Parachat Chela'h Lekha 5 Juin 2021 כה סיון התשפ"א |
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Le sens profond du nombre quarante
Rabbi David Hanania Pinto
« Selon le nombre de jours que vous avez exploré le pays, autant de jours autant d’années vous porterez la peine de vos crimes, partant quarante années ; et vous connaîtrez les effets de Mon hostilité. » (Bamidbar 14, 34)
Ce verset nous fait part de la punition infligée aux enfants d’Israël pour leur volonté d’envoyer des hommes prospecter la Terre Sainte : une errance de quarante ans dans le désert, chaque année venant punir, mesure pour mesure, un jour d’exploration, lors duquel les princes de tribus s’évertuèrent à relever des éléments négatifs.
D.ieu, omniscient, savait que les explorateurs pècheraient et entraîneraient le peuple juif dans le travers de la médisance, qui leur serait sanctionné par un nombre d’années d’errance dans le désert proportionnel à celui des jours d’exploration. Dès lors, pourquoi n’a-t-Il pas fait en sorte que cette mission ne s’étende que sur dix jours, afin de réduire la punition ?
Nos Maîtres affirment (Taanit 29a) qu’en punition des vaines larmes versées par les enfants d’Israël le neuf Av, suite au rapport dénigrant des explorateurs, le décret de la destruction des deux Temples fut prononcé à leur encontre, faisant de cette date fatidique un jour de pleurs pour toutes les générations. Cependant, si ces destructions étaient liées au péché des explorateurs, pourquoi nous est-il interdit d’étudier la Torah le neuf Av ? Quel rapport existe-t-il entre cette prohibition et le péché des explorateurs, suivi des vains pleurs du peuple ? A priori, ce jour-là semblerait même plus approprié que tout autre pour s’atteler à l’étude, de sorte à expier ses péchés et raffermir son lien avec le Créateur.
Il est également interdit à l’endeuillé d’étudier la Torah. La même question se pose : la perte d’un proche suscite généralement un éveil en l’homme, qui a tendance à vouloir se rapprocher de son Père céleste ; dès lors, pourquoi lui retire-t-on la possibilité d’étudier la Torah, qui détient justement cette propriété ? Car elle a également une autre incidence : elle réjouit le cœur de l’homme et la joie est incompatible avec le respect du défunt.
La Torah réjouissant l’homme, la méditer représente un mérite de taille. L’impossibilité de l’étudier le neuf Av constitue une punition, preuve de la grande colère divine.
Les quarante jours d’exploration font allusion au don de la Torah, donnée suite à ce même nombre de jours, qui correspond également à la fin du processus de formation de l’embryon, au bout duquel il est considéré comme viable. L’Eternel donna la Torah à Ses enfants en quarante jours, afin de leur enseigner que, jusqu’à ce moment, ils n’avaient pas le titre d’hommes à proprement parler, seule la Torah octroyant cette dimension de vie, elle qui en constitue la quintessence : « Elle est un arbre de vie pour ceux qui s’y attachent. » (Michlé 3, 18)
A l’heure où les enfants d’Israël accordèrent du crédit à la campagne de dénigrement des explorateurs, ils portèrent atteinte à la Torah, qui nous met ainsi en garde : « Ne va point colportant le mal parmi les tiens. » (Vayikra 19, 16) Or, cette atteinte retira d’eux la vitalité de la Torah qui les définissait, si bien que D.ieu se trouva contraint de les faire errer dans le désert durant quarante ans, de sorte à la leur restituer. Ces longues années d’errance leur permirent de réintégrer la Torah et de se rendre aptes, par son pouvoir, à hériter de la Terre sainte et à en combattre les occupants.
Mise à part la contradiction entre le deuil caractéristique du neuf Av et la joie propre à l’étude, le fait même que nos ancêtres ont porté atteinte à la Torah, en croyant au rapport des explorateurs, leur retira le mérite de l’étudier et les contraignit à recréer un lien avec leur Père céleste et avec la Torah par le biais de la souffrance et de la tristesse.
Lorsque le peuple juif commit le péché du veau d’or, le Saint béni soit-Il lui pardonna, alors qu’Il se montra beaucoup plus intransigeant concernant celui des explorateurs, sanctionné par quarante ans d’errance dans le désert. Pourquoi donc ?
Tout d’abord, le péché du veau d’or se situait avant le don de la Torah, tandis que celui des explorateurs lui était postérieur. En outre, la Terre Sainte est étroitement liée aux paroles de la Torah, par les mitsvot lui étant spécifiques qui s’y trouvent mentionnées. La rigueur de la punition divine venue sanctionner le péché des explorateurs visait à prouver au peuple juif que dénigrer la sainteté de la terre d’Israël revient à porter atteinte à la sainteté de la Torah – péché considérable.
Par conséquent, du fait que les enfants d’Israël médirent de la Terre Sainte, ils endommagèrent la sainteté de ce pays, directement liée à celle de la Torah, qui fut donc elle aussi atteinte. Aussi, mesure pour mesure, D.ieu leur retira le privilège d’étudier la Torah le neuf Av et de se réjouir par ce biais, les obligeant au contraire à se lamenter à cette date, de sorte à éveiller en eux une nouvelle aspiration à raffermir leur lien avec elle.
Par ailleurs, sachant que Ses enfants auraient besoin de se ressourcer spirituellement dans le désert, où ils renouvelleraient leur acceptation de la Torah, donnée en quarante jours, et réintégreraient ainsi leur réelle essence, Il fit en sorte que la mission des explorateurs s’étende sur ce nombre de jours. Suite à cette punition constructive, ils purent pénétrer en Terre Sainte et en hériter.
PAROLES DE TSADIKIM
Pourvu de se plaindre !
Durant les longues années d’errance de nos ancêtres dans le désert, nous trouvons à plusieurs reprises qu’ils se plaignirent à Moché, insatisfaits de la Providence divine individuelle dont ils jouissaient.
Rabbi Yaakov Edelstein zatsal raconte (Guéon Yaakov, Sivan 5779) qu’une fois, une communauté américaine fit la demande, aux Rabbanim de Jérusalem, de leur envoyer un grand Rav érudit, capable de répondre à toutes ses questions.
On agréa à sa requête à travers l’éminente personnalité d’un des plus brillants avrékhim de la Yéchiva Ets ‘Haïm, Rav Chlomo Nathan Kotler. Il se rendit sur place et prit cette fonction.
Cette communauté était présidée par des ignorants, qui n’avaient aucune notion de ce qu’est l’étude de la Torah. Un jour, ils envoyèrent une lettre à Jérusalem, où ils se plaignirent d’avoir été trompés. Ils recherchaient un Rabbin maîtrisant la Torah, alors que le candidat qu’on leur avait proposé étudiait jusqu’aux heures tardives de la nuit. Ils avaient en effet remarqué les lumières provenant de sa demeure et, après enquête, avaient trouvé qu’il était assis devant une table, à côté d’une grande pile de livres, et écrivait dans des cahiers. Ils en avaient déduit qu’il n’avait pas encore terminé ses études, car, dans le cas contraire, pourquoi était-il constamment occupé à étudier et à écrire et qu’avait-il donc à chercher dans ces ouvrages ?
Aussi, avaient-ils décidé de le licencier. Quels pauvres hommes, si éloignés du concept d’assiduité dans l’étude ! Eux-mêmes ignorants, ils avaient pris leur vénéré Rav pour tel et l’avaient jugé selon des critères profanes, valables pour les sciences vulgaires, mais non pas pour la sagesse de la Torah, du moussar et de la crainte du Ciel.
Cette histoire est aux antipodes d’une autre, arrivée dans un petit village polonais où on voulut aussi licencier le Rav. Mais, la raison était opposée : en passant plusieurs fois devant la fenêtre de sa demeure, on avait remarqué que l’obscurité y régnait et en avait tiré la conclusion qu’il ne s’attelait pas suffisamment à la tâche de l’étude. Cependant, ils ignoraient que, faute de moyens, leur dirigeant spirituel n’avait pas de quoi se procurer des bougies et étudiait donc par cœur dans l’obscurité.
Un érudit est appelé talmid ‘hakham, même si, généralement, il a déjà atteint un âge avancé, parce qu’il poursuit continuellement son étude, se considérant comme un élève, qui a toujours de quoi apprendre. Telle est bien son aspiration.
Ceci corrobore l’enseignement de Ben Zoma dans Avot : « Qui est sage ? Celui qui apprend de tout homme. » Seul celui qui, conscient de son manque, continue à étudier pourra se hisser dans les degrés de la Torah, du moussar et de la crainte de D.ieu.
Cette conception n’existe pas dans les sciences profanes, pour lesquelles on n’étudie assidûment qu’avant les examens. Puis, si on les réussit, cela signifie qu’on maîtrise pleinement le sujet et qu’on a terminé ses études ; dès lors, on n’est plus un « élève ».
Le roi Chlomo a affirmé : « Donne au jeune homme de bonnes habitudes dès le début de sa carrière ; même avancé en âge, il ne s’en écartera point. » (Michlé 22, 6) La fin du verset explique pourquoi il est nécessaire d’éduquer un enfant dès son plus jeune âge. Car, en grandissant, il continuera à s’auto-éduquer, à se travailler, à s’élever et à se parfaire. Il ne s’écartera pas de son devoir éducatif vis-à-vis de lui-même.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Yéhochoua, fils de Noun, envoya (…). » (Yéhochoua, chap. 2)
Lien avec la paracha : la haftara nous raconte que Yéhochoua envoya deux explorateurs en Terre Sainte et la paracha évoque l’épisode où Moché, sur l’ordre divin, envoya les douze explorateurs en reconnaissance de ce pays.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Je viendrai prendre un café chez vous
La famille Benarousse, vivant à Paris, se distingue par sa grande générosité et bienveillance envers tous.
A une certaine époque, elle fut durement frappée, lorsque la mère de la famille se retrouva paralysée, tandis que les médecins ne lui donnaient aucune chance de retrouver la santé. « Elle ne va pas en mourir, se contentèrent-ils de dire à ses proches, mais elle restera paralysée à vie. »
Du fait du malheur qui avait frappé leur famille, ils élevèrent la voix vers le Créateur, L’implorant de la guérir. Ils vinrent également me trouver pour me demander de bénir la malade. Connaissant bien cette dame, qui pratique la bienfaisance et la tsédaka avec tant de zèle, je ne me contentai pas uniquement de la bénir, mais m’offris également de lui rendre visite.
Quand j’entrai dans la chambre de la malade, je l’aperçus affaissée sur son lit, incapable de faire le moindre mouvement, et reliée de tous les côtés à de multiples tuyaux et appareils.
L’objectif de ma visite étant de l’encourager, je lui déclarai : « A une femme aussi généreuse que vous, il est certain que le Ciel viendra en aide et enverra une guérison complète ! Avec l’aide de D.ieu, je viendrai boire une tasse de café chez vous et c’est vous qui le préparerez et me le servirez ! »
Tous ses proches, présents dans la pièce, répondirent « Amen ! » avec une émotion intense, tandis que la malade elle-même me répondit : « Je crois du fond du cœur que je vais guérir et c’est pourquoi, je vais demander dès maintenant qu’on mette de l’eau à bouillir chez moi pour vous préparer ce café ! »
Par un effet de la Miséricorde divine infinie, au bout d’un certain temps, Mme Benarousse, que les médecins condamnaient à rester paralysée toute sa vie, guérit de son mal, et j’eus le plaisir de lui rendre visite chez elle, où je la vis se déplacer comme tout le monde. Grâce à D.ieu, elle eut le mérite de guérir totalement et de mouvoir de nouveau tout son corps comme par le passé. Et, promesse tenue, elle nous prépara à tous du café, qu’elle nous servit sans aucune aide.
CHEMIRAT HALACHONE
Eviter de blâmer et peser ses mots
Si, en plus de la réprimande, il existe un autre moyen d’atteindre le but recherché en évitant de blâmer autrui, on a l’obligation de procéder par ce biais. Même si on prononce un blâme pour une visée constructive, il est préférable de se garder de le faire, dans la mesure du possible.
De même, si on n’a d’autre choix que de blâmer son prochain, il faut évaluer minutieusement ce qu’il nous est permis de raconter pour parvenir à notre but. Tout ajout non indispensable est considéré comme de la médisance.
PERLES SUR LA PARACHA
Le repentir, capable d’annuler un serment
« S’ils verront le pays que J’ai promis par serment à leurs aïeux ; eux tous qui M’ont outragé, ils ne le verront point ! » (Bamidbar 14, 23)
Rachi commente : « S’ils verront : ils ne verront pas. » Cependant, si tel est le sens de « s’ils verront », pourquoi le texte n’a-t-il pas plutôt dit « ils ne verront pas », comme dans la fin du verset ?
Dans son ouvrage Ohel Its’hak, Rabbi Its’hak ‘Hassoun zatsal cite le Rambam (Hilkhot Téchouva 3, 14) selon lequel, même un homme ayant enfreint des péchés pour lesquels on perd sa part dans le monde à venir, s’il se repent avant sa mort, il y a droit, le repentir ayant le pouvoir d’annuler cette punition. Même si, durant toute sa vie, il a renié D.ieu, s’il Le reconnaît à la fin de ses jours, il reçoit une part dans le monde futur.
Plus encore, dans le traité Roch Hachana (18a), nos Sages affirment que, même si l’Eternel a déjà juré de punir le fauteur, néanmoins, s’il étudie la Torah, Il lui pardonne. Car, si les sacrifices ne peuvent apporter l’expiation, l’étude de la Torah est en mesure de le faire. Cependant, tout ceci n’est valable que pour celui qui n’incite pas les autres au péché. Au sujet de ce dernier, nos Maîtres enseignent : « Tout celui qui entraîne la collectivité à fauter ne se verra jamais accorder la possibilité de se repentir. » (Avot 5, 18)
Par conséquent, bien que le Saint béni soit-Il ait juré que les hommes ayant prêté crédit à la médisance des explorateurs n’entreraient pas en Terre Sainte – comme il est dit « Mais, aussi vrai que Je suis vivant » (Bamidbar 14, 21) –, toutefois, ce serment n’est pas absolu : s’ils se repentent et étudient la Torah, ce droit d’entrée leur sera octroyé. D’où la formulation de notre verset « S’ils verront ».
Par contre, les explorateurs, qui poussèrent les autres au péché par leur rapport diffamant, furent privés de l’opportunité de se repentir. La fin du verset, « ils ne verront pas », se rapportent à eux.
La mission des explorateurs
« Vous observerez l’aspect de ce pays. » (Bamidbar 13, 18)
L’auteur de l’ouvrage Rabid Hazahav rapporte les paroles de Rabbi Naphtali de Ropchiz zatsal, qui explique notre verset de manière allusive.
« Vous observerez l’aspect de ce pays » (ma hi) : le terme ma renvoie à celui du verset véna’hnou ma, « Et nous, que sommes-nous ? », c’est-à-dire à la vertu de l’humilité.
« S’il est robuste ou faible » : les habitants de ce pays s’estiment-ils faibles, dans l’esprit du verset « un cœur brisé et abattu », même s’ils sont forts ?
« Peu nombreux ou considérable » : se considèrent-ils comme peu nombreux, même s’ils sont considérables ?
« Y a-t-il un arbre ou non ? » (èn) : comprend-il un Tsadik, homme modeste se considérant comme nul (èn) ?
Il en ressort que tous les points que Moché demanda aux explorateurs de vérifier se rapportent à l’humilité. L’homme possédant cette vertu ne s’emporte pas rapidement. Il leur enjoignit d’observer si les habitants étaient humbles ou, au contraire, durs et coléreux, afin d’orienter en fonction de cela le peuple dans sa conquête de la terre.
Le repentir sanctifie le Nom divin
« Maintenant donc, de grâce, que la puissance de l’Eternel se déploie, comme Tu l’as déclaré en disant (…). Oh ! Pardonne le crime de ce peuple selon Ta clémence infinie (…) L’Eternel répondit : Je pardonne, selon ta demande. » (Bamidbar 14, 17-20)
Lorsqu’un verset s’ouvre par le terme véata (maintenant donc), souligne le Or Ha’haïm, cela se réfère au repentir des impies, qui entraîne une sanctification du Nom divin dans le monde. En effet, quand les mécréants se rebellent contre l’Eternel, puis se repentent et améliorent leur conduite, le pouvoir du mal se trouve annihilé et, simultanément, celui de la sainteté se renforce dans le monde.
C’est pourquoi nos Maîtres affirment : « Là où les repentis se tiennent, les justes parfaits ne peuvent se tenir. » Car, les repentis ont le mérite de sanctifier le Nom divin à un niveau supérieur à tous.
Dans notre verset, en employant le terme véata, Moché demande à l’Eternel d’accepter le repentir des enfants d’Israël et de leur pardonner leur péché, car, par ce biais, Sa puissance se trouvera amplifiée et Son Nom glorifié, comme le souligne la suite des versets précités : « Mais aussi vrai que Je suis vivant et que la majesté de l’Eternel remplit toute la terre. »
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Le projet divin à travers l’envoi des explorateurs
« L’Eternel parla ainsi à Moché : “Envoie toi-même des hommes pour explorer le pays de Canaan, que Je destine aux enfants d’Israël ; vous enverrez un homme respectivement par tribu paternelle, tous éminents parmi eux.ˮ » (Bamidbar 13, 1-2)
Il est intéressant de noter que les initiales de l’expression Chla’h lékha anachim forment le mot échel (tente), tandis qu’à partir de ses lettres finales, on obtient le terme ’hakham (sage). Mon fils, Rabbi Moché – qu’il jouisse d’une longue vie – m’a suggéré que ce dernier terme qui transparaît dans ce verset est une allusion à l’ordre divin, adressé à Moché, d’envoyer des personnes sages et justes pour explorer la Terre Sainte.
A présent, tentons d’expliquer la notion de échel suggérée par notre verset. Nous la retrouvons au sujet de notre patriarche Avraham, auquel le Saint béni soit-Il avait enjoint « Va pour toi » (Béréchit 12, 1), expression commentée ainsi par Rachi « pour ton profit et pour ton bien ». La suite du verset, « au pays que Je t’indiquerai », souligne le caractère inconnu de la destination et, subséquemment, la difficulté de l’épreuve à laquelle Abraham fut confronté et qu’il surmonta malgré tout. Arrivé en Terre Sainte, il la parcourut de long en large, entraîné par la joie d’accomplir la mitsva de s’y installer. Puis, il y planta une tente, qui lui servit d’assise à partir de laquelle il diffusa le Nom divin dans le monde et rapprocha les hommes de leur Créateur.
Ceci nous enseigne que lorsque l’homme est animé d’un amour authentique pour son prochain et d’une volonté d’agir envers lui avec bienfaisance, il atteste son lien intime avec l’Eternel, agissant comme s’il était l’associé de Celui qui incarne la bonté par excellence. En outre, un comportement empreint de bonté transmet à l’homme les forces nécessaires pour surmonter toutes les épreuves auxquelles il sera confronté, outre le plaisir personnel qu’il retirera de sa générosité d’âme.
J’ajouterai que, du fait qu’Avraham avait déjà converti de nombreuses personnes à ‘Haran, grâce à la vertu de bonté ancrée en lui, le Saint béni soit-Il lui ordonna de quitter cet endroit « pour son bien », car Il allait le conduire vers un pays où l’atmosphère ambiante assagit l’homme (Baba Batra 158b) ; ce bain de sagesse renforcerait davantage la bonté innée du patriarche, ce qui lui permettrait de se lier d’autant plus à son Créateur.
Par conséquent, lorsque l’Eternel dit à Moché d’envoyer des hommes pour explorer la Terre Sainte, Il désirait lui signifier, à travers le mot échel qui se lit en filigrane dans Son ordre, de choisir ceux en qui brûlait l’amour du bien, de sorte qu’ils ne subissent pas l’influence néfaste des impies peuplant le pays et aient un regard positif sur le pays, ne cherchant nullement à le dénigrer. L’éloge qu’ils feraient alors d’Israël encouragerait le peuple juif à y pénétrer et lui permettrait de bénéficier de son atmosphère particulière qui rend l’homme sage. Ces bonnes paroles des explorateurs reviendraient ainsi à un acte de bienfaisance envers les enfants d’Israël, puisqu’ils pourraient rapidement profiter du climat assagissant de la Terre bénie.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Donner du mérite au grand nombre, l’apanage de l’homme méritant
Lorsque Rabbi Issakhar Meïr zatsal, Roch Yéchiva de Hanéguev, voyageait en Diaspora pour ramasser des fonds pour sa Yéchiva, raconte Rabbi Guershon Edelstein chelita, les donateurs avaient pitié de lui, car il était faible et malade. Face à son sacrifice pour cette tâche sacrée, en dépit de sa faiblesse, ils lui témoignaient leur générosité par pitié, plutôt que par amour pour la Torah. Mais, finalement, le fait de donner de leur argent pour une Yéchiva et de permettre ainsi au grand nombre d’étudier leur donna le mérite de gagner l’amour de la Torah, mesure pour mesure.
Plus encore, souligne le Roch Yéchiva, grâce au soutien de la Torah, ils purent eux-mêmes étudier dans le monde futur. Rabbi Bentsion Bamberger zatsal raconte, à ce sujet, l’histoire d’un homme qui avait décidé qu’après son décès, ses enfants remettent une partie de son héritage à des institutions de Torah. Ces derniers ayant tardé à le faire, il leur apparut en rêve et leur cita les paroles du Rachba dans Guitin, alors que, de son vivant, il n’avait pas étudié et ne connaissait pas le Rachba. Du fait qu’il avait offert à une Yéchiva des ouvrages du Rachba, dans lesquels les ba’hourim avaient étudié [sur Guitin, traité alors au programme], il avait lui aussi eu le mérite de les étudier dans le monde supérieur. Tel est le principe du zikouï harabim.
Par ailleurs, seul celui qui a lui-même des mérites à son actif est en mesure d’en donner au grand nombre, comme nous le déduisons de l’enseignement de nos Sages : « Moché était vertueux et rendait la collectivité méritante ; le mérite de celle-ci lui est attribué. » (Avot 5, 18) Il faut tout d’abord être vertueux, puis, seulement ensuite, on a la possibilité de rendre les autres méritants. A l’inverse, si l’on connaît une déchéance personnelle, on perd son influence positive sur autrui.
« Je connais quelqu’un, atteste Rav Edelstein, qui a spirituellement régressé, suite à quoi il a également cessé de rendre les autres méritants. Lorsqu’il s’est repenti et l’est redevenu lui-même, il a œuvré de plus belle en faveur des autres. » C’est une réalité incontestable et vérifiée. De plus, si l’on néglige le zikouï harabim, on le perd, alors que si l’on se renforce dans ce domaine, on a la chance d’y entraîner des merveilles.
Outre tous ses mérites, Moché fut doté d’une modestie hors pair et d’un exceptionnel amour pour autrui. Les Midrachim relatent la compassion avec laquelle il se conduisait même envers les animaux, ce qui lui valut d’être choisi comme « berger du peuple juif », de recevoir la Torah et de la lui transmettre. Le mérite de la collectivité lui est attribué, puisque, ayant transmis la Torah aux enfants d’Israël, toutes leurs mitsvot et leur étude lui sont créditées, tout au long des générations. En étudiant et accomplissant des mitsvot, nous ajoutons à Moché des mérites supplémentaires.
Pourtant, en quoi Moché, qui a déjà énormément de mérites, a-t-il besoin de ceux qu’on lui ajoute ? Contrairement aux jouissances de ce monde, qui n’apportent à l’homme qu’une joie éphémère, celles propres au monde futur se renouvellent et se renforcent sans cesse, à l’infini. C’est pourquoi, malgré son niveau extrêmement haut et l’immense part lui étant réservée dans le monde supérieur, Moché peut s’élever encore davantage par le biais des mérites que nous lui ajoutons et profiter encore plus des délectations spirituelles.
Avant de mettre les téfillin, nous demandons d’avoir des « pensées saintes ». Autrement dit, non seulement nous repoussons les pensées vaines et interdites, mais, en plus, aspirons à en avoir des saintes, tournées vers la Torah et la foi en D.ieu.
Il s’agit là d’un niveau très élevé, qui n’est pas à la portée de tous. Il est impossible d’y arriver d’un coup, mais il s’agit d’avancer doucement et sûrement, en fonction de ses forces. Avec le temps, on s’habituera à avoir des pensées pures, au point qu’elles se dirigeront d’elles-mêmes vers les paroles de Torah, tant on sera attiré par leur saveur. D.ieu ne tient rigueur qu’à celui qui détient le potentiel d’y parvenir et le néglige.
A l’époque de Rav Baroukh Beer zatsal, Roch Yéchiva de Knesset beit Its’hak, l’étude du moussar n’avait pas encore été instaurée de manière fixe dans les Yéchivot. Quelqu’un lui parla un jour de l’importance de le faire et le Sage approuva ses propos, cette étude renforçant la crainte de D.ieu. Il décida donc une fois de s’initier au moussar. Cependant, le lendemain, il réalisa que cette étude lui était interdite, car il n’avait pas dormi de la nuit ! A son niveau, il pouvait effectivement se passer de ce type d’étude, puisque, même sans elle, il parvenait à ne pas détourner son esprit de la foi en D.ieu.
Le Saba de Kelm zatsal explique pourquoi les Sages des anciennes générations n’avaient pas l’habitude d’étudier le moussar, bien qu’il existe des ouvrages à ce sujet sous leur plume. Rabbénou Yona, dans son Chaaré Téchouva (2, 15), affirme que nous devons quotidiennement effectuer un examen de conscience. Mais, à son époque aussi, il n’existait pas une étude fixe de ce sujet, comme cela est de coutume de nos jours. Le Saba explique que, chez les Richonim, la prière avait la même influence que l’étude du moussar a aujourd’hui, car ils priaient du plus profond de leur cœur. Ainsi que l’explique le Kouzari, la prière déverse sur l’homme un courant de foi et de pureté de l’âme.
Comme nous le savons, les Allemands, maudits soient-ils, tuaient toute âme qui vive partout où ils pénétraient. Pourtant, lorsqu’ils arrivèrent à Kamnitz, où habitait Rav Baroukh Beer, ils ne firent aucun mal aux Juifs et, au contraire, témoignèrent du respect à ce dernier, lui offrant même leur aide dans ce qu’il désirait. Cette attitude contredisait complètement leur cruauté naturelle. Mais, à l’encontre totale des lois naturelles, l’Eternel le protégea, par le mérite de son étude de la Torah.
Suite au décès de ce Tsadik, le ‘Hazon Ich affirma que, s’il avait continué à vivre, la Shoah n’aurait pas pu avoir lieu, parce que son attachement indéfectible à la Torah aurait protégé toute sa génération. Mais, suite à sa disparition, ceci fut possible.