Parachat BO 1er Février 2020 ו' שבט התש"ף |
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Que fait-on avec l’argent ?
Rabbi David Hanania Pinto
« Fais donc entendre au peuple que chacun ait à demander à son voisin, et chacune à sa voisine, des vases d’argent et des vases d’or. » (Chémot 11, 2)
Lorsque nos ancêtres furent libérés d’Egypte, ils reçurent une grande richesse, le « butin d’Egypte », puis, sur le rivage de la mer des Joncs, le « butin de la mer ». Concernant le premier, le Saint béni soit-Il leur ordonna : « Que chacun ait à demander à son voisin, et chacune à sa voisine, des vases d’argent et des vases d’or. » Plus tard, il est dit : « Ils dépouillèrent les Egyptiens. » (Chémot 12, 36) Nos Maîtres commentent qu’ils rendirent l’Egypte semblable à un fond marin, dépourvu de céréales. De même, ils soulignent que, suite à la noyade des Egyptiens dans la mer Rouge, les enfants d’Israël s’enrichirent tant que chacun d’entre eux en ressortit avec quatre-vingt-dix ânes libyens, chargés d’or et d’argent. Il leur était si difficile de quitter cet endroit empli de trésors que Moché dut les en tirer contre leur gré, comme le laisse entendre le verset : « Moché fit décamper Israël de la plage des Joncs. » (Chémot 15, 22)
Le butin d’Egypte leur a été donné sous le mode de l’emprunt, comme il est dit : « Que chacun ait à demander [lit. : emprunter] à son voisin » et « en demandant aux Egyptiens des vases d’argent, des vases d’or et des vêtements » (Chémot 12, 35). Par contre, pour celui de la mer des Joncs, le langage d’emprunt ne figure pas, ce qui sous-entend qu’ils le reçurent en tant que cadeau à proprement parler. Pourquoi n’en fut-il pas ainsi du butin d’Egypte ?
L’Eternel jugea bon de donner un butin sous la forme d’emprunt et un autre comme un cadeau. Car, de cette manière, si quelqu’un en venait à se plaindre de la difficulté des mitsvot et des nombreuses dépenses qu’elles suscitent – comme celles des téfilin, des mézouzot ou des quatre espèces –, fardeau lui semblant très lourd, D.ieu lui rappellerait qu’en réalité une partie de ses biens ne lui appartient pas véritablement, mais représente un prêt qu’Il a bien voulu lui accorder.
Si une fraction de son argent lui a été donnée afin de combler ses propres besoins, l’autre, reçue sur le mode de l’emprunt, est destinée à l’observance des mitsvot. Ainsi, il lui est plus aisé de les accomplir, conscient que cette partie de ses biens constitue en réalité la propriété de l’Eternel et qu’il n’utilise donc pas son propre argent.
Les justes, qui aspirent de tout leur être à se plier à la volonté divine, sanctifient tous leurs biens pour ce but ultime, y compris la partie reçue en cadeau et destinée à satisfaire leurs propres besoins. Ils accomplissent ainsi l’ordre « Tu aimeras l’Eternel (…) de tous tes moyens », c’est-à-dire « de tout ton argent », expliquent nos Sages. Ils affirment à cet égard (‘Houlin 91a) que « leur argent est plus cher aux Tsadikim que leur corps », car ils savent combien de mitsvot il leur permet de réaliser. De leur point de vue, l’argent est un moyen de multiplier les bonnes actions, d’observer les commandements à la perfection, de donner de la tsédaka, en bref, de contenter leur Créateur.
On raconte que Rabbi ‘Haïm Pinto – que son mérite nous protège – n’allait jamais dormir avant d’avoir distribué aux pauvres tout l’argent en sa possession. Considérant que celui-ci était destiné à la mitsva de tsédaka, il refusait qu’il en reste dans ses poches. Un homme de cette stature aime l’argent, car il en connaît la valeur et le pouvoir – agrandir sa part dans le monde à venir.
Heureux celui qui sait où investir son argent. En effet, il peut tout aussi bien nous conduire à la géhenne qu’au jardin d’Eden, en fonction de l’usage qu’on décide d’en faire.
La Guémara (Baba Bara 11a) raconte que le roi Monbaz dilapida tous les trésors royaux mis de côté par ses ancêtres, afin de subvenir aux besoins des pauvres durant les années de famine. Les membres de sa famille se rassemblèrent pour lui dire : « Tes pères ont économisé et augmenté les biens de leurs ancêtres, alors que tu as tout gaspillé ! » Il leur rétorqua : « Mes pères ont mis de côté ici-bas, alors que moi, j’ai mis de côté en-haut ; ils ont placé leurs biens quelque part où on peut y toucher, et moi je l’ai placé à un endroit où personne ne peut y toucher ; ils ont fait un placement ne fructifiant guère, et moi, j’en ai fait un rapportant gros ; ils ont récolté des trésors d’argent, et moi, j’ai récolté des trésors d’âmes ; ils ont mis de côté pour les autres, tandis que j’en ai mis pour moi ; ils ont mis de côté dans ce monde, et moi, dans le monde à venir. »
Ainsi se conduisent les justes, conscients de la valeur suprême de l’argent, permettant à l’homme de donner pleine satisfaction à son Créateur. Par ailleurs, ils savent qu’Il le leur a accordé en tant qu’emprunt, afin qu’ils l’utilisent pour accomplir des mitsvot. Lorsqu’elles se présentent à eux, ils s’empressent donc de dépenser le nécessaire pour les exécuter avec joie. D’où le commentaire de nos Maîtres sur le verset « Tu prélèveras la dîme » (Dévarim 14, 22) : « Prélève (assèr) afin de t’enrichir (titachèr). »
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Communication adressée par l’Eternel (…) » (Yirmiya chap. 46)
Lien avec la paracha : dans la haftara, sont relatées la punition de Paro et la chute de l’Egypte, tandis que la paracha évoque les trois dernières plaies qui frappèrent ce pays.
CHEMIRAT HALACHONE
Une rumeur
Si on entend une rumeur selon laquelle quelqu’un aurait agi ou parlé de manière non conforme à la Torah, qu’il s’agisse d’un léger ou d’un grave interdit, il est prohibé d’y croire entièrement. On doit uniquement se méfier de ceci, jusqu’à ce qu’on ait éclairci la chose.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Le pouvoir du mauvais penchant
Personnellement, il m’est arrivé de constater combien le mauvais penchant tente, de toutes ses forces, de détourner l’homme de l’observance des mitsvot. Un jour de ‘hol hamoed Pessa’h de l’année 5771, je recevais le public, lorsqu’entra un jeune homme dont l’apparence extérieure était bien différente de celle d’un Juif craignant le Ciel. Néanmoins, au fil de la discussion, je compris rapidement que, grâce à D.ieu, il avait eu le mérite de découvrir la lumière du judaïsme et s’était déjà engagé sur la voie du repentir. Une grande joie emplit alors mon cœur.
Lorsqu’il me raconta comment il était arrivé chez moi, je vis la main divine à l’œuvre de manière concrète. Il me dit que, quelques jours avant la fête de Pessa’h, il était venu au beit hamidrach et était tombé sur mon ouvrage Kérem David sur Avot. Il avait commencé à le lire et cela l’avait beaucoup secoué, éveillant la crainte et l’amour de l’Eternel enfouis en lui. L’idée de me rencontrer et de me demander une bénédiction lui était alors venue à l’esprit.
Je remerciai le Créateur de m’avoir donné ce mérite et, bien entendu, j’encourageai le jeune homme à poursuivre ses efforts et à continuer à progresser dans la pratique du judaïsme. Dans cet esprit, je lui proposai de me rejoindre le lendemain dans la synagogue où j’avais l’habitude de prier et il accepta avec joie.
Mais, à mon plus grand regret, le soir même, je fus en proie à des douleurs aiguës à la gorge et à des frissons de fièvre. Je me sentais si mal que je ne parvins pas à fermer l’œil de la nuit. Au petit matin, je m’endormis enfin pour une très courte durée.
Au lever du jour, je sentis le mauvais penchant m’attaquer, prétextant qu’il n’était pas prudent de sortir dans un état si fébrile. J’entendis comme une voix intérieure me souffler : « Ne va pas prier en minyan. Tu es fatigué, tous tes membres te font mal et, en plus, tu n’as pas dormi de la nuit. Même d’après les Sages, tu en es dans un cas de force majeure et donc exempt. »
Je faillis céder à ses instances et prier seul chez moi. Cependant, je me souvins soudain du jeune homme que j’avais invité à me rejoindre à la synagogue. Sans doute, il s’y rendrait, comme il me l’avait promis. Lorsqu’il constaterait mon absence, cela risquerait de refroidir son enthousiasme, encore tout frais, pour progresser dans le service divin, ce dont je serais responsable, à D.ieu ne plaise. Résolu, je me levai aussitôt et m’empressai d’aller à la synagogue. Arrivé sur place, je vis qu’il s’y trouvait déjà. M’attendant à l’entrée, il me tendit la main pour me saluer. Après la prière, je lui parlai encore chaleureusement et l’encourageai vivement à respecter les mitsvot et à se rapprocher de l’Eternel.
Cette anecdote me démontra la puissance du mauvais penchant, qui ne renonce à aucun moyen pour essayer de détourner l’homme du service divin. Combien donc nous incombe-t-il de nous montrer vigilants pour résister toujours à ses assauts !
PAROLES DE TSADIKIM
Quelques ségoulot du Rav Kanievsky
« Il ne permettra pas au fléau d’entrer dans vos maisons pour sévir. » (Chémot 12, 23)
Dans l’ouvrage Beit Imi, la Rabbanite R. Tsivion, fille du Gaon Rav ‘Haïm Kaniesvky chelita, raconte que, dans la maison de ses parents, il y avait toujours de nombreux birkonim décorés où figurait la brakha de acher yatsar.
« Rabbi Chimchon Helprin les amenait chez nous pour que Maman les distribue. Elle en distribua des milliers à des femmes, les encourageant à prononcer la brakha de acher yatsar mot pour mot et avec une grande ferveur. (Maman avait même accroché à la maison une feuille où figurait cette brakha en grandes lettres et de laquelle elle veillait à la réciter. Papa lui aussi est scrupuleux sur ce point.) D’après Maman, de nombreuses femmes ayant pris sur elles de réciter cette brakha en la lisant attentivement et avec ferveur ont connu de grands saluts. Maman recommandait cette ségoula pour différents problèmes, en particulier pour les problèmes digestifs.
« Maman nous a raconté l’histoire suivante : “Une femme habitant en Diaspora est venue me voir pour me confier les nombreuses difficultés auxquelles elle devait faire face. Désirant vraiment l’aider, je lui expliquai la ségoula de prononcer acher yatsar à partir d’un texte et avec ferveur, ségoula qui avait déjà fait ses preuves chez tant de gens, et lui suggérai d’essayer elle aussi. Alors que je voulais lui en dire plus sur l’importance de cette brakha, je remarquai sa grande émotion. Elle me confia alors : ‘Qui, mieux que moi, connaît l’immense valeur de cette ségoula !’
‘Il y a environ six mois, poursuit-elle, mon père tomba malade et dut subir une opération complexe au cœur. Suite à celle-ci, le médecin sortit de la salle pour nous annoncer que, mon père ayant été blessé durant l’intervention, il était possible qu’il ne puisse plus contrôler ses besoins. Nous ressentîmes ses paroles comme un coup violent. Nous ne savions que faire. En l’absence d’autre choix, nous décidâmes de nous tourner vers le Très-Haut. Je voulais me renforcer dans un domaine pour apporter un mérite à mon père.
‘Ayant beaucoup de mal à prier en hébreu, je récite toutes mes prières en anglais. Aussi, je pris sur moi, dorénavant, de prononcer la brakha de acher yatsar en hébreu et à partir d’un sidour. Si je pensais qu’il s’agissait d’un petit engagement, je compris bien vite que je m’étais trompée. C’était très difficile. Chaque brakha me prenait environ une demi-heure et, parfois, c’était au milieu de la nuit, quand je dormais à moitié ! Cependant, mes efforts ne furent pas vains, puisque, trois semaines plus tard, mon père fut complètement guéri !’”
« Maman donnait à ses visiteurs de nombreuses ségoulot, notamment dans le domaine médical. Concernant celui-ci, je précise que, dans notre famille, nous veillons à respecter ce point, mentionné dans la halakha, selon lequel, avant de prendre un médicament, il faut dire : “Qu’il soit de Ta volonté que ce médicament m’apporte la guérison, car Tu es un médecin gratuit !”
« Pour les maux dentaires, il existe une ségoula de mon grand-père, le Steipler, de dire les mots “Tous mes ennemis ne pourront me faire aucun mal et je n’aurai [ou : untel n’aura] pas mal aux dents”, pendant la bénédiction sur la nouvelle lune, après la phrase “De même que je danse (…)”.
« Une fois, ma grand-mère eut de douloureux maux dentaires. Mon grand-père mentionna alors son nom lors de la sanctification de la lune et ses maux cessèrent aussitôt. Elle le raconta à Papa, mais le mit en garde de ne pas le divulguer, afin que les gens ne considèrent pas mon grand-père comme un faiseur de miracles et viennent, en masse, le déranger dans son étude. »
PERLES SUR LA PARACHA
L’impossibilité de s’éloigner du Créateur
« L’Eternel dit à Moché : “Viens chez Paro ; car Moi-même J’ai appesanti son cœur.” » (Chémot 10, 1)
De nombreux commentateurs s’interrogent sur la formulation étrange de notre verset, « Viens chez Paro », alors qu’il aurait été plus logique de dire « Va chez Paro ».
Dans son ouvrage Yikhan Péer, Rabbi ‘Hanokh Tsvi de Bendin, gendre de Rabbi Yéhouda Leib de Gour, auteur du Sfat Emèt, répond à cette question, en citant ce que disait sa femme, la Rabbanite Feigue : Moché appréhendant sa mission de parler au roi d’Egypte, l’Eternel le rassura en lui disant : « Viens avec Moi, nous irons ensemble auprès de Paro. »
Rabbi Ména’hem Mendel de Kotsk explique que le Saint béni soit-Il ne dit pas à Moché « Va chez Paro », car on ne peut jamais s’éloigner du Créateur, Sa gloire emplissant le monde entier. C’est pourquoi Il lui dit « Viens chez Paro », sous-entendu « Viens avec Moi chez Paro, car Je suis à tes côtés en tout lieu où tu te rends ».
La plaie des sauterelles en filigrane dans le nom de Paro
« L’Eternel dit à Moché : “Viens chez Paro ; car Moi-même J’ai appesanti son cœur et celui de ses serviteurs.” » (Chémot 10, 1)
Les commentateurs demandent d’où Moché savait qu’il devait annoncer à Paro que la plaie des sauterelles allait survenir, alors que l’Eternel ne lui en avait pas parlé.
Rabbi Chimchon d’Astropoly – que son mérite nous protège – explique, comme le rapporte le ‘Hatam Sofer, que les lettres Beit, Vav, Mèm et Pé, prononcées avec les lèvres, peuvent être interverties entre elles, de même que les lettres Aleph, Hé, ‘Hèt et Ayin, prononcées avec la gorge, car la source de leur accent est identique.
Si on remplace le Pé de Paro en Beit et son Ayin en Aleph, on obtient les lettres composant le terme arbé, sauterelles. Ainsi, en disant « Viens chez Paro », D.ieu signifiait à Moché d’insérer les lettres Beit et Aleph [formant le mot bo, viens] dans le nom de Paro.
Dès lors, la suite du verset, « à dessein d’opérer [lit. : de placer] tous ces prodiges autour de lui », s’éclaircit. En d’autres termes, place les deux lettres de bo dans le nom de Paro, au lieu de deux autres lettres de ce nom, et tu obtiendras le mot arbé, sauterelles, car telle est la prochaine plaie par laquelle tu dois à présent frapper l’Egypte.
Une leçon de morale de la bête domestique
« Et notre bétail ne nous suivra pas moins. » (Chémot 10, 26)
Le Malbim commente : « Nos pièces de bétail nous suivront de plein gré, désireuses d’être offertes en sacrifice à l’Eternel, comme l’ont dit nos Sages au sujet du taureau apporté par le prophète Eliahou, qui courut joyeusement en direction de l’autel, tandis que le deuxième taureau, apporté par les prophètes mensongers, refusa de s’y diriger. Nous déduisons de ces bêtes la manière dont nous devons servir le Créateur.
En effet, si un animal, dépourvu d’intelligence, aspire à être offert en sacrifice au Très-Haut, combien plus incombe-t-il aux hommes, qui en sont dotés, de désirer ardemment se vouer à Son service !
A qui demander des objets de valeur ?
« Fais donc entendre au peuple que chacun ait à demander à son voisin (...) » (Chémot 11, 2)
A qui nos ancêtres devaient-ils demander des vases d’argent et d’or ? Comment le terme rééhou (lit. : son prochain, traduit ici par voisin) peut-il désigner un Egyptien ?
Le Gaon de Vilna en déduit une explication inédite : ce mot se réfère, comme toujours, aux Juifs. Chacun devait demander à son frère juif des ustensiles précieux, car, lorsqu’un Juif se montre charitable envers son prochain, par ce mérite, l’Eternel fait en sorte que les non-juifs se conduisent également de la sorte à son égard, mesure pour mesure.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La lumière propre aux étudiants en Torah
La plaie de l’obscurité transmit au peuple juif une leçon de morale édifiante.
Le Saint béni soit-Il désirait que nos ancêtres perçoivent la différence de fond existant entre l’obscurité et la lumière, entre les Egyptiens, plongés dans la première, et eux-mêmes, bénéficiant de l’éclat de la seconde, comme il est dit : « Mais tous les enfants d’Israël jouissaient de la lumière dans leurs demeures. » Par ce biais, Il leur transmettait une leçon cruciale pour leur avenir spirituel : l’argent ne fait pas le bonheur et l’or n’apporte pas la lumière. En effet, en dépit de toutes les richesses en leur possession, les Egyptiens menaient une vie obscure. Car, en l’absence de Torah, l’homme ne peut être heureux ni éprouver de satisfaction ; même s’il détient de nombreux biens, il vit dans l’obscurité.
Par contre, les enfants d’Israël jouissaient de la lumière, car, sous peu, ils allaient se tenir au pied du mont Sinaï pour y recevoir la sainte Torah. Or, quiconque possède la Torah et observe les mitsvot est entouré d’une lumière puissante et est joyeux tout le long de son existence. L’Eternel désirait que Ses enfants intègrent bien cette réalité, prennent conscience qu’il ne sert à rien de poursuivre l’argent et l’or, denrées périssables et ne faisant que plonger l’homme dans l’obscurité, et réalisent au contraire le grand intérêt à pourchasser la Torah et les mitsvot, seules à offrir à l’homme une vie heureuse, emplie de lumière.
Les enfants d’Israël comprirent vite la leçon, puisque, dès cet instant, ils dédaignèrent l’or et l’argent. En effet, lors de la plaie de l’obscurité, ils pénétrèrent dans les foyers de leurs oppresseurs où ils découvrirent des trésors cachés ; néanmoins, ils ne profitèrent pas de cette aubaine pour se les approprier et ne touchèrent à rien. Car, ils comprirent la vanité de la matière et la stupidité d’être attirés par ce qui les aurait plongés dans l’obscurité.
En marge du verset « Et le Seigneur avait inspiré pour ce peuple de la grâce aux yeux des Egyptiens, qui lui prêtèrent » (Chémot 12, 36), le Sifté ‘Hakhamim commente : « Les Egyptiens leur prêtèrent contre leur gré, car, lorsqu’ils virent qu’ils avaient la possibilité de s’emparer de tous leurs biens durant les jours de l’obscurité et que personne d’entre eux n’en profita, ils furent admiratifs et leur prêtèrent contre leur gré. »
Ainsi donc, nos ancêtres ne furent pas attirés par la richesse des Egyptiens et ne s’en emparèrent pas lorsqu’ils en eurent la possibilité, car ils comprirent que quiconque court derrière l’argent et ne pense qu’à cela mène une vie obscure. A l’inverse, celui qui est avide de Torah et de mitsvot, qu’il cherche à tout moment à accomplir, méritera une vie heureuse, baignée de lumière.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Au milieu de notre paracha, est évoqué l’incroyable miracle : « Quant aux enfants d’Israël, pas un chien n’aboiera contre eux. » En récompense à cela, les chiens reçoivent, jusqu’à aujourd’hui, les animaux déchiquetés ou impurs, impropres à la consommation. Quant aux grenouilles, qui furent prêtes à mourir en pénétrant dans les fours égyptiens, elles jouirent d’une prolongation de leur vie, comme l’explique le Baal Hatourim. Certains s’interrogent sur la différence entre les récompenses respectives de ces deux animaux. Pourquoi la récompense des grenouilles fut-elle limitée à quelques années, alors que celle des chiens s’étendit sur toutes les générations?
Rabbi David de Tolna en déduit une preuve qu’il est encore plus louable de se retenir de dire quelque chose à son prochain que de se jeter dans le feu pour lui. C’est ce qu’on appelle la force du silence. Le Midrach affirme à cet égard (Esther Rabba 6) : « Ra’hel a appris l’art du silence. Elle s’est tue en voyant les signes convenus avec Yaakov dans les mains de sa sœur. Son fils Binyamin hérita de cette vertu. D’ailleurs, la pierre représentant sa tribu dans le ‘hochen s’appelait yichpa, mot pouvant aussi se lire yéch pé (il y a une bouche), pour souligner qu’il était au courant de la vente de Yossef, mais n’en dit mot. »
Rabbi Moché Leib de Sassov avait l’habitude de dire : « Une seule fois où un Juif ferme sa bouche et se retient de crier vaut plus que mille jeûnes. »
Le silence est une force. Il exprime une profondeur, une fermeté et une stabilité intérieures. Le silence est la valeur comprenant toutes les autres. Rappelons ici les célèbres propos du Gaon de Vilna dans sa lettre où il rapporte le Midrach : « Chaque instant où l’homme ferme sa bouche, il jouit de la lumière mise en réserve [pour les justes], dont aucun ange ni créature ne peut estimer la valeur. »
Qui brait comme un âne est un âne
Dans la vieille ville de Jérusalem, un jeune enfant tenait un plateau empli de gâteaux chauds qu’il cherchait à vendre. Un des commerçants remarqua qu’il s’agissait d’un vieux plateau en or d’une très grande valeur. Comprenant que l’enfant n’en était pas conscient, il lui dit : « Ecoute, si tu veux, je suis prêt à t’acheter tous les gâteaux avec leur plateau pour 100 chékalim. » Le jeune vendeur se dit que, s’il était prêt à mettre ce prix, sa marchandise valait sans doute au moins 110 chékalim. Aussi, refusa-t-il son offre.
Voulant vérifier à quel point l’homme désirait lui acheter le plateau, il lui suggéra : « Faisons un échange : donne-moi ton âne et prends mon plateau. » L’autre accepta sur-le-champ et l’enfant comprit que son plateau valait certainement quelques milliers de chékalim. Il refusa donc une nouvelle fois, à moins que le marchand fût prêt à lui montrer comment son âne brayait. Ce dernier se mit alors à braire comme un âne.
Le fait qu’il fut prêt à imiter le braiment de l’âne au milieu du marché bondé prouva au garçon que son plateau valait encore plus qu’il ne l’imaginait, apparemment quelques dizaines de milliers de chékalim. Aussi, fit-il cette réflexion à l’homme : « Ce n’est pas comme ça ! Un âne ne se tient pas debout ! » Son interlocuteur s’empressa de s’agenouiller et de se mettre à quatre pattes, tout en brayant bruyamment.
Les touristes s’agroupèrent autour de lui pour le photographier et le filmer. Le jeune se dit : « Si cet homme est prêt à s’humilier tellement, cela signifie que je détiens un trésor de plusieurs millions. » Il lui dit alors : « C’est bon, tu peux te relever. Mais, avec les ânes, je ne fais pas d’affaires. »
Le malheureux commerçant pensa tristement : « Combien je suis stupide ! Si je m’étais tu depuis le début et ne lui avais que demandé combien il voulait pour le plateau de gâteaux, il aurait déjà été entre mes mains. J’ai brait comme un âne et je suis un âne ! »
Expliquons le sens de cette allégorie. Il nous arrive souvent d’être en contact avec des gens auxquels nous aurions beaucoup à dire… De même, lors d’une querelle, nous pensons avoir notre mot à dire. Or, nous devons savoir qu’il n’est pas toujours souhaitable de parler. Généralement, le silence lors d’une querelle s’avère davantage salvateur, car, ne pesant pas bien ses mots, on risque de causer plus de dommages que d’intérêts.
Par conséquent, le silence ne consiste pas uniquement à s’abstenir d’enfreindre des interdits. Il est aussi et essentiellement un cantique. Il est le plus grand cantique qu’on puisse entonner, d’une beauté supérieure à tout autre. A la question « Quel cantique maintient le monde ? », nos Maîtres répondent en effet : « Il suspend la terre sur le néant. » En d’autres termes, quand un homme se tait pour l’honneur divin, quand il brûle d’envie de répliquer, de blesser autrui, de prouver sa supériorité sur lui, mais se maîtrise pour entonner un cantique, pour se résoudre à un silence, ô combien éloquent, il fait preuve de la plus sublime grandeur.