Parachat Nasso (En Israël Beha'alotekha) 15 Juin 2019 י"ב סיון תשע"ט |
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Le conseil avisé d’Issakhar
Rabbi David Hanania Pinto
« Ce fut au jour où Moché eut achevé de dresser le tabernacle et de le consacrer avec toutes ses pièces, ainsi que l’autel et tous ses ustensiles ; lorsqu’il les eut ainsi oints et consacrés, les phylarques d’Israël, chefs de leurs familles paternelles, firent des offrandes ; ce furent les chefs de tribus, ceux qui avaient présidé aux dénombrements. Ils présentèrent pour offrande, devant l’Eternel, six chariots et douze bêtes à cornes, un chariot par deux phylarques, un taureau par phylarque, et ils les amenèrent devant le tabernacle. » (Bamidbar 7, 1-3)
Rachi commente : « Rabbi Nathan dit : pour quelle raison les chefs ont-ils fait leur offrande ici avant les autres, tandis que, lors de la construction du tabernacle, ils n’ont pas été les premiers ? Car ils s’étaient alors dit : la communauté doit faire des offrandes à son gré et nous comblerons les lacunes. Lorsqu’ils virent que la communauté avait pourvu à tout – comme il est dit : “Les matériaux suffirent et par-delà” –, ils dirent : “Que nous reste-t-il à faire ?” Ils offrirent alors des pierres de choham et les pierres à enchâsser pour l’éphod et le pectoral. C’est pourquoi ils portent leur offrande maintenant les premiers. »
Ils apportèrent six chariots afin de pouvoir transporter le tabernacle et ses ustensiles lors de leurs déplacements. Mais qui eut cette idée ?
Le Midrach affirme que cette heureuse initiative provient de la tribu d’Issakhar que l’Eternel récompensa en lui donnant la seconde place dans l’apport des sacrifices des princes, immédiatement après celle de Yéhouda. Rachi explique qu’il eut ce mérite pour deux raisons. Premièrement, parce que les membres de cette tribu étaient versés dans la Torah, comme il est dit : « Des gens d’Issakhar, experts dans la connaissance des temps. » Deuxièmement, parce qu’ils avaient donné le conseil aux princes de faire ces offrandes. Au départ, Moché refusa de les accepter, jusqu’à ce qu’il en reçût l’ordre divin.
Afin de mieux comprendre ce sujet, penchons-nous sur celui du don la Torah. Essentiellement, nous la recevons en nous attelant à la tâche de son étude et, en particulier, de celle de la Torah orale. Si D.ieu nous a certes donné la Torah orale comprenant les 613 mitsvot, Il a inclus dans chacune d’elles de nombreuses lois, développées dans la Torah orale, que nous devons étudier assidûment pour en retirer des ‘hidouchim et déduire toutes les lois relatives aux mitsvot de la Torah écrite.
Dès lors, nous comprenons pourquoi le Saint béni soit-Il n’a pas ordonné d’apporter des chariots : Il désirait que, tout comme la Torah orale, cela vienne de l’homme, que Ses enfants réfléchissent et s’interrogent comment ils pourraient porter le tabernacle lors de leurs déplacements et en arrivent à la conclusion qu’il fallait construire des chariots et que telle était Sa volonté. C’est justement ce que fit la tribu d’Issakhar. Ses membres, connus comme des hommes de Torah, donnèrent cette directive. Il est évident que, s’ils ne l’avaient pas dit eux-mêmes, l’Eternel l’aurait ordonné. Mais Il se garda de le faire afin de leur permettre de l’innover suite à une étude assidue de la Torah.
Le Créateur fut si heureux de l’initiative d’Issakhar que, comme le soulignent nos Sages (Midrah Rabba, Nasso 12), les douze taureaux apportés en offrande par les princes, sur le conseil de ce dernier, restèrent en vie jusqu’à l’époque du roi Chlomo qui les offrit en sacrifice. Une braïta au nom de Rabbi Meïr affirme : « Jusqu’à aujourd’hui, ils sont restés vivants. Ils n’eurent pas de défaut et ne vieillirent pas, comme il est dit : “Ils seront (véhayou) employés au service de la Tente d’assignation”, le verbe véhayou exprimant la continuité de cette fonction. » Nous en concluons à quel point D.ieu se réjouit lorsqu’un homme se voue à l’étude de la Torah et déduit, suite à ses efforts acharnés, la loi devant être appliquée dans la pratique. D’où la réponse divine : « Reçois ces présents de leur part. » Le Saint béni soit-Il donna Son aval à la tribu d’Issakhar, car son conseil provenait de la Torah de vérité étudiée par ses membres. Cette idée se retrouve en filigrane à travers le terme méitam (de leur part), composé des mêmes lettres que le mot émèt (vérité) auquel on ajoute la lettre Mèm, équivalant numériquement à quarante, en écho à ce nombre de jours durant lesquels la Torah fut donnée. D.ieu se réjouit donc de cette initiative découlant de l’étude de la Torah.
De même que nos ancêtres construisirent le tabernacle, chacun d’entre nous a le devoir d’ériger son propre tabernacle, en s’investissant pleinement dans l’étude de la Torah et en peinant pour parvenir à sa compréhension. De cette manière seulement, il pourra jouir de la sérénité et de la satisfaction dans le monde futur, car seul celui qui peine la veille de Chabbat aura de quoi manger durant Chabbat. Par contre, celui qui ne peine pas dans ce monde ne pourra se délecter dans le suivant. Aussi, nous incombe-t-il de nous atteler à la tâche de l’étude de la Torah de toutes les fibres de notre être. Le Très-Haut nous réjouira alors et nous donnera droit à toutes les bénédictions énoncées dans la Torah. Amen !
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Content de son sort
Un homme m’expliqua qu’il avait trois filles à marier, mais n’avait pas de quoi leur acheter un appartement, ni même de leur fournir le minimum pour démarrer dans la vie – lui-même était locataire et vivait dans le plus grand dénuement.
« Est-ce que vous voulez une aide financière ? lui demandai-je.
– Non, je ne désire pas recevoir la tsédaka ; je voudrais seulement que vous me conseilliez et me bénissiez pour que les portes de la parnassa s’ouvrent devant moi et que je puisse nourrir ma famille et marier mes filles décemment. »
Pendant notre conversation, il me vint soudain à l’esprit que ce Juif vivait non loin d’un nanti qui se ferait certainement une joie de l’aider généreusement ; c’est pourquoi je lui suggérai de faire appel à son aide.
Mais mon interlocuteur secoua la tête et me dit : « Grâce à D.ieu, mon voisin a très bien réussi dans les affaires et je lui souhaite que cela continue, avec tous les efforts qu’il fournit en ce sens. Mais je n’aspire pas à recevoir la tsédaka ; je suis sûr que le Tout-Puissant a la possibilité de m’assurer également une subsistance honorable. »
Les paroles pleines de foi de cet homme, qui reflétaient une grande pureté d’esprit, m’impressionnèrent vivement, émerveillement qui ne fit que croître face à cette attitude positive vis-à-vis des plus chanceux que lui : il n’enviait ni ne convoitait la richesse de son voisin.
Je lui dis alors : « Je suis certain que, satisfait de votre sort et par le mérite de votre foi pure et du bon œil avec lequel vous regardez ce qu’ont les autres, D.ieu vous enverra votre subsistance avec largesse et vous permettra de marier vos filles décemment. Soyez tranquille, car D.ieu a de nombreux moyens pour combler vos manques ! »
Nous lisons la section de Nasso peu avant ou peu après la fête de Chavouot, afin de prendre conscience que nous ne pourrons acquérir la Torah que si nous travaillons nos traits de caractère et veillons à corriger notre conduite dans les relations interhumaines. Cela seul nous permettra de nous élever dans les voies divines.
Cette section nous décrit en effet la manière dont le Saint béni soit-Il compte les membres de chaque tribu, selon leurs familles, témoignant ainsi du respect à chacun et ne dédaignant personne, tous étant égaux à Ses yeux. Ainsi, Il recensa par exemple la famille de Guirchouni, bien qu’elle n’eût pas une fonction aussi importante que celle de Kéhati, et s’y attarda même sur plusieurs versets de la Torah.
En outre, l’Eternel exprima Sa reconnaissance à la tribu de Lévi pour le service qu’elle effectuait au Temple, quoique, du point de vue de celle-ci, il s’agît d’un privilège. De même nous appartient-il de respecter notre prochain et de lui témoigner notre reconnaissance et notre estime. Seulement alors, nous serons en mesure de recevoir pleinement la Torah, car « Tu aimeras ton prochain comme toi-même est un principe d’or de la Torah ».
PAROLES DE TSADIKIM
Qui sont les fils de Guerchon ?
« Il faut faire aussi le relevé des enfants de Guerchon, par maisons paternelles. » (Bamidbar 4, 22)
Pourquoi la Torah insiste-t-elle en disant « aussi » ? Toutes les familles des tribus furent comptées, donc pourquoi aurait-on pensé que celle de Guerchon fît exception ?
Rav Réouven Elbaz chelita, Roch Yéchiva de Or Ha’haïm, explique de manière remarquable que cette famille fait allusion aux individus s’étant éloignés du droit chemin, ayant « divorcé » (hitgarchou, à rapprocher du nom Guerchon) de la Torah et des mitsvot. La Torah souligne donc notre devoir de les compter eux aussi, c’est-à-dire de ne pas les repousser mais, au contraire, de les rapprocher.
Si nous nous demandons pourquoi, la suite du verset nous le précise : « Eux aussi par maisons paternelles. » En d’autres termes, même s’ils n’empruntent pas eux-mêmes le droit chemin, leurs ancêtres le faisaient. Ils descendent d’une lignée de justes, d’Avraham, d’Its’hak et de Yaakov.
Dans la Yéchiva de Or Ha’haïm, une grande réunion fut organisée à l’approche de Chavouot. Des jeunes hommes de tout le pays y participèrent. L’un des avrékhim, versé dans l’étude de la Torah et dans la loi, raconta aux participants son histoire personnelle.
Il avait grandi dans une ville totalement à l’écart de la pratique du judaïsme. Toutefois, il avait toujours ressenti une foi puissante ancrée en lui, bien qu’il ne sût pas comment la mettre en pratique dans sa vie quotidienne. Il servait en tant qu’officier dans l’armée israélienne. Or, durant la deuxième guerre du Liban, il vécut de grands miracles à travers lesquels il perçut clairement la Providence individuelle dont il jouit.
C’est là qu’il vécut un grand tournant dans sa vie. « Lorsque je franchis les portes de la Yéchiva de Or Ha’haïm, j’eus face à moi un spectacle fabuleux : la salle était emplie de centaines d’étudiants, penchés avec ardeur sur leurs livres. Je restai impressionné. Le grondement de l’étude était plus puissant que celui de cent tanks roulant sur le champ de bataille.
« Grâce à D.ieu, j’eus le mérite de me joindre à eux et de m’élever dans l’étude de la Torah. J’ai le sentiment que chaque instant passé à la Yéchiva est un miracle encore plus grand que tous ceux que j’ai vécus à l’armée. Je ressens que l’Eternel me donne la main à chaque étape. »
Si nous nous demandons comment ces avrékhim ont le mérite d’atteindre de si hauts niveaux, nul doute que c’est dû à la valeur de leurs ancêtres qui étaient certainement de grands Tsadikim. Qui sait quels sont leurs ascendants ? Peut-être le Rambam, le Beit Yossef ou encore le Ari zal !
Leurs saints ancêtres les observent, leur tiennent lieu de protection et intercèdent en leur faveur. Ils éclairent leur âme et entretiennent l’étincelle sainte dissimulée en eux.
L’âme juive est façonnée en-dessous du trône céleste. Les ancêtres de tout Juif se préoccupent de lui et de son âme. Même celui qui s’est éloigné du droit chemin est inclus dans le recensement de l’ensemble du peuple. Nous devons, comme tous les autres, le compter, lui témoigner notre estime et l’aider à se rapprocher de son Père céleste.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Il y avait alors un homme (…) » (Choftim chap. 13)
Lien avec la paracha : dans la haftara, il est question de Chimchon qui devait être nazir depuis le sein maternel, selon les consignes de l’ange apparu à sa mère. Or, les mitsvot propres au nazir constituent l’un des volets de la paracha.
CHEMIRAT HALACHONE
Regret et engagement
Celui qui a fauté en écoutant des propos médisants et en y accordant du crédit réparera son péché en s’efforçant de les effacer de son cœur et de ne plus y croire.
Il s’engagera également à ne plus croire à de tels propos prononcés sur un Juif et se confessera. De cette manière, il apportera une réparation aux interdits transgressés par sa croyance témoignée à la médisance entendue.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La primauté de la tribu de Lévi
« Il faut faire aussi le relevé des enfants de Gerson, par maisons paternelles, selon leurs familles. » (Nombres 4, 22)
Après avoir recensé l’ensemble des enfants d’Israël, Moïse compta séparément la tribu de Lévi, conformément à l’ordre divin. Les commentateurs expliquent (cf. Rachi Nombres 1, 49) que « la légion du roi mérite d’être recensée à part ». Tel était en quelque sorte le statut des Lévites, dont le dénombrement particulier atteste de la prééminence.
A bord de l’avion, il existe la classe affaires et la classe économique. Celui qui opte pour le premier choix, doit ajouter un supplément au prix de son billet, mais, en contrepartie, jouit d’un confort nettement supérieur. En d’autres termes, il doit débourser une plus grande somme d’argent, mais obtient une compensation valable en retour. Toutes proportions gardées, la tribu de Lévi, qui se vouait au service divin, devait se sacrifier pour cette cause, en cela que sa subsistance dépendait des dons du peuple et qu’elle était privée d’héritage en Terre Sainte. Néanmoins, ces désavantages apparents, qui allaient de pair avec ses fonctions, s’avérèrent finalement être bénéfiques pour elle, puisqu’elle constituait l’élite choisie par Dieu pour Le servir, primauté que vient confirmer son recensement à part.
Le Rambam (Chemita Veyovel 13, 13) explique que la tribu de Lévi n’est pas la seule à mériter cette spécificité et cette place de choix, qui peut être octroyée à tout Juif manifestant sa volonté de se vouer avec ardeur à l’étude de la Torah. Car le nom de Lévi provient de la racine livouy, signifiant accompagnement, les Lévites ayant été nommés ainsi en vertu de leur fonction d’accompagner, pour ainsi dire, l’Eternel dans le Temple. Aussi, tout homme qui "accompagne" son Créateur par le service qu’il Lui voue, mérite-t-il le qualificatif de Lévite, avec tous les droits et les honneurs qui en découlent. En outre, il a également l’insigne privilège d’être lui-même accompagné par le Très-Haut, dans tous ses déplacements – deuxième sens du nom Lévite.
PERLES SUR LA PARACHA
La brakha est personnelle
« Voici comment vous bénirez les enfants d’Israël. » (Bamidbar 6, 23)
Pourquoi le verset s’ouvre-t-il par un pluriel : « Voici comment vous bénirez les enfants d’Israël ; vous leur direz (…) » et poursuit par un singulier : « Que l’Eternel te bénisse et te protège ! Que l’Eternel fasse rayonner Sa face sur toi (…) » ?
L’auteur de l’ouvrage Dan Midaniel propose une belle explication. Il fait remarquer qu’une bénédiction donnée n’en représente pas toujours une pour tout le monde. Par exemple « Que l’Eternel te bénisse » est une bénédiction relative à l’argent ou aux enfants. Or, tous deux peuvent s’avérer une bénédiction comme une malédiction. En effet, l’argent peut être bénéfique à l’homme, mais également le détourner du droit chemin. Quant aux enfants, s’ils empruntent le droit chemin, ils procurent de la satisfaction à leurs parents, mais, dans le cas contraire, ils leur causent de la peine.
C’est la raison pour laquelle les bénédictions sont énoncées au singulier, afin que chacun reçoive la bénédiction qui lui convienne.
Une ségoula pour voir sa prière agréée
« Voici comment vous bénirez les enfants d’Israël. » (Bamidbar 6, 23)
Dans les ouvrages saints, il est rapporté que cette grande mitsva donnée aux Cohanim de bénir le peuple éveille la Miséricorde divine, entraînant le déversement de la bénédiction sur les enfants d’Israël et leur salut.
Dans son ouvrage Erets Ha’haïm, l’un des élèves du Baal Chem Tov, que son mérite nous protège, rapporte une kabbala au nom de Rabbi Chimchon d’Astropoli – que son mérite nous protège – selon laquelle certains moments de la prière sont très propices à l’agrément de nos requêtes : l’ouverture de l’arche sainte, l’élévation du séfer Torah et la bénédiction prononcée par les Cohanim à l’assemblée. Il conclut par ce bon conseil : « Celui qui a une demande, qu’il la formule à l’un de ces moments-là et il pourra être assuré qu’elle sera exaucée. »
Un matching rapportant gros
« Une coupe de dix sicles en or, pleine de parfum. » (Bamidbar 7, 14)
Celui qui réduit son repas, même d’une coupe, pour le partager avec le pauvre, sa récompense sera de « dix sicles en or », c’est-à-dire de l’or de nature spirituelle, dont on ne saurait estimer la valeur.
Si l’on donne « une écuelle » (cf. verset 13) emplie de nourriture à un indigent, on a pour récompense « cent trente sicles » (Avné Hachaham).
Une initiative inédite
« Le second jour, l’offrant fut Néthanel, fils de Tsouar, phylarque d’Issakhar. » (Bamidbar 7, 18)
Dans le passage relatant les offrandes apportées par les princes de tribus, la Torah, généralement concise, s’étend en longueur, répétant pour chacun d’eux le contenu de ces offrandes, alors qu’elles étaient toutes identiques.
Autre point surprenant : concernant le premier sacrifice, il est dit : « Son offrande était une écuelle d’argent », alors que pour le second, il est écrit : « Il présenta son offrande. »
Dans son ouvrage Or Létsion ‘Hokhma Oumoussar, le Gaon Rabbi Bentsion Aba Chaoul zatsal explique qu’à travers ce glissement, la Torah souligne que chaque phylarque apporta son offrande, non pas parce qu’il imita les autres, mais de son plein gré et de sa propre initiative. Telle est également la raison du détail de ces offrandes, répétées une fois après l’autre dans le texte saint.
Il conclut avec la leçon suivante : « Tout érudit tranchant la loi pour la communauté en déduira qu’il ne doit pas prononcer son verdict en s’appuyant sur celui de son collègue l’ayant précédé, mais bien analyser chaque point à la racine pour seulement ensuite trancher lui-même. »
LA FEMME VERTUEUSE
à la mémoire de la Rabbanite Mazal Madeleine Pinto, de mémoire bénie
«Il fait encore nuit qu’elle est déjà debout, distribuant des vivres à sa maison, des rations à ses servantes.»
Dans l’introduction du célèbre ouvrage de son père, Dricha Yoré Déa, le fils de Rabbi Yéhochoua Falk Kats zatsal, également auteur du Sma (Séfer Méirat Enayim), écrivit ces merveilleuses lignes sur l’immense piété de sa mère, la Rabbanite Beila :
« Qui pourrait coucher dans un livre la grandeur hors pair de cette femme d’exception, pudique, pieuse et droite, ma mère, la Rabbanite Beila, fille de Rav Israël Idlech zatsal ? Elle jeûnait tous les jours et toutes les nuits et ne mangeait rien provenant d’un animal. Première arrivée à la synagogue et dernière à la quitter, une ou deux heures après la fin de l’office, elle gardait la clé de la ezrat nachim. Ensuite, loin de rester oisive, elle étudiait la section hebdomadaire avec l’interprétation de Rachi et des autres commentateurs. Comme le savaient tous les élèves de mon père et maître qui venaient manger à notre table, on commençait toujours par prononcer des paroles de Torah. Ma mère participait à la discussion et ajoutait parfois une belle idée personnelle, plus douce que le miel l’est au palais.
« Après avoir prié et étudié, elle s’impliquait dans la charité, rendant visite à des malades et consolant les endeuillés. Il n’y avait pas de lieu dans la ville où elle ne se fût rendue. Tant qu’il faisait jour, elle était à l’œuvre. Elle tissait des tsitsit et les fils pour les sifré Torah, cousait des talits et des kitels. Véritable maîtresse de maison, elle accueillait ses enfants, petits-enfants et autre jeunes gens pour les soutenir, leur donner à manger, réparer leurs vêtements ou leur laver la tête en l’honneur de Chabbat. Elle n’avait pas la moindre pointe de fierté. Elle ouvrait généreusement sa main pour donner de la tsédaka et était constamment en quête d’une mitsva à accomplir. Qui pourrait décrire de manière exhaustive toutes ses bonnes actions, empreintes de piété, et sa conduite ascète, tant elle s’éloignait même de ce qui lui était permis ? Cette feuille ne pourrait les contenir… »
« Mon rôle est de procurer de la nourriture à ma famille »
La force de la mère juive, de la femme vertueuse, est de se soucier avec sagesse de procurer de la nourriture à tous les membres de sa famille, contribuant ainsi à la fondation de générations droites et bénies.
Illustrons-le par l’histoire de Rabbi Ezra Attia zatsal, Roch Yéchiva de Porat Yossef, fils du Sage Its’hak Attia, enseignant la Torah aux jeunes enfants dans la communauté juive de ‘Halav. Sa mère, Léa, était la fille du Sage Mikhaël Chama, descendant du célèbre Sage Rabbi Eliahou Chama. A l’âge de trois ans, le petit Ezra commença à étudier au Kotav, Talmud-Torah de Syrie, où l’on découvrit rapidement ses remarquables dons promettant un bel avenir. Ses connaissances dépassaient celles de tous les autres élèves. Même lorsqu’il se mit à étudier avec le kabbaliste Rabbi Eliahou Avoud zatsal, il était le plus brillant.
Mais l’année 5666 fut fatale pour la famille Attia. Le chef de famille, Rabbi Its’hak, abattu par le joug du gagne-pain, tomba gravement malade. Le 15 ‘Hechvan, il rendit l’âme, laissant derrière lui une veuve et un jeune orphelin accablés de tristesse. Les deux autres enfants, un fils et une fille, étant déjà mariés, le jeune Ezra fut seul à devoir se soucier de sa mère. En outre, il ressentait la responsabilité de lui apporter une subsistance.
Ils traversèrent des temps durs et la famine commença à se faire ressentir dans leur foyer. Rabbi Ezra ne s’inquiétait pas à son sujet, acceptant cette épreuve avec amour. Toutefois, quand la veille de Chabbat arriva et que sa maman n’avait pas la plus petite pièce d’argent pour acheter le nécessaire aux repas du jour saint, il ne put supporter de voir sa peine. Il tourna dans la maison vide, à la recherche d’un objet pouvant être vendu.
« Pourquoi ne pars-tu pas étudier au Beit Hamidrach ? lui demanda sa mère.
–Comment pourrais-je partir, alors que je n’ai rien à te donner ?
– Ne t’inquiète pas, mon fils, répondit-elle courageusement. Ton rôle est d’étudier la Torah, tandis que le mien est de procurer de la nourriture à notre famille. D.ieu va nous aider. »
Peu avant l’entrée de Chabbat, Rabbi Ezra fut de retour chez lui. L’étude de la Torah l’avait rassasié toute la journée, au point qu’il en avait oublié sa situation. Sa mère l’accueillit avec le visage rayonnant. Une surprise attendait son cher enfant : tous les repas étaient prêts et disposés sur la table. Les yeux brillant d’un éclat de joie, sa maman lui raconta : « Quand j’ai constaté combien tu voulais étudier, j’ai pleuré à chaudes larmes, suppliant le Créateur que rien ne te dérange dans ton étude que tu chéris tant. Aussitôt après, j’ai trouvé une vieille boucle d’or qui a roulé par terre et datait de l’époque de mes fiançailles. Je l’ai alors vendue en l’honneur de la reine du Chabbat. Et la délivrance n’a pas tardé à venir. »
A cette époque, la première Yéchiva pour les Sages de Syrie ouvrit ses portes à Jérusalem, sur l’initiative de Rabbi Ezra Harari Raphoul et sous la présidence de Rabbi Raphaël Chlomo Lanido. Lorsque le premier apprit que Rabbi Ezra Attia avait commencé à apprendre la menuiserie chez son oncle, il fut choqué : comment donc l’humanité pouvait-elle perdre l’une de ses plus grandes lumières ? Le peuple juif allait-il perdre, à D.ieu ne plaise, l’un de ses futurs grands Maîtres ?
Sans hésiter une minute de plus, il aborda Rabbi Ezra pour lui dire : « Viens étudier à notre Yéchiva et, à partir d’aujourd’hui, je prends en charge ton gagne-pain. » Grâce à D.ieu, Rabbi Ezra accepta ce compromis et se joignit aux étudiants de la Yéchiva Ohel Moèd. Il y acquit rapidement la place d’élite, tandis que son exceptionnelle érudition apparut au grand jour. Par le mérite des chaudes larmes versées anxieusement par sa mère pour que son fils puisse étudier sans souci, il présida durant près de quarante-cinq ans en tant que Roch Yéchiva de Porat Yossef, où il forma des milliers d’élèves qui suivirent sa voie et continuent, jusqu’à aujourd’hui, à diffuser ses enseignements de Torah.