Parachat Vayakhel Pikoudé 21 Mars 2020 כ"ה אדר התש"ף |
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L’arche d’Alliance
Rabbi David Hanania Pinto
« Tu y déposeras l’arche d’Alliance et tu abriteras cette arche au moyen du voile. » (Chémot 40, 3)
Comme nous le savons, l’arche d’Alliance se trouvait dans le Saint des saints, tandis que le voile qui la recouvrait marquait la séparation entre l’arche et le chandelier. Celui-ci était placé à l’extérieur du voile, de même que les barres de l’arche qui dépassaient et étaient donc visibles. Par conséquent, lorsque le prêtre allumait le chandelier et regardait en direction du voile, il apercevait ces barres.
Il est a priori difficile de comprendre pourquoi l’arche d’Alliance devait être à l’intérieur du Saint des saints, à un endroit où personne ne pouvait la voir, hormis le grand prêtre le jour de Kippour, où il pénétrait alors pour faire brûler l’encens et prier en faveur du peuple. En effet, si les enfants d’Israël avaient eu la possibilité de voir cet ustensile sacré, représentant la Torah, donc le but ultime de la création, ils se seraient certainement souvenus des tables de la Loi qui y étaient déposées et auraient ainsi réalisé que la Torah doit régner au plus profond d’eux, comme l’affirme le roi David : « Ta Loi a pénétré jusqu’au fond de mes entrailles. » (Téhilim 40, 9)
Ils auraient également pris conscience de leur mission de s’investir de toutes leurs forces dans l’étude de la Torah, unique bien emporté par l’homme après cent vingt ans, comme il est dit : « Ta vertu marchera devant toi » (Yéchaya 58, 8) – la vertu faisant toujours référence à la Torah, comme le souligne le verset « C’est la justice, la justice seule, que tu dois rechercher » (Dévarim 16, 20).
La vision de l’arche aurait pu sensibiliser l’homme au fait que son corps, composé de deux cent quarante-huit membres et trois cent soixante-cinq nerfs, parallèles aux six cent treize mitsvot de la Torah, doit, lui aussi, être un témoignage de Torah. Nos Sages vont jusqu’à affirmer au sujet de celui parvenu à sanctifier son corps en l’imprégnant de Torah que, même dans la tombe, ses lèvres continuent à remuer, récitant les enseignements de celle-ci.
Si l’on se réfère aux interprétations ésotériques, on découvrira de nombreux et profonds secrets dissimulés dans la place particulière de chacun des ustensiles sacrés du tabernacle, la Création entière de l’univers s’y trouvant évoquée sous forme allusive. Betsalel construisit en effet le tabernacle, animé par l’Esprit saint, comme notre maître Moché le fit remarquer lorsqu’il lui dit : « On dirait bien que tu t’es trouvé à l’ombre de l’Eternel. » Cependant, à notre modeste niveau, nous nous contenterons de proposer une lecture littérale, ainsi qu’une interprétation allusive de ces concepts.
A ce propos, le Rav Passifitchi chelita, autrefois enseignant au Collel de Lyon, m’a posé une remarquable question. Il est écrit que le voile devait être placé derrière l’arche du Témoignage. Or, à l’époque du second Temple, en l’absence de l’arche qui avait été enfouie par le roi Yochiyahou (Josias), le voile se tenait uniquement devant la pierre d’assise [pierre avec laquelle D.ieu a créé le monde et qui se trouvait au Temple dans le Saint des saints], donc pourquoi la Torah n’a-t-elle pas été plus précise en mentionnant que le voile se tenait également devant cette pierre ?
Avec l’aide de D.ieu, tentons d’expliquer le concept qui suit, d’une grande profondeur. L’homme se doit de réaliser que la Torah n’est ni dans les cieux, ni au-delà des mers, mais qu’elle élit au contraire domicile en tout lieu où il se trouve, où elle l’accompagne et lui offre l’opportunité de méditer ses voies et d’observer ses préceptes. La mission de l’homme, dans ce monde, consiste à se vouer à l’étude de la Torah, étude dont il ne doit cependant pas se contenter, puisque « l’étude mène à l’acte ». Nos Maîtres explicitent cette idée en affirmant que le Saint béni soit-il considère une bonne intention comme un bon acte, uniquement dans la mesure où l’individu n’a pas la possibilité de concrétiser sa pensée en acte ; néanmoins, ce principe ne s’applique pas à un homme qui a l’opportunité de transcrire sa bonne intention en acte, mais se contente d’en rester au niveau de la pensée.
Ainsi donc, l’arche du Témoignage était placée à l’intérieur du Saint des saints, afin que l’homme comprenne son devoir de rechercher la vérité toute sa vie durant, et ce, jusqu’à ce qu’il la trouve, puisque, s’il fournit des efforts, il en sera récompensé. En effet, la Torah n’est pas loin de l’homme, mais ne lui apparaît simplement pas de manière évidente, à l’image de l’arche, cachée par le voile, mais seulement séparée du peuple d’une petite distance.
Quant aux barres par lesquelles on portait l’arche du Témoignage, elles apparaissaient à l’extérieur du voile, alors que l’arche elle-même en était recouverte et cachée. Leur position spécifique signifie qu’il incombe à l’homme de saisir les livres saints – dont elles sont le symbole – afin de mettre à jour les merveilleux trésors dissimulés dans la Torah, dont la profondeur dépasse celle des plus grands fonds marins. L’homme s’attachant aux livres saints aura le mérite de goûter au subtil délice de la Torah et de son étude.
Ainsi, il incombe à l’homme de s’efforcer d’acquérir la dimension de l’arche du Témoignage et de se renforcer comme un lion pour surmonter son mauvais penchant, en particulier aujourd’hui, en l’absence de Temple, de Cohen Gadol et de candélabre qui lui eussent rappelé sa mission dans ce monde. Néanmoins, l’étude menant à l’acte, l’homme a la possibilité de se construire et de se renouveler pour devenir telle une arche miniature.
CHEMIRAT HALACHONE
L’excommunication des Kadmonim
Dans leurs écrits, les décisionnaires rapportent l’anathème prononcé par les Kadmonim sur celui qui médit d’un mort, même s’il s’agissait d’un ignorant. Si c’était un érudit, ce péché est a fortiori encore plus grave et sanctionné par la peine d’excommunication, comme le tranche le Yoré Déa.
Ce dernier interdit inclut le fait de mépriser l’érudit lui-même et, à plus forte raison, de dénigrer ses enseignements de Torah.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Ainsi parle l’Eternel D.ieu : au premier mois (…). » (Ye’hezkel chap. 45)
Lien avec la paracha : dans la haftara, il est question des sacrifices offerts par le prince à Roch ‘Hodech Nissan, ainsi que de la fête de Pessa’h. De même, le maftir de Chabbat Ha’hodech évoque Roch ‘Hodech Nissan et la fête de Pessa’h qui approche.
PAROLES DE TSADIKIM
Le Rav qui vit les ustensiles du Temple
Eté 5689. Vittorio Emanuele III, roi d’Italie, visite plusieurs pays sous sa tutelle, dont la Lybie, avec la ville de Tripoli. Les Juifs locaux l’accueillent en grande pompe et, à leur tête, leur Maître, Rabbi Its’hak ‘Haï Boukobza zatsal, grand érudit, versé dans la Torah ésotérique et auteur de nombreux ouvrages de halakha, de kabbale, de commentaires sur la Torah et la Guémara.
Au summum de la visite, la délégation royale se rendit à la synagogue. Le vieux Rav, accompagné de tous les dirigeants et membres de la communauté, sortit pour accueillir l’empereur.
La délégation entra dans la synagogue, tandis que le roi monta vers l’estrade et se tint près de l’arche sainte. On l’ouvrit et les rouleaux de Torah apparurent alors dans toute leur splendeur. Le roi fut émerveillé par cette vision. Le Rav Boukobza se mit à réciter sur un ton mélodieux la prière pour les gouvernants, traduite à l’intention de l’empereur par un interprète. L’assemblée, émue par cette cérémonie unique, répondit « Amen ». Le roi semblait très satisfait de ces marques d’honneur témoignées par la communauté juive et impressionné par la personnalité de leur Rav. Il lui serra la main, le remercia pour la bénédiction prononcée avec tant de ferveur et, en guise de reconnaissance, lui remit une décoration d’honneur du gouvernement italien.
Avant de prendre congé du Rav, l’empereur l’invita à son tour dans son pays, pour le mariage de son fils. Le Rav lui expliqua qu’il lui serait très difficile de se déplacer, d’autant que cela risquerait de causer une perte de Torah. Le roi proposa alors de lui envoyer son bateau royal personnel et lui suggéra de voyager avec sa femme et quelques érudits, afin de pouvoir poursuivre son étude lors de son déplacement. Rav Boukobza accepta.
Au moment convenu, l’embarcation royale arriva pour amener le Rav et ses élèves en Italie. A leur arrivée, le Rav fut reçu avec faste. Il fut conduit au palais, à Rome, où le mariage devait avoir lieu. Tous les princes et personnalités éminentes étaient présents, ainsi que de nombreux invités, venus partager la joie de leur empereur.
Au terme de la célébration, le Rav fut convié à un entretien privé avec le roi. A nouveau, on lui témoigna les plus grandes marques d’honneur et répondit positivement à toutes ses requêtes en faveur des membres de sa communauté. A la fin, l’empereur lui demanda s’il avait une demande personnelle à formuler. Au départ, il répondit par la négative. Mais, suite aux nombreuses instances de son interlocuteur, il lui dit qu’il souhaiterait visiter le Vatican, afin de voir les ustensiles du Temple. Le roi lui expliqua qu’il ne pouvait le lui accorder, car il n’avait pas le droit de se mêler de ce qui se passait en ce lieu. Toutefois, lorsqu’il réalisa que rien d’autre n’intéressait le Rav, il en parla au pape, faisant pression jusqu’à ce qu’il lui donne l’autorisation d’y pénétrer, lui seul, le lendemain.
Durant toute la nuit, le Rav Boukobza se purifia et étudia la Torah. Puis, il récita la prière du matin. Lorsque l’heure fixée sonna, il se dirigea vers l’endroit du rendez-vous et entra dans la Vatican, laissant ses élèves derrière lui. Un employé de ce lieu l’accompagna à l’intérieur. Quand ils atteignirent le sous-sol du Vatican, où se trouvent les ustensiles du Temple, le garde retira le rideau afin qu’il puisse les observer. Ce que le Rav fit, l’espace d’un instant, pour aussitôt demander à quitter les lieux, expliquant qu’il en avait eu suffisamment de cette vision.
Ses disciples l’attendaient impatiemment à l’extérieur du portail, curieux d’observer son visage, sans doute exceptionnellement rayonnant. Cependant, il ne leur dit pas un mot. Immédiatement, il rejoignit le bateau qui devait le reconduire à Tripoli. Là, il retrouva sa demeure, où il se soumit à un jeûne de la parole durant quarante jours, période qu’il consacra totalement à l’étude de la Torah. Au terme de celle-ci, il rendit son âme à son Créateur, à l’âge de soixante-dix-sept ans, emportant avec lui le secret de sa vision.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
L’anticipation du Tsadik
Lors d’un de mes passages à Lyon, une femme vint me voir pour me raconter son histoire. Durant de nombreuses années, sa mère n’avait pas eu d’enfants. Dans sa détresse, elle alla trouver le juste Rabbi ‘Haïm Pinto – que son mérite nous protège – et lui demanda une bénédiction pour une descendance viable. A sa surprise, il lui demanda de lui remettre une certaine somme multipliée par trois, afin que sa brakha ait sur quoi reposer et se maintienne.
Quand elle lui demanda pourquoi elle devait donner une somme triple, il lui expliqua qu’il désirait la bénir elle-même, ainsi que sa fille et sa petite-fille. La femme se plia à sa demande et lui présenta le montant indiqué multiplié par trois. Par un effet de la grâce divine, elle eut effectivement peu après le mérite de mettre au monde un enfant.
Plusieurs années passèrent, quand un terrible accident d’avion, au départ de Lyon et à destination de Strasbourg, faisait la une des journaux. Tous les passagers y trouvèrent la mort, à l’exclusion d’une seule femme, Madame Lévy. Sa survie était tout à fait miraculeuse. C’était elle qui, accompagnée de sa mère, se présentait à présent à moi pour me raconter cette histoire. Elle m’affirma qu’elle comprenait maintenant pourquoi le Tsadik Rabbi ‘Haïm avait demandé à sa maman de lui remettre une somme triple : en guise de kofer néfech [somme d’argent donnée par un individu, en vue de se racheter de ses péchés et d’avoir ainsi la vie sauve] pour sa fille et sa petite-fille qui devaient venir au monde. Car, que gagnerait-elle d’avoir une enfant si celle-ci était destinée à trouver la mort quelques années plus tard ? C’est la raison pour laquelle le juste avait pris une somme triple, correspondant au rachat de trois générations.
Lorsque j’entendis ce récit, je sentis des frissons parcourir mon corps. Je réalisai à quel point les Tsadikim savent anticiper l’avenir et agir en conséquence.
Quand nous lisons des histoires de ce type, la foi dans les Sages se raffermit en nous. Or, il nous incombe alors de traduire ce renforcement intérieur en acte, en nous conformant plus méticuleusement aux directives de nos Sages, conformément à l’injonction du verset « Et tu agiras selon leur déclaration » (Dévarim 17, 10). Même si leurs paroles nous semblent étranges au premier abord, nous devons y obtempérer aveuglément (cf. Sifri, Choftim 11), car seuls les grands Rabanim de notre peuple sont à même, par leur vision perçante, de prévoir l’avenir.
Ce pouvoir qui leur est propre découle de leur grande proximité avec les lois divines, avec les mitsvot éclairant les yeux de l’homme. Quiconque plongé dans l’étude de la Torah et observant scrupuleusement les mitsvot peut, lui aussi, devenir un petit tabernacle pour la Présence divine.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Lien entre la destruction des Temples et le tabernacle
« Tels sont les comptes du tabernacle, tabernacle du Témoignage, qui ont été établis sur ordre de Moché ; tâche confiée aux Lévites, sous la direction d’Itamar, fils d’Aharon le pontife. » (Chémot 38, 21)
Rachi commente : « “Du tabernacle, tabernacle” : la répétition du mot “tabernacle” fait allusion à sa prise en gage (machkan) lors des deux destructions, à cause des fautes d’Israël. »
L’interprétation littérale du verset pose problème, du fait de la répétition du terme « tabernacle ». Rachi explique cette redondance comme une allusion aux destructions des deux Temples qui auraient lieu au cours des générations futures. En effet, le manque de fidélité des enfants d’Israël aux lois données par D.ieu, lors de leur séjour dans le désert et au moment du don de la Torah, excita la colère divine, qui se dirigea alors contre les bois et les pierres pour causer la destruction du Temple.
Le saint Admour de Tsanz, que son mérite nous protège, demande pourquoi il était nécessaire, précisément en ce jour de fête de l’inauguration du tabernacle, de mentionner au peuple juif le triste fait que les Temples seraient plus tard détruits, alors que ce rappel aurait pu être fait à n’importe quelle autre occasion. Il propose lui-même une belle interprétation.
Suggérons-en une autre. Le mot michkan (tabernacle), composé des mêmes lettres que le mot nimchakh (littéralement : tiré), constitue pour les enfants d’Israël une allusion quant à leur devoir de perpétuer la chaîne des générations en s’attachant à la tradition ancestrale. Chaque homme détient en lui une dimension du tabernacle, puisque, de même que le Saint béni soit-Il y faisait résider Sa Présence, Il la déploie également sur tout Juif fidèle à la Torah et aux mitsvot. D’où la responsabilité, reposant sur chacun d’entre nous, de permettre à la Présence divine de résider en son sein, et ce, en observant méticuleusement toutes les lois et en perpétuant la tradition reçue de nos ancêtres. Car, dans le cas contraire, le comportement de l’homme cause le départ de la Présence divine, non seulement de lui-même, mais aussi du Temple – ce qui explique la fin tragique que connurent, successivement, les deux Temples.
Or, le Saint béni soit-Il a intentionnellement évoqué la destruction des Temples le jour joyeux de l’inauguration du tabernacle, afin que les enfants d’Israël ne deviennent pas ivres de joie et, au contraire, prennent conscience de la douloureuse réalité et se renforcent d’autant plus dans le respect des lois divines et la perpétuation de la tradition des ancêtres, qui se sacrifièrent pour satisfaire la volonté de D.ieu. De cette manière, la Présence divine pourrait continuer à résider parmi eux.
PERLES SUR LA PARACHA
Le moment le plus propice pour renforcer la solidarité
« Moché convoqua toute la communauté des enfants d’Israël. » (Chémot 35, 1)
Au sujet de l’interprétation de Rachi selon laquelle le rassemblement général du peuple avait lieu le lendemain de Kippour, le Kli Yakar explique ce qui suit. Cette mitsva de hakhel avait pour but de cultiver la paix entre eux. Du fait que Moché désirait leur annoncer la construction du tabernacle, dans laquelle ils s’associeraient tous, il était au préalable nécessaire de les rassembler afin d’en faire un bloc uni.
Or, de nombreuses querelles ayant ponctué leurs campements, comment était-il possible de les rassembler ? C’est pourquoi Moché eut l’idée ingénieuse de le faire le lendemain de Kippour, car, en ce jour, la paix et l’unité règnent parmi le peuple. Ce climat propice facilitait cette tâche.
La course des donateurs pour le tabernacle
« Toute la communauté des enfants d’Israël se retira de devant Moché. » (Chémot 35, 20)
Le Or Ha’haïm explique l’insistance du verset sur le fait que les enfants d’Israël se retirèrent « de devant Moché », milifné Moché. Connaissant l’aspiration profonde de ce dernier d’accomplir les mitsvot ainsi que sa grande richesse, ils craignaient qu’il n’apporte lui-même tout le nécessaire au tabernacle. Aussi, s’empressèrent-ils de chercher leurs donations, afin de parvenir à le précéder, ce que laisse entendre le terme milifné, pouvant aussi être compris dans le sens de lifné, avant.
Les cinquième et sixième parties du Choul’han Aroukh
« Il l’a rempli d’un souffle divin ; d’habileté, de jugement, de science. » (Chémot 35, 31)
Au sujet de Bétsalel, il est dit que D.ieu « l’a rempli d’un souffle divin ; d’habileté, de jugement, de science ». Quelques versets après, le texte ajoute : « Il l’a aussi doué du don de l’enseignement. » A priori, cette dernière précision semble superflue, puisque, si quelqu’un a été doté d’habileté et de jugement, il est sans doute capable de trancher la halakha.
Rav Yossef Binyamin Wosner explique au nom de son grand-père, Rav Chmouel Halévy Wosner zatsal, qu’on peut en déduire un principe fondamental : l’intelligence d’un homme n’implique pas forcément son aptitude à se prononcer en matière de loi. Cette faculté, obligeant à tenir compte de tout, nécessite une brakha à part entière.
Il ajoute que les gens ont l’habitude de dire, sur le mode humoristique, que la maîtrise de la cinquième partie du Choul’han Aroukh, en l’occurrence la conduite adéquate à adopter envers autrui, est aussi nécessaire pour trancher la loi. Quant à lui, il affirme avoir eu l’occasion d’apprendre, au fil des ans, la sixième partie, à savoir le comportement requis à l’égard de ceux qui ne sont pas des hommes…
Partager la joie d’autrui
« Tu les oindras, ainsi que tu auras oint leur père. » (Chémot 40, 15)
Rabbi Chouchan Hacohen s’interroge sur la précision « ainsi que tu auras oint leur père », a priori superflue. Dans son ouvrage Péra’h Chouchan, il explique que l’Eternel désirait ainsi signifier à Moché son devoir d’oindre les fils d’Aharon avec la même joie qu’il avait oint ce dernier.
Lorsqu’il oignit son frère en tant que Cohen gadol, il n’éprouva pas de jalousie, puisque lui-même avait alors l’insigne mérite d’être le plus éminent des prophètes et le dirigeant du peuple juif, place encore supérieure. Néanmoins, au moment où il devait oindre les enfants d’Aharon, il y avait lieu de craindre qu’il soit jaloux, du fait que ses propres enfants n’avaient pas accédé à la fonction de Cohen. C’est pourquoi le Saint béni soit-Il lui transmit allusivement la nécessité d’être heureux pour ses neveux comme il l’avait été pour son frère.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
« Telle est la distribution du tabernacle. » (Chémot 38, 21)
Comment comprendre que Moché, au sujet duquel l’Eternel atteste « De toute Ma maison, c’est le plus dévoué», se soit senti obligé de présenter au peuple le bilan ? Le Midrach Tan’houma nous éclaircit en rapportant qu’il avait entendu des railleurs parler de lui, comme il est dit : « Et chaque fois que Moché se retirait vers la Tente, (…) chacun suivait Moché du regard. » (Chémot 33, 8) Et que disaient-ils ? « Un homme désigné pour superviser tous les travaux du tabernacle, réceptionnant les dons d’or et d’argent, sans subir de contrôle ni devoir compter ou peser quoi que ce soit, comment ne s’enrichirait-il pas ? » Lorsqu’il entendit ces paroles, il dit : « Je vous jure que, dès la fin des travaux du tabernacle, je vous présenterai le bilan. » Au terme de ceux-ci, il dit : « Telle est la distribution du tabernacle (…) »
En outre, lorsque tous les membres du peuple étaient occupés à ramasser le butin d’Egypte, Moché se soucia de chercher l’emplacement des ossements de Yossef. Dès lors, comment purent-ils le soupçonner de fraude fiscale ? C’est que, l’homme se trouve là où sont ses pensées.
Cette réalité peut être constatée dans tous les domaines de la vie. L’attention d’un cordonnier est focalisée sur les chaussures, celle d’un coiffeur sur les coupes de cheveux, celle d’un constructeur d’immeubles sur l’aspect de ceux-ci, et ainsi de suite. On raconte que, lors d’un voyage en train, le Saba de Novardok rencontra un Juif qu’il ne connaissait pas. Suite à une brève discussion, il lui demanda : « Es-tu commerçant de bois ? » Son interlocuteur, interdit, interrogea le Sage : « Seriez-vous animé de l’inspiration divine ? » Il expliqua simplement : « Un artisan a l’habitude de regarder ce qui l’intéresse. »
L’auteur de l’ouvrage Yéna chel Torah Emouna Chléma explique, dans cette optique, les soupçons qui nourrissaient certains membres du peuple à l’égard de Moché, dirigeant de leur génération. L’homme se situe où se trouvent ses pensées et ses aspirations. Ces individus, regardant Moché à travers leurs propres lunettes, furent certains que, de même qu’ils n’auraient pas accompli bénévolement cette tâche, Moché en avait sans doute aussi profité pour se remplir les poches.
On rapporte cette blague au sujet d’un homme annonçant gravement le décès de son grand-père à son ami. Celui-ci lui demanda : « Qu’avait-il ? » Le petit-fils répondit : « Une pièce et demie dans le Sud de Tel-Aviv. » Les pensées de l’homme attestent sa valeur.
Pouvoir mais ne pas vouloir
On raconte que, lorsque Rabbi Yaakov Yossef zatsal, auteur du Toldot Yaakov Yossef, qui ne s’était pas encore joint à la communauté des ‘hassidim, se présenta pour la première fois au Baal Chem Tov zatsal, ce dernier lui expliqua que toute chose vue ou entendue par un homme peut lui servir de leçon dans son service divin.
Au cours de leur discussion, un non-juif, réparateur d’ustensiles abîmés, entra dans la demeure du Baal Chem Tov. Il lui demanda : « Avez-vous des appareils endommagés, comme des barils ou des seaux, qui ont besoin d’être réparés ? »
« Non, répondit le Sage. Grâce à D.ieu, tout fonctionne bien dans ma maison, rien ne nécessite de réparation. »
« Cherchez malgré tout, insista l’ouvrier. Peut-être trouverez-vous, après ces recherches, un objet s’étant abîmé.»
A cet instant, le Baal Chem Tov se tourna vers Rabbi Yaakov Yossef pour lui faire remarquer : « Ce non-juif voulait parler d’objets matériels, mais, je le considère comme un envoyé du Ciel venu me prouver que tout n’est pas parfait chez moi et que j’ai encore beaucoup à corriger. Sans le vouloir, il m’a fait prendre conscience de mon devoir de scruter sans cesse mes actes et mes voies et de me soumettre à une introspection. »
L’auteur du Toldot Yaakov Yossef ne parvenait pas à admettre la possibilité de tirer des leçons d’ordre spirituel de simples paroles d’un non-juif. Il quitta le Sage, plongé dans ses pensées. Soudain, un non-juif l’accosta, avec une demande pressante : « Veuille bien m’aider à ramasser ma charrette qui s’est renversée ! Je suis faible et j’ai peu de forces. » Mais, il lui répondit : « Je ne peux pas t’aider. » « Tu peux, reprit l’autre, mais tu ne veux pas. »
Tel un éclair, ces paroles pénétrèrent profondément dans son cœur, comme si un courant puissant l’avait traversé. Il retourna alors sur ses pas, rejoignit le Baal Chem Tov et lui dit : « Mon vénéré Maître, vous avez raison. »
D’ailleurs, dans son ouvrage Toldot Yaakov Yossef, il explique comme suit le verset de Habacuc (3, 6) « Elles sont ses routes séculaires » (halikhot olam lo) : tout ce que l’homme voit et entend ici-bas lui est personnellement adressé, afin qu’il déduise une leçon de morale des événements et faits de ce monde. Car, s’il ne retirait aucune utilité, pour son service divin, de tous les propos parvenant à ses oreilles, pourquoi le Saint béni soit-Il ferait-Il en sorte qu’il les entende ? Tel est le sens des mots halikhot olam : lo ; autrement dit, les voies de ce monde sont pour lui, constituent des messages à son intention.