Michpatim - Chabbat Chekalim 13 Février 2021 א אדר התשפ"א |
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L’affranchissement de la matérialité, condition à l’acceptation de la Torah
Rabbi David Hanania Pinto
« Moché pénétra à l’intérieur de la nuée et s’éleva sur la montagne ; et Moché resta sur la montagne quarante jours et quarante nuits. » (Chémot 24, 18)
Lorsque notre maître Moché monta au ciel pour y recevoir la Torah, les anges voulurent le brûler, avançant l’argument : « Que fait donc ce mortel parmi nous ? » Le Saint béni soit-Il lui dit de leur répondre afin de repousser leur menace. Mais il craignit d’être brûlé par leurs seules paroles. D.ieu lui répondit alors : « Prends appui sur Mon trône céleste et réponds-leur. » Et effectivement, Moché puisa du trône céleste la force d’âme nécessaire pour répondre à l’argument des anges (Chabbat 88b).
Ce Midrach soulève plusieurs interrogations. Tout d’abord, pourquoi Moché a-t-il tant redouté de répondre aux anges, alors qu’il était monté au ciel en se pliant à l’ordre divin et que, de plus, il s’était sanctifié et avait atteint le niveau des créatures célestes ? En outre, pourquoi, suite à son appréhension, l’Eternel n’a-t-Il pas répondu Lui-même aux anges, mais a demandé à Moché de prendre appui sur Son trône céleste, de manière à y trouver l’inspiration pour leur répondre convenablement ? Enfin, pourquoi était-il nécessaire que Moché monte au ciel pour y recevoir la Torah ? En effet, le Tout-Puissant aurait pu, tout aussi bien, la lui transmettre sur terre, dans le désert, ce qui aurait évité toutes ces altercations entre lui et les anges. D’ailleurs, il est même affirmé que la Torah « n’est pas dans le ciel » (Dévarim 30, 12), donc, pour quelle raison fallait-il qu’elle y soit donnée ?
La démarche suivante va nous permettre de répondre, simultanément, à toutes ces difficultés.
Le Saint béni soit-Il désirait que Moché monte au ciel pour y recevoir la Torah, afin de lui faire ressentir qu’il était l’élu de la création et n’avait donc rien à craindre de l’attaque des anges. En effet, lorsqu’un homme détient Torah et mitsvot, il s’élève à un niveau élevé et devient semblable aux créatures célestes. Du reste, les anges avaient été créés, au départ, dans le but de servir l’homme (Sanhédrin 59b), mais Adam perdit cet avantage, en même temps que son haut niveau, lorsqu’il fauta en consommant du fruit de l’arbre de la connaissance, suite à quoi il perdit son statut d’élite de la création.
Par contre, Moché, qui se sanctifia en s’abstenant même de choses permises, puisqu’il se sépara de sa femme et jeûna tout le long de son séjour au ciel, s’éleva ainsi au niveau des anges et n’avait donc aucune raison de craindre la confrontation. Au contraire, le fait que la Torah lui ait été donnée au ciel lui a permis de prendre conscience que celui qui se voue à son étude devient semblable aux saintes créatures célestes. Toutefois, n’étant lui-même pas encore conscient de son haut niveau, il appréhenda la menace des anges, les croyant supérieurs à lui et s’estimant donc incapable de leur fournir une réponse satisfaisante.
Le Saint béni soit-Il s’est abstenu de répondre à la place de Moché, car Il désirait qu’il trouve lui-même un contre-argument à celui des anges. Ceci constitue un message, aussi bien pour Moché que pour les hommes des générations à venir : il nous incombe de nous habituer à répondre aux anges et à contrecarrer leurs arguments, car, après cent vingt ans, lorsque nous monterons au ciel, nous les côtoierons – si toutefois notre jugement aura été favorable – et devrons nous mesurer à leurs questions. Ainsi, en rétorquant lui-même aux anges, Moché transmit cette force à toutes les générations à venir.
En outre, nous pouvons ajouter que la Torah devait être donnée au ciel en raison de la symbolique que cela véhicule, à savoir la nécessité, pour l’homme, de rompre tout lien avec la matérialité, afin de s’élever et d’être en mesure de recevoir la Torah. En effet, la matière et la Torah sont deux réalités radicalement opposées et, si l’homme désire que celle-ci se maintienne en lui, il doit renoncer aux vanités de ce monde. Aussi, le fait que Moché ait jeûné pendant quarante jours, lors de son séjour au ciel pour y recevoir la Torah, constitue pour nous un message quant à l’impératif de rompre avec la matérialité pour se qualifier à recevoir la Torah.
Il est intéressant de remarquer que même la tente d’assignation ne représentait pas un endroit suffisamment saint et spirituel pour être choisi comme théâtre du don de la Torah, du fait qu’il était garni d’objets matériels, comme par exemple les tentures. Ceci souligne, une fois de plus, l’impératif de rompre radicalement avec la matérialité afin de mériter le maintien de la Torah en soi. En outre, pour transmettre la Torah au peuple juif, le Saint béni soit-Il s’est révélé sur une montagne, symbole de la rupture avec la terre et du dépassement de la matière. Ceci constitue une leçon pour tous les hommes des générations à venir qui désirent être des réceptacles de Torah.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
La brakha depuis l’avion
La communauté de Strasbourg était secouée : le fils d’une de ses familles était si gravement malade que les médecins désespéraient de pouvoir le guérir.
Désemparés, ses proches se rendirent sur la tombe du Tsadik Rabbi ‘Haïm Pinto zatsal, au Maroc et prièrent de tout cœur pour qu’il puisse se relever de sa maladie.
À l’issue de cette prière, Rabbi Mordékhaï Knafo, mon hôte lors de mes séjours au Maroc, s’adressa ainsi au père du malade :
« Rabbi David ‘Hanania Pinto chelita, le petit-fils de Rabbi ‘Haïm Pinto zatsal, se trouve à présent à l’aéroport. Essayez de vous y rendre rapidement pour lui demander une brakha. Prenez une bouteille d’eau sur laquelle le Rav fera la bénédiction et, si D.ieu veut, votre fils guérira ! »
Doté d’une foi puissante dans les Tsadikim, le père du malade se hâta de prendre la route pour l’aéroport, priant pour que mon avion soit retardé afin qu’il puisse me voir et me demander ma brakha.
Lorsqu’il arriva enfin à l’aéroport, l’heure du décollage était proche et tous les passagers étaient déjà installés dans l’avion. Mais, notre ami ne se laissa pas décourager et se mit à implorer à chaudes larmes le personnel de l’aéroport de lui permettre de monter à bord de l’avion quelques instants, le temps de recevoir ma brakha pour son fils qui était gravement malade.
Grâce à D.ieu, l’incroyable se produisit : ils eurent pitié de lui et lui permirent de monter à bord de l’avion. Plus encore, ils retardèrent pour lui l’heure du décollage !
Une fois qu’il m’eut présenté sa demande, je le bénis en lui souhaitant du fond du cœur que son fils guérisse entièrement par le mérite de mes saints ancêtres. Grâce à D.ieu, ce fut le cas. Le miraculé eut ensuite le bonheur de se marier et d’avoir trois enfants, en lui en souhaitant d’autres.
Nul doute que c’est la foi pure de cet homme en D.ieu et dans les Tsadikim, à même d’éveiller la Miséricorde divine de par leur attachement à la Torah, qui lui valut cette dérogation exceptionnelle – monter à bord de l’avion sans contrôle, tandis que tous les passagers et le personnel de bord attendaient patiemment qu’il reçoive ma brakha.
PAROLES DE TSADIKIM
Ce qui dissuade les voleurs de dérober
Rav Eliachiv zatsal souligne la singularité que présente le traitement réservé au Juif ayant transgressé l’interdit du vol. Dans tous les pays du monde où le système judiciaire a été établi par des non-juifs, de lourdes sanctions ont été prévues pour les voleurs. Souvent, ils ne sont jugés qu’à partir de simples estimations ou suite au témoignage d’un seul témoin, qui peut être un proche parent ou une personne ayant un intérêt personnel à témoigner. La facilité avec laquelle la sanction est appliquée trouve sa source dans la logique élémentaire selon laquelle, en l’absence d’une telle sévérité, « les hommes se dévoreraient vivants ».
Pourtant, la Torah a une tout autre approche du sujet. Le voleur ne doit rembourser l’objet de son larcin que si deux individus l’ayant surpris en flagrant délit viennent le témoigner. Mais, s’il les précède en avouant lui-même son forfait, il est exempt de la pénalité. En outre, même dans le cas où il a été accusé et doit rembourser ce qu’il a volé, s’il n’en a pas les moyens, il sera vendu comme esclave. Le cas échéant, non seulement il est ainsi acquitté de ce remboursement, mais, en plus, il a droit à un certain confort : son maître doit lui donner la même nourriture que lui, des vêtements de la même qualité que les siens, tandis qu’il est soustrait au joug du gagne-pain.
Une question évidente apparaît : dans de telles conditions, qu’est-ce qui va réfréner la tendance au vol ? Comment assurer l’ordre et la justice dans le monde ? De nombreuses personnes déroberont sciemment, afin d’être vendues comme esclaves et de jouir de ce statut privilégié.
Le Rav Eliachiv en tire une lumineuse conclusion : « La Torah nous enseigne, par ce biais, une leçon édifiante : nous ne devons pas penser que la multiplicité des sanctions constitue une menace efficace prévenant le vol. En effet, elle n’est pas à même d’empêcher les voleurs de poursuivre dans leur mauvaise voie. Ce qui les éloigne de leur tendance répréhensible est, au contraire, la bonne conduite qu’on adoptera envers eux, les égards et la finesse qu’on leur témoignera. Un tel traitement, conjugué aux vertus qu’ils constateront dans la maison de leur maître, constitueront la base de leur fidélité aux voies de la Torah et de la foi en D.ieu, et seront les garants du maintien et du respect de l’ordre planétaire, avec la diminution du nombre de voleurs. »
La conception de la Torah, s’opposant radicalement à l’opinion commune, prône pour une conduite vertueuse. Le statut de l’esclave hébreu en est la plus éloquente illustration.
Rabbi Mikhel Zilber chelita témoigne de la délicatesse avec laquelle son Maître, Rav Yé’hezkel Avramsky zatsal, se conduisait envers son aide-ménagère. De temps à autre, il l’appelait au milieu de son travail pour lui demander de prendre une pause. De manière générale, il lui avait expliqué qu’il préférait qu’elle travaille doucement, plutôt que rapidement et de manière éreintante, et ce, bien qu’il la payât de l’heure.
Ces égards dont elle avait droit dans le foyer de ce Sage entraînèrent certainement, de sa part, un regard positif sur la Torah et ses voies agréables. De fait, tout homme, quelles que soient ses origines et sa position sociale, mérite une approche respectueuse, laquelle génère un climat de paix et de sérénité dans le monde.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Yéhoyada conclut un pacte (…). » (Mélakhim II chap. 11 et 12)
Les Achkénazes commencent à partir du verset : « Yoach avait sept ans (…). » (Ibid. chap. 12)
Lien avec la paracha : la haftara décrit l’apport des chékalim par les enfants d’Israël pour les travaux de restauration du Temple, sujet de notre Chabbat Chékalim.
On ajoute deux versets de la haftara de Roch ‘Hodech, « Le ciel est Mon trône (…). » (Yéchaya chap. 66)
CHEMIRAT HALACHONE
Comment se repentir sincèrement
Si l’on a prononcé sur son prochain des paroles pouvant lui causer préjudice, on a péché à la fois envers D.ieu et vis-à-vis d’autrui. Le regret, la confession et l’engagement de ne plus récidiver ne nous permettent de nous repentir que des méfaits perpétrés à l’égard de l’Eternel. Ceux commis envers autrui ne peuvent être absous que si on lui demande pardon.
Ceci se rapporte à des propos ayant déjà entraîné un préjudice. Mais, s’il ne s’est pas encore réalisé, on est tenu de faire tout son possible pour l’empêcher. Un moyen pratique consiste à se rendre auprès de tous ceux qui les ont entendus pour leur expliquer qu’ils n’étaient pas exacts.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La terre, domicile de la Torah
« Moché pénétra à l’intérieur de la nuée et s’éleva sur la montagne ; et Moché resta sur la montagne quarante jours et quarante nuits. » (Chémot 24, 18)
Lorsque Moché monta au ciel pour y recevoir la Torah, les anges l’attaquèrent en disant : « Que fait donc ce mortel parmi nous ? » Ils s’apprêtaient déjà à le brûler, lorsque Moché leur répondit qu’il était venu pour faire descendre vers les enfants d’Israël la Torah, sans laquelle le monde ne pouvait se maintenir (Chabbat 88b). Quand j’ai lu ce Midrach, j’ai été interloqué. En effet, les enfants d’Israël venaient, juste à ce moment-là, de proclamer « Nous ferons et nous comprendrons », tandis que les anges étaient descendus du ciel pour attribuer à chacun d’eux deux couronnes, l’une en référence à leur premier engagement – « nous ferons » – et l’autre en référence au second – « nous comprendrons ». Si les anges n’étaient pas intéressés à ce que le peuple juif reçoive la Torah, pourquoi se sont-ils tant réjouis, en venant les couronner ? De même, s’ils ont réellement partagé la joie des enfants d’Israël, comment expliquer qu’ils aient ensuite attaqué Moché, venu au ciel pour y chercher la Torah ?
En réalité, la réaction des anges vis-à-vis de Moché nous livre un message essentiel : la Torah ne se trouve pas dans le ciel, mais sur terre, où elle a élu domicile, afin que les hommes l’étudient. Ainsi, lorsque les enfants d’Israël déclarèrent « Nous ferons et nous comprendrons », les anges les couronnèrent pour exprimer leur joie de voir la Torah parvenir à sa destination ultime, la terre, où elle serait étudiée et observée. Cependant, lorsque Moché arriva au ciel, les anges ont d’abord pensé qu’il était venu pour y étudier la Torah et, par conséquent, ont désiré le tuer, puisque c’est sur terre qu’on doit l’étudier. Par la suite, quand Moché leur expliqua qu’il était monté au ciel dans le but d’apprendre la Torah de la bouche du Tout-Puissant, pour la transmettre ensuite fidèlement sur terre aux enfants d’Israël, ils furent apaisés et renoncèrent à leurs intentions meurtrières.
Or, l’étude de la Torah, dans ce monde, ne s’acquiert que suite à de laborieux efforts pour vaincre le mauvais penchant, qui attend l’homme au tournant, l’incitant, une fois après l’autre, à manquer d’assiduité dans son étude. Toutefois, plus un homme se heurte à de lourdes épreuves pour étudier, plus sa récompense sera, elle aussi, conséquente, car une étude acquise facilement n’a aucune commune mesure avec à une autre acquise suite à une lutte acharnée.
On m’a raconté l’histoire d’un homme qui s’était fermement engagé à consacrer deux heures quotidiennes à l’étude de la Torah, durant lesquelles il ne s’occuperait de rien d’autre. Un jour, quelqu’un vint le voir justement pendant ces heures-là, pour lui parler d’une certaine affaire qui pourrait lui rapporter une très grande somme d’argent. Mais, il ne prêta pas attention à cette proposition, poursuivant son étude comme si de rien n’était.
Quand l’homme d’affaire constata qu’il n’y avait pas à qui parler, il s’adressa à la femme de cet individu, pour lui signifier que le comportement de son mari était totalement aberrant, puisque seul un fou ne sauterait pas sur une telle occasion. Elle s’empressa alors de le trouver dans la salle d’étude, mais ses paroles tombèrent dans l’oreille d’un sourd. Les deux heures s’étant achevées, il leva les yeux de ses livres d’étude. Il dit ensuite à sa femme : « Sache que le personnage qui s’est présenté à moi n’était autre que le mauvais penchant, déguisé en homme, qui est venu me mettre à l’épreuve, en testant si j’allais, ou non, tenir mon engagement. D’ailleurs, s’il s’était réellement agi d’une bonne proposition, le Saint béni soit-Il aurait fait en sorte qu’on vienne me la présenter à un autre moment que celui où j’étudie, l’après-midi ou le soir. »
PERLES SUR LA PARACHA
Des paroles superflues et préjudiciables
« Quel que soit l’objet du délit, bœuf, âne. » (Chémot 22, 8)
L’auteur de l’ouvrage Kaf Hacohen explique allusivement ce verset, en s’appuyant sur la Michna de Avot (1, 17) : « Quiconque abonde en paroles provoque la faute. » Ainsi, le terme davar de notre verset – « quel que soit l’objet (davar) » – peut être rapproché du terme dibour (parole), un excès de paroles conduisant au péché – « du délit ».
Cependant, ceci ne s’applique qu’à un bœuf ou un âne, c’est-à-dire aux nations du monde, comparées à ces animaux. Par contre, les propos, même profanes, des érudits méritent d’être approfondis.
La peur de la mort sauve de la mort
« Ne frappe point de mort qui est innocent et juste. » (Chémot 23, 7)
Le Or Ha’haïm explique que, parfois, il suffit que l’homme ait peur de la mort pour être considéré comme mort et absous de la peine capitale. C’est pourquoi, d’après la halakha, si quelqu’un a été condamné à mort et que, un instant avant son exécution, un individu vient plaidoyer pour sa défense, on revoit son jugement et le juge favorablement.
A priori, cette loi est surprenante, puisque la sentence a déjà été tranchée par les juges, auxquels l’Eternel donne Son aval. Comment donc peut-elle être modifiée ? En fait, il arrive que le Saint béni soit-Il ne cherche qu’à susciter chez un homme la peur de la mort ; s’il se repent, Il lui pardonne immédiatement et l’acquitte.
On gagne plus qu’on ne perd
« Si quelqu’un emprunte à un autre. » (Chémot 22, 13)
Le Pélé Yoets écrit : « La mitsva de prêter est un acte très charitable. “Abondance et richesse régneront dans sa maison, sa vertu subsistera à jamais.” Même si l’objet prêté s’abîme un peu, le prêteur gagnera plus qu’il n’aura perdu, car l’Eternel le récompensera pour sa bienfaisance. De plus, son emprunteur le bénira. »
Tout homme encouragera son épouse à se montrer généreuse et achètera des ustensiles supplémentaires pour pouvoir prêter à autrui et ne pas repousser sa demande. Le Très-Haut leur rendra la pareille au centuple.
Le devoir de générosité inclut de nombreux domaines. Il faut être prêt à aider son prochain physiquement, par sa sagesse et par ses conseils. Nous ne devons pas le priver de tout bienfait que nous sommes en mesure de lui rendre et le faire avec cœur, selon nos possibilités. En agissant ainsi, nous procurons de la satisfaction au Créateur, qui nous rétribuera dûment.
Une bénédiction personnelle
« Vous servirez uniquement l’Eternel votre D.ieu ; et Il bénira ton pain. » (Chémot 23, 25)
Quel est le service effectué par le cœur ? Il s’agit de la prière, répondent nos Sages. Le Baal Hatourim explique le glissement de notre verset du pluriel au singulier : « Vous servirez » est écrit au pluriel, en référence à la prière en public, jamais repoussée ; « Il bénira ton pain » est au singulier, l’Eternel adressant à chacun une bénédiction personnelle, en fonction de ses propres besoins.
D’après le ‘Hatam Sofer, la prière récitée en public est toujours agréée, parce que, par ce rassemblement, chacun des fidèles protège les autres et leur apporte une expiation.
Le Maharcha (Baba Métsia 107b) interprète « vous servirez » comme se rapportant au respect des mitsvot, pour lesquelles tous les Juifs sont solidaires, d’où l’emploi du pluriel. Par contre, seule une élite d’individus est capable de se contenter de pain et d’eau ; aussi, notre verset se conclut-il pas un singulier.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Notre paracha, qui évoque de nombreuses mitsvot interhumaines, nous indique le droit chemin qu’un Juif doit emprunter. Néanmoins, il ne nous suffit pas de nous conformer nous-mêmes à la voie de la Torah, mais il nous incombe également d’éclairer la route de nos frères égarés, afin qu’ils puissent revenir aux sources, corriger leurs erreurs et s’améliorer.
Dans son ouvrage Mafik Margaliot, Rabbi Avraham Tsvi Margalit chelita s’étonne d’un phénomène surprenant. Si l’on fait remarquer à quelqu’un que sa chemise est tachée à l’arrière, il n’en sera nullement blessé. Au contraire, il nous remerciera de l’avoir prévenu. S’il s’apprêtait à se rendre à un mariage avec ce vêtement taché, de quoi aurait-il eu l’air ? Nous lui avons épargné cette honte. De même, si notre prochain s’apprête à consommer un aliment détérioré, nuisible à la santé, il nous sera extrêmement reconnaissant pour notre mise en garde à ce sujet.
S’il en est ainsi, pourquoi ne réagissons-nous pas de la sorte lorsqu’on nous souligne que notre conduite n’est pas conforme à la halakha ou à la morale ? Pour quelle raison nous mettons-nous en colère et reprochons à l’auteur de cette réflexion de se prendre pour notre juge ? Pourtant, il ne cherche qu’à nous aider spirituellement, à nous encourager à corriger notre comportement pour nettoyer la tache ternissant notre âme, bien plus grave qu’une simple tache sur un vêtement. Pourquoi un commentaire de ce type est-il source de tension et engendre-t-il immédiatement une contre-réaction et une volonté de remettre en place celui qui l’a formulé ? Au contraire, nous devrions accepter ses paroles de bon gré et tenter de nous améliorer, autant que possible, sur le point relevé.
Rabbénou Yossef ‘Haïm de Bavel – que son mérite nous protège – raconte l’histoire d’un pauvre homme mutilé, affamé et assoiffé. Posté à un carrefour, il essayait désespérément d’arrêter une voiture, mais personne ne répondait à son appel. Soudain, un cocher fit halte près de lui et lui demanda : « Que désires-tu ? » Il répondit : « J’ai faim et soif, je suis à jeun depuis plusieurs jours. » L’homme sortit des vivres de son sac, les donna à l’indigent et attendit patiemment qu’il finisse de se rassasier.
Lorsqu’il eut terminé, le cocher voulut poursuivre sa route, mais l’autre lui demanda, d’un ton suppliant : « Attendez une minute… Peut-être voyagez-vous vers la ville Untelle ? » Il le lui confirma. Le mutilé reprit : « Pourriez-vous, s’il vous plaît, me prendre avec vous ? » Son bienfaiteur, habitué aux actes charitables, accepta. Puis, il se dit : « Si je prends place à l’avant et le fais asseoir à l’arrière, il risque de tomber, car il n’a pas de pieds pour pouvoir s’agripper au cheval ; je vais lui donner ma place, il tiendra les brides et je m’assoirai à l’arrière pour surveiller qu’il ne tombe pas. Ils voyagèrent ainsi et atteignirent sans encombre leur destination.
Parvenus à la ville, le pauvre se retourna pour annoncer au cocher : « Nous sommes arrivés. Remerciez-moi et descendez du cheval. » Ce dernier fut choqué de son effronterie, mais reprit bien vite ses esprits pour lui répliquer : « Ingrat ! N’as-tu pas honte ? Après tout ce que j’ai fait pour toi, nourri, désaltéré, conduit où tu désirais en me souciant de te donner la place la plus sécuritaire, c’est cela que tu me rends en retour ? »
Mais, loin de perdre ses moyens, son passager répondit : « C’est vous qui devriez avoir honte. Je vous ai emmené jusqu’en ville et, à présent, vous voulez me voler mon cheval, le seul bien qui me reste ? »
Inutile de préciser que cette scène bruyante éveilla la curiosité de nombreux passants, qui s’attroupèrent bien vite autour des deux adversaires. Témoins de leur discussion, ils donnèrent tous raison à l’indigent. Le cocher, réalisant la situation embarrassante dans laquelle il était tombé, décida de se rendre auprès du Rav de la ville, le Ben Ich ‘Haï, déterminé à accepter son verdict.
Lorsqu’ils entrèrent chez le Tsadik, chacun lui fit sa version des faits. Dans sa grande sagesse, il perçut immédiatement qui avait raison et comprit la ruse du pauvre, qui avait voulu profiter de son handicap pour tromper les gens et récupérer ce qui ne lui appartenait pas. Il lui prit le cheval et le renvoya, couvert de honte.
Avant de prendre congé du cocher, il lui dit : « J’aimerais te donner un bon conseil : la prochaine fois que tu conduis des passagers, ne leur donne pas les courroies ! »
L’homme possède un corps, matériel, et une âme, spirituelle. Il ne peut ignorer les besoins de son corps, qui sont bel et bien réels. Cependant, s’il lui appartient de les combler, il ne doit pas leur donner les rênes du pouvoir. Certaines personnes, très généreuses, sont prêtes à le faire. Mais, le corps finit alors par repousser toute spiritualité, par subjuguer l’âme. Aussi, est-il hormis de lui abandonner les rênes de notre être, quelles que soient les raisons.
Lorsque notre semblable éveille notre attention à une conduite, à son avis, incorrecte, si notre réaction instinctive est de s’opposer à lui et de renier sa critique, il faut prendre du recul et savoir qu’il a peut-être raison. Il vaut la peine de prêter attention à ce genre de remarques et de réfléchir si, effectivement, il y a matière à se corriger dans ce domaine. Au lieu de réagir en se justifiant, il nous appartient, au contraire, d’apprécier la morale et de tirer leçon de la manière dont les autres nous perçoivent. Car, nous sommes incapables de déceler nous-mêmes nos propres scories. Celui qui aime son prochain et recherche son bien le reprendra. Le Saint béni soit-Il, Lui aussi, ne réprimande que ceux qu’Il aime, tandis qu’Il laisse les pécheurs s’enfoncer dans leur faute. S’Il ne nous témoigne pas Sa désapprobation, c’est le signe qu’Il ne nous aime pas.