EMOR 9 Mai 2020 ט"ו אייר התש"ף |
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Le don de la Torah, proportionnel à la préparation
Rabbi David Hanania Pinto
« Vous offrirez un sacrifice à l’Eternel : elle est une fête de clôture. » (Vayikra 23, 36)
Le Ramban commente : « “Elle est une fête de clôture” : Je vous retiens chez Moi. Comme un roi qui a invité ses enfants à un festin pour un certain nombre de jours. Lorsque le moment est venu de prendre congé, il dit : “Mes enfants, je vous prie, restez chez moi encore un jour, votre départ m’est douloureux.” Telle est l’explication de Rachi. Je propose une interprétation kabbalistique. L’Eternel créa le ciel et la terre en six jours, tandis que le septième fut Chabbat. Le jour saint n’ayant pas de conjoint [contrairement aux autres jours], l’assemblée d’Israël lui fut donnée comme tel, celle-ci correspondant donc au huitième. (…) Il a compté quarante-neuf jours, soit sept semaines, correspondant aux sept jours de la Création, et a sanctifié le huitième jour comme le huitième jour de Souccot. Quant aux jours comptés au milieu, ils sont considérés comme ceux de ‘hol hamoed séparant le premier et le huitième jour de Souccot. Le jour du don de la Torah, Il leur a montré Son grand feu et fait entendre Ses paroles à travers le feu. C’est pourquoi nos Maîtres appellent la fête de Chavouot Atsérèt, car elle est comme le huitième jour de Souccot, ainsi appelé par le texte. »
En résumé, Pessa’h est comme le premier jour de la fête et Chavouot comme le dernier, tandis que les quarante-neuf jours les séparant correspondent à une longue fête, assimilable à ‘hol hamoèd où la joie règne et la sainteté de l’Eternel se déploie sur le peuple juif.
Les Avrékhim du Collel m’ont posé la question suivante : s’il en est ainsi, pourquoi adoptons-nous durant ces jours les coutumes des endeuillés ? Nos Sages ont pourtant affirmé qu’il est interdit de se conduire ainsi durant les fêtes.
Avec l’aide de D.ieu, je répondrai comme suit. La sagesse de la Torah se différencie fondamentalement de toutes les autres, en cela qu’elle seule exige une préparation préalable. Si l’homme désire intégrer la Torah à son âme et jouir de son influence positive, de la sanctification de son essence et de son élévation spirituelle, il doit s’en rendre apte en purifiant ses pensées et éloignant de lui tout ce qui entrave son service divin. De cette manière, il fera de son corps un réceptacle digne d’accueillir la Torah. A cet égard, il lui incombe de se sacrifier pour renoncer à tous les attraits de ce monde, de sorte à pouvoir se vouer à l’étude de la Torah et l’observance des mitsvot. La Torah fut donnée dans le désert du Sinaï, lieu à l’écart de tout, pour nous enseigner que, si nous aspirons à acquérir la Torah, nous n’avons d’autre choix que de nous détacher de la matière.
Plus on se prépare à recevoir la Torah, plus on méritera d’en obtenir une grande part. Si quelqu’un tient à l’envers le verre où on lui verse de l’eau, seules quelques gouttes parviendront à se loger dans les creux du fond ; s’il le tient à l’oblique, il se remplira un peu. Seulement en le tenant droit, on pourra le remplir entièrement. De même, seule une préparation correcte de notre être au don de la Torah nous permettra de la recevoir pleinement.
L’essentiel de cette préparation consiste à corriger nos traits de caractère et notre conduite vis-à-vis d’autrui. Il s’agit d’annihiler de soi les vices, comme l’orgueil, la colère, la vengeance, la rancune, et de les remplacer par des vertus. Uniquement après ce travail sur soi, la Torah pourra résider en l’homme.
Dès lors, nous comprenons pourquoi nous nous endeuillons sur les disciples de Rabbi Akiva, disparus durant le Omer, bien que cette période soit considérée comme une fête : afin de bien garder à l’esprit le fait qu’ils moururent pour avoir manqué de respect les uns envers les autres et que, en dépit de leur érudition en Torah, l’Eternel n’agréa pas leur étude et les punit sévèrement. Nous prendrons ainsi conscience de notre devoir, à l’approche de la fête de Chavouot, d’améliorer nos traits de caractère et notre comportement et de faire preuve d’amour et de fraternité à l’égard de notre prochain. Car, il s’agit là d’une condition sine qua non à l’acquisition de la Torah, conformément à la célèbre phrase de Rabbi Akiva : « “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” : c’est le principe d’or de la Torah. »
Ainsi, celui qui ne veille pas à se travailler ne pourra recevoir la Torah et, dénué de celle-ci qui est « notre vie et la prolongation de nos jours », il sera tel un mort.
Il en résulte que l’amélioration de ses traits de caractère ne représente pas moins qu’une exigence de survie, puisque, renoncer à ce travail sur soi nous empêche de recevoir la Torah, source de notre vie. De même que nous avons le droit de transgresser le Chabbat pour sauver une vie humaine, cette permission existe concernant les jours de fête. Par conséquent, bien que la période séparant Pessa’h de Chavouot, considérée comme ‘hol hamoèd, ait le statut d’une fête, elle est également celle réservée à notre préparation au don de la Torah. Cette préparation étant indispensable à notre survie [spirituelle], elle a la préséance sur la fête. C’est la raison pour laquelle nous nous endeuillons sur les élèves de Rabbi Akiva, afin de nous souvenir qu’ils moururent pour manque de respect mutuel et d’en tirer leçon en nous efforçant d’affiner nos relations à l’autre. Nous aurons alors l’insigne mérite de recevoir la Torah.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
La promesse d’un Tsadik
Parfois, un juste souhaite à un Juif la longévité. Ce dernier, plein de foi dans la brakha du Tsadik, risque alors de penser qu’il lui reste encore beaucoup de temps devant lui et qu’il n’a pas besoin de faire téchouva chaque jour.
Mais une telle pensée est erronée, puisque le Créateur peut lui faire quitter ce monde quand Il le désire. La promesse du Tsadik ne saurait garantir que le Maître du monde lui permettra d’atteindre un âge extrêmement avancé.
J’ai connu un Juif, au Maroc, qui avait reçu de Baba Salé une brakha pour la longévité. Il vécut effectivement très longtemps. A une nouvelle occasion, il lui demanda de renouveler sa brakha, ce que le Tsadik fit de bonne grâce.
Mais ce Juif était bien conscient que cette bénédiction ne le protégeait que tant que le juste priait pour lui. Dès l’instant où ses prières cesseraient, sa brakha perdrait son effet et sa vie ne pourrait se prolonger davantage.
Il en était si convaincu que, le jour du décès de Baba Salé, il rédigea son testament et se prépara à quitter ce monde. Il appela ses fils, leur fit ses adieux en larmes, récita le Chéma et rendit son âme au Créateur.
Ainsi, la brakha du Tsadik s’était accomplie en faveur de ce Juif qui, grâce aux prières du juste, mérita une longue vie.
Il existe cependant des cas où un Tsadik « décrète », mais où, pour des raisons qui nous échappent, le Créateur en décide autrement. En dépit de la brakha et de la promesse du Tsadik, un homme pourra alors mourir prématurément.
Il est rapporté dans la Guémara (Chabbat 153a) : « Rabbi Eliézer dit : “Repens-toi un jour avant ta mort.” “L’homme connaît-il le jour de sa mort ?” rétorquèrent-ils. “À plus forte raison, il devra se repentir chaque jour, de peur de mourir le lendemain, et fera ainsi téchouva toute sa vie”, renchérit-il. »
Chaque jour de notre existence, nous devons nous dire que c’est peut-être notre dernier sur terre et nous repentir à chaque instant.
PAROLES DE TSADIKIM
L’extrême gravité de la profanation du Nom divin
« Et ne pas profaner le Nom de leur D.ieu. » (Vayikra 21, 6)
Rabbi ‘Haïm Pin’has Sheinberg zatsal, Roch Yéchiva de Torah Or, à Jérusalem, faisait extrêmement attention de ne pas profaner le Nom divin, comme le met en exergue l’ouvrage Migadlato Ouméromamto, écrit à sa mémoire.
Il veillait au plus haut point à ce que sa conduite n’entraîne pas le moindre soupçon de profanation du Nom divin. Ce péché était si grave à ses yeux qu’il éclatait en sanglots quand il mentionnait dans ses cours les paroles de la Guémara (Yoma 86b) : « Quel acte est-il déjà considéré comme une profanation du Nom divin ? D’après Rabbi Yo’hanan, le fait de parcourir une distance de quatre amot sans penser à la Torah et porter les téfilin. » Il redoutait extrêmement ce péché et, pourtant, il était célèbre pour compter parmi ceux de sa génération le prenant le plus en considération.
Il s’efforçait de susciter une sanctification du Nom divin à travers ses actes et sa conduite. Outre son comportement exemplaire, il était scrupuleux dans des petits détails a priori bénins. Par exemple, avant d’écrire une lettre ou de parler en public, il vérifiait l’expression ou l’écriture exacte de chaque mot sur lequel il avait un doute, considérant que, s’il ne choisissait pas le mot adéquat dans son discours ou faisait une erreur de transcription à l’écrit, cela reviendrait à un certain degré de profanation du Nom divin. De même, il reprenait ses élèves qui ne parlaient pas correctement ou écrivaient de manière peu lisible, ceci portant atteinte au prestige de la Torah.
Son habillement était toujours propre et soigné. Avant de sortir de chez lui ou de la Yéchiva, il vérifiait sa bonne présentation, la propreté de ses vêtements et de ses chaussures.
On aurait pu penser qu’il était très à cheval sur la propreté. Mais, lorsqu’il s’assurait de celle-ci, il ne manquait de préciser le seul souci le motivant : éviter de profaner le Nom divin. Il redoublait de prudence dans ce domaine quand il devait paraître devant un public non religieux, notamment lors de ses hospitalisations. Il demandait alors de temps à autre à ses proches si ses vêtements étaient propres et présentables.
De même, il mettait un point d’honneur à la propreté du beit hamidrach, aussi bien de l’intérieur de la Yéchiva que de son entrée. Quand il voyait des saletés dans la cage d’escalier, il arrivait souvent qu’il se baisse lui-même pour les ramasser. C’était impressionnant. Nonobstant son implication totale dans l’étude, il prêtait attention à cela, afin d’éviter à tout prix que sa Yéchiva soit responsable d’une profanation du Nom divin.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Quant aux Cohanim lévites, descendants de Tsadok (…). » (Yé’hezkel chap. 44)
Lien avec la paracha : la haftara mentionne les lois relatives à la sainteté des Cohanim, suivant les directives du prophète Yé’hezkel, tandis que, dans la paracha, il est question des conduites saintes devant être adoptées par les descendants d’Aharon.
CHEMIRAT HALACHONE
Reprendre autrui au sujet de la médisance
Il convient de s’habituer à réprimander avec délicatesse les membres de sa famille pour leurs propos médisants et de leur souligner la grande punition sanctionnant ce péché et l’immense récompense réservée à ceux qui s’en éloignent. Nos Sages affirment (Chabbat 54b) que celui qui avait matière à les reprendre dans ce domaine et s’en est abstenu devra plus tard rendre des comptes à ce sujet.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
L’influence purificatrice de la Torah
A cette période, tombe la Hilloula du saint Tana Rabbi Meïr baal Haness, que son mérite nous protège.
Comme nous le savons, il avait pour Maître Elicha ben Abouya, qui finit par se pervertir et rejeter le joug de la Torah. Son impiété le poussa jusqu’au meurtre de jeunes enfants. Nos Sages (‘Haguiga 15a) racontent à son sujet l’histoire qui suit. Un Chabbat, il chevauchait son cheval, tandis que Rabbi Meïr marchait à ses côtés pour écouter ses enseignements de Torah. Au un moment donné, il lui dit : « Meïr, retourne sur tes pas, car j’ai estimé, d’après les pas de mon cheval, que nous avons atteint la limite permise à parcourir le Chabbat. » Son élève lui répondit : « Rebrousse toi aussi chemin. » Le Maître rétorqua : « Ne t’ai-je pas déjà dit que j’ai entendu derrière le rideau céleste [dissimulant les secrets divins] “Revenez enfants rebelles” à l’exception d’A’her ? »
Ce passage de la Guémara ne manque de nous surprendre. Si Elicha était si impie qu’il délaissa la Torah et les mitsvot, comment expliquer qu’il se souciât que Rabbi Meïr ne marche pas au-delà du domaine permis le Chabbat ? Que lui importait-il donc qu’il transgresse, tout comme lui, la sainteté de ce jour ? De même, comment un mécréant qui tua de jeunes enfants eut-il le mérite d’entendre une voix céleste émise derrière le rideau ?
C’est que les paroles de Torah de Rabbi Meïr, étudiant en chemin avec A’her, l’élevèrent et purifièrent son âme, l’espace de ces quelques instants. Il bénéficia de son influence positive, comme de nombreux autres individus, conformément aux paroles de nos Sages (Erouvin 13b) : « Il ne s’appelait pas Rabbi Meïr, mais Rabbi Néhoraï. Pourquoi donc fut-il surnommé Rabbi Meïr ? Car il éclairait (meïr) les yeux des Sages en matière de loi. Rav affirme : “J’ai l’esprit plus aiguisé que mes pairs, parce que j’ai vu Rabbi Meïr de dos ; si je l’avais vu de face, j’aurais été encore plus brillant.” »
Il en ressort que les enseignements de Torah de Rabbi Meïr détenaient le pouvoir de dessiller les yeux et de purifier les cœurs. Son étude sur la route avec Elicha fut suffisante pour introduire en ce dernier des pensées de contrition, qui le poussèrent à éviter à son élève une profanation du Chabbat. C’est aussi pourquoi il mérita d’entendre une voix céleste. Cependant, il l’interpréta mal, car elle visait à lui lancer une invite au repentir. Se trouvant sous l’emprise des puissances impures, il comprit au contraire que les portes du repentir étaient définitivement fermées devant lui.
Ainsi donc, quiconque étudie la Torah de manière désintéressée mérite que celle-ci éclaire les personnes de son entourage et les influe positivement, ravivant même l’étincelle spirituelle de ses frères les plus éloignés.
PERLES SUR LA PARACHA
Le repos du Chabbat, l’opportunité d’étudier la Torah
« Mais le septième jour, il y aura repos. » (Vayikra 23, 3)
Citant l’enseignement de nos Sages selon lequel le Chabbat n’a été donné au peuple juif qu’afin de lui donner le loisir d’étudier la Torah, l’auteur de l’ouvrage Bné Chouchan y trouve une allusion à travers le verset « Mais le septième jour, il y aura repos ». Il fait remarquer que les initiales hébraïques de cette expression équivalent numériquement au mot Torah. En d’autres termes, durant Chabbat, il nous incombe de nous plonger dans l’étude de la Torah.
Le repos du Chabbat, une mitsva du Créateur
« Ce sera le Chabbat de l’Eternel, dans toutes vos habitations. » (Vayikra 23, 3)
Que signifie la précision du verset « dans toutes vos habitations » ? Penserait-on que le respect du Chabbat ne s’applique pas en tout lieu ?
Le Ktav Sofer explique que tous les peuples du monde ont un jour de repos. Le Midrach rapporte à cet égard que Moché insista auprès de Paro pour qu’il accorde au peuple un jour de repos, afin qu’il ait la force de travailler le reste de la semaine.
S’il en est ainsi, comment savoir si le Juif respectant le Chabbat le fait dans l’intention de se plier à la volonté divine ou afin de s’accorder du repos ?
Il répond que si un Juif qui vit parmi un peuple ayant fixé un autre jour de repos que le Chabbat se repose malgré tout aussi le Chabbat, il prouve la pureté de son intention. En effet, disposant déjà d’un autre pour engranger de nouvelles forces, il n’a pas besoin du Chabbat pour cela. Aussi, son observance du jour saint est bien conforme à l’ordre du verset « Ce sera le Chabbat de l’Eternel », puisqu’il le respecte en Son honneur. Comment cela s’exprime-t-il ? Si le Chabbat est gardé « dans toutes vos habitations », même parmi les nations du monde.
La paix entre le corps et l’âme
« Vous mortifierez vos personnes dès le neuf du mois au soir. » (Vayikra 23, 32)
Nos Sages (Brakhot 8b) s’interrogent : pourquoi le texte dit-il le neuf du mois, alors que Kippour tombe le dix du mois ? Ils en déduisent que quiconque mange et boit le neuf [et jeûne le dix] est considéré comme avoir jeûné le neuf et le dix.
Dans son ouvrage Téra’hem Tsion, Rabbi Réphaël ben Tsion Hacohen zatsal demande comment il est possible que notre consommation du neuf du mois nous soit considérée comme un jeûne.
Il répond en s’appuyant sur cette idée développée par les commentateurs : le Chabbat, nous nous souhaitons les uns les autres « Chabbat chalom », parce qu’en ce jour, la paix règne entre le corps et l’âme. Durant la semaine, celle-ci s’oppose aux plaisirs physiques comme celui de la consommation, tandis que le Chabbat, cet acte, qui est une mitsva, constitue également une jouissance pour elle. D’où la paix entre les deux composants de l’homme.
Ceci explique aussi le pluriel du verset « Vous mortifierez vos personnes », littéralement : vos âmes. Car, nous avons le devoir de mortifier à la fois la partie physique de notre âme et sa partie spirituelle ; la première doit l’être par le biais du jeûne et la seconde par la consommation. Mais, comment est-il possible de remplir simultanément ces deux exigences opposées ? Nos Sages nous en donnent la réponse : quiconque mange et boit le neuf du mois, affligeant ainsi la partie spirituelle de son âme, et jeûne le dix du mois, affligeant la partie physique de celle-ci, est considéré comme avoir jeûné les neuf et dix.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Les mitsvot de la Torah comportent deux aspects : leur exécution et leur signification profonde, les secrets qu’elles recèlent. Néanmoins, une mistva a également un sens premier et simple. L’ordre de supputer le Omer apparaît, d’emblée, comme une intrigue. L’Eternel nous demande de compter sept semaines et les sept jours de chacune d’elles. Cependant, que compte-t-on exactement et comment compte-t-on ? Un jour est une entité neutre, tel un réceptacle pouvant être rempli d’éléments positifs ou négatifs. Qu’en est-il donc ici : s’agit-il de bons ou de mauvais jours ? Enfin, pourquoi compter sept fois sept jours et quelle est la signification du total de jours aboutissant à la fête de Chavouot ?
La Rav Chimchon Pinkous zatsal nous éclaircit à ce sujet en s’appuyant sur les explications du Séfer Ha’hinoukh (mitsva 306) : « Le sens profond de la mitsva est que la raison d’être du peuple juif est la Torah, tandis que c’est pour celle-ci que le ciel, la terre et le peuple juif ont été créés. De même, la raison essentielle pour laquelle nos ancêtres furent libérés d’Egypte est le don de la Torah et son observation. Tel fut le but de leur délivrance, ainsi que la mission assurant leur plénitude. Ce fut, pour eux, une bien plus grande chose que le passage de l’esclavage à la liberté. Du fait que telle est la raison d’être du peuple juif, pour laquelle il fut libéré et accéda à la grandeur, nous avons l’ordre de compter les jours depuis le lendemain du premier jour de Pessa’h jusqu’à celui du don de la Torah, afin d’attester notre grande aspiration d’arriver à ce moment tant attendu, « tel un esclave qui aspire à un peu d’ombre » et ne cesse de compter les jours qui lui permettront d’arriver enfin à la grande heure de sa liberté. Le compte prouve à l’homme qu’il n’aspire qu’à arriver à ce moment-là. D’où le sens de la supputation du Omer. Nous comptons les jours qui sont déjà passés, et non ceux qui nous restent encore à compter, car cela atteste notre puissante volonté de parvenir à ce moment [du don de la Torah]. »
La célèbre question est la suivante : quand on attend impatiemment un événement, on ne compte pas les jours déjà passés, mais ceux qui nous restent jusqu’à celui-ci. Par exemple, un enfant comptera les jours le séparant encore de celui de sa bar-mitsva. Aussi, aurait-il été plus logique de commencer le compte à quarante-neuf, puis de déduire chaque jour un, jusqu’à Chavouot.
Afin de répondre, rapportons en préambule le célèbre commentaire de Rabbi Aharon Kotler zatsal sur la Torah au sujet des sept années durant lesquelles Yaakov dut travailler pour épouser Ra’hel. Il est écrit : « Et elles furent, à ses yeux, comme quelques jours, tant il l’aimait. » A priori, ceci semble surprenant, l’homme ayant au contraire naturellement tendance à ressentir que le temps passe doucement lorsqu’il est dans l’attente de quelque chose. Nous en déduisons que, concernant Yaakov, il profita de cette période d’attente pour se purifier et se sanctifier avant de fonder son foyer.
Eclaircissons cette idée par un exemple. Un homme a désespérément besoin d’un million de dollars. Si on lui dit qu’il recevra cette somme dans cent jours, il sera heureux, mais, chaque jour d’attente lui semblera une éternité, en cela qu’il le sépare de cette promesse tant attendue. Par contre, s’il a besoin d’un million de dollars et qu’on lui propose un travail quotidiennement rémunéré à raison de dix mille dollars, les jours lui sembleront passer à toute vitesse.
Quelle est donc la différence ? Attendre passivement cent jours, pour recevoir un million de dollars, rend cette période encore plus longue, car elle est dénuée de sens et marque donc une séparation entre l’homme et l’objet désiré. A l’inverse, si ces jours sont remplis par une activité permettant d’atteindre le but visé, ils nous rapprochent mentalement de celui-ci et semblent passer bien plus vite. Chacun de ces jours est en soi un bonheur auquel on n’est pas prêt à renoncer, conscient qu’en sautant l’un d’eux, on ne recevra pas la totalité de la somme.
Ainsi en était-il de Yaakov. Durant les sept années où il travailla pour avoir la main de Ra’hel, il s’attela à la tâche de son édifice personnel, à l’approche du grand jour de la fondation de son foyer. Aussi, chacun de ces jours était-il à ses yeux un bonheur et passa-t-il rapidement, comme le souligne le verset : « Et elles [ces sept années] furent, à ses yeux, comme quelques jours, tant il l’aimait. » Cet amour dont il est question correspond à la volonté sainte et pure du patriarche de permettre à la Présence divine de se déployer dans le foyer qu’il fonderait avec Ra’hel. Chaque jour passé représentait donc une pierre supplémentaire pour cet édifice. C’est pourquoi ces sept ans de travail lui parurent ne durer que quelques jours.
Tel est le sens profond de la supputation du Omer. Si on attendait passivement le don de la Torah sans fournir le moindre effort, ces cinquante jours ne feraient qu’écran entre nous et cet événement et nous compterions alors les jours restants plutôt que ceux passés. Mais, ces jours sont constructifs, puisqu’ils nous permettent de nous préparer au don de la Torah. Passé un de ces jours, nous devenons plus aptes à l’accueillir ; passés deux jours, encore davantage et ainsi de suite. Finalement, au bout du compte de quarante-neuf jours, nous sommes pleinement aptes à recevoir la Torah. Telle est donc la signification profonde de la mitsva de la supputation du Omer : compter quarante-neuf jours de construction personnelle formatrice en vue du don de la Torah.