte ?
Lorsqu’un terrain est hypothéqué à une personne, même s’il est vendu à plusieurs reprises, il reste hypothéqué à cette personne. Parfois, c’est l’inverse qui est vrai : un homme est propriétaire incontestable d’un terrain, mais il n’en a pas la maîtrise réelle, car il est hypothéqué à un tiers.
Ceci se vérifie également concernant l’asservissement à la Torah. Certains sont asservis à la Torah, à laquelle ils consacrent chaque instant de loisir. S’ils sont certes contraints parfois de gérer d’autres impératifs, ils sont, dans leur essence, asservis à la Torah, dont ils ne détournent pas la pensée même lorsqu’ils sont occupés à d’autres tâches. D’ailleurs, aussitôt celles-ci terminées, ils retournent à leur étude.
D’un autre côté, il existe des hommes assis toute la journée en train d’étudier, mais qui se laissent distraire par la moindre perturbation extérieure. Tout ragot ou incident qu’ils entendent, tout évènement politique captent leur attention. De telles personnes, même si elles étudient, ne méritent pas le titre de noblesse de celles qui sont asservies à la Torah.
À MÉDITER
Au sujet des relations interhumaines
Dans le précédent numéro, nous avons vu qu’à travers l’amour entre les hommes, nous pouvons avoir le mérite de prendre part à la construction du futur Beth Hamikdach et à la Guéoula que nous attendons tous les jours. Si nous ne faisons pas notre maximum pour hâter ce moment, nous ne pourrons nous disculper en prétendant avoir suffisamment œuvré par nos prières pour la reconstruction de Jérusalem et l’avènement du Machia’h.
Mais allons à présent un peu plus loin, en nous représentant le moment où nous serons appelés à nous présenter devant le Tribunal céleste. L’Accusateur présentera alors son réquisitoire contre nous, n’hésitant pas à nous accuser tout bonnement d’avoir empêché et retardé la Délivrance ! Il ne se gênera pas non plus pour prétendre que sans notre comportement, le Temple aurait sûrement été déjà reconstruit et le Machia’h serait certainement venu nous délivrer…
Sommes-nous seulement capables de nous représenter une telle honte ? Quelle horreur ! Quelle infamie !
Mais nous n’allons bien sûr pas nous laisser abattre si facilement et chercherons à comprendre : comment est-ce possible ? Comment peut-on faire peser sur nous une charge aussi grave, après toutes les larmes que nous avons versées pour l’avènement de la Guéoula et la reconstruction de Jérusalem ? Des gens bien comme nous ?!
Cependant, l’Accusateur n’aura pas dit son dernier mot, et après nous avoir écoutés et avoir reconnu que nous observions la Torah et les mitsvot scrupuleusement, et même que nous priions sincèrement pour la Délivrance, il réitérera son réquisitoire : la Guéoula a été retardée par notre faute, du fait de notre manque d’amour pour l’autre, un manque malheureusement remplacé par la haine et les dissensions…
« Le manque de fraternité, l’absence d’amour et la multiplication des conflits que vous avez provoqués ont empêché, retardé la Guéoula ! » clamera-t-il, recueillant l’approbation de la Cour céleste.
Est-ce plausible ?
Certainement… Lisons, à ce propos, ce qu’en dit le Pélé Yoets (chapitre « sina ») :
« A grandi le mal de la haine à l’origine de la destruction de notre saint Temple dans toute sa splendeur. Et tant que nous ne nous purifions pas de cette faute, il n’est pas possible d’être délivrés – comme l’ont dit nos Sages : « Vous M’avez poussé à détruire Ma demeure et à brûler Mon sanctuaire, du fait de la haine gratuite, dit Hachem. Recherchez la paix et vous serez délivrés », comme il est dit : « Recherchez la paix de Jérusalem » (Téhilim 122, 6).
Voilà on ne peut plus explicite : tant que la haine perdure au sein de notre peuple, tant que l’amour est absent, la Guéoula est impossible !
Ainsi, qu’aurons-nous à répondre lorsqu’on nous accusera d’avoir empêché la reconstruction du Temple et l’avènement de la Délivrance, du fait de la haine portée à l’autre ? Car l’accusation est fondée sur une argumentation juste et incontestable, notre culpabilité est bien réelle et avérée !
Le ‘Hafets ‘Haïm le soulignait déjà en son temps, dans le Ahavat Israël :
« Voilà que nous prions, dans nos téfilot et notamment celle de Moussaf, pour la reconstruction du Temple, que nous espérons tous les jours. Mais nous ne réfléchissons pas à la raison essentielle de ce retard. Or, si l’amère faute de la haine gratuite eut le pouvoir d’en causer la destruction, en dépit de la Torah et des actes bienfaisants, à plus forte raison a-t-elle le pouvoir d’en empêcher la reconstruction à notre époque, si nous ne faisons pas l’effort intense de nous en écarter, de nous défaire de cette haine qu’abrite notre cœur. »
Quelle force ont les paroles du « Cohen Gadol » de Radin ! Nous prions pour la construction du Beth Hamikdach, espérons que Jérusalem se relèvera de ses ruines, sans prêter attention au fait qu’en même temps, nous retardons par nos actes la Délivrance ! Car si la faute de la haine fut assez forte pour détruire le Temple, à plus forte raison a-t-elle le pouvoir d’en empêcher la reconstruction.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
« L’Éternel dit à Avram : Va pour toi hors de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. Je te ferai devenir une grande nation ; Je te bénirai, Je rendrai ton nom glorieux, et tu seras bénédiction. » (Béréchit 12, 1-2)
Le Saint béni soit-Il ordonna à Avraham de quitter son pays natal, et en compensation, Il lui promit la bénédiction : richesse, descendance, honneur, et un renom mondial. A priori, ceci semble plutôt surprenant : Avraham recherchait-il réellement à être reconnu et honoré de tous ? Il est évident qu’un Juste de son envergure aurait plutôt tendance à repousser ce genre de distinctions et à les fuir. Plus encore, si l’Éternel a promis, en contrepartie, de telles bénédictions à Avraham, en quoi résidait cette épreuve ? Nous savons pourtant que ceci constituait, d’après nos Maîtres, l’une des dix épreuves qu’Avraham dut surmonter ; en quoi en était-ce une, alors même que sa récompense était considérable ?
Avec l’aide de Dieu, j’ai eu le mérite de comprendre les paroles du Maguen David, de la plume d’un des kabbalistes du Maroc. Il explique que tout Juif a été créé à l’image de Dieu, son âme étant d’origine céleste. Nous prononçons quotidiennement la bénédiction « Qui ne m’a pas fait naître idolâtre » ; a priori, il aurait été plus logique de dire : « Qui m’a fait naître Juif », d’autant plus que cette formulation négative est susceptible d’éveiller la colère des non-juifs contre nous ! Aussi, pourquoi ne pas remercier le Maître du monde par une tournure positive ? Ceci peut s’expliquer de la façon suivante : il existe des Juifs qui se comportent comme des non-juifs ; si ces derniers disaient « Qui m’a fait naître Juif », cela reviendrait à une bénédiction en vain. En effet, leur conduite, semblable à celle des non-juifs, retire le Nom divin qu’ils portent en eux, d’où la nécessité d’opter pour la tournure neutre et incontestable « Qui ne m’a pas fait naître idolâtre », afin d’éviter de prononcer une bénédiction en vain.
On retrouve la même idée à propos de notre patriarche Avraham. Le Saint béni soit-Il lui a promis honneur et renommée, dépourvus de leur aspect négatif. En effet, en allant vers le chemin que l’Éternel lui ordonne de suivre, Avraham agrandira l’honneur de Dieu dans le monde, et simultanément, son propre honneur. Car, dès son départ, Avraham portera en lui le Nom divin, puisqu’un Hé sera ajouté à son nom Avram, pour devenir Avraham. Ainsi, l’honneur dont il est ici question est celui qui résulte de la gloire de Dieu, et non pas un honneur engendrant de la fierté.
Nous comprenons du même coup en quoi résidait l’épreuve d’Avraham : il devait accroître et glorifier le Nom divin, avec tous les obstacles que cette tâche ardue comporterait. Avraham qui se considérait comme « cendre et poussière » était conscient, plus que tous, de la faiblesse humaine ; aussi, appréhendait-il une telle mission, se disant : « D’où vais-je avoir les forces et la persévérance pour la remplir de façon intègre ? » Or, c’est justement en cela que le Saint béni soit-Il désirait le tester : mesurer avec quel degré de dévouement il accomplirait la mission de répandre Sa gloire dans le monde.
DES HOMMES DE FOI
Le Tsaddik et kabbaliste Rabbi ‘Haïm Pinto Hakatan, fils réputé du Tsaddik Rabbi Hadan, est né en 1865 (5625), à Mogador. Mais l’installation de Rabbi ‘Haïm Pinto à Casablanca, durant ses vieux jours, donna une nouvelle impulsion à la communauté de cette ville. Il y resta un peu plus de trois ans et y réalisa une œuvre importante. C’est de là que sa réputation de sagesse, piété et sainteté se répandit dans le monde entier.
La cité de Casablanca, dans laquelle se trouvait une communauté juive florissante de plus de deux cent cinquante mille personnes, accueillit le Tsaddik avec beaucoup de faste et d’honneur, elle qui connaissait sa valeur et l’estimait. On mit à sa disposition un appartement afin qu’il puisse étudier sans souci matériel.
La réputation de Rabbi ‘Haïm se répandit comme une traînée de poudre ; ce Tsaddik, disait-on, accomplissait des miracles. Très vite, les personnes se pressant chez lui pour recevoir une brakha par le mérite de sa grande piété se comptèrent par centaines. Souvent, ces Juifs en quête de la bénédiction et de la prière du Tsaddik revenaient le remercier après avoir obtenu la délivrance. Mais, avec son humilité coutumière, Rabbi ‘Haïm les corrigeait aussitôt : seul le Créateur devait être loué.
En dépit de sa grandeur, le Tsaddik menait une vie humble, d’une simplicité extrême. Vêtu comme un pauvre, il n’hésitait pas à se mêler aux plus nécessiteux – il ne dérogeait à cette règle que le Chabbat et les fêtes, où il revêtait de somptueux vêtements en l’honneur du jour.
Si Rabbi ‘Haïm Pinto appréciait la compagnie des nécessiteux et aimait s’asseoir parmi eux, en leur faisant sentir qu’ils n’étaient pas coupables de leur situation, en parallèle, il n’hésitait pas à solliciter les notables et les riches pour qu’ils fassent davantage en faveur de leurs frères nécessiteux, en proie à de grosses difficultés financières.
Au cours d’une de ces années de famine qui frappaient fréquemment le pays, Rabbi ‘Haïm pria son épouse, la Rabbanite, de prendre tous les draps dont ils disposaient et d’en faire des vêtements pour les pauvres femmes portant des haillons.
Ayant pris sur lui la mission d’assurer la subsistance des nécessiteux de sa ville, il s’était fixé un emploi du temps immuable. Après la prière du matin, il se rendait à l’ancien cimetière, sur la tombe de son grand-père, le Tsaddik Rabbi ‘Haïm Pinto Hagadol. Il mentionnait toujours son nom dans ses bénédictions, en employant cette formule : « Le mérite de mon ancêtre vous protègera. »
Ensuite, il se dirigeait vers le nouveau cimetière. Là, il se recueillait sur la tombe de son père, le Tsaddik Rabbi Yéhouda (Hadan). Puis, il retournait en ville y acheter des denrées destinées aux indigents.
La station suivante de Rabbi ‘Haïm Pinto était aux portes de la ville, où il s’asseyait afin d’attendre l’arrivée de visiteurs étrangers, auxquels il donnait le mérite de participer à la mitsva de tsédaka dans la plus grande discrétion. Les donateurs ignoraient en effet à qui parviendrait leur argent, tandis que les pauvres n’avaient pas honte de le recevoir de la main du Tsaddik, émissaire de la mitsva.
Les Juifs qui passaient par là savaient que Rabbi ‘Haïm avait le don prodigieux de savoir à l’avance la somme exacte que chacun d’entre eux avait en poche ; c’est pourquoi chacun donnait en fonction de ses capacités, sans chercher à se dérober.
Certains faisaient leur don en fonction de la somme mentionnée d’avance par le Tsaddik. D’autres “cherchaient” même Rabbi ‘Haïm ou passait volontairement près de lui pour qu’il les prie de faire un don. Ils étaient convaincus qu’en acceptant, ce mérite leur tiendrait lieu de ségoula pour la réussite et que ce jour serait béni dans tous les domaines.
Au bout de quelques heures, le Tsaddik comptait l’argent récolté et donnait des consignes précises à son serviteur : après avoir réglé ses achats chez les épiciers, il devrait par exemple se présenter chez telle ou telle veuve, ou chez une certaine famille qui comptait parmi les plus pauvres de la ville, ou bien apporter à celle-ci de la viande, du pain et des gâteaux, et à une autre, des fruits et des légumes. C’est ainsi que le serviteur distribuait toute la nourriture, évitant aux pauvres de la ville de connaître les affres de la famine.
EN PERSPECTIVE
L’objectif : voir le visage du Tsaddik
« L’Éternel dit à Avram : Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai. » (Béréchit 12, 1)
Une lecture littérale du texte indique qu’Hachem demanda à Avraham de quitter sa terre d’origine pour un endroit qu’Il lui indiquerait.
Rabbi Bounim de Pchis’ha en propose une autre lecture : étant donné que la vision du visage du Tsaddik éclaire les yeux de l’homme et lui ajoute de la sagesse, Hachem enjoignit à Avraham de se rendre en un lieu où il montrerait son visage saint et lumineux aux autochtones.
Telle est l’explication de l’ordre « Va pour toi, hors de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, vers le pays que Je t’indiquerai (aréka) ». Ce dernier mot est un verbe transitif pouvant être décomposé en aré otekha, autrement dit, « Je te montrerai là-bas, ainsi que ton saint visage, afin que les gens acquièrent crainte du Ciel et sainteté en t’observant, de même que ton comportement ».