Parachat Choftim 14 Août 2021 ו אלול התשפ"א |
|
Des juges et des officiers pour notre bouche
Rabbi David Hanania Pinto
« Tu établiras des juges et des officiers dans toutes tes portes. » (Dévarim 16, 18)
D’après le Chla (début de Choftim), ce verset se réfère aux ouvertures du corps humain, comme la bouche et les oreilles, auxquelles il faut placer des juges et des officiers afin d’éviter la pénétration d’éléments interdits – aliments ou paroles prohibés. Il s’agit des barrières que nous plaçons autour de nous.
Une fois exposé à une vision impure, il est très difficile de s’en détourner. Comment baisser ses yeux en pleine rue, entouré de nombreux passants ? Si on marchait en regardant par terre, on serait pris pour un fou ! C’est pourquoi il nous incombe de nous éloigner de l’épreuve, en évitant les rues mal fréquentées. De même, nous ne prendrons pas place parmi des individus querelleurs ou médisants. Des précautions similaires seront prises concernant les autres interdits. De la sorte, nous ne serons pas confrontés à l’épreuve, nos policiers personnels nous arrêtant avant la zone à risque.
Ceux-ci doivent aussi travailler dans le sens inverse, en surveillant que l’homme ne soit pas générateur d’un péché. Le mauvais penchant le pousse souvent à médire ou, simplement, à raconter une histoire banale à son compagnon d’étude au milieu de la session. Nos gardiens ont pour rôle de nous en empêcher, de retenir tout acte ou parole interdit ou déplacé.
Nos Sages enseignent (Brakhot 34b) que « là où les repentis se tiennent, les justes parfaits ne peuvent se tenir ». Comment l’expliquer ? Les hommes ayant eu le courage de s’engager sur la voie du retour ont dû annihiler leurs mauvais traits de caractère. Or, comme le souligne Rav Israël Salanter, il est bien plus difficile d’enrayer un vice personnel que de s’élever spirituellement. D’où la vertu particulière des baalé téchouva.
Pour être à même de recevoir la Torah, les enfants d’Israël devaient atteindre la sainteté ultime ; aussi l’Éternel leur accorda-t-Il une grande assistance pour qu’ils puissent se hisser du quarante-neuvième degré d’impureté à son équivalent en sainteté. Chaque jour, ils se détachèrent d’un portique d’impureté pour pénétrer dans un de sainteté. Finalement, suite à ce travail suivi sur eux-mêmes, ils arrivèrent à un niveau supérieur à celui d’un Tsadik. Par ailleurs, il est plus difficile aux repentis de surmonter le mauvais penchant, car il ne cesse de leur rappeler leur passé réprimandable ; une grande dose de persévérance leur est donc nécessaire pour résister à ses assauts et ne pas désespérer.
Toute sa vie durant, mon père et Maître – que son mérite nous protège – était très scrupuleux à cet égard. Son extrême vigilance pour préserver la pureté de son regard est difficilement appréhendable. Il veillait également à surveiller ses propos. Non seulement il ne médisait pas ni ne colportait, type de propos aussi proscrits dans son entourage, mais, en plus, il ne disait pas une pointe de mensonge, même dans des cas permis.
Lorsqu’il quitta le Maroc pour s’installer en Israël, il emporta avec lui des bijoux d’argent et d’or, destinés à la dot de toutes ses filles. La loi du pays interdisait de sortir de ses frontières tout objet de valeur, mais Papa l’ignorait. Il ne les cacha donc pas et les plaça dans son bagage à main.
Quand il fit la queue pour la vérification des passeports, le monsieur le suivant, sachant ce qu’il avait emporté, lui dit avec mépris qu’il espérait que les passagers de l’avion ne seraient pas retardés à cause de lui. Papa lui répondit qu’il ne savait pas que c’était interdit et ne comptait pas mentir, quitte à perdre tous ses biens, si D.ieu l’avait décidé ainsi.
Le contrôleur lui demanda s’il avait de l’argent ou de l’or en sa possession. Plein d’assurance, il répondit par l’affirmative et en donna le détail complet. L’autre lui demanda s’il ignorait l’interdiction d’emporter avec soi de tels effets et Papa le lui confirma, ajoutant que si la loi l’obligeait à y renoncer, il le ferait.
Le supérieur fut appelé sur place. Il ouvrit le sac de Papa et fit le relevé de son contenu. Il constata que cela correspondait exactement à la description de mon père. L’Éternel fit en sorte qu’il trouve ainsi grâce à ses yeux. Il referma la petite valise, la rendit à son propriétaire et lui souhaita un bon voyage, l’invitant à poursuivre sa route en direction de l’avion.
Quant au Juif le suivant dans la queue, il fut soumis au même interrogatoire. Au départ, il avait prévu de mentir, mais, après avoir constaté qu’on avait laissé Papa passer, il décida de déclarer ce qu’il avait emporté illégalement. Le supérieur apparut de nouveau, mais, cette fois, se montra intransigeant. Après trois heures de rétention, il lui confisqua ses nombreuses richesses. Mon père fut récompensé pour son honnêteté, et cet homme fut puni pour son manque de respect à son égard. Finalement, c’est lui qui causa le retard du vol.
Le mauvais penchant domine dans notre génération. Autrefois, pour fauter, on était obligé de sortir dans des lieux peu recommandables, alors qu’aujourd’hui, on peut être assis au beit hamidrach et étudier, tout en possédant dans sa poche un cinéma en miniature. Cet appareil fait tomber toute barrière contre le péché. Que faire pour y échapper ?
Chassons le mauvais penchant logé dans notre poche et éloignons-nous au maximum de l’immoralité ! Parallèlement, prions et invoquons la Miséricorde de l’Éternel pour qu’Il nous mette à l’abri de ces périls permanents.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « C’est Moi, c’est Moi qui vous console ! » (Yéchaya chap. 51)
Lien avec le Chabbat : cette haftara est l’une des sept lues lors des Chabbatot de consolation suivant le 9 Av.
PAROLES DE TSADIKIM
Un oubli révélateur ?
Au milieu de leur traversée du désert, les enfants d’Israël reçurent l’ordre divin répondant à leur volonté de nommer un roi – ce qui aura lieu à l’époque du prophète Chmouel –, comme il est dit : « Lorsque tu viendras dans le pays que le Seigneur ton D.ieu te donne, que tu l’occuperas, que tu t’y établiras et que tu diras : “Je veux mettre à ma tête un roi comme tous les peuples qui m’entourent.” » (Dévarim 17, 14)
Le fait de couronner un roi n’est pas un événement anodin. Il s’agit de comprendre et d’intégrer la signification profonde de la royauté et, parallèlement, de se soumettre à ce joug. Si ceci est valable pour un roi humain, a fortiori concernant le Roi des rois, le Saint béni soit-Il.
Rabbi Mikhel Chlapovarsky zatsal, Roch Yéchiva de Tiférèt Tsvi, écrit dans son Tiférèt Adam : « Deux fois par jour, nous récitons le Chéma pour nous soumettre au joug divin. Mais, acceptons-nous réellement le joug de la royauté divine ? Le père du mouvement du moussar, Rav Israël Salanter zatsal, avait l’habitude de dire que l’homme peut proclamer D.ieu Roi des quatre coins du monde, des sept espaces et de l’ensemble des mondes, tout en oubliant un petit point… lui-même ! Il est important de savoir qu’un renforcement dans ce domaine, en l’occurrence une soumission personnelle au joug divin, constitue la préparation la plus optimale aux malkhouyot, qui sont l’essence de Roch Hachana. »
Un jour où les élèves de Rabbi Leib ‘Hasman zatsal, Machguia’h de ‘Hevron, étaient assis autour de lui, il leur dit : « Écoutez bien. Je vais vous lire un passage de la prière et vous allez me dire ce que j’ai sauté. »
Il ouvrit son sidour et lut un paragraphe des bénédictions précédant la récitation du Chéma, « Vékoulam mékablim ol malkout chamaïm zé mizé » (tous se soumettent au joug du Roi des cieux), en omettant le terme « aléhem » (sur eux). Ses disciples relevèrent immédiatement l’omission et le Maître poursuivit alors :
« C’est exactement ce que je voulais entendre de vous ! D’ailleurs, je m’étais toujours demandé en quoi ce mot était nécessaire ici. Que manque-t-il donc à la phrase telle que je vous l’ai énoncée ? »
« Rabbi Leib désirait mettre en exergue, conclut Rabbi Mikhel, que le but essentiel de la récitation du Chéma est la soumission personnelle de chaque individu au joug céleste. »
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Ne pas humilier autrui
Un soir où je me rendis à un mariage avec du retard, je pris place avec les autres Rabbanim, assis à la table d’honneur. Ils avaient déjà mangé l’entrée et, lorsque le père du marié m’aperçut, il demanda au serveur de me l’apporter. Je me dis qu’en attendant, je pouvais déjà boire lé’haïm avec le ‘hatan.
Le Rav assis à côté de moi me dit que le vin posé sur la table n’avait pas un bon certificat de cacheroute. Je jetai un coup d’œil et constatai qu’il avait été donné par un autre Rav attablé avec nous. Je réalisai aussitôt que, si je m’abstenais d’en boire, il en serait humilié ; aussi, le connaissant comme un homme craignant D.ieu, je décidai de compter sur lui. Je pris la bouteille, me servis un verre, récitai la bénédiction sur le vin et le bus.
Le Rav me regarda avec un large sourire de contentement. Je compris que j’avais fait ce qu’il fallait, d’autant plus que, jusqu’à ce moment, personne n’avait osé y toucher, ce qui lui avait sans doute causé beaucoup de peine.
Quelques instants plus tard, on m’apporta une assiette et je constatai qu’elle ne contenait pas de poisson. Pour plaisanter, je demandai s’il n’y en avait plus. Mon hôte, tout pâle, me répondit qu’il y en restait encore, mais qu’un grand doute de cacheroute était survenu. Heureusement, je n’en avais pas mangé.
Je pensais alors que les autres Rabbanim, qui n’avaient pas tenu compte de l’embarras causé à leur collègue, avaient involontairement trébuché dans cette consommation interdite, alors que moi, qui avais mis un point d’honneur à ne pas l’humilier, j’en avais été épargné. Car, quiconque veille à ne pas commettre un interdit bénéficie d’une protection divine pour ne pas en transgresser d’autres, même à son insu.
CHEMIRAT HALACHONE
La permission de consoler des personnes humiliées
Il est permis d’énoncer une critique sur un homme qui a humilié quelqu’un, afin de consoler ce dernier. On peut soulager sa peine en soulignant, par exemple, que cet individu n’est pas le plus intelligent ni le plus poli et que les gens ne prennent pas au sérieux ses sots propos.
Ensuite, il est important d’aider l’humilié à comprendre le tempérament et les problèmes personnels de cet homme, de sorte à lui permettre, à l’avenir, de s’arranger avec lui sans être la cible de ses vexations.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Le devoir de s’éloigner de l’épreuve
La vertu de l’homme se mesure à sa capacité de se placer des officiers pour se mettre à l’abri du péché, ainsi que des juges se prononçant sur ses méfaits, le cas échéant, et l’incitant à se repentir.
La Torah nous ordonne : « Tu établiras des juges et des fonctionnaires dans toutes tes portes. » Chacun doit procéder à une introspection pour définir dans quel domaine il lui appartient de se travailler, quel est son point faible nécessitant des gardiens pour ne pas trébucher. Un homme marié, père de dix enfants, me raconta que, à son lieu de travail, l’usage de l’Internet lui causait une grande déchéance. Il désirait que je lui donne un conseil pour se maîtriser et résister à ce danger spirituel. Je lui dis que la première chose à faire était de renoncer à ce travail, même s’il en retirait son gagne-pain, l’essentiel étant de préserver son âme.
De même que quelques policiers ne peuvent protéger une ville entière pleine de voleurs, nous ne sommes pas en mesure de surmonter le mauvais penchant à un endroit où il nous expose à tant de visions impures. C’est pourquoi il convient de s’éloigner de l’épreuve, car on ne peut savoir si ses officiers et juges sont suffisamment puissants pour se protéger de la faute.
Dans la prière du matin, nous disons : « Ne nous mets pas à l’épreuve, ne nous expose pas à la honte. » L’épreuve conduit parfois à la honte, parce que l’homme n’a pas toujours la force de résister vaillamment aux incitations qui l’entourent. C’est pourquoi il est recommandé d’être conscient de ses faiblesses et de se rendre uniquement à des lieux sûrs, où ses officiers et juges pourront jouer convenablement leur rôle.
LA CHÉMITA
Le premier soir de Roch Hachana, quand on récite le Kidouch et la bénédiction de chéhé’héyanou, on doit aussi penser à l’observance des mitsvot propres à la chémita.
Durant la septième année, il est interdit d’accomplir des actes considérés comme une ségoula pour que la terre donne ses produits. Néanmoins, ceux opérés en tant que ségoula dans l’intention d’améliorer la récolte, généralement interdits, pourront être effectués avec un chinouï [de manière un peu différente]. Ils sont à distinguer des travaux de maintien, visant à assurer la survie de la végétation ayant déjà poussé avant l’année de chémita et à la préserver de tout dommage, notamment de la sécheresse, travaux permis.
Il est permis de jeûner ou de prier pour la pluie durant la septième année.
PERLES SUR LA PARACHA
La force du présent corrupteur
« La corruption aveugle les yeux des sages. » (Dévarim 16, 19)
Le Midrach Tan’houma illustre la force du présent corrupteur par l’histoire qui suit, racontée par Rabbi Ichmaël ben Elicha. « Un jour, un homme m’apporta la première tonte. Il devait ensuite comparaître en justice. Me tenant là, de côté, je me dis : “S’il donne cet argument, il sortira blanchi.” C’était donc ce que j’espérais, bien qu’il ne fît que me remettre mon dû, les cadeaux des Cohanim, et non pas un présent corrupteur. Chaque fois que je le voyais, j’éprouvais pour lui de la sympathie, m’interrogeais sur son sort et me demandais s’il avait obtenu rémission. »
Nous pouvons en retirer un raisonnement a fortiori. Si déjà ce Cohen, qui ne reçut que ce qui lui revenait, prit parti pour cet homme, combien plus cette tendance existe-t-elle chez celui qui accepte d’autrui un présent corrupteur ! D’où l’immense pouvoir de celui-ci, capable d’aveugler même les Sages.
Le mérite du roi
« Alors qu’il siégera sur son trône royal. » (Dévarim 17, 18)
Rachi commente : « S’il agit ainsi, il mérite que son règne dure » et le Kli Yakar en déduit un merveilleux enseignement. Les initiales du terme kissé (trône) sont kessef (argent), sous (cheval) et icha (femme). Le texte signifie allusivement que, en se gardant de désirer à l’excès ces trois tentations, le roi méritera d’être désigné au trône par l’Éternel.
Deux livres de la Torah, deux conduites
« Il écrira, à son usage, dans un livre, une copie de cette loi. » (Dévarim 17, 18)
Rachi commente : « Deux livres de la Loi, l’un déposé dans son trésor, l’autre qui le suit au combat et revient avec lui. »
Le Ktav Sofer écrit que tout roi juif doit posséder deux livres de la Torah. Celui gardé dans son trésor s’adresse à lui et lui rappelle son obligation de respecter scrupuleusement la Torah en tout point, dans ses moindres détails. Quant à l’autre, il l’emporte quand il sort parmi le peuple, au niveau duquel il doit se rabaisser en se conduisant au-delà de la stricte justice.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Comprendre son prochain pour le juger avec équité
Les habitants de Jérusalem étaient en ébullition. Ils venaient d’apprendre que, dans un certain quartier de la ville, le propriétaire d’une épicerie avait osé laisser son magasin ouvert vendredi soir et Chabbat. Quelle terrible profanation du jour saint en public, spectacle rare à cette époque !
Plutôt que de se croiser les bras, ils allèrent admonester l’homme qui portait atteinte à la sainteté du Chabbat. Cependant, il refusa de les écouter. Ce jour-là, il récoltait de copieux bénéfices, auxquels il lui était difficile de renoncer. Doté d’un fort caractère, il ne se laissa pas intimider par les menaces et campa sur ses positions, n’ayant d’oreilles que pour les pièces d’argent retentissant dans sa caisse.
Une veille de Chabbat, tôt dans l’après-midi, un vieillard à l’allure majestueuse fit son apparition dans cette épicerie. Il s’agissait d’un homme pour lequel tout Juif, même non religieux, réservait une place précieuse dans son cœur. Un homme qu’il était impossible de ne pas aimer, le Tsadik Rav Arié Lévin, le « Rav des prisonniers » qui se souciait de chacun de ses frères, se dévouait pour lui et lui vouait un amour sincère. Il entra dans la boutique et s’assit sur une chaise, dans un coin, le visage tourné vers le patron, qui servait ses clients. Certains d’entre eux faisaient leurs dernières emplettes pour Chabbat.
Les rayons du soleil se mettaient doucement à tendre vers l’ouest, tandis que Rav Arié, toujours assis, observait le vendeur. Au départ, celui-ci pensait que, à cause de son vieil âge, il était venu passer un moment dans son magasin pour se reposer de la fatigue du chemin. Mais, après deux heures, il comprit que quelque chose d’anormal se passait. S’approchant de lui, il lui demanda : « Vénéré Rav, puis-je vous être utile ? »
Le Tsadik posa sur lui ses yeux doux et, éclatant en sanglots amers, lui dit : « Cher Juif, je n’ai pas du tout besoin d’aide. Mais, j’ai entendu que tu ouvrais ton magasin le Chabbat et je voulais savoir pourquoi. Après être resté assis deux heures ici, je comprends qu’il t’est très difficile de résister à cette tentation, car tu gagnes beaucoup d’argent. Mais, que faire, mon fils ? dit-il en sanglotant tout en serrant chaleureusement la main du vendeur. C’est bientôt Chabbat et on est tenu de le respecter. »
Ce dernier, ému, déclara : « Rabbi, de nombreuses personnes ont tenté de me persuader de fermer ma boutique, mais, hormis vous, pas une seule d’entre elles n’y est venue pour tenter de comprendre la grandeur de l’épreuve. Je vous promets que, dorénavant, il sera fermé le Chabbat. »
Cela étant, revenons-en à notre paracha. Pourquoi est-il précisé que les juges doivent juger avec équité ? Dans le cas contraire, comment pourraient-ils être désignés à cette fonction ? Le Ibn Ezra explique que cet avertissement a été répété à l’intention des juges, afin d’insister sur leur devoir de se conformer à la justice.
Néanmoins, nous pouvons expliquer qu’il s’adresse également à tout un chacun. Nos Maîtres nous enseignent que « le juge ne se prononce qu’à partir des données en sa connaissance ». Sur le mode allusif, cela peut s’appliquer à tout homme qui juge son prochain et lui reproche une certaine conduite. La Torah l’avertit, lorsqu’il critique autrui, de ne pas se contenter de ce qu’il voit, mais de s’efforcer d’éprouver son ressenti, de cerner la situation en profondeur, de voir au-delà de l’acte en soi. Seulement ainsi, il sera à même de le juger avec équité.
En Éloul, chacun d’entre nous peut se préparer au jugement en s’évertuant à ne pas juger son prochain avant d’avoir tenté d’appréhender sa difficulté personnelle. En effet, un cas apparaissant clairement pour l’un comme une accusation à l’encontre d’un homme peut être perçu, par l’autre, comme une permission exceptionnelle accordée en raison d’un manque de lucidité. Celui qui adopte ce regard positif sur autrui bénéficiera, en retour, de la même indulgence de la part du Très-Haut qui, le jour du jugement, prononcera sa sentence selon le bénéfice du doute.
Parfois, les gens refusent de juger ainsi leur prochain, parce que des raisonnements de cet ordre leur semblent absurdes. Or, en vérité, leur refus de juger favorablement ne provient pas d’une réticence à l’illogisme, mais de leur mauvais cœur. S’ils aimaient leur semblable, ils feraient tout leur possible pour considérer son comportement avec bienveillance.
On raconte l’histoire de nouveaux mariés qui avaient décidé d’allumer en avance les lumières de Chabbat. Le premier Chabbat suivant leur mariage, la jeune femme tarda un peu à le faire, puis se souvint soudain de leur décision commune.
Avec quelques minutes de retard, elle se pressa pour remplir cette tâche. Mais, elle constata alors, à sa plus grande déconvenue, que son ‘hatan les avait déjà allumées. Elle jugea inopportun de le questionner à ce sujet, mais fut très déçue de la conduite de son nouvel époux. Ce léger retard n’était pas une raison suffisante pour qu’il s’acquitte à sa place de cette mitsva. Elle passa tous les repas des chéva brakhot, le cœur brisé.
Sa mère, qui perçut sa détresse, insista pour qu’elle lui en révèle la raison. La kala lui confia alors cette anecdote. Emplie de chagrin pour sa fille, elle fit à son tour ce récit à son mari. Il décida de ne pas en parler à son gendre, malgré sa profonde rancœur, qui l’empêcha de se réjouir durant tout le Chabbat pour lequel il avait déboursé de très grosses sommes.
À la clôture du jour saint, il se rendit chez un Rav pour lui demander conseil sur la manière de réagir. Ce dernier trouva cette histoire étrange : une jeune mariée se prépare si longtemps à allumer les lumières de Chabbat pour la première fois ; comment donc son époux se conduirait de la sorte, en la privant de cette mitsva ?
Le Rav décida de questionner directement le principal intéressé. Le ‘hatan lui expliqua : « J’ai préparé les lumières de Chabbat avec de l’huile et les ai allumées dans l’intention de les éteindre ensuite. Mais, à ce moment, des coups ont retenti à ma porte. C’était mon beau-père, que j’ai reçu et avec lequel je me suis assis, si bien que j’ai complètement oublié de les éteindre… »
Cette histoire illustre notre devoir de juger notre prochain selon le bénéfice du doute.