Ha'azinou - Chabbat Chouva 26 Septembre 2020 ח תשרי התשפ"א |
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D.ieu seul
Rabbi David Hanania Pinto
« Seul l’Eternel le dirige et nulle puissance étrangère ne Le seconde. » (Dévarim 32, 12)
Moché avertit les enfants d’Israël que pour avoir le sentiment d’être un fils unique, jouissant de la Providence divine supérieure qui intervient dans les moindres détails de la Création, l’homme doit ressentir que seul le Saint béni soit-Il le dirige, de manière exclusive. Il convient d’éviter de jouer sur les deux tableaux, en aimant d’un côté le Créateur, tout en se vautrant dans la matérialité, telle une « puissance étrangère ». Quand l’homme ne voue pas tout son amour au Créateur et ne Le perçoit pas comme la seule Puissance dirigeant le monde, il ne peut ressentir Son amour envers lui et prendre conscience de Son intervention.
De même, si un individu se tient pour prier devant le Créateur, tout en pensant en même temps à une affaire qu’il s’apprête à conclure le même jour, il est certain qu’il ne pourra prier avec ferveur et éprouver la jouissance procurée par ce sentiment que « seul l’Eternel le dirige », puisqu’une « puissance étrangère Le seconde » – l’amour de l’argent et de la matérialité, qui occupent une place importante dans ses pensées et dans son cœur. Il y aspire tellement que cela refroidit souvent son enthousiasme dans le service divin.
Moché voulait signifier aux enfants d’Israël que, quand ils comprendront cela, ils en tireront sérénité et tranquillité. Car, celui qui adopte ce point de vue a le mérite que le Saint béni soit-Il le guide et lui octroie Son aide et Son assistance dans tout ce qu’il entreprend. Or, la conscience que tout ce qui nous arrive est le fruit d’une intervention spéciale d’en Haut représente la plus grande sérénité qui soit.
L’homme a par ailleurs l’obligation de se forger une conception pure de D.ieu, sans y mêler de pensées pour une « puissance étrangère ». Combien voyons-nous malheureusement d’individus qui, d’un côté, désirent être liés à la Torah, mais, de l’autre, sous l’effet de leur mauvais penchant, se laissent séduire par le progrès et la modernisation. Ces pôles d’attirance sont souvent comme des dieux étrangers les éloignant de l’Eternel, les refroidissant dans Son service et les entraînant à mépriser la Torah et les mitsvot.
Combien cela fait-il mal de voir ces hommes tellement avides des plaisirs de ce monde qu’ils en perdent leur identité juive profonde et se mettent à ressembler aux non-juifs ! Leur cœur se refroidit tellement dans le service divin qu’ils ne sont plus capables de jouir de l’accomplissement d’une mitsva ou de l’écoute d’une belle idée sur la section hebdomadaire. Malheur à celui dans la vie duquel la matérialité occupe tant de place qu’il ne parvient plus à ressentir de véritables jouissances comme celles procurées par la conscience de l’intervention divine dans le monde et l’étude de la Torah !
Le Ben Ich ’Haï (Chana Richona, Haazinou) explique longuement que notre verset introductif s’applique aux temps futurs, à cette période où la souveraineté divine s’imposera sur tous. D.ieu seul dirigera alors le monde, de façon aussi claire qu’absolue, et il n’y existera aucune « divinité » étrangère. En effet, cette nouvelle ère marquera un changement fondamental de la réalité que nous connaissons aujourd’hui. Tous les hommes constateront de visu l’aspect miraculeux de la Providence de D.ieu (cf. Yéchaya 11, 9 ; Yirmiya 31, 33), dont le règne s’imposera à tous, « en ce jour [où] l’Eternel sera un et Son Nom sera un » (Zékharia 14, 9). Les Hagiographes expliquent par ailleurs qu’alors, le règne du Mal sera vite éradiqué et le troisième Temple, d’un éclat incomparable, descendra du Ciel. Jouissant d’une reconnaissance universelle et exclusive, la souveraineté divine se dévoilera dans toute sa splendeur.
En ces temps, le bien et la bénédiction prendront une telle ampleur dans le monde que le loup coexistera avec la brebis et que les hommes ne s’affronteront plus, comme il est dit (Yéchaya 2, 4) : « Un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple et on n’apprendra plus l’art des combats. » On lit par ailleurs que le Saint béni soit-Il déversera sur la terre une bénédiction tellement extraordinaire qu’à peine le blé sera-t-il semé que du pain prêt à la consommation sortira de terre. Aussitôt après la mise en terre des graines de lin, des vêtements en émergeront. De même, lorsqu’un homme posera un raisin dans un coin de sa maison, il obtiendra aussitôt un tonneau plein de vin. Il s’agit de phénomènes miraculeux qu’il nous est impossible d’envisager dans la réalité connue à l’heure actuelle.
Toutefois, si l’on veut être en mesure de croire tout ce qui est écrit sur les temps futurs, il faut dès aujourd’hui prendre conscience de la Providence particulière de D.ieu, qui guide et maintient le monde à Lui seul, sans l’intervention d’aucune force extérieure. Une fois qu’on aura intégré cette réalité, il nous sera plus aisé de croire à celle, miraculeuse, qui présidera dans les temps futurs.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Reviens Israël (…) » (Hochéa chap. 14 ; Mikha chap. 7)
Lien avec le Chabbat : nous récitons cette haftara le Chabbat situé entre Roch Hachana et Kippour, car le thème de la téchouva y est évoqué, tandis que ces jours sont favorables au repentir et à l’expiation des péchés.
CHEMIRAT HALACHONE
L’interdiction de flatter
Celui qui médit de quelqu’un pour flatter son auditeur transgresse l’interdit « Vous ne souillerez point le pays » qui, d’après de nombreux avis, constitue une mitsva négative de la Torah. De même, celui qui entend des propos médisants et y accorde du crédit, tout en les soutenant, afin de flatter leur auteur enfreint lui aussi cet interdit.
PAROLES DE TSADIKIM
Prêter une oreille attentive à la détresse d’autrui
Le Chabbat Chouva se trouve au centre des dix jours de repentir lors desquels nous cherchons à amplifier nos mérites qui prendront notre défense au moment du jugement. L’un des plus grands plaidoyers dont nous pouvons bénéficier est l’attention accordée à notre prochain et le sentiment positif et réconfortant que nous lui apportons lorsque nous l’écoutons attentivement, dans l’esprit de l’adage : « Il est encore plus louable de montrer ses dents blanches [sourire] à autrui que de lui donner du lait. »
Par exemple, celui qui ne raccroche pas son téléphone quand, à l’autre bout du fil, un malheureux se lamente sur son sort amer ou qui ne charge pas les membres de sa famille de prétendre qu’il est absent, prouve sa pleine disposition à écouter les personnes en détresse et a l’insigne mérite d’accomplir un réel acte de charité.
« J’ai eu la chance, raconte Rabbi Aharon Toïsig chelita (Kvodam chel Israël), d’entendre maintes fois de la sainte bouche du Rabbi de Nadvorna zatsal, auteur du Béer Yaakov, que l’Eternel l’a gracié d’un cadeau, la faculté d’écouter jusqu’au bout et durant des heures les Juifs venant déverser leur cœur devant lui, bien que, très rapidement, il devine de lui-même la suite de leurs propos.
« Il expliquait pourquoi il s’efforçait de leur prêter une oreille attentive durant de si longs moments : “J’ai besoin de mérites pour pouvoir donner une réponse juste à tous ceux me posant des questions. En consacrant de mon temps précieux à autrui même quand je connais déjà ses problèmes dans les moindres détails, je permets à tout homme de sortir de ma pièce avec une bonne sensation ; D.ieu voit cela depuis le ciel et m’accorde alors Son assistance pour répondre conformément à la loi et guider judicieusement mes frères.” »
Quand un ami, un éducateur ou n’importe quel Juif écoute son prochain à cent pour cent, en débranchant son téléphone ou en se déconnectant de toute autre source de dérangement, il lui procure une sensation agréable et rassurante et crée une merveilleuse atmosphère, capable d’engendrer d’incroyables résultats.
Cela ne signifie pas que, si l’on reçoit un appel urgent, on ne doit pas y répondre. On peut le faire, mais il est préférable de prévenir notre interlocuteur en lui disant : « J’attends un appel important et il est possible que je doive m’interrompre au milieu de notre conversation. »
Quand l’autre perçoit notre sensibilité et notre considération, il se sent déjà mieux. Dans la prière, nous demandons à D.ieu : « Accorde-nous la sagesse pour (…) écouter, étudier et enseigner. » Afin de savoir écouter correctement, il est nécessaire de s’investir dans l’étude et l’enseignement. Seule une écoute pleinement attentive est à même d’entraîner des métamorphoses.
Dans la chemoné esré, nous disons que le Saint béni soit-Il « écoute les prières de toutes les bouches », et ce, en dépit du fait qu’Il connaisse la nature de nos demandes avant même que nous les formulons. De même, il nous incombe d’avoir une attitude similaire à l’égard de notre prochain, en l’écoutant patiemment jusqu’à ce qu’il termine de parler.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Téchouva et passage à l’acte
Un couple de Juifs lyonnais fut victime d’un très grave accident de la route. En voyant l’état dans lequel se trouvait le véhicule, les forces de sécurité arrivées sur place supposèrent aussitôt que ses occupants étaient tous morts. Mais, par miracle, ils avaient survécu.
Lorsque je rendis visite au mari à l’hôpital, il me dit avec émotion : « Avant l’accident, je ne croyais pas du tout en D.ieu, mais, au moment de l’accident, j’ai clairement ressenti la Main divine qui nous a sauvés, ma femme et moi, d’une mort certaine. À présent, je sais qu’il y a un Créateur ! »
Après de telles paroles, j’étais certain qu’il allait se repentir complètement et se mettre à observer le Chabbat, la cacheroute, etc. Mais voilà qu’à peine deux semaines plus tard, je l’aperçus au volant de sa voiture pendant Chabbat !
Je peinai au départ à comprendre comment ce Juif osait transgresser le Chabbat. Comment pouvait-il continuer à mépriser les mitsvot de la Torah, après avoir vu de ses propres yeux l’intervention du Créateur ?
Mais en y réfléchissant, j’en ai déduit une grande leçon : lorsqu’un homme a des velléités de téchouva, il ne doit pas se contenter de pensées et de paroles, mais passer à l’acte, par exemple en se mettant à observer le Chabbat, en allant à la Yéchiva étudier la Torah ou en se renforçant dans une autre mitsva.
Le fait de s’accrocher concrètement à au moins une des mitsvot de la Torah assure le maintien et la continuité de cet élan ; seule une soumission concrète et immédiate peut permettre de le transformer en un élan éternel, qui le fera avancer dans le service divin.
PERLES SUR LA PARACHA
Un résultat visible à long terme
« Que mon enseignement s’épande comme la pluie, que mon discours distille comme la rosée. » (Dévarim 32, 2)
Au moment où la pluie ou la rosée tombe sur un potager, note Rabbi Sim’ha Bonim de Pchis’ha zatsal, son effet bénéfique n’apparaît pas immédiatement sur les légumes. A cet instant, on ne remarque aucun changement. Uniquement lorsque ceux-ci grandissent bien, on comprend que cela est à créditer à la pluie qui leur a apporté l’eau nécessaire à leur développement.
De même, quand un homme étudie la Torah et observe les mitsvot, l’effet bénéfique de ces activités ne se ressent pas instantanément. Mais, au fur et à mesure, on peut constater le raffinement de ses traits de caractère, si frappant que les hommes s’exclament : « Combien ses manières sont-elles agréables ! Combien ses actes sont-ils corrects ! Heureux son père qui lui a enseigné la Torah, heureux son Maître qui lui a enseigné la Torah ! » Tous réalisent alors l’influx positif qu’il a reçu de son étude et de l’accomplissement des mitsvot.
Des allusions effrayantes
« Exténués par la famine, dévorés par la fièvre et des pestes meurtrières. » (Dévarim 32, 24)
L’ouvrage Oumatok Haor rapporte l’idée qui suit, au nom de Rav Mordékhaï Noïgarchal chelita.
Il est connu que les versets de la section Haazinou renvoient allusivement à la sombre période de la Shoah, comme par exemple : « Eux M’ont irrité par des dieux nuls, M’ont contristé par leurs vaines idoles. » Cela se réfère au judaïsme européen du XIXe siècle, majoritairement athée.
La Torah détaille les redoutables punitions qui allaient alors sanctionner le peuple juif : « J’entasserai sur eux tous les malheurs ; contre eux, J’épuiserai mes flèches. Exténués par la famine, dévorés par la fièvre et des pestes meurtrières, J’exciterai contre eux la dent des carnassiers et le venin brûlant des reptiles. »
Que sont ces kétev mériri (pestes meurtrières) dont il est question ? Rachi explique qu’il s’agit de noms de démons.
Or, le terme kétev apparaît dans les Téhilim (91, 6) : « Ni la peste qui chemine dans l’ombre, ni l’épidémie (kétev) qui exerce ses ravages en plein midi » et le Malbim commente : « Ni l’épidémie : comme dans le verset “pestes meurtrières”, expression renvoyant à un air empoisonné causant la mort. » Cela fait allusion aux chambres à gaz dans lesquelles tant de Juifs trouvèrent la mort durant la Shoah.
Des fils ou des serviteurs ?
« Oui, l’Eternel prendra parti pour Son peuple, à nouveau, Il prendra Ses serviteurs en pitié. » (Dévarim 32, 36)
Quand le Saint béni soit-Il juge Son peuple, il s’agit de Ses serviteurs ; aussi, pourquoi est-il nécessaire de préciser « à nouveau, Il prendra Ses serviteurs en pitié » ?
Dans son ouvrage Omer Haténoufa, Rabbi Amor Abitbol zatsal répond en s’appuyant sur un enseignement de nos Sages (Baba Batra 10a) selon lequel, lorsque les enfants d’Israël se plient à la volonté divine, ils sont appelés « enfants », comme il est dit : « Vous êtes les enfants de l’Eternel, votre D.ieu », mais, dans le cas contraire, ils sont surnommés « serviteurs », comme il est écrit : « Car c’est à Moi que les Israélites appartiennent comme esclaves. »
Quand un homme se repent pour s’être rebellé contre le Roi du monde, son repentir ne devrait logiquement pas être accepté, puisque, même si un roi est prêt à pardonner un bafouage à son honneur, sa position respectable de souverain le lui en empêche. Toutefois, du fait que nous sommes également les enfants du Saint béni soit-Il, Il peut nous absoudre en tant que Père – un père ayant le droit d’excuser à son fils une offense.
C’est pourquoi, lorsque l’Eternel désire juger les membres de Son peuple et accepter leur repentir, Il doit renoncer à leur statut d’esclaves, puisque, tant qu’Il les considère comme tels, Il ne peut leur pardonner. Tel est le sens des mots véal avadav yitné’ham « Il prendra Ses serviteurs en pitié », pouvant aussi être traduits « Il se consolera de Ses serviteurs » signifiant que, désormais, Il cessera de les considérer ainsi pour les regarder uniquement comme des enfants et les absoudre.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Pour le bien
« Lui, notre rocher, Son œuvre est droite, toutes Ses voies sont la justice même ; D.ieu de vérité, jamais inique, constamment équitable et droit. » (Dévarim 32, 4)
Moché reproche aux enfants d’Israël d’en être arrivés à renier les bontés du Créateur et à suivre des divinités étrangères. D’un point de vue rationnel, cette attitude est très difficile à comprendre. Comment les enfants d’Israël ont-ils pu choisir d’ignorer les bienfaits que le Tout-Puissant a déversés sur eux et de Lui tourner le dos en piétinant sans vergogne les lois de la Torah ?
C’est que, si toutes les voies divines sont justice – « D.ieu de vérité, jamais inique, constamment équitable et droit » –, pour en prendre conscience, nous aussi devons avoir une vision juste et droite. Lorsque l’homme n’a pas le mérite de reconnaître les bienfaits de l’Eternel, c’est donc le signe que sa vision est déficiente, D.ieu étant le Bien absolu et n’aspirant qu’à une chose : faire du bien à Ses créatures. Si l’homme ne perçoit pas le bien et a l’impression que le Saint béni soit-Il le traite avec dureté et rigueur, il doit savoir qu’il n’en est rien et que, de même que l’on bénit pour le bien, il faut le faire pour le mal (Bérakhot 55a), car celui-ci s’avère finalement bénéfique pour l’homme, même si sa vue étroite et limitée ne lui permet pas de s’en apercevoir.
Cela nous permet de comprendre comment les enfants d’Israël ont pu en arriver à fauter contre D.ieu : il leur manquait la compréhension et la vision juste permettant de réaliser qu’Il leur avait fait du bien tout au long de leur vie. Et, même aux moments où il leur semblait qu’Il avait déversé Sa colère sur eux, ceci également était pour leur bien, afin qu’ils quittent leurs mauvaises voies. Mais ils n’avaient pas suffisamment de sagesse pour le saisir et le reconnaître.
Il en ressort que tout ce qui arrive à l’homme n’est que pour le bien et la bénédiction, comme il est dit : « Toutes Ses voies sont la justice même ; D.ieu de vérité, jamais inique », mais nous n’avons pas toujours la sagesse nécessaire pour nous en apercevoir. Si nous nous habituons à cette idée, nous saurons remercier pour le mal comme pour le bien, car même dans ce qui apparaît comme mal, se dissimule un grand bienfait.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
« Lui, notre rocher, Son œuvre est droite, toutes Ses voies sont la justice même ; D.ieu de vérité, jamais inique, constamment équitable et droit. » (Dévarim 32, 4)
Parfois, d’étranges événements arrivent à l’homme et il en ignore la raison. Or, la Torah déclare ici que D.ieu est « constamment équitable et droit ». Comment concilier cette vérité avec la réalité que nous vivons ? Illustrons-le par l’histoire suivante, tirée de l’ouvrage Marpé Lénéfech.
Sur l’estrade de la synagogue parisienne, se tenait Rabbénou Yé’hiel, l’un des Tossaphistes, portant son talit et tenant en main le chofar. Les fidèles attendaient avec vénération la récitation des brakhot et le début des sonneries. Cependant, contrairement à son habitude, le Rav décida de procéder différemment.
Il tourna soudain la tête pour inviter d’un signe de main l’un des hommes. Rapidement, ce dernier se fraya un chemin entre les autres pour le rejoindre et se placer à ses côtés. Il s’agissait de Naphtali Azaria, un orfèvre d’or connu dans la communauté.
« Malgré la grandeur de ce moment, ou peut-être justement pour cela, commença Rabbi Yé’hiel, j’ai jugé opportun de partager avec vous une histoire, porteuse d’une édifiante leçon de morale, qui a débuté il y a un an et s’est terminée hier. Après avoir demandé l’accord à l’un des héros, notre ami Rav Naphtali, je l’invite à vous raconter le déroulement des faits. »
Tous posèrent un regard abasourdi sur Rabbi Yé’hiel et l’orfèvre, curieux d’écouter son récit. Naphtali était visiblement ému. Il avala sa salive, toussa un peu, puis prit la parole.
« Vous connaissez sans doute mon bon voisin et collègue, Yaakov Aboudrahan. L’année dernière, quelques jours avant Roch Hachana, nous sommes allés écouter un cours de Torah après notre travail. Nous y avons appris les paroles de la Guémara selon lesquelles “le gagne-pain de l’homme lui est fixé d’un Roch Hachana au suivant”. Elles éveillèrent en nous un intérêt particulier. En discutant, nous avons décidé de nous imposer un jeûne afin de demander au Saint béni soit-Il de nous révéler combien nous gagnerions l’année à venir.
« Aussitôt dit, aussitôt fait : les deux jours précédant Roch Hachana, nous avons jeûné et attendu un signe du Ciel répondant à notre requête. Ceci eut lieu la dernière nuit de l’année : chacun d’entre nous rêva combien d’argent il récolterait l’année à venir. Lors de notre rencontre le lendemain matin, nous nous sommes mutuellement raconté nos rêves. Mon ami Yaakov rêva qu’il gagnerait deux cents zéhouvim, et moi cent cinquante.
« Nous avons alors voulu nous rendre chez notre Maître pour lui raconter les jeûnes et les rêves que nous avions faits. “Si vous voulez écouter mon conseil, dit-il, inscrivez, durant l’année à venir, toute rentrée que vous aurez, minime ou importante.” Bien-entendu, nous avons suivi cette indication.
« Un jour, nous avons eu un désaccord au sujet d’une marchandise que nous avions achetée ensemble et vendue avec un intérêt copieux. Au moment du partage de cet intérêt, Yaakov argua que, lorsque nous nous étions associés, nous avions eu l’intention de récupérer, chacun, la moitié des bénéfices. Mais, moi, j’avançai qu’ayant investi deux tiers du capital, alors que lui n’y avait investi qu’un tiers, les intérêts devaient être divisés selon ce même rapport. Nous nous sommes alors rendus chez le Rav pour qu’il tranche notre litige.
« “Entre les mains de qui se trouve à présent l’argent gagné de cette affaire ?” commença-t-il. C’était Yaakov qui le détenait.
« “Avez-vous des témoins ou un contrat ?” poursuivit le Rav. Nous n’avions ni l’un ni l’autre.
« “S’il en est ainsi, conclut-il, puisque Yaakov détient l’argent, Naphtali doit apporter une preuve à ses propos. S’il n’a pas de preuve, Yaakov doit jurer que ses paroles sont véridiques et il peut toucher à la moitié des intérêts.”
« Mais Yaakov refusa de jurer. “Je dis la pure vérité, mais je refuse de jurer. Je préfère renoncer à l’intérêt supplémentaire que je dois toucher”, dit-il. Il garda donc le tiers de la recette et me remit le reste. La différence entre ce qu’il gagna et ce qu’il aurait gagné s’il avait touché à la moitié des intérêts était de dix zéhouvim.
« Tout au long de l’année, nous avons continué à reporter nos rentrées respectives. Il y a quelques jours, à l’approche de Roch Hachana, nous avons sorti nos listes pour faire le bilan. Celui de Yaakov s’élevait à cent quatre-vingt-neuf pièces d’or, soit onze de moins que dans son rêve. Quant à moi, je suis arrivé à un total de cent soixante-et-un, onze de plus que dans mon rêve.
« Nous nous sommes rendus chez notre Rav pour lui faire part de ceci. Sans réfléchir longtemps, il trancha : “Il en ressort que, dans le litige que vous aviez eu au sujet de votre affaire commune, Yaakov avait raison et vous auriez dû partager les intérêts de manière équivalente.”
« “S’il en est ainsi, pourquoi ai-je gagné onze pièces de plus que j’aurais dû et lui onze de moins, alors que notre désaccord portait seulement sur dix ?” avançai-je, campant sur mes positions.
« Toutefois, notre Maître avait la réponse toute prête : “J’ai dépensé une pièce pour rémunérer le scribe qui a écrit votre plainte et le messager qui vous a fixé l’heure de votre jugement.” Mais, je refusai de me laisser convaincre et d’accepter, de manière si soudaine, une perte de onze zéhouvim, somme considérable.
« “Je ne contrôle pas mes rêves”, concluai-je. Et, pour calmer ma conscience, j’ajoutai : “D’après le din Torah tranché par le Rav, j’ai gagné honnêtement les deux-tiers de la recette.”
« Nous rejoignîmes nos magasins afin de faire encore quelques affaires qui nous permettraient de régler les dépenses des fêtes. Tout d’un coup, je remarquai, à mon grand désarroi, que la boutique de Yaakov était emplie d’acheteurs, alors que pas un seul n’entrait dans la mienne. A la fin de l’après-midi, il gagna onze zéhouvim et retourna chez lui. Furieux, je rejoignis aussi mon foyer les poches vides. En passant par le marché, je heurtai le stand d’un marchand non-juif d’objets en verre et fis tomber sa marchandise par terre. Les ustensiles se brisèrent et il m’administra des coups. Un peu plus tard, je me retrouvai au tribunal. Le juge s’empressa de s’adresser à un expert qui évalua les dégâts à la somme de… onze pièces d’or. Je rentrai chez moi blessé et humilié, outre cette perte financière que j’avais subie.
« Je compris alors que notre Rav avait eu raison et réalisai en même temps la grandeur de D.ieu. Hier, je me suis rendu chez mon ami Yaakov pour lui demander pardon. Ensuite, je suis allé chez notre Maître pour lui raconter la fin de l’histoire. »
Non sans émotion, Naphtali Azaria redescendit de l’estrade, tandis que Rabbi Yé’hiel entama le rituel de la sonnerie du chofar.