'Hayé Sarah 14 Novembre 2020 כ"ז חשון התשפ"א |
|
Un monde éphémère
Rabbi David Hanania Pinto
« La vie de Sarah fut de cent vingt-sept ans ; telle fut la durée de sa vie. » (Béréchit 23, 1)
Pourquoi cette paracha a-t-elle été intitulée d’après le nom de Sarah plutôt que, par exemple, d’après celui d’Eliezer qui se dévoua pour rechercher la conjointe adéquate à Its’hak ?
En marge du verset « toutes les âmes qu’ils avaient faites à ‘Haran » (Béréchit 12, 5), nos Maîtres expliquent qu’Avraham convertissait les hommes et Sarah les femmes.
Le mot guèr, se référant notamment au converti, renvoie également à l’étranger, à un homme errant d’un lieu à l’autre et n’ayant pas de domicile fixe, comme dans le verset « car j’étais un émigré dans une terre étrangère » (Chémot 18, 3). L’homme a tendance à penser que ce monde est une fin en soi, qu’il y vit de manière fixe et éternelle. Aussi s’efforce-t-il de s’assurer une position honorable et confortable, afin de pouvoir mener une vie heureuse. Il investit presque tous ses efforts dans ce sens.
Or, le premier patriarche, épaulé par son épouse, s’évertuèrent à expliquer à leurs contemporains leur erreur : ce monde n’est qu’éphémère et la vie de l’homme limitée, comme il est dit : « La durée de notre vie est de soixante-dix ans et, à la rigueur, de quatre-vingts ans. » (Téhilim 90, 10) Quel était donc l’intérêt de s’investir tellement dans leur existence sur terre, alors qu’ils n’y étaient que de passage ?
A travers leur conception juste du monde, Avraham et Sarah modifièrent celle des autres hommes, qui se mirent à réfléchir différemment. Ils leur enseignèrent la vérité selon laquelle ce monde n’est pas une fin, mais uniquement le moyen d’atteindre le véritable but, des acquis en Torah et en mitsvot, permettant eux-mêmes l’accès au monde futur, éternel et véridique.
C’est la raison pour laquelle le verset parle des « âmes qu’ils avaient faites à ‘Haran », car ils firent d’eux de nouvelles personnes. Ils réalisèrent une véritable métamorphose en leur sein, dans l’esprit de l’affirmation de nos Sages : « Un converti est semblable à un nouveau-né. » (Yévamot 22a) Un individu concevant différemment la vie est un nouvel homme.
Nous pouvons nous demander pourquoi Avraham, qui était très riche – « Avraham était très riche en bétail, en argent et en or » (Béréchit 13, 2) –, ne se fit pas construire un somptueux palais, mais se contenta d’une simple tente. Car, il désirait ainsi enseigner à ses descendants le caractère éphémère de ce monde, dans lequel il ne valait donc pas la peine de s’investir.
Telle fut également la ligne de conduite de nombreux Tsadikim de notre peuple, qui méritèrent de se hisser à un haut niveau parce qu’ils quittèrent leur demeure pour s’installer dans un lieu de Torah. C’est notamment le cas de Rabbi ‘Haïm Pinto, de Rabbi Chlomo Pinto et de son beau-frère, Rabbi Kalifa Malka, auteur de l’ouvrage Kav Vénaki – que leur mérite nous protège. Conscients que ce monde n’est que provisoire, ils furent prêts à s’exiler et à endurer des souffrances pour gagner des acquis en Torah.
Tel est donc le sens de notre verset introductif, « La vie de Sarah fut de cent vingt-sept ans ; telle fut la durée de sa vie » : toute sa vie durant, la matriarche s’investit dans la mission qu’elle s’était donnée, ramener des âmes sous les ailes de la Présence divine. Elle soulignait aux autres femmes le caractère éphémère de ce monde et leur permettait ainsi de prendre conscience de leur réelle raison d’être. De cette manière, elle exerçait son influence sur son entourage. Lorsqu’on place quelqu’un face à la vérité et lui demande ce qu’il répondra lors du jugement ultime, s’il est honnête, il se remettra immédiatement en question et se repentira.
Notons que le terme ‘hayé (vie de) équivaut numériquement à coa’h, signifiant force. Nous y lisons en filigrane que, tout au long de son existence, Sarah déploya toute son énergie à l’enseignement de la vérité à l’humanité : tous sont des étrangers dans ce monde. Elle allumait en eux une flamme sainte, leur permettant de se vouer au service de l’Eternel.
Dès lors, nous comprenons pourquoi cette paracha a été intitulée d’après le nom de Sarah : pour nous enseigner que, malgré son décès, elle continue à vivre parmi nous, à travers la ligne de conduite qu’elle nous a transmise. En étant fidèles à ses enseignements, nous perpétuons son existence.
Pour conclure, soulignons l’efficacité des démarches conjuguées d’Avraham et de Sarah dans le rapprochement des êtres humains de leur Père céleste. En effet, il arrive souvent que la paix conjugale d’un foyer soit fragilisée par le retour aux sources de l’un des conjoints. Par exemple, si le mari a eu le mérite de découvrir la vérité et que son épouse n’en a pas encore eu la chance, des divergences d’opinions apparaissent entre eux. Le cas de figure contraire est aussi possible.
Avraham et Sarah, conscients de ce risque, travaillaient en harmonie. Avraham convertissait les hommes et leurs garçons, et Sarah les femmes et leurs filles. De cette manière, ils ancraient dans tous les membres de la famille une crainte de D.ieu pure, si bien qu’une famille entière découvrait l’existence du Créateur et Le servait d’un cœur entier.
PAROLES DE TSADIKIM
Être attaché à l’argent ou à la vérité
Décrivant la première rencontre entre Lavan et Eliezer, serviteur d’Avraham, le texte insiste sur ce qui attira l’attention du premier : « Lorsqu’il vit la boucle et les bracelets aux bras de sa sœur. » (Béréchit 24, 30) Rachi commente : « Il se dit : “C’est un homme riche” et il fut attiré par son argent. »
Ainsi se conduisent les personnes plongées dans la matérialité ; elles ne pensent qu’à satisfaire leurs désirs, quitte à s’emparer de biens ne leur appartenant pas. A l’inverse, les membres du peuple élu et, en particulier, son élite d’hommes étudiant la Torah évitent à tout prix de profiter de l’argent gagné malhonnêtement, incapable de nous apporter le bonheur.
Le Saba de Slabodka zatsal, grand-père de Rav Nathan Tsvi Finkel zatsal, Roch Yéchiva de Mir, répétait souvent le verset « Toutes les voies de l’Eternel sont grâce et vérité » (Téhilim 25, 10). Il expliquait que les vertus de grâce et de vérité ne font qu’une, comme le laisse aussi entendre le verset « Tu témoigneras à Yaakov la vérité, à Avraham la bienveillance » (Mikha 7, 20). Car, seule la charité découlant de la vérité peut être qualifiée de charité. Une bienveillance contredisant la vérité se contredit également elle-même.
Rav Nathan Tsvi Finkel zatsal était un homme intrinsèquement bon, toujours à l’affût d’actes charitables. Parallèlement, il haïssait le mensonge. Il était si attaché à la vérité que, dès qu’il entendait une parole mensongère, il n’avait pas besoin de la dénoncer comme telle, tant et si bien on pouvait le lire sur son visage.
Dans sa biographie Békhol nafchékha, il est raconté qu’on lui demanda une fois de signer un document grâce auquel la Yéchiva pouvait toucher de très grandes sommes. Ce papier ne contenait pas de mensonges, mais n’était pas non plus totalement véridique. Il refusa catégoriquement d’y apposer sa signature. A une autre occasion, l’un des bureaux de l’Etat fut prêt à lui offrir un million de chékalim, budget qui avait été réservé suite à un an de manœuvres d’un des hommes d’affaires ayant travaillé sur ce projet. Toutefois, lorsque le Roch Yéchiva apprit qu’on avait eu recours à des astuces pour formuler certaines affirmations, il ne voulut en aucun cas accepter cet argent.
Rav Tsvi Partsovitz raconte que le père d’un certain ba’hour voulut remettre à la Yéchiva un demi-million de chékalim, en échange d’une minime faveur pour son fils, qui y étudiait. Cette demande fut présentée à l’un des Raché Yéchiva qui était responsable de ce jeune homme. On demanda à Rav Nathan Tsvi de faire pression sur lui pour qu’il accepte de signer, dans l’intérêt de la Yéchiva. Cependant, il répondit fermement : « Je lui ai confié ce rôle et je ne me mêlerai donc pas un tant soit peu à sa décision, au risque de perdre un demi-million de chékalim, voire même un million. »
Il aimait entendre les avis divergents sur les questions dont il traitait, conscient que le « salut réside dans la multitude [des] conseillers » (Michlé 11, 14). Mais, finalement, après les avoir soigneusement sous-pesés sur la balance de son cerveau, il tranchait ce qu’il convenait de faire d’après la vérité et y adhérait avec intransigeance. Il accueillait avec bienveillance et le sourire ses opposants et les hommes en colère, se souciant même de les contenter, mais jamais au prix de renoncer à la vérité.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Le roi David était âgé, chargé de jours (…) » (Mélakhim I, chap. 1)
Concernant le roi David, la haftara reprend la même expression, « chargé de jours », que celle employée à propos d’Avraham Avinou. En outre, la haftara rapporte qu’avant sa mort, David nomma son fils Chlomo pour lui succéder au trône, de même qu’il est mentionné dans la paracha qu’Avraham donna tous ses biens à Its’hak.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Une foi contagieuse
J’eus un jour l’occasion de discuter avec un célèbre professeur. Lors de notre entretien, je lui soulignai la position de la Torah sur divers sujets scientifiques, tout en insérant dans mon discours les expressions « grâce à D.ieu » et « avec l’aide de D.ieu ».
Il fut très impressionné par ces paroles qu’il entendait pour la première fois et par les preuves percutantes que je lui apportais, en citant des ouvrages saints.
En outre, après m’avoir plusieurs fois entendu répété le Nom de l’Eternel, preuve de ma foi en D.ieu, il m’affirma que, malgré ses origines juives, il n’était pas croyant. C’est du moins ce qu’il prétendait, car l’expression de son visage témoignait qu’il n’était pas totalement entier avec ce qu’il disait. Je pensais donc qu’il reviendrait bientôt sur ses paroles. Cependant, son mauvais penchant prit le dessus et, bien qu’il constatât la véracité de la Torah face à la nullité de la science, il campa sur ses positions et refusa de reconnaître son erreur.
Si je ne parvins pas immédiatement à le rapprocher de nos sources, le fait qu’il finit par reconnaître ses racines juives – ce qu’il ne fit pas au départ – prouve que l’étincelle juive enfouie en son sein avait néanmoins été ravivée.
Grâce à D.ieu, de temps à autre, j’ai le plaisir de constater les changements positifs qui s’opèrent en lui, même si la voie du retour est encore bien longue. A l’heure actuelle, fier de ses origines, il s’affiche publiquement en tant que Juif. Il s’intéresse de plus en plus aux fêtes juives et progresse beaucoup dans la pratique et la reconnaissance du Créateur. Nul doute que le Saint béni soit-Il lui dessillera bientôt les yeux pour lui permettre de Le reconnaître pleinement.
CHEMIRAT HALACHONE
Les traits de caractère
Un exemple courant de blâme consiste à affirmer qu’untel a de mauvais traits de caractère. Il est donc interdit de dire de son prochain qu’il se met facilement en colère, qu’il est avare ou orgueilleux.
Dans le cas où le qualificatif de « moyen » est péjoratif, il sera aussi considéré comme de la médisance.
D’après le principe évoqué la semaine dernière selon lequel tout dépend du niveau de la personne dont on parle, affirmer qu’un homme connu pour sa piété ne dépasse en réalité pas la moyenne est certainement de la médisance.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Une tradition se perpétuant éternellement
Dans notre paracha, nous pouvons lire : « Its’hak la conduisit dans la tente de Sarah, sa mère (…) et il se consola d’avoir perdu sa mère. » (Béréchit 24, 67) Rachi explique que, tant que Sarah vivait, une lumière était allumée d’une veille de Chabbat à l’autre, la bénédiction était dans la pâte qu’elle pétrissait et une nuée était fixée au-dessus de la tente. Quand elle décéda, tout cessa. Et quand Rivka vint, tout reprit.
Cela signifie que, lorsqu’Its’hak constata que les bonnes actions de sa mère continuaient à se perpétuer après son départ de ce monde, à travers Rivka, il se consola de l’avoir perdue, car, c’était tout comme si elle vivait encore. En effet, elle n’était morte que physiquement, mais ses vertus et bonnes œuvres persistaient encore.
Ceci nous permet de mieux comprendre le verset « Avraham vint pour dire sur Sarah les paroles funèbres et pour la pleurer » (Béréchit 23, 2), où le terme livkota est écrit avec un petit Kaf. Nos Sages expliquent qu’il ne se lamenta pas outre mesure du décès de son épouse, parce qu’il ne ressentit presque pas son départ.
Le lien qu’il avait avec Sarah de son vivant était encore existant. Il ressentait que la force de celle-ci, qui l’avait assisté dans le rapprochement de leurs contemporains de leur Père céleste, continuait à agir en lui, tandis que ses bonnes actions et ses vertus avaient une suite. Il n’y avait donc pas lieu de pleurer sa disparition, puisqu’elle continuait à vivre à travers ses bonnes œuvres, héritage qui se perpétua de génération en génération.
Ce potentiel se trouve en tout Juif. S’il parvient à surmonter les épreuves de son existence et sanctifie le Nom divin dans le monde malgré les difficultés, cela prouve que ces forces lui ont été transmises, comme si Avraham et Sarah vivaient encore parmi nous, leur mode de vie, empreint de pureté, nous ayant été légué. Si nos ancêtres ne sont plus là, leur exemple et leurs enseignements le sont, conformément à l’enseignement de nos Maîtres : « Le mérite de leurs ancêtres les soutient ; le souvenir de leur piété subsistera à jamais. » (Avot 2, 2)
PERLES SUR LA PARACHA
Mourir en faisant une mitsva
« Sarah mourut à Kiriat-Arba, qui est ‘Hevron, dans le pays de Canaan. » (Béréchit 23, 2)
Rachi explique que le décès de Sarah est juxtaposé à l’épisode de la akéda, parce que, lorsqu’elle apprit que son fils faillit être sacrifié, son âme la quitta et elle mourut.
Dans son ouvrage Taama Dékra, Rav ‘Haïm Kanievsky chelita s’interroge sur le fait qu’elle soit décédée suite à l’annonce de cet épisode, alors que « les messagers d’une mitsva ne subissent pas de préjudice ». La même difficulté apparaît dans un passage de Guémara (Chabbat 118b) où Rabbi Yossi s’exclame : « Puissé-je compter de ceux qui meurent en route pour une mitsva ! »
C’est que, le principe précité signifie que l’accomplissement d’une mitsva n’entraînera jamais aucun malheur. Cependant, s’il a déjà été décrété qu’un jour donné, untel aura atteint le terme de sa vie, ce sera un mérite pour lui de conclure son existence par l’observance d’une mitsva. Il sera considéré comme étant mort en sanctifiant le Nom divin. Tel est bien le sens du vœu exprimé par le Tana dans le Talmud : que l’heure prévue pour sa disparition coïncide avec l’exécution d’un commandement.
Il en est de même concernant Sarah. D.ieu lui avait imparti cent vingt-sept années de vie et elle eut l’insigne mérite de quitter ce monde suite à l’annonce d’une mitsva.
La satisfaction divine résultant de nos efforts pour une mitsva
« Le serviteur courut au-devant d’elle. » (Béréchit 24, 17)
Rachi explique qu’Eliezer courut vers Rivka après avoir vu que les eaux étaient miraculeusement montées à sa rencontre. Le Ramban souligne en effet que, la première fois, il est écrit « elle emplit sa cruche et remonta », tandis qu’uniquement la deuxième, il est précisé « elle puisa », ce qui laisse entendre que, seulement alors, elle dut puiser.
Mais pourquoi ne bénéficia-t-elle pas de ce miracle également la deuxième fois ?
L’auteur du Kédouchat Halévi explique que, la première fois, elle était venue puiser de l’eau pour ses besoins personnels, aussi l’Eternel lui accorda-t-Il un miracle en faisant en sorte que les eaux montent à sa rencontre, afin qu’elle ne doive pas fournir trop d’efforts. Mais, la seconde fois, son intention était de pratiquer de la bienfaisance envers Eliezer en lui donnant à boire, ainsi qu’à ses chameaux, et elle n’eut donc pas un tel prodige. Pour quelle raison ?
Car, lorsqu’un homme accomplit une mitsva, le Saint béni soit-Il préfère qu’il exécute lui-même l’action, plutôt qu’elle ne se fasse d’elle-même par un miracle, tout effort déployé dans ce sens Lui procurant de la satisfaction.
L’ange avec soi ou devant soi ?
« Lui-même enverra Son ange devant toi. » (Béréchit 24, 7)
Telle était l’assurance formulée par Avraham à Eliezer. Mais, lorsque celui-ci raconta le déroulement des faits à Lavan, il modifia en disant « Lui-même enverra Son ange avec toi ». Quelle est la différence ?
Dans l’ouvrage Béma’hachava Té’hila, il est expliqué que, lorsque l’ange avance devant l’homme, il se soucie de lui aplanir la route et de lui enlever tous les obstacles. Par contre, quand il chemine avec l’homme, même s’il parvient à anticiper le danger et à l’éviter miraculeusement, l’homme doit attendre qu’il termine cette tâche.
Avraham pria pour la réussite d’Eliezer dans la mission qu’il venait de lui confier. Il ne se contenta pas de demander à l’Eternel de lui envoyer Son ange, mais Lui demanda qu’il le précède et ôte toute embûche de son chemin, de sorte qu’il puisse avancer rapidement et sans rencontrer la moindre difficulté.
Nous en déduisons que, lorsque nous prions le Saint béni soit-Il de nous accorder le salut, nous devons L’implorer pour un salut optimal. Par exemple, plutôt que de prier pour la réussite d’une opération, il nous incombe de prier pour une guérison complète, ne nécessitant pas l’intervention de médecins ni l’usage de médicaments.
Quant à Eliezer, en racontant que l’ange de l’Eternel l’a accompagné, et non précédé, il nous enseigne une leçon d’humilité. En outre, bien qu’il déployât le maximum d’efforts dans sa mission, il ne s’attribua pas le mérite de sa réussite et reconnut au contraire qu’elle était à créditer au Très-Haut.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Au cours de son récit où il loue l’Eternel de l’avoir assisté dans sa mission, Eliezer, serviteur d’Avraham, emploie l’expression si courante dans nos cercles, « grâce à D.ieu » : « Béni soit l’Eternel (baroukh Hachem), D.ieu de mon maître Avraham, qui n’a pas retiré Sa grâce et Sa fidélité à mon maître ! » (Béréchit 24, 27) A cet égard, l’édifiante histoire figurant dans l’ouvrage Arié Chaag, de Rabbi Arié Chakhter zatsal, nous permettra de prendre conscience de la manière dont nous devons louer l’Eternel à chaque pas de notre vie.
« Deux semaines avant son décès, le ‘Hazon Ich zatsal m’envoya étudier à la Yéchiva de Mir, à Jérusalem, auprès de l’un de ses élèves, un éminent érudit nommé Rabbi Moché Yéhochoua Landau zatsal, homme qui cachait sa piété.
« Quelques années plus tard, Rabbi Moché Yéhochoua tomba malade et je l’accompagnai en Amérique où il devait subir un traitement médical. A cause de sa maladie, il se desséchait très vite et devait boire très régulièrement. Je pris donc l’habitude d’emporter avec moi deux bouteilles de jus d’orange, afin qu’il puisse boire dès qu’il en ressentait le besoin.
« Le mercredi soir, le traitement fut achevé. Rabbi Moché Yéhochoua voulait absolument retourner en Israël avant Chabbat, mais les vols de cette fin de semaine étaient déjà complets. Aussi, nous nous inscrivîmes sur la liste d’attente et nous rendîmes à l’aéroport, dans l’espoir que des places se libèrent.
« Malheureusement, vingt-sept personnes s’étaient inscrites avant nous et nous n’avions donc pas trop de chances de pouvoir nous envoler avant le jour saint. Pourtant, Rabbi Moché Yéhochoua ne se découragea pas et ne voulut pas quitter les lieux.
« A cette époque, la compagnie El-Al faisait une remise de 90 % aux voyageurs malades et à leurs accompagnateurs, remise à laquelle nous avons eu droit. Je montrai nos tickets particuliers à l’employée responsable du prochain vol et lui dis : “Vu le type de billets que nous détenons, vous pouvez aisément vous imaginer notre état. Veuillez bien nous donner la priorité si des places se libèrent.” Elle se montra compréhensive, mais ne pouvait rien nous promettre. Elle nous assura cependant, d’un air encourageant : “Si deux personnes inscrites sur ce vol ne se présentent pas, je vous donnerai leurs places.”
« Soudain, je remarquai un autre employé qui semblait assez influent et décidai de m’adresser à lui pour lui expliquer notre situation et recourir à son aide. Mais j’eus vite fait de regretter. Il s’agissait d’un homme dur et sans cœur. En voyant nos billets obtenus à prix réduit, il nous jeta : “Vous n’avez payé que dix pour cent du prix et, donc, si d’autres gens demandent eux aussi à prendre ce vol, ils ont priorité sur vous, même s’ils se présentent après.”
« Je tentai de lui expliquer que le Rav, malade, se trouvait dans un mauvais état et qu’il fallait donc le faire passer avant les autres. Mais, à mon grand désarroi, mon plaidoyer ne fit qu’entraîner l’inverse du résultat escompté.
« “Malade ? hurla-t-il. Je ne vous laisserai pas monter dans l’avion tant que vous ne m’aurez pas apporté un certificat médical attestant qu’il est en état de voyager, même s’il y a des places libres !”
« Comprenant à qui j’avais affaire, je m’éloignai de cet individu. Soudain, j’entendis l’annonce suivante dans les haut-parleurs : “Rabbi Landau, Rabbi Chakhter, veuillez vous présenter au check in.”
« A la dernière minute, des places s’étaient libérées. L’espace d’un instant, je ressentis un soulagement, inopinément interrompu par l’apparition du responsable intransigeant, qui vint se mêler. “Tu fais entrer ces gens-là dans l’avion ?” lança-t-il à l’employée. Et, aussitôt, joignant le geste à la parole, il s’empara des tickets et s’éloigna.
« Rabbi Moché Yéhochoua se mit à le suivre dans l’intention de le supplier de nous laisser voyager, mais je lui dis : “Ce serait temps perdu ; c’est un homme cruel. Ayons plutôt recours à la célèbre ségoula de nous concentrer sur la toute-puissance divine – « Il n’est rien en-dehors de Lui » – et, avec l’aide de D.ieu, il cessera de nous importuner.”
« Il sourit, se tint debout dans un coin, se concentra et se plongea dans ses pensées. Moins de deux minutes avaient passé que l’employée qui nous avait appelés apparut, lui arracha les billets de la main et le gronda d’être intervenu dans ce qui ne le concernait pas. On nous fit alors entrer immédiatement dans l’avion.
« Après plusieurs heures tendues d’efforts, de plaidoirie et d’incertitude, nous pûmes enfin nous affaler sereinement sur les sièges de l’appareil. Eprouvant une soif puissante, j’étais très pressé de me désaltérer. Je pensai alors : “Si j’ai moi-même si soif, que doit donc ressentir Rabbi Moché Yéhochoua ?”
« J’avais des bouteilles de jus, mais pas de verres. Je voulais en demander aux hôtes de l’air, mais ils étaient occupés à arranger un petit problème technique survenu au niveau des ailes de l’avion. Rabbi Moché Yéhochoua craignait que, si je les dérangeais à ce moment-là, cela profanerait le Nom divin. J’envisageai un moment de boire directement de la bouteille, mais, là aussi, il me dissuada pour la même raison.
« La réparation dura un bon instant et nous pouvions désormais demander des verres aux stewards. Les lèvres et la gorge sèches, je versai deux verres de boisson et m’apprêtai à prononcer la bénédiction, quand le Tsadik m’arrêta pour me dire : “Attends encore un instant ! Je veux t’apprendre comment on récite une brakha. On doit tout d’abord songer aux nombreux bienfaits accomplis par l’Eternel en notre faveur pour que nous puissions désaltérer notre soif. Premièrement, Il a créé des hommes et les a dotés d’intelligence pour travailler la terre, y planter des arbres fruitiers, les arroser et les élever durant plusieurs années pour qu’ils donnent leurs fruits. Une fois que les fruits ont poussé, le travail n’est pas terminé. Il faut que des gens viennent les cueillir. Puis, des chauffeurs conduisant des camions viennent les chercher et les amener à un entrepôt. Ensuite, des ouvriers travaillant dans une usine produisant des jus de fruits les pressent. Parallèlement, d’autres ouvriers employés dans une usine différente participent à la fabrication de bouteilles, tandis qu’une troisième fournit les cartons dans lesquels les bouteilles seront emballées. Enfin, dans une quatrième usine, des dizaines de gens contribuent à la production de verres. Les nombreuses étapes de cette chaîne sont réalisées par des êtres humains créés par l’Eternel et dotés de sagesse pour parvenir à de telles réalisations. Tout ceci, afin de nous permettre finalement de boire un verre de jus d’orange désaltérant notre soif…”
« Rabbi Moché Yéhochoua poursuivit encore de longues minutes sa description des bontés divines, puis conclut avec émotion : “Maintenant, tu peux comprendre comment on doit réciter une bénédiction. Quand nous disons chéhakol nihya bidvaro, nous devons penser à l’ampleur de la grâce du Saint béni soit-Il et Lui en exprimer notre reconnaissance. Combien Lui sommes-nous redevables pour l’immense bonté qu’Il nous témoigne à chaque instant ! Béni Celui qui comble tous nos besoins !” »