Hayé Sarah 11 Novembre 2017 כ"ב חשון תשע"ח |
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Faire du bien
Rabbi David Hanania Pinto
« Tu iras plutôt dans mon pays et dans mon lieu natal, pour y chercher une épouse à mon fils, à Its’hak. » (Béréchit 24, 4)
Avraham fit jurer à Eliézer de choisir pour Its’hak uniquement une épouse provenant de son pays natal, ‘Haran. Le Ran, dans un recueil de commentaires, demande pourquoi Avraham a fait prononcer à Eliézer ce serment, alors que les habitants de ‘Haran n’étaient pas moins idolâtres que ceux de Canaan. Dès lors, quelle différence y avait-il entre ces deux peuples ?
Nous pouvons répondre de la façon suivante. Avraham était conscient que les habitants de ‘Haran étaient idolâtres, mais il savait par ailleurs qu’était ancrée en eux la vertu de la bonté. Or, celui qui possède cette vertu finira toujours par s’élever et s’améliorer, même si son comportement est mauvais. Il est écrit : « Le monde est bâti sur la bonté. » (Téhilim 89, 3) Le monde peut faire référence à l’homme, qui en représente un microcosme ; dès lors, le verset signifie que si l’homme possède la vertu de la bonté, il sera en mesure de se construire. ‘Haran possédait cette qualité, à la différence de Canaan.
Au pays de Canaan habitaient les peuples de Sodome et Gomorrhe, qui vivaient aux antipodes de la charité. Quiconque demandait ou faisait l’aumône était exécuté sur-le-champ. Le roi de Sodome avait demandé à Avraham de lui rendre les personnes prises en captivité afin de pouvoir exercer sur elles son pouvoir, comme il est dit : « Donne-moi les personnes, et les biens, garde-les pour toi. » (Béréchit 14, 21) De même, nos Sages expliquent (Baba Métsia 87a) que le nom d’Efron, le Héthéen, est écrit sans Vav pour laisser entendre qu’il était de ceux qui parlent beaucoup et font peu. En effet, il proposa au départ de donner gratuitement un lieu de sépulture pour Sarah, et n’accepta finalement de le céder qu’après avoir reçu la somme imposante de quatre cents sicles d’argent, en monnaie courante. Il avait en effet, dans un premier temps, affirmé à Avraham : « Une terre de quatre cents sicles d’argent, qu’est-ce que cela entre nous deux ? » (Béréchit 23, 15), et Rachi de commenter : « entre nous deux, qui sommes liés d’amitié ». Pourtant, depuis quand étaient-ils donc si proches ? En fait, du point de vue d’Efron, du moment qu’il était question d’argent, Avraham était devenu son ami. C’est en cela que résidait la méchanceté d’Efron : il n’a pas pris en considération le désir d’Avraham d’enterrer sa femme défunte au plus vite, mais a négocié l’affaire, de façon honteuse, pour finalement obtenir un prix exorbitant, suite à quoi seulement il a permis à Avraham d’enterrer Sarah.
Analysons, à présent, le cas de ‘Haran. Les habitants de ce pays étaient certes des mécréants, mais ils détenaient la vertu de la bonté. Le Midrach rapporte (Yalkout Chimoni sur Béréchit, 109) que lorsque Lavan a entendu qu’Eliézer arrivait à ‘Haran et qu’il a vu les bijoux que ce dernier avait offerts à sa sœur Rivka, il est sorti à sa rencontre pour le tuer. Lorsqu’Eliézer a vu Lavan courir vers lui armé d’un glaive, il a prononcé le Nom de l’Éternel, et s’est envolé dans le ciel avec ses dix chameaux. À la vue de ce spectacle, Lavan a compris qu’il ne pouvait rien contre lui, et lui a dit : « Viens, bien-aimé du Seigneur ! Pourquoi restes-tu dehors, alors que j’ai dégagé la maison et qu’il y a de la place pour les chameaux ? » (Béréchit 24, 31) Et Rachi de commenter : « J’ai dégagé la maison : de l’idolâtrie. »
Pourquoi Lavan a-t-il débarrassé d’avance sa maison de l’idolâtrie ? Il désirait y recevoir Eliézer et savait qu’il n’y entrerait pas s’il y voyait trace d’idolâtrie. Cependant, comment expliquer qu’il ait déclaré vouloir le recevoir, alors qu’il venait juste d’échouer dans sa tentative d’homicide ? Au moment même où il s’apprêtait à commettre ce meurtre, il avait pris en compte le fait qu’il ne parviendrait peut-être pas à le vaincre ; puis, la vertu de la bonté, qui était ancrée en lui, s’est éveillée, et il a annoncé à Eliézer qu’il avait débarrassé sa maison de l’idolâtrie, afin d’être en mesure d’y recevoir le serviteur d’Avraham.
Nous comprenons, à présent, l’insistance d’Avraham auprès d’Eliézer concernant le choix de l’épouse destinée à son fils Its’hak : celle-ci devait être originaire de ‘Haran, afin qu’elle possède, tout au moins, la vertu de la bonté. C’est ainsi qu’Eliézer trouva Rivka, qui était une femme vertueuse, puisqu’elle ne s’était pas laissé influencer par les mécréants parmi lesquels elle vivait. La preuve en est que lorsqu’elle arriva à Beer-Sheva et vit Its’hak au loin, elle mit pied à terre, impressionnée par la Présence divine qu’elle avait perçue en lui. Le Rama MiFano explique qu’après le sacrifice d’Its’hak, les anges ont pris Its’hak pour étudier avec lui la Torah pendant trois ans, suite à quoi Its’hak mérita que la Présence divine réside sur lui.
Or, comment Rivka était-elle devenue une femme juste ? Par le fait qu’elle excellait dans la pratique de la bienfaisance. C’est cette qualité qu’Eliézer a vue en elle : comment une petite fille de trois ans a-t-elle pu s’offrir à abreuver tant de chameaux, réussissant, avec une énergie d’enfant, ce tour de force ? Étant donné qu’un chameau boit en moyenne cent litres d’eau, elle a dû puiser environ mille litres pour désaltérer les dix chameaux d’Eliézer, en plus de ce qu’elle a puisé pour donner à boire aux gens. C’est indubitablement la vertu de la bonté, ancrée en elle, qui lui a donné l’énergie nécessaire pour fournir un tel effort. Par le mérite de cet acte de charité, Rivka hérita de la triple bénédiction que détenait Sarah – sur la pâte, la bougie et la nuée – dès l’instant où elle pénétra dans la tente d’Its’hak (Béréchit Rabba 60, 16).
CHEMIRAT HALACHONE
Vouloir savoir ou faire naître la haine
La mauvaise habitude des médisants invétérés est de toujours s’enquérir de ce qu’Untel a dit d’eux, même si cela n’a strictement aucun intérêt. Et lorsqu’on ne veut pas le leur révéler, ils insistent lourdement jusqu’à le savoir exactement. À ce stade, ils prennent toutes les critiques que l’on aurait exprimées sur eux comme la vérité absolue, si bien qu’ils deviennent ennemis de celui qui les aurait émises.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Le roi David était âgé, chargé de jours (…) » (Mélakhim I, chap. 1)
La haftara reprend la même expression, « chargé de jours », concernant le roi David, que celle employée à propos d’Avraham Avinou. En outre, la haftara rapporte qu’avant sa mort, David nomma son fils Chlomo pour lui succéder, de même qu’il est mentionné dans la paracha qu’Avraham donna tous ses biens à Its’hak.
PAROLES DE NOS SAGES
Comment se renseigne-t-on sur un chidoukh ?
« Or aujourd’hui, je suis arrivé près de la fontaine (…) » (Béréchit 24, 42)
Eliézer souligne qu’il est arrivé le même jour pour évoquer le miracle dont il a bénéficié, note Rachi : « Je suis sorti et arrivé aujourd’hui – d’où l’on déduit qu’il bénéficia d’un raccourcissement de la route. »
Mais pourquoi un raccourcissement de la route était-il nécessaire ?
La Haggada de Pessa’h Oumatok Haor propose à ce sujet une interprétation intéressante, présentée à travers l’histoire suivante :
Un Rav important reçut une proposition de chidoukh plutôt attirante pour son fils : la fille d’un riche notable, qui s’engageait à pourvoir à toutes les dépenses du mariage ainsi qu’à l’entretien du couple. Le Rav et son fils se rendirent en diligence dans la lointaine ville où vivait la famille du notable dont on leur avait vanté les mérites.
À l’issue d’une éreintante journée de voyage, ils firent escale dans une auberge. Le matin, avant de reprendre la route, ils se renseignèrent auprès du maître de céans : connaissait-il Reb Moché, ce Juif bourgeois avec qui ils envisageaient de s’allier ?
« Bien sûr, leur répondit l’autre.
– Que pouvez-vous nous apprendre sur lui ?
– Que pourrais-je vous dire, si ce n’est que quand je lui serre la main en guise de salut, je me hâte ensuite de compter mes doigts pour être sûr qu’il ne m’en manque pas un… C’est un escroc, un menteur, un voleur, un brigand… »
L’aubergiste compléta le tableau bien peu reluisant du célèbre notable par le récit de ses malversations. C’en était trop pour le Rav et son fils, qui décidèrent aussitôt de faire demi-tour et de renoncer au chidoukh.
Sur le chemin du retour, le Rav dit à son fils : « Je comprends à présent pourquoi Eliézer eut besoin d’un raccourcissement miraculeux de la route pour arriver au plus vite auprès de Rivka. Imagine-toi qu’il ait fait la route à pied et soit au passage entré dans une auberge où il se serait renseigné sur Lavan et Bétouël. Que lui aurait-on appris ? Que mis à part son nom, Lavan était tout sauf “blanc” ? Que Bétouël, comme son nom l’indique, avait une relation avec toute jeune fille de la ville avant qu’elle se marie ? Et le chidoukh n’aurait certainement pas eu lieu. C’est pourquoi Hachem raccourcit miraculeusement le trajet. Ainsi, Eliézer arrivait à destination sans avoir pu prendre le moindre renseignement avant son arrivée. »
On raconte à ce propos un incident qui eut lieu alors que le Rav Eliachiv séjournait dans un hôtel à Netanya. Des vacances centrées autour d’une étude intense et enthousiaste, vous l’aurez deviné. Et son emploi du temps était inchangé : il se levait comme d’habitude à deux heures du matin pour se lancer dans un Limoud plein de flamme.
Une nuit, alors qu’il étudiait sur sa mélodie coutumière, il entendit frapper à sa porte. Une femme se présenta et lui demanda de baisser la voix : le bruit l’empêchait de dormir.
« Vous avez raison, je vais étudier à voix basse », répondit-il en s’excusant. Il baissa la voix et continua à étudier. Pendant toute la fin du séjour, il fit très attention de ne plus déranger cette personne.
Des dizaines d’années plus tard, un petit-fils de Rav Eliachiv le consulta sur une proposition de chidoukh avec la petite-fille d’un célèbre Roch Yéchiva. À peine en avait-il mentionné le nom que le Gadol sursauta : la grand-mère de la jeune fille proposée n’était autre que la vacancière qui s’était plainte du « bruit » causé par son étude. Dans cette famille, les enfants n’avaient vraisemblablement pas été éduqués dans un amour de la Torah absolu, et le Rav s’opposa à cette alliance.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
La filiation comme instrument au service d’Hachem
Il m’arrive parfois de rencontrer un Juif « inculte » se targuant d’être le descendant d’une prestigieuse lignée de Rabbanim, d’une famille au riche passé toraïque, persuadé que cela lui suffira pour mériter le Monde futur tout en restant plongé dans les vanités de ce monde, sans fournir aucun effort dans le Service de D.ieu.
« Une fois, un homme vint me voir avec une attitude familière, comme si c’était une connaissance de longue date. Lorsqu’il vit, à mon expression, que je ne le remettais pas, il me demanda, stupéfait : “Comment est-il possible que vous ne me reconnaissiez pas ? Je suis le fils de tel et tel Tsaddik, et petit-fils d’Untel, de grands Tsaddikim très connus ! Il est impossible que vous ne les connaissiez pas !”
Je lui répondis sans hésiter : “J’ai entendu parler de votre père, un Tsaddik digne de ce nom et j’ai même connu votre grand-père, un grand en Torah. Je les connais par le mérite de la Torah qu’ils ont étudiée, mais vous, je ne vous connais pas ! Je n’ai jamais entendu parler de vous ! Comment osez-vous vous prévaloir de tels ancêtres alors que vous êtes si loin de leur tsidkout ?” »
Le rôle du Juif dans ce monde est de peiner dans le Service du Créateur, de s’efforcer d’acquérir la Torah et ses mitsvot. Telle est la voie pour mériter d’accéder au Monde futur et d’y siéger aux côtés de ses aïeuls Tsaddikim. Il n’est pas possible de s’en remettre au seul mérite de ses ascendants pour espérer échapper au châtiment.
L’incontournable question « Quand donc mes actes atteindront-ils ceux de mes Pères ? » ne trouve pleinement son sens que lorsque le mérite des ancêtres est combiné au Service divin de leurs descendants. Mais lorsque ces derniers s’en prévalent tout en restant déconnectés de leurs nobles racines, c’est une source d’affliction et de honte pour leurs aïeux, dans le Monde supérieur.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Les épreuves d’Avraham Avinou, une source de renforcement
« Sarah mourut à Kiryat-Arba, qui est ‘Hevron, dans le pays de Canaan ; Avraham vint faire l’éloge funèbre de Sarah et la pleurer. » (Béréchit 23, 2)
Le Midrach rapporte (Tan’houma sur Vayéra, chap. 23) que Sarah est morte de chagrin suite à l’intervention du Satan qui lui avait « annoncé » qu’Avraham avait sacrifié son fils Its’hak.
Notre patriarche Avraham a vaillamment surmonté l’épreuve du sacrifice d’Its’hak, malgré l’ampleur de la miséricorde d’un père pour son fils. Et même lorsque l’Éternel lui dit : « Ne porte pas la main sur ce jeune homme » (Béréchit 22, 12), il demanda à lui faire tout au moins une entaille pour faire couler un peu de son sang (Béréchit Rabba 56, 7). Comment expliquer qu’il ne se soit pas réjoui de ce nouvel ordre divin, et pourquoi a-t-il insisté pour infliger une blessure à Its’hak ?
En réalité, lorsqu’un Tsaddik entreprend la réalisation d’une mitsva, il ne veut pas s’arrêter au milieu, mais désire l’accomplir pleinement. Pour cette raison, le Tout-Puissant a dû intervenir en disant : « Ne lui fais aucun mal ! » Nous devons en tirer une leçon : quand nous entamons l’accomplissement d’une mitsva, il nous incombe de nous dévouer au maximum pour l’achever.
À ce stade, Avraham était en mesure de rejoindre son foyer, heureux d’avoir pu surmonter cette épreuve considérable, outre son bonheur d’avoir encore son fils à ses côtés. Mais, arrivé chez lui, on lui annonça le décès de sa femme, dû au récit qui lui avait été fait du sacrifice d’Its’hak. Il est évident que le commun des mortels se serait amèrement plaint de devoir endurer une si grande peine après avoir surmonté une telle épreuve : « Est-ce là la Torah, et est-ce là sa récompense ? » Or, Avraham n’exprima pas la moindre plainte, mais se consacra aussitôt, en proie aux larmes, à l’enterrement de Sarah et à la récitation de l’éloge funèbre de cette femme vertueuse. Quant à Its’hak, Avraham le conduisit à la Yechiva de Chem et Éver, pour qu’il y étudie. En outre, l’éloge funèbre qu’Avraham prononça de son épouse n’exprimait pas son chagrin personnel, mais plutôt celui du monde entier qui allait ressentir la perte considérable causée par le départ de cette grande femme, conformément à l’interprétation que nos Sages font du verset : « La vie de Sarah fut de cent ans et de vingt ans et de sept ans » (Béréchit 23, 1) : « A cent ans, elle était comme à vingt ans, sans péché. » (Béréchit Rabba 58, 1)
Le Venezuela a été frappé d’une importante crise économique. Les Juifs vénézuéliens ont certainement imploré le Maître du monde afin qu’Il redresse le pays. Pourtant, la situation ne s’est pas améliorée. Peut-être était-il préférable qu’il en soit ainsi, car lorsque l’économie prospère, c’est habituellement la spiritualité qui est en chute libre, et inversement. D’ailleurs, ce principe s’est vérifié dans les faits : dès que l’économie vénézuélienne a été en crise, un courant d’éveil spirituel a commencé à se répandre de façon exceptionnelle dans le pays, suscitant le repentir de nombreux habitants. De même, lorsque les États-Unis ont dû élire un nouveau Président, les Juifs ont prié pour qu’un certain candidat soit choisi. Quant à moi, j’ai également prié, mais en précisant dans ma prière que le candidat sortant soit celui qui serait le meilleur pour les Juifs. Car, qui peut savoir si le candidat que l’on croit bien intentionné à l’égard des Juifs l’est réellement, d’un point de vue politique comme spirituel ?
Il arrive qu’on vienne me voir pour me demander une bénédiction afin de gagner au loto ou d’obtenir le permis de conduire. Généralement, je réponds à la personne qui me présente cette demande : « Qui sait si ce sera réellement bon pour toi ? Peut-être que si tu gagnes au loto, tu risques de connaître une chute spirituelle… », ou : « Si tu réussis ton permis de conduire, tu encours le risque d’avoir un accident. » Quoi qu’il en soit, l’homme doit s’efforcer d’accepter avec amour le décret divin, conformément à l’enseignement de nos Maîtres : « Il faut bénir pour une mauvaise nouvelle, de même qu’il faut bénir pour une bonne nouvelle. » (Brakhot 48b) Car les malheurs survenant à l’homme contiennent certainement du bien, même s’il demeure incapable de le percevoir. Aussi, nous appartient-il de remercier l’Éternel également pour les événements semblant résulter de la Rigueur divine.
À MÉDITER
Dans les chapitres précédents, nous avons souligné que l’amour d’autrui et la Guéoula allaient de pair, et cette semaine, nous voudrions rapporter une histoire remarquable racontée par le Rav Aharon Margalit chelita, pour illustrer la sensibilité que peut avoir un Juif vis-à-vis de la souffrance d’autrui :
Il y a quelques mois, ma femme m’a demandé de faire quelques emplettes à l’épicerie du quartier. Je parcourus rapidement les rayonnages et remplis mon caddie des articles qu’elle avait notés sur sa liste. Quand j’eus terminé, je me dirigeai vers la caisse – s’agissant d’un petit commerce, il n’y avait qu’une caissière, et une longue file d’attente… Bien qu’étant assez pressé, je n’avais d’autre choix que d’attendre patiemment mon tour comme tout le monde.
Juste devant moi se trouvait un Juif religieux qui n’avait qu’un seul sac. La queue avançait lentement et lorsqu’arriva enfin le tour de cet homme, il sortit brusquement du magasin après avoir rapidement reposé les articles qu’il avait sélectionnés.
Tout le monde parut étonné : ayant attendu longtemps comme tous les autres clients, pourquoi était-il sorti quand son tour arrivait enfin ?
Étant donné qu’en partant, il m’avait cédé la place, je pus rapidement régler mes achats et sortir du magasin. Une fois à l’extérieur, j’aperçus cet homme au comportement étrange, et ne pus m’empêcher de l’aborder : « Pardonnez ma curiosité, lui dis-je, mais j’aimerais comprendre pourquoi vous êtes brusquement sorti du magasin en reposant ce que vous vouliez acheter alors que votre tour arrivait. Après avoir attendu si longtemps… Il doit bien y avoir une raison. »
« Si vous insistez, me dit-il simplement, je vais tout vous expliquer : ma femme s’est aperçue que nous n’avions plus de couches ni de lait pour notre bébé, et elle m’a donc prié d’aller vite en acheter à l’épicerie. Or, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais au moment où mon tour est arrivé, la caissière avait terminé son service, et je l’ai entendu dire au responsable qu’elle partait. Lorsqu’elle s’est levée, le responsable a demandé à une des employées de prendre sa place. Or, celle-ci habite dans notre quartier et je sais que cela fait des années qu’elle est mariée et n’a toujours pas d’enfants. En pensant à toutes ces années de pleurs et de larmes, je ne me voyais pas passer tranquillement le lait infantile et les couches à la caisse. Le simple fait de tenir ces articles en main allait certainement raviver sa douleur. C’est l’une des pires souffrances pour quelqu’un qui rêve d’avoir des enfants ! C’est pourquoi j’ai préféré reposer vite ces articles avant qu’elle s’en aperçoive et aller les acheter ailleurs. »
EN PERSPECTIVE
Voir les chameaux ou les femmes ?
« Its’hak était sorti dans les champs pour se livrer à la méditation, à l’approche du soir. En levant les yeux, il vit que des chameaux s’avançaient. » (Béréchit 24, 63)
Le célèbre Maguid hiérosolomytain, le Rav Mordékhai Drouk zatsal proposait une interprétation très originale de ce verset, permettant selon lui de comprendre l’adage « L’homme voit selon ce qu’il est » :
Its’hak sort dans les champs et Rivka arrive au loin, avec ses suivantes, juchées sur leurs chameaux. Or, que voit Its’hak, qui était un ascète et un homme saint ? Seulement « des chameaux », et rien d’autre.
À présent, faisons un saut jusqu’à la paracha de Vayichla’h, où il est raconté que Yaakov prépara à un présent de taille pour son frère Essav : « deux cents chèvres et vingt boucs, deux cents brebis et vingt béliers, trente chamelles laitières avec leurs petits, quarante vaches et dix taureaux, vingt ânesses et dix ânes », plaçant volontairement les femmes et les enfants à la fin de ce cortège. Et pourtant, qu’est-il écrit ? « Essav leva les yeux, et il vit les femmes et les enfants »… L’impressionnant défilé de bêtes n’attire pas son regard, happé plutôt par… les femmes.
Pourquoi ? Parce que c’est sa nature profonde, celle d’un homme plongé dans l’impureté et la concupiscence, celle d’un être méprisable.
Its’hak, par contre, étant réellement saint et pur en profondeur, ne pouvait voir que les chameaux qui s’approchaient, et ce, même s’ils étaient chevauchés par Rivka et ses suivantes.
En d’autres termes, l’homme voit, en fonction de son intériorité, ce qu’il a envie de voir…
DES HOMMES DE FOI
Les personnes qui accomplissaient la noble tâche de servir le Tsaddik Rabbi ‘Haïm Pinto, n’occupaient pas cette fonction en permanence. En effet, de nombreux Juifs voulaient avoir ce privilège, et c’est pourquoi il y avait une rotation fréquente entre les personnes : une équipe entrait, tandis qu’une autre sortait. En outre, deux autres raisons expliquent ce phénomène :
La première était que le Tsaddik refusait de recourir aux services prolongés d’une personne sans lui donner une compensation pécuniaire ou autre (même si celle-ci était riche, le Rav se souciait de lui donner quelque chose dont il pourrait tirer profit).
La deuxième raison était qu’il craignait qu’en s’accoutumant à une personne, il n’en vienne à lui manquer de respect, c’est pourquoi il préférait en changer souvent.
Évidemment, de nombreuses personnes voulaient avoir l’honneur de servir le Tsaddik et de pouvoir observer personnellement sa pieuse conduite. Elles aimaient profiter de sa présence impressionnante et attendaient patiemment leur tour durant des mois et des mois.
On raconte qu’une fois, un homme, du nom d’Ohana, fut au service du Tsaddik pendant une longue période. Un jour, Rabbi ‘Haïm l’appela et lui dit : « Le moment est venu pour toi de me quitter. »
Il lui remit alors une somme modeste à la fin de son travail, tout en insistant sur sa bénédiction : « Ne t’inquiète pas, de cette modique somme tu vas t’enrichir… »
Une brakha qui se réalisa pleinement, puisque M. Ohana est devenu très riche et a eu le mérite de vivre longtemps.