Parachat Vayechèv 1er Décembre 2018 כ"ג כסלו תשע"ט |
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L’aspiration à la tranquillité génératrice du désastre
Rabbi David Hanania Pinto
« Yaakov s’installa dans le pays des pérégrinations de son père, dans le pays de Canaan. » (Béréchit 37, 1)
Nos Sages expliquent (cf. Rachi sur Béréchit 37, 2) : « Yaakov a désiré s’installer paisiblement et des tourments lui sont venus de Yossef. » Cependant, cette explication contient la difficulté suivante : Yaakov ne s’était pas effectivement installé, mais en avait simplement exprimé le souhait – la preuve en est qu’il est écrit : « dans le pays des pérégrinations de son père », sous-entendant qu’il ne faisait, lui aussi, que séjourner momentanément dans ce pays. Or, il existe un principe connu (Kidouchin 40a) selon lequel le Saint béni soit-Il ne considère pas une mauvaise intention comme un mauvais acte, la personne ayant toujours la possibilité de changer d’avis. Dès lors, comment comprendre que Yaakov ait été puni pour avoir uniquement eu l’intention de s’installer ?
Afin d’éclaircir cette énigme, tentons au préalable de définir la notion de tranquillité telle qu’elle était envisagée par notre patriarche Yaakov. Elle consistait dans le fait qu’Essav s’était, à ce moment-là, installé à Séir, où son esprit était plongé dans les vanités de ce monde ; il ne risquait donc pas de venir se confronter à lui. Mon ancêtre, Rabbi Yochiyahou Pinto, de mémoire bénie, écrit, dans son ouvrage Kessef Mezoukak, qu’Essav s’était installé à Séir, car il pensait que l’existence de l’homme dans ce monde est éternelle, alors que Yaakov, qui était conscient du caractère éphémère de notre vie sur terre, s’était construit une soukka, demeure provisoire, afin de garder en mémoire que l’homme n’effectue qu’un court passage dans ce monde.
Le Ramban explique (sur Béréchit 33, 17) que la soukka construite par Yaakov était une tour grâce à laquelle il avait la possibilité de surveiller Essav de loin. Il semble que Yaakov ait construit cette tour dans le but d’enseigner à ses enfants leur devoir permanent de se tenir sur leurs gardes et de se méfier du comportement d’Essav qui s’était construit une résidence fixe dans ce monde, pensant qu’il y vivrait éternellement. La “quiétude” de Yaakov correspondait au fait qu’il avait vu Essav installé à Séir et plongé dans les vanités de ce monde. Il pensait donc qu’il ne lui était plus nécessaire de monter la garde sur sa tour, puis d’en redescendre pour surveiller Essav, croyant que le danger était passé et que ses enfants pouvaient continuer à s’atteler à l’étude de la Torah. Or, D.ieu désirait lui enseigner que, dans ce monde, le Juif doit constamment faire face au danger et anticiper les éventuelles épreuves spirituelles à venir. La quiétude représente donc, en elle-même, un danger pour le peuple juif, tant qu’Essav se trouve dans ce monde et qu’il y a une emprise. Aussi, l’Eternel a-t-Il tenu rigueur à Yaakov pour le seul fait d’avoir pensé qu’il ne lui était plus nécessaire de mener le guet sur sa tour, comme il le faisait toujours, afin d’éviter la survenue d’un éventuel danger spirituel, en provenance de son frère.
Si nous réfléchissons à l’histoire de ‘Hanouka, il semble difficile de concevoir comment presque tout le peuple juif en est arrivé à s’helléniser, alors qu’il vivait à l’époque du Temple et avait pour grands prêtres des justes tels que Yo’hanan et Mattathias.
En réalité, la recherche de quiétude n’est négative que lorsque notre intention est de marquer une interruption dans notre étude de la Torah. Ainsi, il est rapporté (Chabbat 147b ; Yalkout Chimoni sur Kohélèt, 973) que lorsque Rabbi Elazar ben Arakh retourna auprès de sa femme, elle ne le laissa pas repartir et il oublia alors toute son étude. A l’inverse, j’ai entendu que lorsque Rav Aaron Kotler zatsal, ainsi que d’autres justes de sa stature, voyageaient quelques jours en hiver pour se reposer – comme c’était l’habitude – ils parvenaient, pendant cette période, à s’élever encore davantage que le reste de l’année. A ce sujet, Rav Chakh, de mémoire bénie, écrit que celui qui étudie la Torah pendant le ben hazmanim, alors que tout le monde en profite pour se reposer, aura la possibilité de s’élever plus que jamais.
La Guemara (Chabbat 21b) nous rapporte la divergence d’opinions existant entre l’école de Chamaï et celle d’Hillel, à propos de la manière dont nous devons procéder à l’allumage des bougies de ‘Hanouka. Selon Beit Chamaï, il faudrait allumer huit bougies le premier jour et aller ensuite en régressant, alors que Beit Hillel affirme l’inverse, à savoir, qu’il faut allumer une bougie le premier jour, pour arriver, au terme de la fête, au compte de huit bougies – conformément au principe selon lequel « on doit progresser dans la sainteté, et non régresser ». En réalité, nous pouvons nous demander pourquoi nous n’allumons pas simplement, tous les jours de la fête, le nombre total de bougies, comme on avait coutume de le faire à l’époque du Temple.
Notre verset de Vayéchev répond à cette problématique. Nos Maîtres affirment que lorsque Yaakov voulut s’installer paisiblement, des tourments lui survinrent du côté de Yossef. Comme nous l’avons expliqué, le Saint béni soit-Il désire, par ce biais, nous mettre en garde contre le danger que représente une existence paisible par rapport à la Torah. Nos Sages nous décrivent (Chabbat 105b) la façon dont le mauvais penchant vient attaquer l’homme : il ne lui dit pas directement de commettre une transgression, car il ne l’écouterait pas, mais l’incite progressivement à l’oisiveté, en venant chaque jour l’y pousser davantage, pour finalement le convaincre de servir l’idolâtrie. Autrement dit, c’est une simple recherche de quiétude, a priori anodine, qui contient en fait les germes de l’idolâtrie. Lorsque l’empire grec développa le culte du corps, il parvint à exercer son influence sur le peuple juif en s’appuyant sur cette même tactique : les Grecs convainquirent les enfants d’Israël qu’ils avaient besoin de se reposer un peu de leur étude, pour finalement, à force d’arguments, parvenir à en helléniser la plus grande partie.
A présent, nous pouvons comprendre le sens profond de la discussion entre Beit Chamaï et Beit Hillel. Selon ce dernier, on doit aller en progressant, de même que les Grecs avaient essayé de faire déteindre leur culture sur les Juifs, pour exercer de plus en plus leur influence sur eux, jusqu’à ce que la majorité de notre peuple se soit complètement hellénisée. A ‘Hanouka, nous devons donc, chaque jour, allumer une bougie supplémentaire, afin d’ancrer en nous le souvenir que telle est la tactique du mauvais penchant qui cherche chaque jour à faire tomber l’homme plus bas encore que la veille. Quant à Chamaï, il affirme, au contraire, que nous devons aller en régressant, de même que les Grecs ont progressivement corrompu notre esprit et notre cœur, en nous faisant régresser de niveau, pour finalement nous helléniser de façon presque totale.
La fête de ‘Hanouka a été instituée par nos Maîtres afin que nous nous souvenions que c’est la recherche de la tranquillité qui a conduit à l’hellénisation de la quasi-totalité du peuple juif et ensuite à la guerre, jusqu’à la date du vingt-cinq Kislev où les Hasmonéens commencèrent à diffuser la lumière de la Torah. C’est pourquoi nous devons « progresser en sainteté » afin de nous souvenir où mène la recherche d’un mode de vie apparemment plus libre. Par contre, le tribunal de Chamaï soutient la thèse opposée, en l’occurrence que notre devoir de nous souvenir de la dégradation progressive subie par notre âme, sous l’influence de la culture grecque, doit être corroboré par un allumage dégressif des bougies. Or, tous deux ont raison et la démarche de chacun d’eux vise le même objectif. Pourtant, la loi est tranchée selon Beit Hillel, car l’homme ne doit pas focaliser son attention sur le passé, mais plutôt construire son avenir, en priant de pouvoir chaque jour « progresser en sainteté » et devenir juste.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Entre les Grecs et nous
Il y a quelques années, je devais me rendre en Israël pour régler une certaine question et, du fait qu’il ne restait pas de place à bord d’un vol direct, je fus contraint de faire escale en Grèce.
Lorsque l’avion atterrit en Grèce, c’était l’heure de Minh’a, aussi me mis-je à prier, debout dans un coin du terminal. À la fin de ma prière, je remarquai que j’étais entouré de nombreuses personnes m’observant attentivement.
Au cas où cela les aurait dérangées, je leur expliquai que je n’avais fait que prier, mais elles ne paraissaient nullement en colère. Au contraire, elles me répondirent, opinant du chef en signe d’approbation : « Good, good » (bien, bien).
Peu après, notre avion à destination d’Israël décolla. Assis à ma place, je réfléchis à la grandeur de D.ieu. Dans l’ancien empire grec, le roi Antiochus, dont les terribles décrets anti-juifs sont restés dans les annales de l’histoire, voulait déraciner la Torah de notre peuple, et voilà que, des siècles plus tard, un humble Juif comme moi priait paisiblement dans un terminal grec, sans le moindre dérangement !
Si cet impie vivait encore de nos jours, nul doute qu’il aurait voulu me tuer sur-le-champ, ainsi que toutes les personnes présentes autour de moi qui, non seulement m’avaient laissé prier tranquillement, mais avaient même marqué leur approbation. Mais ce mécréant a disparu et un Juif avec une barbe et des péot comme moi peut faire sa prière de Min’ha au vu et au su de tous, sans la moindre perturbation.
Or, les choses ne s’arrêtèrent pas là, puisqu’ensuite, à bord de l’avion de la compagnie Olympic Air, un steward vint m’annoncer qu’on allait me servir un plateau-repas cachère laméhadrine ! Je lui avouai mon incrédulité, si bien que, pour me convaincre, il dut m’apporter une barquette bien fermée, portant en bonne et due forme un sceau de cacheroute. « Je n’en crois pas mes yeux », insistai-je.
Puis j’expliquai : « Il y a des milliers d’années, vos ancêtres grecs montèrent en Israël, Antiochus à leur tête, dans le but de tuer tout Juif observant les mitsvot et mangeant cachère. Or, voilà que vous-mêmes, qui descendez de ces Grecs, me servez à moi, un Juif, de la nourriture cachère.
Suite à cet incident, j’arrivai à la conclusion qu’il attestait la pérennité du peuple juif, outre le mérite que constituait le sacrifice des ‘Hachmonaïm qui mena au miracle de ‘Hanouka. Les stewards m’écoutaient médusés, tandis que, personnellement, je renforçais ma fierté d’être Juif.
Celui qui observe avec fierté la Torah et les mitsvot en exil, aux yeux des non-juifs et de tous les peuples ennemis, c’est comme s’il avait allumé la ‘hanoukia et lui avait permis, miraculeusement, de ne jamais s’éteindre. Tel est le sens des mots de notre prière « lors de ces jours-là, à cette époque ». Autrement dit, l’allumage de la ‘hanoukia n’est en fait autre que celui de notre corps pour notre service divin quotidien. En outre, plus on se dévoue pour le respect de la Torah et des mitsvot, plus on méritera de tenir tête au monde entier et personne ne pourra placer d’embûches sur notre route, en vertu du verset : « Et tous les peuples de la terre verront que le Nom de l’Eternel est associé au tien et ils te redouteront. » (Dévarim 28, 10)
PAROLES DE TSADDIKIM
Ce qui reste à jamais gravé dans la mémoire de l’enfant
La Guémara affirme, dans le traité Sota, qu’au moment où la femme de Potifar saisit Yossef pour l’inciter à fauter avec elle, l’image de son père lui apparut. Dans cette vision, Yaakov lui dit : « Yossef, le nom de tes frères sera plus tard inscrit sur les pierres du éphod et le tien doit aussi l’être, voudrais-tu qu’il ne le soit pas ? »
L’avenir d’un enfant est largement déterminé par l’image que lui ont donnée ses parents dans son enfance. Plus ils se sont efforcés de lui montrer le bon exemple et d’être méticuleux dans l’observance de toute mitsva et le respect de chaque coutume, plus le jeune enfant absorbera cette conduite et parviendra ensuite au niveau de serviteur de l’Eternel.
Ce que l’enfant a vu de ses propres yeux et a vécu lors de son enfance restera à jamais gravé en lui. Aussi, nous incombe-t-il de veiller à lui donner l’exemple d’une vie basée sur l’observance des mitsvot et l’accomplissement de la volonté divine dans la joie.
Le directeur du séminaire de Bné-Brak, Rav Yossef Avraham Wolf zatsal, raconte une histoire s’étant déroulée à l’époque du Gaon auteur du Na’hal Echkol. De nos jours, lorsque les missionnaires font tout ce qu’ils peuvent pour convaincre le plus de Juifs d’abandonner leur religion – D.ieu préserve –, ce n’est pas une nouveauté. Mais, à cette époque, lorsqu’un enfant juif était pris en captivité par des curés, cela faisait trembler toute la ville.
Voici ce qui se passa : le fils d’une des prestigieuses familles de la ville fut enlevé et emmené dans un monastère. Malgré les supplications pressantes de ses parents, des Rabbanim et des trésoriers, ses ravisseurs refusèrent de le libérer.
De nombreuses années passèrent, si bien que l’enfant s’habitua à son nouveau domicile. On le gâta et lui donna beaucoup d’argent afin qu’il n’envisage pas de retourner à son foyer.
Les parents qui, durant cette période, n’avaient cessé de déployer tous les efforts possibles pour récupérer leur fils, finirent par obtenir, de la part du juge, bienveillant envers les Juifs, une reconsidération du dossier.
Après avoir écouté les deux parties, le juge s’adressa ainsi aux parents : « J’ai entendu vos arguments, mais qui me prouve que vous dites la vérité ? Je suis prêt à vous donner une opportunité unique de le prouver. Voici ce que je propose : j’exige du monastère qu’il vous permette d’entrer voir l’enfant et de rester avec lui cinq minutes, vous ou votre ayant droit. Si, durant cet intervalle, vous parvenez à susciter son désir de vous suivre de son propre gré, ce sera la preuve claire qu’il s’agit de votre fils. Mais si vous connaissez un échec, il restera à jamais dans le monastère. »
Les parents s’en retournèrent à moitié rassurés. Ils ignoraient comment ils réussiraient dans une tâche si délicate. Ils se doutaient bien que, durant toutes ces années, ils avaient réussi à corrompre l’esprit de leur enfant par les vanités de ce monde. Comment donc arriveraient-ils à le persuader à renoncer à tout cela pour rejoindre la communauté juive ?
Ils frappèrent à la porte du Gaon auteur du Na’hal Echkol qu’ils supplièrent de leur donner un conseil. Le juste les rassura, raffermit leur foi et leur confiance en D.ieu, puis leur dit : « Je vais vous accompagner au monastère et c’est moi qui parlerai à votre enfant. Avec l’aide de D.ieu, j’espère que je parviendrai à le convaincre de revenir.»
Comme promis, il se joignit à la délégation, vêtu du kittel et d’une kipa blanche, comme à Kippour. Il disposait de cinq minutes – pas une de plus – qui allaient être décisives pour l’avenir de l’enfant.
Les parents observaient le Rav, attendant qu’il commence son discours. Mais il ne prononça pas un mot. Il se mit à entonner le célèbre air de Kol Nidré qui retentit dans toutes les synagogues du monde dès l’arrivée de Kippour. L’enfant écouta attentivement la mélodie jusqu’à ce qu’il réalisât combien il s’en trouvait loin. Pris d’émotion, ses yeux laissèrent échapper une larme.
Les parents regardèrent la montre : plus que deux minutes restantes.
« Veux-tu venir avec nous et mériter ce monde et le suivant ou préfères-tu rester au monastère ? » lui demanda le Rav.
Soudain, comme s’il sortait d’un rêve, l’enfant, complètement bouleversé, bondit de sa place. Il tomba dans les bras de ses parents et les supplia en criant : « Sortez-moi de là ! Je ne veux pas rester une minute de plus dans ce monastère. Ramenez-moi à la synagogue où j’avais entendu cette émouvante mélodie. »
CHEMIRAT HALACHONE
Que ce soit un proche ou quelqu’un d’éloigné
L’interdiction de colportage s’applique indifféremment lorsque celui qui rapporte les faits est un homme ou une femme, un proche ou quelqu’un d’éloigné. Même si on entend quelqu’un médire d’un de ses parents et qu’on éprouve de la peine pour leur honneur ainsi bafoué, on n’a pas le droit de le leur raconter, car cela reviendrait à colporter.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Ainsi parle l’Eternel : “A cause du triple (…)” » (Amos chap. 2 et 3)
Lien avec la paracha : cette haftara fait allusion à la vente de Yossef par le verset « parce qu’ils vendent le juste pour de l’argent », sujet largement développé dans la paracha.
PERLES SUR LA PARACHA
Le motif de la haine
« Ils le prirent en haine. » (Béréchit 37, 4)
La Torah nous explique la raison de la haine des frères de Yossef pour ce dernier : « Ses frères, voyant que leur père l’aimait de préférence à eux tous, le prirent en haine. »
En quoi le fils est-il fautif que son père l’aimait plus que ses frères ? A priori, c’est un manquement au niveau du père. En outre, le texte précise que Yaakov aimait particulièrement Yossef « parce qu’il était le fils de sa vieillesse » ; s’il en est ainsi, il n’y avait pas lieu de le haïr !
Dans son ouvrage Adérèt Eliahou, le Ben Ich ‘Haï explique que les frères de Yossef pensaient que leur père aimait davantage ce dernier, non pas « parce qu’il était le fils de sa vieillesse », mais pour une autre raison. En effet, se disaient-ils, le petit dernier de Yaakov était Binyamin, donc si tel était le motif de sa préférence, c’est à lui qu’il aurait dû la témoigner.
Ils arrivèrent alors à la conclusion que Yaakov aimait davantage Yossef que ses autres fils du fait qu’il lui rapportait ce qu’ils faisaient de mal et acquerrait ainsi une place sûre dans son cœur. C’est pour cela qu’ils le haïrent.
Puis, lorsqu’il leur raconta son rêve – « soudain ma gerbe se dressa, elle resta debout ; et les vôtres se rangèrent à l’entour et s’inclinèrent devant la mienne » –, leur haine s’accrut encore, comme il est dit : « Et ils le haïrent plus encore. »
L’aspect extérieur
« Ils le dépouillèrent de sa robe, de la robe longue dont il était vêtu. » (Béréchit 37, 23)
Pourquoi les frères de Yossef lui enlevèrent-ils sa tunique dès l’instant où il les rejoignit ? L’auraient-ils fait par haine ?
Rabbi Chalom Schwadron zatsal nous donne une merveilleuse explication à ce sujet. Il va sans dire qu’ils n’ont pas agi ainsi poussés par la haine, mais conformément à ce qui est écrit dans la Guémara (Chvouot 31a) : « D’où déduit-on que si deux individus comparaissent en justice, l’un vêtu de haillons et l’autre d’habits princiers, on ordonne à ce dernier de s’habiller comme le premier ou de le vêtir comme lui ? Du verset : “Eloigne-toi d’une parole mensongère.” »
Il en ressort qu’une vision peut fausser le jugement. C’est pourquoi les frères de Yossef, qui devaient déterminer s’il était passible de mort, craignirent que sa tunique, faite par leur père et ayant éveillé leur jalousie, ne les empêche de le juger équitablement ; aussi la lui ôtèrent-ils. Ceci nous enseigne qu’ils agirent en conformité totale avec les lois de la Torah.
Quand il leur était permis de rompre le jeûne
« Comme ils s’étaient assis pour prendre leur repas. » (Béréchit 37, 25)
Qu’est-ce que la Torah veut nous apprendre par ce verset ?
L’ouvrage Michoul’han Gavoa rapporte, au nom du Rav de Brisk zatsal, que, d’après le Rambam (Hilkhot Sanhédrin 13, 4), les membres d’un tribunal qui ont condamné quelqu’un à mort n’ont pas le droit de manger durant toute cette journée, du fait de l’interdit de « Ne faites point de repas près du sang. » Or, les frères de Yossef l’avaient condamné à mort, aussi leur était-il interdit de manger. Par conséquent, ce n’est qu’après que Réouven leur dit : « Ne versez point le sang ! Jetez-le dans cette citerne (…) mais ne portez point la main sur lui » qu’ils eurent de nouveau le droit de manger, ce que le verset vient ici souligner.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La Torah s’acquiert dans l’humilité
« Voici les générations de Yaakov : Yossef, âgé de dix-sept ans, menait paître les brebis avec ses frères. Passant son enfance avec les fils de Bilha et ceux de Zilpa, épouses de son père, Yossef débitait sur le compte des autres frères des médisances à leur père. » (Béréchit 37, 2)
Que signifie l’affirmation du verset : « Voici les générations de Yaakov : Yossef » ? Yaakov avait également d’autres enfants ! Les commentateurs expliquent que Yaakov a enseigné à Yossef l’intégralité de la Torah qu’il avait lui-même étudiée ; ainsi, toute la Torah du patriarche se trouvait également en Yossef, d’où la tournure particulière de notre verset. Cependant, cette expression n’en reste pas moins surprenante si l’on considère que Réouven était l’aîné des tribus et que son âge dépassait de loin celui de Yossef ; en tenant compte de cela, comment expliquer que Yossef ait réussi à étudier auprès de son père plus de Torah que son frère aîné ? En outre, nous trouvons rapportée l’habitude de surnommer Yossef « le juste » ; pour quelle raison seul Yossef a-t-il mérité d’être désigné par ce qualificatif, alors que l’on connaît la piété du reste des tribus, qui n’était pas moindre que celle de ce dernier ?
La clé de toutes ces interrogations semble se trouver dans la suite de notre verset : « Passant son enfance [littéralement : il était jeune] avec les fils de Bilha et ceux de Zilpa. » Autrement dit, Yossef se considérait comme un jeune enfant devant les fils des servantes, c’est-à-dire qu’il se comportait avec humilité et entretenait des relations particulières avec ces derniers. Rachi explique que Yossef s’arrangeait les cheveux, ce qui souligne sa beauté hors pair ; cela aurait pu constituer, pour lui, une raison supplémentaire de se sentir supérieur par rapport aux autres tribus. De plus, nous constatons que Yaakov avait un lien particulier avec Yossef pour qui il avait cousu une tunique multicolore. Or, en dépit de tout cela, Yossef se comportait toujours avec humilité et témoignait de l’affection aux fils des servantes.
Puis, plus tard, lorsque Yossef fut nommé vice-roi de tout le pays d’Egypte, il aurait pu prendre le trône à Pharaon, du fait qu’il connaissait une langue de plus que lui. Cependant, Yossef le juste éprouvait de la reconnaissance envers Pharaon qui l’avait nommé à la tête de tout son pays et, pour cette raison, il ne voulut pas se lever contre lui. Cela illustre, une fois de plus, l’humilité particulière de Yossef qui ne s’enorgueillit jamais de sa supériorité, même lorsqu’il parvint à interpréter les rêves qui représentaient une énigme pour tous les magiciens égyptiens. Tel est le sens du verset : « Il était jeune avec les fils de Bilha et ceux de Zilpa. »
Nous comprenons, à présent, la raison pour laquelle seul Yossef est désigné par le qualificatif de « juste » et, simultanément, pourquoi il est parvenu à apprendre toute la Torah de son père : parce que tout son comportement était imprégné d’humilité. En effet, seul l’homme qui se montre proche de son prochain et s’efface devant lui peut véritablement acquérir la Torah. Ainsi, Yossef, qui se faisait petit devant les fils des servantes et compatissait pour autrui, mérita d’atteindre de tels sommets. Nos Sages nous enseignent (Brakhot 63b) que « la Torah ne demeure que chez celui qui se tue pour elle », autrement dit, chez l’homme qui l’étudie en restant modeste, en se soumettant totalement à son autorité. C’est pourquoi Yossef put apprendre, en peu d’années, toute la Torah que Yaakov avait étudiée dans la Yéchiva de Chem et Ever.
DES HOMMES DE FOI
Rav Raphaël Amar, un élève de notre Maître, raconta qu’il se rendit un jour au Maroc avec un ami, pilote dans l’armée de l’air israélienne, qui avait commencé à se rapprocher du Judaïsme. Tous deux désiraient se recueillir sur la tombe de Rabbi ‘Haïm Pinto.
A leur arrivée au cimetière, le gardien arabe les conduisit à la tombe et leur remit des livres de Téhilim.
Le pilote remarqua que le gardien tenait dans sa main un vieux morceau de papier et lui demanda ce que c’était. L’Arabe répondit : « C’est une photo du Tsaddik Rabbi ‘Haïm Pinto que j’ai reçue un jour de son petit-fils. »
Le pilote, surpris, commença à parler avec Rav Raphaël Amar en hébreu, afin que le gardien ne comprenne pas : « Essayons de lui acheter cette photo. Peut-être qu’une bonne somme d’argent va le convaincre de nous la vendre. »
Mais il n’en fut rien. Le gardien n’était pas du tout disposé à s’en séparer. Le pilote proposa mille dollars, mais l’Arabe s’obstinait dans son refus. Même quand l’offre atteignit la somme faramineuse de quatre mille dollars – somme permettant d’acquérir une maison au Maroc – il ne se laissa pas convaincre.
Le pilote en fut très impressionné et dit à Rav Amar :
« Regarde combien sa foi dans le Tsaddik est puissante. Elle imprègne toutes les fibres de son être. Même si cette photo est vieille et déchirée, il n’est pour rien au monde prêt à s’en séparer parce qu’il a vu se dérouler sous ses yeux de nombreux miracles grâce au mérite du Tsaddik. Pour lui, cette photo est toute sa vie. Si un non-juif croit tellement en la vertu du Tsaddik, combien plus devons-nous en être convaincus ! »
En entendant cette histoire, notre Maître ajouta :
« Sachez cependant que la foi sans la Torah ne vaut rien. Les deux sont liées. Chlomo Hamélekh a demandé (Mélakhim I 8:41) que lorsqu’un non-juif prie, sa requête soit exaucée immédiatement. En revanche, s’il s’agit d’un Juif, sa demande n’est pas immédiatement accomplie. Pourquoi ?
« Pour un Juif, il ne suffit pas de prier une fois pour être immédiatement exaucé et vivre un miracle. La foi ne suffit pas. Il doit également étudier la Torah et accomplir les mitsvot avec amour. Ce qui n’est pas le cas du non-juif qui, lui, n’a aucun lien avec l’étude. S’il a la foi, D.ieu se suffit de sa prière et l’exauce. Le Juif, par contre, doit s’éclairer de la lumière de la Torah, accomplir les mitsvot et de bonnes actions pour que D.ieu lui fasse vivre des miracles. »
EN PERSPECTIVE
Par la seule grâce divine
« Le gouverneur de la Rotonde ne vérifiait rien de ce qui se passait par sa main, parce que le Seigneur était avec lui. » (Béréchit 39, 23)
Rabbi Rephaël HaLévi zatsal, fils du Rav de Brisk, raconte que lorsqu’ils fuirent Vilna en l’an 5700, il questionna ainsi son père sur ce verset : il insiste sur le fait que le chef de la prison ne trouva rien à reprocher à Yossef, car D.ieu était avec lui. Pourtant, c’est suite à un complot qu’il se retrouva emprisonné, alors qu’il n’avait commis aucun délit, donc pourquoi avait-il besoin d’une assistance divine particulière pour qu’on le considère comme innocent ?
Le Rav de Brisk répondit qu’on en déduit que, sans cette aide divine particulière dont Yossef jouissait, le gouverneur de la Rotonde aurait déjà trouvé matière à l’accuser. Ce n’est que « parce que le Seigneur était avec lui » qu’il échappa à toutes sortes d’accusations injustifiées.