Parachat Ki Tissa - Chabbat Parah 14 Mars 2020 י"ח אדר התש"ף |
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Le pouvoir de la Torah et celui de la volonté comme fondements de l’existence
Rabbi David Hanania Pinto
« Je l’ai empli d’une inspiration divine, de sagesse, d’intelligence, de science et d’aptitude pour tous les arts. » (Chémot 31, 2-4)
Le tabernacle, construit par Bétsalel, détenait une signification profonde, puisqu’il se basait sur les Noms saints (Brakhot 55a). Cette demeure du Saint béni soit-Il n’était digne de ce titre qu’en raison de son saint contenu. De même, son architecte, Bétsalel, portait ce nom car il se tenait à l’ombre (bétsel) de l’Eternel (El), autrement dit du fait que cette ombre l’accompagnait de manière permanente. Nous pouvons nous demander d’où Bétsalel sut comment construire le tabernacle selon les Noms divins, alors qu’il n’est nulle part rapporté qu’il soit monté au ciel ou ait eu tout autre type de révélation le lui enseignant. Il semble donc que, lorsque le Tout-Puissant constate le dévouement d’un homme pour une tâche élevée, Il lui vient immédiatement en aide par le biais d’une vision céleste. Tel fut vraisemblablement le cas de Bétsalel : le Créateur, ayant décelé en lui une profonde volonté de construire au mieux le tabernacle, lui avait révélé les Noms saints par lesquels il devait être construit, tout comme ses ustensiles. C’était donc comme si Bétsalel était monté au ciel pour y écouter les paroles de D.ieu, adressées à notre maître Moché.
En réalité, à tout homme correspond une ombre, un reflet, c’est-à-dire un certain bagage en Torah qu’il a acquis au ciel. Par conséquent, on tient fortement rigueur à celui qui néglige ce reflet en ne fournissant pas suffisamment d’efforts pour trouver des interprétations en Torah. Lorsque notre maître Moché monta au ciel, il y apprit en effet les élucidations que tous les élèves auraient dans les générations à venir. La Torah n’est donc pas dans le ciel et il incombe à chaque Juif d’attirer vers lui ce reflet en étudiant assidûment la Torah. Tout homme proposant une nouvelle interprétation en Torah peut être surnommé Bétsalel, puisqu’il révèle ainsi sa volonté et son intérêt pour la sainte Torah et bénéficie, de cette manière, de l’aide divine.
J’ai vu, il y a quelques temps, un livre écrit par l’un des avrékhim du Collel, dans lequel se trouve rapporté un fait au sujet de mon maître, le vénéré Rabbi Guerchon Liebmann, de mémoire bénie. A l’époque où il était à Lakewood, un élève est venu lui poser la question suivante. Il est rapporté (Ezra 3, 12-13) que, lorsque les hommes de la Grande Assemblée construisirent le second Temple, suite à la destruction du premier, il y eut une grande joie parmi les jeunes qui dansèrent en cet honneur, alors que les vieillards, qui se souvenaient encore du premier Temple, se lamentèrent amèrement, au point que l’intensité de leurs pleurs masqua les clameurs joyeuses du peuple. Cet élève demanda comment il était possible que les vieillards aient pleuré au lieu de se réjouir du fait que le Temple avait enfin été reconstruit, et pourquoi ils ont pleuré justement au moment où les jeunes se sont réjouis. Rabbi Guerchon Liebmann lui donna une réponse, rapportée dans cet ouvrage.
Personnellement, je pense qu’il existait une différence de fond entre, d’une part, le tabernacle construit par Bétsalel et le premier Temple construit par le roi Chlomo, et, d’autre part, le second Temple construit par les hommes de la Grande Assemblée. La clé de cette différence se trouve dans le verset : « Pourquoi ce pays est-il ruiné ? (…) C’est parce qu’ils ont abandonné Ma Torah. » (Yirmiya 9, 11-12) En d’autres termes, les vieillards pleurèrent parce qu’ils virent les jeunes de la nouvelle génération revenir de l’exil babylonien, dépourvus de Torah et de mitsvot, alors que les hommes ayant vécu à l’époque du premier Temple étaient pleinement impliqués dans l’étude de la Torah.
En outre, ces vieillards étaient conscients que seul le premier Temple avait été construit d’après les Noms saints. Ils savaient, d’autre part, que la Torah et les Noms saints se renforcent mutuellement, se transmettant l’un à l’autre de la vitalité, et que, subséquemment, le second Temple ne pourrait, en leur absence, se maintenir bien longtemps. Selon eux, il n’y avait donc pas de quoi se réjouir.
Les vieillards pleurèrent donc justement au moment où les jeunes se réjouirent, pour les éveiller au repentir et les inciter à étudier la Torah, afin que le Temple puisse se maintenir une longue période dans son prestige, en dépit des nombreux éléments spirituels lui faisant défaut par rapport au premier Temple.
Ainsi, il semble que ce soit la volonté particulièrement intense de Bétsalel de construire le tabernacle conformément au projet divin, qui lui donna le mérite d’avoir accès aux Noms saints par lequel ce dernier devait être érigé, en vertu du principe selon lequel « on mène l’homme vers le chemin qu’il désire emprunter » (Makot 10b).
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « La parole de l’Eternel me fut adressée en ces termes : fils de l’homme (…). » (Yé’hezkel chap. 36)
Lien avec la paracha : dans la haftara, est évoqué le fait qu’aux Temps futurs, le Saint béni soit-Il purifiera le peuple d’Israël avec de l’eau mêlée à de la cendre de vache rousse, thème central de la parachat Para – la vache rousse et la purification des personnes impures par ce procédé. La lecture de cette paracha nous prépare mentalement à l’ère messianique.
CHEMIRAT HALACHONE
Humilier un érudit
Il est encore plus grave d’humilier un érudit, car, en médisant de lui, on entrave le service divin du public. En effet, les gens diront alors : « Pourquoi irions-nous lui demander de trancher nos litiges, alors qu’il n’en est pas capable ? » En conséquence, chacun se prononcera seul.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Il ne nous abandonne pas
Une année, pour me rendre en Israël, je devais faire escale à Francfort, en Allemagne.
Lorsque mon avion se trouva dans le ciel allemand et devait sous peu atterrir à Francfort, je remarquai qu’il tourna au-dessus de l’aéroport pendant près de quarante minutes. Car, au même moment, un nombre très important d’avions étaient en train d’atterrir.
Pendant cette attente, il me vint à l’esprit que, dans ce pays éclairé que nous survolions, ainsi que dans bien d’autres, nombreux furent les ennemis qui tentèrent de nous exterminer. À commencer par Haman, à l’époque de Mordékhaï et d’Esther, où seul le mérite de la téchouva de l’ensemble du peuple nous permit d’échapper au danger. Et, bien plus tard dans l’Histoire, avec Hitler, ce maudit tyran qui voulut totalement rayer notre nation de la surface du globe.
Mais, D.ieu ne nous a jamais abandonnés et, en dépit de leurs plans d’une intelligence diabolique, notre peuple continue à fructifier et à développer ses Yéchivot et institutions consacrées à l’étude de la Torah.
Après ces réflexions, l’heure de la prière du matin arriva. Je la fis et mis mes téfillin. Je me dis de nouveau : qui aurait cru, à l’époque d’Hitler, qu’un jour, en Allemagne, un Juif pourrait réciter sa prière et poser ses téfillin dans un lieu public ? Comme pour accroître ce sentiment, une hôtesse de l’air vint aimablement me proposer une pièce libre pour y faire ma prière tranquillement. En dépit de tous les persécuteurs qui s’en sont pris à lui, notre peuple existe toujours et pour l’éternité.
PAROLES DE TSADIKIM
« Quand tu feras le dénombrement général des enfants d’Israël, chacun d’eux paiera au Seigneur le rachat de sa personne lors du dénombrement. » (Chémot 30, 12)
Le Baal Hatourim fait remarquer que le mot vénatnou (ils donneront, traduit ici par « paiera ») peut se lire dans les deux sens, allusion au fait que l’homme donnant de la tsédaka retrouvera cet argent en retour et ne manquera de rien suite à sa générosité.
Celui qui donne à autrui ici-bas méritera le même traitement de la part de l’Eternel qui, depuis le ciel, déversera sur lui Sa bénédiction.
L’Admour Rabbi Ména’hem Mendel de Riminov – que son mérite nous protège – bénit une fois un Juif d’un bon gagne-pain. Ce dernier s’enrichit ensuite considérablement. Les ‘hassidim vinrent alors demander à leur Maître pourquoi il avait donné à un seul homme une fortune si importante, au lieu de la partager en plusieurs personnes. Il leur expliqua qu’il n’avait fait que le bénir, tandis que lui avait, à travers ses actes, amplifié sa bénédiction à d’immenses proportions.
En d’autres termes, cet homme avait eu l’intelligence d’utiliser son argent pour la tsédaka. Plus il s’enrichissait, plus il en donnait, ne se contentant pas de ses dons passés. Or, les ayant amplifiés, mesure pour mesure, il jouit d’une conduite divine analogue. Ainsi, ce sont ses multiples actes charitables qui accrurent la brakha reçue au départ, au point qu’il devint une très grosse fortune.
De fait, il n’est pas cohérent de donner la même somme à la tsédaka quand son salaire, à l’époque de mille euros, passe à des dizaines de milliers d’euros. Celui qui n’applique pas cette logique élémentaire, mais se limite toujours au même montant de tsédaka, dans l’esprit du verset « Abondance et richesse règnent dans sa maison, mais ses dons restent les mêmes » [traduction adaptée], ne pourra pas non plus bénéficier d’un renforcement de sa bénédiction du Ciel.
Par contre, l’homme, conscient qu’il se doit de donner proportionnellement à ses propres recettes et n’hésitant pas à dispenser mille euros quand il en gagne des milliers, jouira, en retour, d’une profusion de ses biens qui, eux aussi, connaîtront un formidable essor. C’est bien ce que l’Admour répondit à ses ‘hassidim : l’homme ayant reçu sa bénédiction avait lui-même su comment la renforcer.
Certes, il n’est pas aisé de réfléchir ainsi. Naturellement, chacun a ses propres calculs : « Moi aussi, je n’ai pas beaucoup d’argent », « J’ai autant besoin d’argent que lui », « J’économise chaque centime pour m’acheter un appartement, je ne peux pas donner aux autres »… Un véritable travail sur soi est nécessaire pour modifier son point de vue, sa manière habituelle de raisonner, et pour intérioriser la réalité selon laquelle on ne perd jamais de donner. A l’inverse, en donnant encore et toujours, on ne fait que gagner !
Soulignons ici que la personne dotée d’un bon cœur et désirant être charitable envers autrui doit prier D.ieu pour qu’Il l’aide à soutenir des œuvres valables, comme des institutions de Torah ou fondées sur la sainteté. Certains, éloignés de la pratique du judaïsme, donnent de la tsédaka, mais, malheureusement, à des établissements dépourvus de toute valeur, comme des clubs de sport ou des centres culturels. Afin de ne pas tomber dans ce piège, il faut prier le Créateur de permettre à notre argent de choir dans de bonnes mains, de l’employer pour de la véritable charité, Le satisfaisant ainsi pleinement.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La prière de Moché suite au péché du veau d'or
« Moché implora la face de l’Eternel son D.ieu, en disant : “Pourquoi, Seigneur, Ton courroux menace-t-il Ton peuple, que Tu as tiré du pays d’Egypte avec une si grande force et d'une main si puissante ?” » (Chémot 32, 11)
Au sujet de la prière prononcée par Moché en faveur des enfants d’Israël suite au péché du veau d’or, la Torah précise qu’il a imploré l’Eternel. Devrait-on en déduire que les autres prières ne constituaient pas des supplications adressées au Seigneur ?
Avec l’aide de D.ieu, proposons l’explication suivante. Lorsque l’Eternel annonça à Moché Son désir d'exterminer les enfants d’Israël et de faire de lui un grand peuple, il ne s’en laissa pas impressionner, mais se montra au contraire prêt à renoncer à ce grand honneur afin de les sauver de ce redoutable décret. La Torah dit : « Moché implora » et nos Sages, de mémoire bénie, expliquent (Brakhot 32a) ce terme dans le sens de ‘houlin, cet emploi laissant entendre que, par abnégation, Moché renonça à cette offre d’honneur. Afin de prendre la défensive du peuple juif, son « fidèle berger » eut recours à l’argument suivant. Il dit au Saint béni soit-Il que, le fait qu’Il avait désiré faire de lui seul une grande nation, en raison de la grande estime qu’Il éprouvait pour lui, constituait une preuve que, lorsqu’Il avait déclaré « Je suis l'Eternel ton D.ieu » (Chémot 20, 2), Il ne s’était adressé directement qu’à lui (cf. Rachi ad loc.). Par conséquent, il n’y avait pas lieu de tenir rigueur aux enfants d’Israël pour le péché du veau d’or, puisque la volonté divine était telle qu’ils ne reçoivent pas la Torah de manière directe au mont Sinaï, ce qui, précisément, les avait fait trébucher.
L’Eternel accepta la prière de Moché et se laissa apaiser. Puis, Il s’enveloppa d’un talith, à la manière dont le fait le ministre-officiant (Roch Hachana 17b). Cette coutume symbolisant l’idée que ce dernier inclut à sa prière l’ensemble de la communauté, l’Eternel enveloppa ici avec Lui tout le peuple juif. Puis, Il prononça en sa présence les treize attributs de Miséricorde.
Il en ressort que le mérite principal sur lequel reposait la prière de Moché et grâce auquel l’Eternel consentit à pardonner le péché des enfants d’Israël, était le caractère direct et exclusif des paroles divines adressées à Moché, au mont Sinaï. Tel est le sens de l’expression du verset : « Moché implora la face (pnei) de l’Eternel son D.ieu », autrement dit, c’est en s’appuyant sur le mérite des paroles divines prononcées face à face (panim el panim) que Moché implora le pardon divin.
Quand Moché demanda au Saint béni soit-Il « Découvre-moi donc Ta gloire » (Chémot 33, 18), Il lui répondit « Car nul homme ne peut Me voir et vivre » (ibid. 33, 20). Tant qu'un homme est vivant, il n’est pas en mesure de voir l’honneur de l’Eternel. La matérialité s’oppose radicalement à la spiritualité. De même, il est rapporté que lorsque l’Eternel créa la femme à partir d’une côte de l’homme, Il fit peser une torpeur sur ce dernier, afin qu'il ne voie pas Sa face. Lorsque le matériel fait face au spirituel, il prend feu, car, du fait qu’il tire jouissance de la sainteté, le reste des plaisirs purement matériels apparaît comme insignifiant et est ainsi réduit à néant.
PERLES SUR LA PARACHA
La roue de la fortune
« Chacun d’eux paiera au Seigneur le rachat de sa personne. » (Chémot 30, 12)
Le Gaon de Vilna explique la raison du neume biblique (taam) placé sur le terme vénatnou, en l’occurrence un kadma-véazla, des apostrophes se faisant face : il renvoie allusivement aux paroles de Rabbi ‘Hiya à son épouse, lorsqu’un pauvre se présenta à leur porte. Il lui dit alors : « Précède-le (hakdimi) avec du pain, afin qu’on précède également tes enfants avec du pain lorsqu’ils seront dans le besoin. » (Chabbat 151a)
Celle-ci demanda au Sage : « Me maudirais-tu ainsi ? » Il lui répondit : « La roue de la fortune tourne dans le monde. »
Le mot vénatnou peut se lire dans les deux sens, car celui qui donne de la tsédaka peut lui-même en venir à devoir solliciter la charité de son prochain. Ainsi, à travers l’emploi des apostrophes se faisant face placées sur ce terme et exprimant l’idée du retour, la Torah nous invite à devancer l’indigent en lui offrant du pain, de sorte que, le moment venu, nos enfants bénéficient du même traitement favorable.
La perception limitée du Erev Rav
« Ayant reçu cet or de leurs mains, il le jeta en moule et en fit un veau de métal. » (Chémot 32, 4)
Pourquoi décidèrent-ils de lui donner l’aspect d’un veau, plutôt que toute autre forme ?
Dans son ouvrage de commentaires sur la Torah, Rav Shakh explique que, sur le rivage de la mer Rouge, le peuple juif perçut l’Eternel et dit « Voici mon D.ieu », alors que les membres du Erev Rav ne virent que les pieds des anges, qui ont l’aspect de ceux d’un veau. Tel est le sens des versets « On a vu Ta marche triomphale, ô D.ieu » (Téhilim 68, 25) et « Tes traces échappèrent aux regards » (ibid. 77, 20). Autrement dit, ils pensèrent qu’il s’agissait des pieds de l’Eternel, aussi, lorsqu’ils voulurent construire une divinité, lui choisirent-ils la forme d’un veau.
Taire un sujet ou l’évoquer succinctement pendant Chabbat
« Et le septième jour, tu chômeras ; labourage et moisson seront interrompus. » (Chémot 34, 21)
L’auteur de l’ouvrage Noam Magadim lit en filigrane, à travers ce verset, une loi tranchée par le Choul’han Aroukh (Ora’h ‘Haïm 307, 1) : « “D’en faire le sujet de tes entretiens” : que tes paroles le jour de Chabbat ne soient pas semblables à celles de la semaine. Aussi est-il interdit de dire “Demain, je ferai cela” (…). En outre, on ne doit pas trop prononcer de paroles futiles. » Par conséquent, certains propos sont complètement prohibés, tandis que d’autres doivent être limités.
Tel est le sens de notre verset « Et le septième jour, tu chômeras ». Comment donc ? « Labourage (‘harich) et moisson (katsir) seront interrompus », allusion à notre devoir d’éluder (léha’hrich) certains propos et de raccourcir (lékatser) d’autres.
La persistance de Moché
« Et maintenant, je vais monter vers le Seigneur, peut-être obtiendrai-je grâce pour votre péché. » (Chémot 32, 30)
Rabbi Chabtaï Aton zatsal retire une leçon édifiante de la persistance dont fit preuve Moché pour obtenir le pardon divin en faveur du peuple juif, suite au péché du veau d’or. Tout dirigeant de Yéchiva constate tantôt que les ba’hourim étudient bien et progressent dans leur compréhension et leur crainte de D.ieu et, tantôt qu’ils se relâchent quelque peu. Or, à l’instar de Moché, il ne doit jamais désespérer et, au contraire, toujours continuer à diffuser ses enseignements de Torah et de morale.
En effet, il n’existait pas de génération plus élevée que celle du désert, dont les membres se tinrent au pied du mont Sinaï et reçurent la Torah du Tout-Puissant. Or, suite au péché du veau d’or, ils tombèrent dans une grande déchéance, mais Moché ne se laissa pas abattre. Conscient de la sainteté de sa mission consistant à s’occuper du troupeau de l’Eternel, il implora la Miséricorde et poursuivit sa tâche de dirigeant en leur indiquant la voie du service divin.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Qui est capable de pardonner ?
« Mais Tu pardonneras notre iniquité et nos péchés et nous resterons Ton héritage. » (Chémot 34, 9)
Il y a quelques années, raconte Rav Baroukh Rozenblaum chelita (dans Drouch Tov léYom Kippour), un Juif de bonne foi s’approcha de moi quand j’eus terminé de donner mon cours. Il désirait me parler quelques minutes en privé. Nous sortîmes derrière l’immeuble et il me raconta cet épisode de sa vie :
« Je suis arrivé en Israël en tant que ba’hour, avec mes parents et ma fratrie. Nos conditions d’intégration étaient difficiles, nous avions à peine de quoi manger. Parfois, nous allions dormir sans avoir dîné, tandis que, le matin, nous n’avions pas toujours de quoi déjeuner. Et pourtant, nous ne nous plaignions pas.
« Mes beaux jours commencèrent à la Yéchiva où, à chaque repas, je recevais une tranche de pain. Assis parmi les autres étudiants, je ne parvenais pas à y croire : j’étais en Israël et je pouvais étudier la Torah et manger du pain !
« Un jour où je rentrai chez moi, je remarquai une annonce sur un mur de la synagogue où figurait une offre d’emploi pour la période de ben hazmanim. N’ayant pas un sou en poche, je décidai de prendre ce travail dans une usine dati. Avec l’argent que je gagnerai, j’espérais pouvoir me payer des vêtements et aider mon père pour les achats nécessaires de la fête de Souccot.
« Arrivé à l’usine, je présentai ma candidature. On m’informa qu’il fallait être présent de huit heures à dix-sept heures et on m’expliqua la nature de la besogne. Je m’y engageai. Je commençai donc à travailler et c’est ainsi que la première, deuxième, puis troisième semaines passèrent.
« Au milieu de la troisième, le directeur convoqua tous les travailleurs dans la salle à manger. Nous nous assîmes autour de la table, face à notre patron en fureur. Fermant à clé la porte, il commença son discours : “Dans mon bureau, il y avait un petit magnétophone.” [A cette époque, c’était un article de luxe.] Puis, il poursuivit en élevant la voix : “Ce magnétophone, je l’avais spécialement commandé d’en dehors du pays. Or, aujourd’hui, je suis sorti de l’usine pour une petite heure et, à mon retour, j’ai constaté qu’il avait disparu. J’exige que celui qui l’a pris me le rende immédiatement ! Cela vous évitera des humiliations, car je ne serai ainsi pas contraint de faire appel à la police.”
« Un silence mortel emplit la salle. Personne ne se leva pour avouer son méfait. Le directeur attendit quelques minutes, puis dit : “Vous ne voulez pas avouer ; très bien. Je vais aller à la garde-robe pour vérifier le contenu de vos sacs. Malheur à celui dans le sac duquel je le trouverai !”
« Il sortit de la pièce, alla vérifier, mais revint bredouille. Quant à nous, nous étions tous tendus, dans l’attente de ce qu’il allait faire. “Pas de problème, déclara-t-il. Je sais lire sur les traits du visage. Je vais vous observer scrupuleusement l’un après l’autre et je découvrirai ainsi le voleur.”
« Il se mit à nous passer en revue, dévisageant le premier de la tête au pied. Il passa ensuite au second, au troisième et ainsi de suite. Ce fut alors mon tour. Me regardant droit dans les yeux, il s’exclama soudain : “C’est toi le voleur ! Rends-moi mon magnétophone.”
« A cet instant, je sentis le sang se geler dans mes veines. Trente paires d’yeux se fixèrent sur moi comme des aiguilles. Tous scrutèrent mes moindres gestes. Je pensais : “Maître du monde, Tu sais pertinemment que, même quand je n’avais pas à manger, je n’ai jamais pris ce qui ne m’appartenait pas !” Puis je dis : “Vous m’accusez d’avoir pris un magnétophone n’étant pas à moi ? Je ne sais même pas ce que c’est !”
« Mais, rien ne servit à détromper mon patron. Il proclama : “Tu es le voleur, c’est clair. Demain, tu recevras le salaire que tu dois toucher et, après qu’on en aura déduit le montant du magnétophone, tu pourras rentrer chez toi.”
« Depuis, chaque nuit, avant de dormir, je disais : “Je pardonne à toute personne m’ayant causé un tort, mis en colère ou taquiné, à l’exclusion de cet homme.”
« Cinquante ans ont passé depuis cet événement, conclut-il son récit, et je ne l’ai jamais raconté à personne. »
« Et que s’est-il passé maintenant ? » lui demandai-je.
« Cette semaine, je marchais dans la rue quand, soudain, je remarquai une affiche annonçant le décès de ce directeur. Immobile face à cet avis, je me dis : “N’est-il pas temps de lui pardonner ? Si D.ieu est prêt à nous absoudre, pourquoi n’en ferais-je pas de même ? Pourquoi suis-je si cruel ?”
« Après réflexion, je décidai : “Maître du monde, je Te demande de ne pas le punir à cause du tort qu’il m’a causé. Je lui pardonne tout ce qu’il m’a fait.” Cependant, alors que je prononçais ces mots, l’écho de son discours me parvint : “C’est toi le voleur !” Je ne pouvais lui pardonner.
« Le lendemain matin, j’allai voir le Rav de la synagogue où je prie pour lui raconter toute cette histoire et lui demander ce que je devais faire. Il me répondit : “Cette synagogue abrite un Collel d’avrékhim. Partage entre eux les six livres de la Michna et demande-leur de les étudier pour l’élévation de l’âme de cet homme, en échange de deux cents chékalim pour chacun. Quand tu auras déboursé deux mille chékalim pour ton ancien patron, il est sûr que tu arriveras à lui pardonner.”
« Je suivis son conseil. J’attendis que les avrékhim arrivent, remis à chacun deux cents chékalim et leur demandai de terminer ensemble l’étude des traités de la Michna. »
Lui serrant chaleureusement la main, je lui dis : « Heureux sois-tu ! »
Compressant fortement la mienne, il avoua : « J’aimerais vous dire la vérité : j’ai déboursé deux mille chékalim pour l’élévation de son âme, mais je ne lui ai toujours pas pardonné ! » Sur ces mots, il éclata en sanglots.
Cette histoire poignante illustre l’extrême difficulté du repentir et du pardon.
Dans mon cours, j’avais rapporté cet enseignement de Rabbénou Yona : « Une des bontés prodiguées par l’Eternel envers Ses créatures consiste à leur avoir préparé la voie pour s’élever de leurs piètres actes et se défaire de leurs bas péchés. » En d’autres termes, le repentir fait partie des bontés divines. Rabbi Nissim Gaon écrit : « Il ne connaît pas la puissance de Ta miséricorde, si ce n’est quand Tu passes outre les péchés de ceux qui Te craignent. »
Nous ne pouvons concevoir l’immense bonté divine que représente la possibilité du repentir. Seul un Père est à même de pardonner à Ses enfants et de les ramener à Lui. Ceci nous permet d’avoir une petite idée du considérable cadeau que nous avons reçu.