BO 23 Janvier 2021 י שבט התשפ"א |
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La participation des enfants et des vieillards à la marche vers le désert
Rabbi David Hanania Pinto
«Moché et Aharon furent ramenés auprès de Paro et il leur dit : “Allez servir l’Eternel votre D.ieu ; quels seront les participants ?” Moché répondit : “Nous irons avec nos jeunes gens et nos vieillards ; nous irons avec nos fils et nos filles, avec nos brebis et nos bœufs, car nous avons une fête en l’honneur de l’Eternel.”» (Chémot 10, 8-9)
Le juste Rabbi Yochiyahou Pinto – que son mérite nous protège – explique la discussion qui s’est tenue entre Moché et Paro. Celui-ci demanda : « Quels seront les participants ? » Il était prêt à laisser partir le peuple juif, mais à la condition que Moché et Aharon ne prennent avec eux que les personnes qui partiraient de leur plein gré, c’est-à-dire ni les enfants ni les vieillards ; les premiers, parce qu’ils ne comprennent pas le sens d’un sacrifice, les seconds, parce qu’il leur serait difficile d’entreprendre une si longue route. Moché répondit qu’aussi bien les jeunes que les vieillards devaient s’associer à cette fête, « car nous avons une fête en l’honneur de l’Eternel » : de même que nous avons l’obligation d’associer nos enfants à la joie de notre fête – bien qu’ils n’en aient pas l’obligation – comme il est dit : « Tu te réjouiras lors de ta fête, toi, ton fils et ta fille » (Dévarim 16, 14), de même, il était nécessaire que tous prennent part à cette marche dans le désert.
J’expliquerai ces paroles comme suit. En réalité, il est très probable que les enfants juifs habitant en Egypte n’auraient pas voulu quitter ce pays, caractérisé par l’impureté et le matérialisme, pour se diriger vers le désert, d’autant plus que, depuis la plaie du sang, le peuple juif était devenu très riche, les Egyptiens ayant dû leur acheter l’eau à prix coûtant pour qu’elle ne se transforme pas en sang. L’accumulation de biens matériels influença sans doute les enfants, en diminuant leur envie de partir vers le désert. Mais, d’après Moché, lorsqu’on les sortirait d’Egypte pour les conduire vers un endroit spirituel comme le désert, aux antipodes du matérialisme, ils aimeraient la Torah et désireraient de leur plein gré l’étudier, en vertu du verset : « Goûtez et voyez que l’Eternel est bon. » (Téhilim 34, 9) Lorsqu’ils goûteraient aux délices de la Torah, ils ne pourraient plus s’en séparer et celle-ci serait vécue par eux comme une fête – « car nous avons une fête en l’honneur de l’Eternel ». C’est donc dans le but d’éduquer les enfants à la Torah que Moché voulait les faire participer à cette marche.
Paro réagit en s’exclamant : « Que l’Eternel soit avec vous ! Partez, vous et vos enfants ! Prenez garde aux malheurs que vous encourez ! » Selon Rabbi Yochiyahou Pinto, nous devons comprendre en quoi ces derniers mots constituaient un argument justifiant son refus initial de laisser partir les enfants. De même, en quoi la réponse de Moché, qui affirma que, même s’ils partaient au départ contre leur gré, ils finiraient par apprécier la Torah, constituait-elle un contre-argument ?
Apparemment, Paro laissait entendre à Moché que les enfants ne voudraient peut-être pas de la Torah et qu’il était donc dommage de les faire quitter le pays. Tel était son argument « Prenez garde aux malheurs que vous encourez », autrement dit, il est possible que la Torah soit vue comme un « mal » par les enfants. Cependant, Moché n’accepta pas cette réflexion, car, même si la Torah est parfois perçue négativement par les novices, elle est par la suite appréciée, au point qu’on ne peut plus s’en séparer.
Moché ajouta qu’ils emporteraient également le bétail, afin de démontrer aux enfants qu’il n’était pas une divinité, comme le pensaient les Egyptiens. Paro lui répondit « Prenez garde aux malheurs que vous encourez », allusion au fait que ce bétail allait entraîner le péché du veau d’or.
Finalement, Paro conclut en ces termes : « “Il n’en sera pas ainsi ! Allez donc, vous les hommes, et servez l’Eternel, puisque c’est là ce que vous désirez.” Et on les chassa de devant Paro. » (Chémot 10, 11)
Suite aux insistances pressantes de son peuple – « Ne sais-tu pas encore que l’Egypte est perdue ? » (Ibid. 10, 7) – pour qu’il libère les enfants d’Israël, Paro convoqua une fois de plus Moché et Aharon. Il mena avec Moché une discussion visant à limiter le nombre de participants à ce départ. Mais, quand il constata que son adversaire n’était pas prêt à faire la moindre concession, il le renvoya. Ce verset fait allusion à la façon dont le mauvais penchant attaque l’homme pour l’inciter au péché : quand il constate que ce dernier n’est pas prêt à modifier ses principes d’un cheveu, il se retire et cesse de l’importuner. Seul celui qui reste ferme sur ses positions sera en mesure de le chasser.
L’homme a également la possibilité de fuir lui-même la présence du mauvais penchant, au lieu de rester à ses côtés et d’écouter ses incitations au mal. Un Juif m’a raconté que, pour des affaires, il s’est une fois rendu à un certain commerce où il a aperçu une femme vêtue de manière impudique ; conscient du danger spirituel qu’il encourait, il renonça à ses affaires pour s’éloigner à grands pas de cet endroit, sans y jeter un regard.
Au sujet de Moché, nous pouvons donc aussi expliquer qu’il se retira de devant Paro de sa propre initiative, lorsqu’il constata que la discussion avec lui ne menait à rien. Il prit congé de Paro pour ne pas rester face à cet impie.
PAROLES DE TSADIKIM
L’histoire qui suit se déroula il y a quelques dizaines d’années. La neige s’accumula pour finalement atteindre une hauteur de quatre-vingt centimètres. Une tempête de neige se leva en Amérique du Nord et la température descendit jusqu’à moins vingt degrés. Les rues étaient vides. Même les élèves de la Yéchiva Torah Védaat ne purent quitter leurs chambres pour rejoindre la salle d’étude, non loin de celles-ci.
Après deux jours d’arrêt, trois ba’hourim s’inquiétèrent : le lendemain, le Roch Yéchiva, Rabbi Chlomo Heimann, devait donner son chiour klali. Que ferait-il ? Connaissant son exceptionnel dévouement pour enseigner la Torah, ils étaient certains qu’il se déplacerait malgré ce froid extrême. Mais, il ne trouverait alors personne sur place ! Aussi, décidèrent-ils de s’y rendre également. Non sans difficultés, ils se frayèrent un chemin à travers la neige et arrivèrent au beit hamidrach sans incident. Comme ils l’avaient prévu, il était entièrement vide.
Ils attendirent quelques minutes. Soudain, exactement à l’heure prévue pour le cours, ils entendirent les pas de leur Roch Yéchiva. Il était tout blanc et des flocons de neige tombaient de lui. Mais, il avait son éclat habituel. Un large sourire aux lèvres, il regarda les trois vaillants, s’avança vers l’arche sainte et commença son cours. Il éleva la voix comme s’il avait face à lui des centaines d’élèves. Son visage éclairait telle des torches, les veines de son front rougissaient de ses efforts de réflexion et, de temps à autre, il frappait fortement sur son pupitre.
A la fin du cours, les trois ba’hourim s’approchèrent de leur Maître pour lui demander : « Pourquoi le Rav a-t-il tellement élevé la voix, alors que nous n’étions que trois ? Nous aurions pu l’entendre même s’il avait murmuré. »
Il leur répondit : « Pensez-vous que je n’aie donné cours qu’à vous ? Je vous transmets la torche de la Torah, à vous, à vos enfants, à vos petits-enfants, à tous vos descendants, à vos élèves et aux élèves de vos élèves ! Si je ne criais pas, comment entendraient-ils ? »
La Torah nous ordonne : « Afin que tu racontes à ton fils, à ton petit-fils ce que J’ai fait aux Egyptiens et les merveilles que J’ai opérées au milieu d’eux et vous saurez que Je suis l’Eternel. » (Chémot 10, 2) Pourquoi ne suffit-il pas que le père raconte à son fils les prodiges divins accomplis sur le sol égyptien ? Pourquoi ce devoir incombe-t-il également au grand-père ?
Lorsque le père transmet à son fils la flamme de la foi, il voit aussi en lui son petit-fils et son arrière-petit-fils. S’il transmet correctement son message, avec force, chaleur et amour, non seulement il s’ancrera en son fils, mais également dans les générations suivantes.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Si vous entendez Ma voix…
Un avrekh vint me voir avec ses enfants, qu’il me demanda de bénir, ainsi que toute sa famille, par le mérite de mes saints ancêtres.
Sans savoir pourquoi, je désignai l’aîné et demandai au père quel était son prénom.
« Comment vont ses oreilles ? lui demandai-je.
– Grâce à D.ieu, me répondit l’avrekh, il n’a aucun problème.
– Faites vérifier ses oreilles chez un médecin », insistai-je.
L’avrekh ne prit pas cela au sérieux, car son fils n’avait jamais eu le moindre problème aux oreilles et ne s’était jamais plaint de douleurs à ce niveau.
Deux mois passèrent, quand les parents de cet enfant, toujours si discipliné, remarquèrent un changement dans son comportement : il n’obéissait pas aux ordres qu’on lui donnait, si bien qu’ils étaient parfois obligés de crier, de s’emporter contre lui et même de le punir.
La situation se dégrada rapidement. « Qu’était-il donc arrivé à leur fils ? » s’interrogeaient les parents.
C’est alors qu’ils commencèrent à se demander s’il entendait correctement. Ils remarquèrent en effet que, quand ils lui parlaient, il semblait lire sur leurs lèvres et il lui arrivait souvent de les faire répéter. Généralement, il ne parvenait à les comprendre que quand ils élevaient la voix.
A ce stade, ils s’adressèrent à un O.R.L., qui leur apprit, après examens, que leur enfant souffrait d’une otite sérieuse, lui ayant fait perdre un gros pourcentage de son audition.
Ce n’est qu’à ce moment que l’avrekh se souvint de mon conseil et regretta de ne pas m’avoir écouté plus tôt.
Je dois avouer que ce conseil m’échappa sans que j’en comprenne la raison, certainement par le mérite des Tsadikim.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Communication adressée par l’Eternel (…). » (Yirmiya chap. 46)
Lien avec la paracha : dans la haftara, sont relatées la punition de Paro et la chute de l’Egypte, tandis que la paracha évoque les trois dernières plaies qui frappèrent ce pays.
CHEMIRAT HALACHONE
Le préjudice d’une diffusion inutile
Il est interdit de diffuser tout fait, même ne correspondant pas à du blâme, qui puisse entraîner un préjudice au niveau du travail ou d’une proposition de mariage. Ce type de médisance est le plus courant quand on donne des renseignements sur une personne dans ces deux domaines.
Il est prohibé d’évoquer la faiblesse physique d’untel ou son bas niveau intellectuel, même si celui qui parle et son auditeur n’y voient aucun blâme, car la diffusion de ces paroles peut s’avérer préjudiciable à l’individu dont il est question.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La mitsva de sanctifier le mois
« Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois ; il sera pour vous le premier mois de l’année. » (Chémot 12, 2)
Rachi commente : « D.ieu lui montra la lune au moment de son renouvellement et lui dit : “Quand la lune se renouvelle, ce sera pour toi Roch ‘Hodech, le commencement du mois.” »
Les enfants d’Israël ont reçu l’ordre de bénir la nouvelle lune, alors qu’ils se trouvaient encore en Egypte ; pourquoi était-il nécessaire qu’ils accomplissent cette mitsva en terre d’Egypte ? De manière plus générale, en quoi réside son importance pour qu’elle ait été choisie comme l’une des premières mitsvot prescrites au peuple juif ?
Proposons l’explication suivante. La seule créature sur laquelle nous pouvons déceler de façon sensible le renouvellement est la lune. Durant les six jours de la Création, le Saint béni soit-Il créa un monde parfait, dépourvu de tout péché. Puis, lorsque Adam fauta en consommant du fruit de l’arbre de la connaissance, il porta atteinte à cette faculté de renouvellement, atteinte qui accompagnera le peuple juif tout au long des générations.
Dans Sa grande Miséricorde, le Saint béni soit-Il voulut pardonner ce péché à Ses enfants et c’est pourquoi Il leur prescrivit la mitsva de bénir la nouvelle lune. Car, chaque fois qu’ils prononcent la bénédiction sur celle-ci, ils en viennent à renouveler également leur propre âme et à la purifier de la souillure provoquée par le péché d’Adam.
Ainsi donc, cette mitsva a été donnée aux enfants d’Israël en Egypte, car elle détient le pouvoir de renouveler l’âme et de la nettoyer de toutes ses impuretés, ce qui était alors nécessaire, étant donné qu’ils étaient plongés dans le quarante-neuvième degré d’impureté (Zohar ’Hadach, début de Yitro). De plus, du fait qu’ils se trouvaient à ce piètre niveau, ils devaient lever leur tête en direction du ciel, afin de se rappeler « qui a créé ceux-là » (Yéchaya 40, 26). D’où une raison supplémentaire à l’accomplissement de cette mitsva, à ce moment-là.
Le jour de Roch ’Hodech est propice au pardon des fautes, car le Saint béni soit-Il l’assimile aux six jours de la Création, durant lesquels le monde était encore nouveau et dépourvu de tout péché. C’est la raison pour laquelle le peuple juif recevra plus tard la mitsva d’apporter un bouc en sacrifice expiatoire le premier du mois.
PERLES SUR LA PARACHA
Servir l’Eternel dans la joie
« Comme je compte vous laisser partir, vous et vos enfants. » (Chémot 10, 10)
L’auteur de l’ouvrage Oumatok Haor explique que Paro prononça ces propos sur les modes interrogatif et exclamatif. Il signifiait à Moché : si je vous renvoie avec vos enfants, comment donc servirez-vous D.ieu ? Ils vous empêcheront certainement !
Moché lui répondit : « Car nous avons fête en l’honneur de l’Eternel. » En d’autres termes, il s’agit d’un service joyeux, devant être accompli en présence de la totalité du peuple, de tous les membres de la famille.
Paro reprit : « Voyez comme le mal est devant vous ! » Vous avez sans doute l’intention de fuir votre service divin, car quel sens a un service effectué dans la joie par des hommes libres ?
Quand raconter la sortie d’Egypte
« Et si ton fils te demande. » (Chémot 13, 13)
Le Or Ha’haïm explique que, si notre fils constate qu’on observe la mitsva du rachat du premier-né et nous questionne à ce sujet, nous devons lui répondre ; mais, s’il ne nous interroge pas, on n’a l’obligation de lui en parler qu’à Pessa’h, le soir du Séder. Le verset précise « en disant » pour souligner que notre enfant pose la question afin que nous lui donnions une réponse ; nous devons alors le faire. Cependant, s’il demande « Qu’est-ce que ceci ? », exprimant ainsi son dédain et n’attendant pas de réponse, on n’est pas tenu de lui en donner.
C’est d’ailleurs ainsi que Rav Nissim Karlitz zatsal trancha la loi (‘Hout chani 3, 234) : « Si un père et son fils participent à la célébration d’un pidion haben ou au rachat du premier-né d’un animal et que le fils interroge le père à ce sujet, il doit lui faire le récit de la sortie d’Egypte, même si cela a lieu au courant de l’année, et non la nuit du quinze Nissan. Toutefois, s’il ne pose pas de question, l’obligation de at péta’h lo « tu dois l’initier » (litt. : tu lui ouvriras) ne s’applique pas, car elle ne se rapporte qu’à la nuit du Séder, du fait qu’elle découle de l’obligation de « tu raconteras à ton fils ».
La soumission, l’essentiel du service divin
« Il n’en restera pas un sabot, car nous devons en prendre pour servir l’Eternel notre D.ieu. » (Chémot 10, 26)
Le Saint béni soit-Il ne nous a pas ordonné de Lui offrir des sacrifices parce qu’il en a besoin, l’univers entier Lui appartenant, mais afin de nous permettre de nous repentir. Comme l’expliquent nos Sages, quand un homme apporte un sacrifice et observe tout ce qu’on fait subir à l’animal, il réalise qu’il aurait lui-même mérité ce sort pour avoir enfreint la volonté divine ; il éprouve alors des pensées de contrition et se soumet à D.ieu.
Dans son ouvrage Beit Aharon, Rabbi Aharon Chorojon zatsal, l’un des grands Sages de Turquie, explique comme suit les paroles de Paro « Partez, adorez l’Eternel ; seulement que votre menu et votre gros bétail soient laissés, mais vos enfants peuvent vous suivre » (ibid. 10, 24) : pourquoi avez-vous besoin d’emporter votre bétail ? Si vous comptez l’offrir à votre D.ieu, « vos enfants peuvent vous suivre » : il est préférable de les Lui offrir, car ils sont ce que vous avez de plus cher.
Moché lui répondit que, si le but des sacrifices était de donner un cadeau au Saint béni soit-Il, il aurait effectivement fallu Lui présenter ce qu’on a de plus précieux. Mais, tel n’est pas leur but, puisqu’ils ne visent qu’à entraîner la soumission de l’homme au joug divin ; aussi, devons-nous emporter tout notre bétail, que nous Lui sacrifierons pour introduire en nous ce sentiment essentiel à Son service.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Un principe central de l’éducation, maintes fois évoqué dans la Torah, se trouve explicitement énoncé dans notre paracha à travers l’ordre « Tu raconteras à ton fils » (Chémot 13, 8). Le souvenir du passé et la transmission de la tradition sont prépondérants en cela qu’ils créent une dimension donnant un sens à notre existence et nous permettent de jouir d’une conception plus large du monde par la connaissance de notre histoire et son récit à nos enfants. Car, l’univers ne vit le jour que pour que nous observions fidèlement la Torah et les mitsvot, sans nous en détourner ni à droite ni à gauche.
Le Maguid Rabbi Chalom Chwadron zatsal raconte l’anecdote suivante :
« Lors d’un de mes voyages en avion pour la Diaspora, je me retrouvai à côté d’un Juif non religieux. Comme il me le précisa au cours de la conversation, il était un grand ingénieur et professeur. En bref, un scientifique pensant tout connaître et tout maîtriser. Un seul élément faisait défaut à son érudition : rencontrer un Juif barbu comme moi, ayant l’apparence d’un Rav, et lui exposer toutes ses plaintes contre les Rabbanim et ses questions relatives à la loi.
« “Pourquoi vous autres, Rabbanim, ne pouvez-vous pas faire preuve d’un peu de souplesse dans la hahakha ? Cela vous éviterait de devoir tant repousser les Juifs non-pratiquants, me reprocha-t-il.
« – Votre question mérite sans doute des éclaircissements. Mais, laissons-la de côté pour l’instant et veuillez bien m’expliquer en quoi consiste votre travail.
« – Je suis architecte et ingénieur. Actuellement, je voyage en dehors d’Israël pour présenter un projet très sophistiqué de construction d’un immeuble de nombreux étages.
« – Pourriez-vous, s’il vous plaît, me montrer le plan de ce projet ?
« – Avec plaisir. Mais, dites-moi, qu’est-ce qu’un Rav comme vous peut comprendre en jetant un seul coup d’œil sur un plan si complexe ?
« – J’avoue que je ne comprendrai pas grand-chose, mais je pourrai au moins prendre la mesure de votre génie et peut-être saisir une partie des données à l’aide de vos commentaires.”
« Ma réponse lui plut et il accepta. Il sortit de sa mallette de nombreux papiers qu’il déplia les uns sur les autres devant moi. Tandis qu’il m’expliquait longuement les inscriptions y figurant, je témoignais un grand intérêt à ses indications. Dès que j’eus saisi ces plans en gros, je lui demandai : “Maintenant, accordez-moi quelques minutes de réflexion.”
« Penché sur les documents, je fronçai mon front, à la manière d’un homme mettant à grande contribution ses cellules grises. Les lignes courbes se référant aux bases de l’immeuble me troublaient beaucoup. Je levai la tête et lui demandai :
« “Dites-moi, s’il vous plaît, pourquoi la ligne inférieure située dans le coin sud-est ne peut-elle pas être déplacée un peu vers l’est ? Si elle était droite, cela serait aussi bien plus beau. Avec un peu plus de souplesse ici et là, tout aurait l’air mieux !
« – Depuis quand les Rabbanim ont-ils des notions d’architecture ? me répondit-il sur un ton moqueur. Toute la stabilité de cette construction réside dans l’inclinaison de ces courbes et, si on les déplaçait, serait-ce d’un millimètre, cela mettrait tout en danger ! La science de l’ingénieur comprend des lois très strictes, desquelles on ne peut s’écarter d’un pouce, conclut-il d’un ton réprobateur.
« – Et depuis quand les ingénieurs comprennent-ils quelque chose en halakha ? lui rétorquai-je. L’univers entier dépend de l’observance de la Torah, dont les lois, complexes et claires, ont été définies par l’Eternel. Comment pouvez-vous vous étonner qu’elles n’admettent pas de compromis ? Ma requête est bien modeste par rapport à la vôtre. Après tout, je n’ai demandé qu’un peu de souplesse dans le plan d’un seul immeuble, élaboré par un ingénieur humain, qui y a travaillé quelques mois. Pourquoi cela vous a-t-il tant irrité ? Notre Torah, quant à elle, a été conçue il y a des milliers d’années par le Très-Haut, qui nous l’a donnée pour que nous l’observions. Comment voulez-vous donc que les Rabbanim, responsables de notre fidélité à ses lois, s’immiscent dans celles-ci et tolèrent des écarts ?”
« Puis, je conclus en disant : “Permettez-moi de vous raconter une petite histoire. Un enfant pauvre ramassait de l’argent, pièce après pièce, dans le but de pouvoir enfin réaliser son rêve : s’acheter des chaussures pour la fête de Pessa’h. Quand il en eut suffisamment dans sa bourse, il se rendit au marché arabe où la marchandise était abordable. Il y trouva l’objet de son désir, mais, à sa plus grande déconvenue, seulement une des chaussures lui allait bien, alors que l’autre refusait de s’adapter à son pied. Le commerçant arabe, constatant son désarroi, tenta de l’aider à le rentrer dans le soulier, mais en vain. Finalement, il proposa au garçonnet : ‘J’ai une idée : si tu veux, je peux te couper un peu le doigt du pied et la chaussure te conviendra parfaitement.’” »
Voilà à quoi ressemblent tous les imbéciles désirant adapter la Torah à l’évolution des temps. Ils ne comprennent pas qu’il faut, au contraire, accommoder l’époque à l’esprit de la Torah, de même qu’il faut trouver une chaussure correspondant à la taille de son pied, et non l’inverse.