Vaéra 16 Janvier 2021 ג שבט התשפ"א |
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Le but du vêtement
Rabbi David Hanania Pinto
« Je veux vous soustraire aux tribulations de l’Egypte et Je vous délivrerai de leur servitude ; Je vous ferai sortir avec un bras étendu et par de grands jugements. Je vous prendrai pour Moi comme peuple. » (Chémot 6, 6-7)
Nos Sages soulignent les quatre expressions de délivrance mentionnées dans ce verset. D’après le Midrach Léka’h Tov, elles sont parallèles à quatre mérites grâce auxquels nos ancêtres furent délivrés d’Egypte : ils furent fidèles à leur langue, à leurs coutumes vestimentaires, pratiquèrent la circoncision et ne révélèrent pas leur secret.
Nos Maîtres donnent beaucoup d’importance à la manière dont le Juif s’habille, conformément à la tradition reçue de ses pères. Ces coutumes sont si prépondérantes que leur respect valut aux enfants d’Israël la libération d’Egypte. Tentons de comprendre pourquoi la Torah accorde une si grande place à l’aspect et au style du vêtement, simple morceau de tissu placé sur le corps de l’homme et ne correspondant pas à son essence. Quel est donc son pouvoir, qui contribua à mettre un terme à l’exil égyptien ?
En remontant jusqu’aux temps immémoriaux de la création, on trouvera que le premier vêtement fut confectionné suite au péché d’Adam, en conséquence aux assauts du serpent originel. Avant cela, « ils étaient tous deux nus, l’homme et sa femme, et ils n’en éprouvaient point de honte » (Béréchit 2, 25). Puis, après qu’ils consommèrent du fruit de l’arbre de la connaissance, « leurs yeux à tous deux se dessillèrent et ils connurent qu’ils étaient nus ; ils cousirent ensemble des feuilles de figuier et s’en firent des pagnes » (ibid. 3, 7).
Alors qu’aujourd’hui le vêtement fait partie des nécessités les plus basiques de l’homme et représente un impératif pour tout être humain sensé, avant la faute, il n’était d’aucune utilité. C’est elle qui l’a rendu indispensable. Si l’on approfondit encore le sujet, on découvrira là une contradiction.
Comme nous l’avons dit, l’homme se couvre d’un vêtement afin d’honorer son rang d’être humain doué d’intelligence ; plus il est respectable, plus il se couvre pour dissimuler son corps et vénérer sa dignité. A l’inverse, les gens d’un piètre niveau se méprisent en déambulant à moitié couverts. Quant aux animaux, non dotés d’intelligence, ils marchent entièrement nus. Or, avant le péché, la notion de vêtement était complètement superflue en regard du niveau élevé du premier couple de l’humanité. Qu’en est-il donc : le fait de se vêtir atteste-t-il une déchéance ou exprime-t-il, au contraire, la dignité humaine ?
De fait, l’homme a été créé selon un modèle parfait, à l’image de son Créateur. Le Très-Haut lui a alloué un corps achevé, une âme immaculée, des traits de caractère droits et purs, dépourvus de tout mal. En effet, avant le péché, Adam n’avait pas de mauvais penchant ; les forces du mal régnant dans le monde étaient extérieures à lui. Après la faute, le serpent introduisit en l’homme le mal sous la forme du mauvais penchant qui, désormais, s’installa en son sein pour l’influencer et tenter de le prendre sous sa coupe.
C’est pourquoi, avant le péché, quand Adam était encore pur et parfait, il n’avait pas besoin de vêtement, celui-ci ayant pour but de dissimuler le mal. Si le mauvais penchant existait certes déjà avant le péché, il était incarné par le serpent et ne faisait pas partie intégrante de l’homme. Extérieur à lui, il avait la possibilité de le faire trébucher. Pour contrebalancer le mauvais penchant, l’Eternel a créé la Torah, force capable de le subjuguer et assurant ainsi une protection à l’homme contre ses attaques. Toutefois, suite au péché, le mal s’introduisit en l’homme, qui devint foncièrement mauvais, animé de désirs physiques. Dès lors, survint le besoin du vêtement pour recouvrir le corps de l’homme, siège de tendances animales et mauvaises, et l’aider à dominer son penchant.
A présent, notre contradiction se trouve résolue. Avant le péché, la grandeur d’Adam et de ‘Hava les dispensait de se recouvrir, car, vu leur pureté extrême et l’absence de mauvais penchant en eux, ils n’avaient rien à cacher. Depuis que ce péché a été perpétré, le mal investit l’homme, qui doit donc couvrir son corps par des vêtements. Le concept du vêtement n’existe que sur terre ; il n’a pas de place dans le monde spirituel des anges.
Cela étant, les nations du monde ont inversé le but véritable du vêtement, en lui donnant sciemment un caractère impudique et léger, de sorte à amplifier l’impureté dans le monde. Alors qu’à l’origine, il avait été conçu pour cacher les mauvaises tendances de l’homme, l’aider à dompter son penchant et s’élever spirituellement, voilà qu’ils l’utilisent pour mettre le corps en valeur et le rendre séduisant.
D’où la prépondérance que la Torah accorde aux coutumes vestimentaires et l’éloge fait à nos ancêtres qui les respectèrent. L’habit du Juif se distingue de celui du non-juif, pas uniquement par son aspect et son style, mais aussi et surtout par son essence et sa fonction. En Egypte, les enfants d’Israël restèrent fidèles à ces coutumes afin de se distinguer de la conception des autochtones sur le rôle du vêtement. Ceci leur donna le mérite de devenir le peuple de l’Eternel, appelé à recevoir la Torah, ce qui leur valut la délivrance.
Je me souviens que mon père et Maître – que son mérite nous protège –, qui se cloîtra chez lui pendant quarante années consécutives et préserva la pureté de son regard, ne transpirait jamais ni ne dégageait de mauvaise odeur. Car, plus un homme se sanctifie, plus son corps devient spirituel et échappe aux lois physiques de la nature.
CHEMIRAT HALACHONE
Quand on parle à autrui d’une tierce personne, on ignore ce que cela va entraîner et comment nos propos seront ensuite répétés. Il se peut qu’ils arrivent ensuite aux oreilles de celle-ci ou même qu’ils lui soient directement prononcés.
C’est pourquoi il est interdit de raconter sur son prochain toute parole qui risquerait de l’humilier ou de le peiner si on la disait devant lui, même si elle ne contient aucun blâme.
Par exemple, il est interdit de raconter que quelqu’un est un baal téchouva, si celui-ci est sensible à ce sujet. Cela reste valable même dans une communauté où les repentis jouissent d’une grande estime.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Ainsi parle le Seigneur D.ieu (…). » (Yé’hezkel chap. 28)
Lien avec la paracha : dans la haftara sont évoquées les prophéties relatives à la chute de l’Egypte, sujet que l’on retrouve dans la paracha, où sont décrites les plaies par lesquelles l’Eternel frappa ce pays.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Les mots justes
Je reçus à l’occasion le public à Bné Brak. Parmi mes visiteurs, deux femmes entrèrent successivement pour me consulter concernant leurs problèmes respectifs.
Lorsque la première entra, avant même qu’elle n’ait commencé à parler, il me vint à l’esprit de lui poser la question suivante : « Comment se porte votre mari au niveau de la digestion ? »
Ses pensées pouvant être lues sur son visage, je constatai qu’elle restait muette d’étonnement. Elle était précisément venue me consulter concernant les terribles maux de ventre dont son mari souffrait et, avant même qu’elle ne m’ait exposé le problème, je l’évoquai spontanément !
Comme elle gardait le silence, je continuai : « Ne vous inquiétez pas. Si D.ieu veut, votre mari va bientôt guérir. Dites-lui qu’il n’a pas besoin de faire des examens ni de consulter des médecins, mais seulement de continuer à étudier la Torah avec assiduité ! » Grâce à D.ieu, le mari de cette femme guérit complètement par le mérite de l’étude.
Ma visiteuse suivante était une amie de cette dame, avec laquelle elle était venue. Cette fois aussi, avant qu’elle n’ait eu le temps de parler, je lui demandai : « Que se passe-t-il avec vos reins ? Vous devez beaucoup boire. »
La réaction de cette femme ne fut pas sans rappeler celle de son amie : elle se demandait comment j’avais pu deviner le motif de sa visite – ce n’est que par le mérite de mes ancêtres. En effet, du fait que j’étudie leurs enseignements de Torah, le Saint béni soit-Il place dans ma bouche les mots justes pour chacun de mes visiteurs, de sorte que je puisse aider mes frères à résoudre leurs différents problèmes.
Je bénis ensuite cette dame, lui souhaitant de guérir entièrement, tout en lui rappelant qu’il fallait qu’elle continue à boire énormément. Grâce à D.ieu, elle aussi guérit et quand elle publia cette anecdote, il en résulta un grand kidouch Hachem.
PAROLES DE TSADIKIM
La querelle et la grenouille
Dans son ouvrage Arié Chaag, Rav Arié Shakhter zatsal déduit un remarquable message de la plaie des grenouilles.
Comme nous le savons, elle commença par une seule grande grenouille qui, sortant du fleuve, se traînait lourdement. Les Egyptiens, voulant la chasser de leur territoire, la frappèrent de toutes leurs forces. Mais, suite à chacun de ces coups, de nouvelles grenouilles sortirent de la première, pour bientôt envahir l’ensemble du pays.
Si quelqu’un avait assisté à ce spectacle, il leur aurait logiquement fait remarquer : « Etes-vous devenus fous ? Ne voyez-vous pas qu’à chaque fois que vous frappez cette grenouille, elle en produit d’autres ? Vos coups ne servent à rien. Laissez-la donc tranquille et arrêtez de la frapper ! »
Mais, telle est la nature de l’homme. Lorsqu’il agit sous l’effet de la colère, il perd ses moyens et devient irraisonnable ; il se conduit bêtement et ne remarque pas que cela ne mène à rien et va parfois même à l’encontre du résultat escompté.
Le Steipler zatsal, auteur du Kéhilot Yaakov, explique que le même schéma peut être observé lors des querelles. Quand un individu est confronté à son prochain, au lieu de s’abstenir de réagir, il lui rend au moins la pareille. A son tour, l’autre en fait de même et ainsi de suite, sans fin, le feu de la querelle étant attisé.
Si l’on s’adresse à l’un des adversaires pour tenter de le raisonner en lui expliquant qu’il ne sert à rien de répondre, cela ne faisant que lui attirer des ennuis et des humiliations supplémentaires, il nous rétorque : « Pas du tout ! C’est lui qui m’a provoqué, je vais lui montrer ce dont je suis capable… » Malheureusement, chaque riposte entraîne de nouvelles « grenouilles » et amplifie le feu de la dispute.
C’est pourquoi, lors de toute dispute, il est conseillé de se souvenir du verset « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, Je suis l’Eternel ». Garder le silence n’est certes pas une tâche aisée quand nous subissons des injures, parfois même en public. Mais, si nous nous rappelons que l’Eternel, qui observe tout ce qui se passe, remarque notre abnégation face à ces injures, il nous sera plus facile de garder notre langue et d’être de ceux qui sont blessés mais ne blessent pas autrui.
En outre, nous garderons bien à l’esprit la réalité selon laquelle toute souffrance que nous endurons dans ce monde n’est pas le fait du hasard, mais a été programmée en haut. Nous réaliserons alors que nos humiliateurs ne sont que des envoyés de D.ieu, devant nous faire souffrir à cause de nos péchés. Il serait donc ridicule de chercher à les combattre et il nous appartient plutôt de passer nos actes à la loupe pour déterminer la cause profonde de cette adversité.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La portée du libre arbitre
« Les devins de Paro en firent autant par leurs sortilèges et le cœur de Paro s’endurcit et il ne leur céda point. » (Chémot 7, 22)
Rachi cite l’avis de nos Sages affirmant que les sortilèges, évoqués dans ce verset, se réfèrent à l’action des démons.
« Dix choses furent créées la veille de Chabbat au crépuscule : (…) et certains ajoutent : les esprits malfaisants », nous enseignent nos Maîtres (Avot 5, 6). D’après le Barténoura, il s’agit des démons. Ceux-ci ont été créés pour remplir une fonction bien précise, indiquée par leur nom, mazikin : causer des dommages et punir qui le mérite, selon l’ordre de l’Eternel, qui les utilise comme un bâton pour administrer des coups. C’est la raison pour laquelle Noa’h les fit entrer dans son arche pour qu’ils échappent au déluge, le monde ayant besoin d’eux.
Dès lors, nous sommes confrontés à la question suivante : comment les démons, qui sont tels des anges de D.ieu se pliant à Sa parole, aidèrent Paro et ses magiciens à entraver l’éclat de la royauté et de la domination divines sur le monde, qui devenaient manifeste en Egypte par le biais de la plaie du sang ? De même, comment méprisèrent-il les envoyés du Saint béni soit-Il, Moché et Aharon ?
L’homme dispose du libre arbitre. Habituellement, nous comprenons ce concept comme la possibilité qui lui est offerte de décider comment se conduire, quels actes exécuter avec son corps. Or, cela va encore plus loin : il peut également utiliser à sa guise les forces de la nature, originellement conçues par le Très-Haut pour Son honneur et la révélation de Sa gloire. Il est capable de détourner de leur fonction essentielle des créatures destinées à être les émissaires de l’Eternel, en les faisant agir à l’encontre de Sa volonté – à D.ieu ne plaise.
Une responsabilité considérable repose donc sur les épaules de l’homme. Le Créateur a littéralement remis entre ses mains les rênes de Son monde. Elite de la création, il la dirige selon son comportement, pour le meilleur et pour le pire. Tel est le sens de l’avertissement divin adressé à Adam : « Veille à ne pas endommager et détruire Mon monde. » L’homme a le pouvoir, non seulement de porter atteinte à sa propre personne et à son âme, mais aussi à l’ensemble des créations, qui n’ont vu le jour que pour contribuer à la révélation de la royauté divine, comme il est dit : « Tous ceux qui se réclament de Mon Nom, tous ceux que, pour Ma gloire, J’ai créés, formés, organisés. » (Yéchaya 43, 7)
Le libre arbitre a été donné à l’homme afin de justifier la récompense à laquelle il touchera en rétribution de ses actes. En effet, si celui désirant mal se comporter et utiliser à mauvais escient les forces de la nature, normalement au service de D.ieu, s’en trouvait empêché, il n’aurait plus de liberté d’action. Il constaterait clairement que sa conduite est indésirable. Même s’il s’éloignait du mal et pratiquait le bien, il ne pourrait pas être rétribué, car il agirait ainsi sous la contrainte.
Dès lors, nous comprenons comment les magiciens utilisèrent les démons pour annihiler la foi en D.ieu, alors que c’était en contradiction totale avec leur mission – punir les pécheurs et démontrer l’existence d’un Juge et d’un jugement. En effet, le libre arbitre donné à l’homme veut qu’il dispose d’un choix absolu dans sa conduite et dans son recours aux forces naturelles.
Le Saint béni soit-Il est appelé un « Roi offensé ». Le Ramak explique, dans Tomer Dévora, qu’à l’instant même où un homme commet un péché, l’Eternel déverse sur lui un flux de vitalité et lui accorde les forces nécessaires pour y parvenir. Il utilise alors ces forces, reçues du Créateur, pour enfreindre Sa volonté, mais elles ne lui sont pourtant pas retirées.
PERLES SUR LA PARACHA
Nous ne jalousons pas les nations du monde
« Je vous prendrai pour Moi comme peuple et Je serai votre D.ieu. » (Chémot 6, 7)
Un jour de Roch Hachana, Rabbi Méchoulam Zoucha d’Anipoly – que son mérite nous protège – sortit de la synagogue avant les sonneries du chofar. Dans la rue, il vit un jeune enfant juif de famille pauvre, vêtu de haillons et ayant mauvaise mine. Il lui demanda : « Mon fils, n’es-tu pas jaloux des non-juifs qui se délectent de mets savoureux et portent des habits princiers ? »
Il répondit : « Non ! Je ne suis pas du tout jaloux d’eux. J’ai plus de chance qu’eux : je suis Juif et crois en D.ieu. »
Le Sage retourna à la synagogue et s’écria : « Maître du monde, constate la grandeur de Ton peuple Israël, peuple de prédilection ! Même un jeune enfant affamé et portant des habits déchirés accepte son sort avec amour, heureux de compter parmi Ton peuple. »
L’intérêt personnel prend le dessus sur celui du peuple
« Intercédez pour moi. » (Chémot 8, 24)
Paro, roi impie, incarne l’égoïsme propre à tous les rois du monde, qui ne sont préoccupés que par leur intérêt personnel.
Comme il est souligné dans l’ouvrage Taam Védaat, Paro ne demanda à Moché et Aharon que d’intercéder en sa faveur. Le sort de son peuple lui importait peu. A l’inverse, les rois d’Israël et ses grands Rabbanim sont toujours à l’écoute des membres du peuple et se soucient davantage de leur bien-être que du leur.
Les magiciens renièrent la foi dans les justes
« Les devins dirent à Paro : “C’est le doigt de D.ieu !” » (Chémot 8, 15)
Si les magiciens reconnurent la main divine à l’œuvre à travers les plaies, pourquoi furent-ils ensuite frappés par de nouvelles ?
A la lumière du Targoum Yonathan, l’auteur de l’ouvrage Siman Tov répond à cette question, citant l’ancien ‘hassid Rabbi ‘Haïm Nata Katz zatsal : les magiciens reconnurent effectivement que l’Eternel était à l’origine de la plaie de la vermine, mais ils renièrent le fait qu’Il avait transmis à Ses émissaires, Moché et Aharon, le pouvoir de l’appliquer.
En d’autres termes, ils n’eurent pas foi dans le pouvoir des Tsadikim. C’est pourquoi, bien qu’ils admissent celui de D.ieu, ils furent victimes des plaies suivantes.
Une délivrance inconditionnelle
« Je ferai une séparation entre Mon peuple et ton peuple. » (Chémot 8, 19)
L’auteur du Ohev Chalom interprète ainsi les propos de l’Eternel : Je libérerai Mon peuple «qu’il soit Mon peuple» (ben ami), c’est-à-dire se conduise en tant que tel, ou « ton peuple » (ben amékha), c’est-à-dire adopte le comportement des Egyptiens – à D.ieu ne plaise. Dans tous les cas, Je le libérerai.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
En marge du verset « Dis à Aharon : Etends ta verge et frappe la poussière de la terre » (Chémot 8, 12), Rachi, citant l’interprétation de nos Sages, commente : « La poussière ne méritait pas d’être frappée par Moché, car elle l’avait protégé quand il avait tué l’Egyptien – “et il le cacha dans le sable” (ibid. 2, 11). Elle a donc été frappée par Aharon. »
Nos Maîtres se réfèrent à l’épisode lors duquel Moché vit un Egyptien frapper un Juif, auquel il voulut venir en aide. D’après le Zohar, il frappa le premier de son bâton et le tua. Il l’ensevelit ensuite dans le sable.
Mais, le sable fit-il quelque chose de particulier pour lui ? Evidemment que non. Cependant, du fait que Moché l’utilisa pour cacher le corps de l’Egyptien, il devait lui être reconnaissant et se garder de le frapper pour susciter la plaie des poux.
Pourtant, cet élément de la nature est dépourvu d’âme ; il ne ressent ni de peine quand on le blesse ni d’honneur, le cas échéant. Aussi, quelle différence si Aharon ou Moché le frappait pour entraîner que les poux en sortent et envahissent l’Egypte ?
S’appuyant sur les ouvrages saints, Rabbi Meïr Rovman zatsal en déduit un enseignement édifiant : le devoir de reconnaissance ne se limite pas à exprimer celle-ci à notre bienfaiteur. Il ressort du Midrach que l’obligation de se sentir redevable n’a pas pour but d’éviter de blesser son bienfaiteur, puisque le sable est un objet inanimé, incapable de comprendre que Moché s’est abstenu de se montrer ingrat à son égard.
Quel est donc l’intérêt d’exprimer sa reconnaissance à un objet ? Rav Rovman explique que, si celui-ci demeure certes insensible à notre attitude vis-à-vis de lui, nous devons néanmoins nous montrer reconnaissants, afin de ne pas devenir ingrats. Il ne s’agit pas de rendre la pareille à une créature inanimée, mais de réaliser et de ressentir qu’elle nous a rendu service. Or, pour parvenir à ce sentiment, il faut lui témoigner du respect et ne pas lui faire de mal.
Aussi, même dans le cas d’un minéral dépourvu de sentiment, nous devons nous comporter de la sorte, afin de nous habituer à être reconnaissants envers toute créature, de sensibiliser notre âme et d’implanter en elle cette merveilleuse vertu. C’est pourquoi l’Eternel ordonna à Moché de ne pas frapper lui-même le sable, de sorte à lui permettre de ressentir, profondément dans son cœur, le bienfait qu’il lui avait rendu. La reconnaissance est donc une vertu que l’homme doit s’efforcer d’acquérir, en se sentant redevable envers toute chose lui ayant rendu service.
Dans son ouvrage Machkhéni A’harékha, Rav Réouven Elbaz chelita fait remarquer que, plus un homme est modeste, plus ce sentiment est puissant en lui. Même si on ne lui a fait qu’une petite faveur, il en est très reconnaissant, sentiment qui perdure encore en lui de nombreuses années. A l’inverse, l’orgueilleux considère toujours que tout lui est dû et que tous doivent l’honorer. Quand on lui rend service, il ne l’admet pas comme tel et estime donc ne pas devoir remercier autrui. Imbu de lui-même, il ne parvient pas à agir à son tour en faveur de son bienfaiteur.
Il nous incombe de nous travailler pour donner sa juste valeur à la faveur dont nous avons bénéficié et considérer qu’elle n’a été faite que pour nous ; de cette manière, nous nous sentirons automatiquement redevables. Le fait que d’autres personnes ont, elles aussi, profité de ce bienfait ne doit pas du tout être pris en compte. Nous devons considérer qu’elles le méritaient, contrairement à nous.
Exprimer sa reconnaissance dans son foyer
Il nous appartient, avant tout, d’être reconnaissants envers les membres de notre famille et d’exprimer verbalement ce sentiment. Celui qui ne pense pas que tout lui est dû acceptera avec joie ce que les autres se sont donné la peine de lui préparer. Mais, il ne devra pas oublier de les remercier pour cela.
« Je me souviens, raconte le Rav Elbaz, d’un vendredi soir où, après la prière, nous nous rendîmes dans la demeure d’un Roch Yéchiva. La table de Chabbat était somptueusement dressée. Le Rav dit à son épouse : “Je t’assure que dans les hôtels les plus luxueux où j’étais, je n’ai jamais vu de table dressée de manière si méticuleuse. Chaque fois que je vois comment tu la disposes, je m’émerveille de nouveau de ton goût et de ton talent !” Je n’ai aucun doute qu’il lui répétait ces compliments chaque semaine. »
Si, à notre retour de la synagogue, nous faisions de tels compliments à notre épouse, quel plaisir lui procurerions-nous ! Combien notre « Chabbat chalom » serait éloquent, accompagné de mots entraînant un climat pacifique !
Chercher les défauts de sa femme est l’attitude la plus désastreuse pour le foyer. La pauvre maîtresse de maison se sent alors incapable de s’en sortir seule et a l’impression de ployer sous un lourd fardeau. De plus, elle doit ranger tout son intérieur exactement comme son mari l’exige, alors que lui se permet de laisser traîner ses chaussures au salon et ses chaussettes ailleurs… Elle fournira plus d’efforts qu’elle n’en a de forces, pourvu de ne pas entendre de remarque désobligeante.
Un homme doit savoir que le plus déplaisant pour une femme est de s’entendre dire « Tu n’as pas réussi ! » ou « Tu t’es trompée ! » Ces critiques peuvent s’avérer dévastatrices.
C’est pourquoi il est important de toujours considérer que rien ne nous est dû et de nous sentir redevables pour toute faveur que nous rend notre épouse. De cette manière, nous serons moins exigeants et ne nous attendrons pas à ce qu’elle remplisse chaque jour à la perfection les nombreuses tâches reposant sur son épaule.