Noa'h 9 Octobre 2021 ג חשון התשפ"ב |
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Le devoir de l’homme de rendre les autres méritants
Rabbi David Hanania Pinto
« Noa’h entra avec ses fils, sa femme et les épouses de ses fils dans l’arche, devant les eaux du déluge. » (Béréchit 7, 7)
Citant l’interprétation de nos Sages, Rachi explique qu’avant la venue du déluge, Noa’h se tenait à l’entrée de l’arche qu’il avait construite, mais hésitait à y entrer, car « il était un croyant de faible foi ; il croyait et ne croyait pas que le déluge viendrait. Il n’entra dans l’arche que lorsque les eaux l’y poussèrent ».
Ceci ne manque de nous surprendre. Comment supposer que Noa’h n’y croyait pas, alors que le Saint béni soit-Il lui avait dit : « Et Moi, Je vais amener sur la terre le déluge des eaux pour détruire toute chair animée d’un souffle de vie sous les cieux. » (Béréchit 6, 17) Comment put-il douter de la parole divine ? En outre, pourquoi eut-il encore des doutes à ce sujet, une fois que les eaux avaient déjà commencé à tomber ?
J’expliquerai selon la démarche suivante. Il est dit que « Noa’h marchait avec D.ieu », ce qui laisse entendre qu’il se souciait uniquement de sa propre ascension spirituelle. Il étudiait la Torah, mais manquait d’ardeur pour en faire profiter également ses contemporains, comme le faisait Avraham qui œuvrait pour les convertir. Si on ne s’attelle pas assidûment à la tâche de l’étude et on ne se sacrifie pas pour autrui, on risque d’avoir une foi chancelante, écueil dans lequel tomba Noa’h.
Cependant, il nous incombe malgré tout de juger Noa’h positivement, en tenant compte du fait qu’il était entouré d’impies, qui se rebellaient contre l’Éternel. Seuls lui, sa femme, ses fils et ses brus se conduisaient correctement. Toutefois, il manquait d’entrain et d’initiative, comme son nom l’indique, noa’h signifiant le repos. Se reposant sur ses lauriers, il ne s’efforça pas d’influencer les autres, de les inciter à se repentir. Sachant qu’il ne serait pas touché par le déluge, il se contenta sereinement de s’occuper de lui-même et, par conséquent, en vint à manquer de foi au point que les eaux durent le pousser à entrer dans l’arche.
Nous retrouvons ce même manquement dans la conduite de Noa’h suite au déluge. Une fois de plus, il ne pensa qu’à lui-même en plantant une vigne pour profiter de son vin. Au lieu de s’investir dans la réparation de l’ensemble du monde, en construisant une Yéchiva, telle la « vigne de Yavné », et en buvant du vin de la Torah, il planta une vigne, but de son vin et s’enivra. Il ne fit donc qu’endommager l’univers.
J’ai pensé que, si la Torah atteste que Noa’h était « un homme juste, intègre dans sa génération », cela sous-entend qu’il détenait des forces exceptionnelles pour s’élever spirituellement et entraîner aussi les autres dans son ascension. D’ailleurs, il réussit dans l’éducation de ses trois fils, tous Justes, comme leurs épouses, ce qui atteste qu’il détenait le potentiel d’influencer son entourage. Une autre preuve nous est donnée par l’ascendant positif qu’il eut sur Og, roi de Bachan, seul survivant du déluge.
Mais, du fait qu’il « marchait avec D.ieu », et non pas avec les hommes, manquait d’assiduité dans l’étude et ne s’évertua pas à donner du mérite au grand nombre, nos Maîtres interprétèrent négativement la précision du verset « intègre dans sa génération ». Selon eux, nous pouvons y lire en filigrane qu’il ne l’était qu’en comparaison à sa génération, mais n’aurait pas été considéré comme tel dans celle d’Avraham.
Rappelons ici les célèbres paroles de Rav Zoucha d’Anipoli : « Dans le monde futur, on ne me demandera pas pourquoi je n’ai pas été comme Avraham Avinou, mais pourquoi je n’ai pas été comme Zoucha. » En d’autres termes, l’Éternel ne demande pas à l’homme de se hisser au niveau d’un Tsadik, doté d’une âme très élevée et d’un immense potentiel. Il attend de chacun qu’il utilise les forces dont il a personnellement été doté pour s’élever au niveau lui correspondant et Le servir. S’il ne remplit pas la mission qui lui a été confiée sur terre, à titre individuel, il devra plus tard rendre des comptes.
Tout homme aspire à satisfaire le Créateur. Cependant, le mauvais penchant s’y oppose, déployant tous ses efforts pour empêcher l’homme de reconnaître les forces enfouies en lui. Il s’agit donc de lutter perpétuellement contre cet adversaire qui, pour reprendre les mots de nos Sages (Kidouchin 30b), « se renouvelle et se renforce chaque jour pour le tuer ».
Chacun d’entre nous possède de remarquables forces intérieures. Mais, malheureusement, nous n’en utilisons qu’une infime partie. La preuve en est que, à l’heure du danger, on se découvre soudain des forces insoupçonnées. Par exemple, si un boiteux, qui a des difficultés à se déplacer, voit un lion s’approcher de lui, il parviendra à courir à toute vitesse, comme un jeune enfant, pour prendre la fuite. De même à celui qui désire véritablement vaincre son mauvais penchant, l’Éternel accordera Son assistance et il en sera capable. S’il exprime sa volonté d’étudier avec assiduité et d’agir en faveur de la collectivité, il bénéficiera du soutien du Très-Haut et méritera d’être toujours proche de Lui.
LES VOIES DES JUSTES
Il existe une mitsva d’aimer chaque Juif comme soi-même, ainsi qu’il est dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Il s’agit d’une règle d’or, dont dépendent de nombreuses mitsvot de la Torah.
C’est pourquoi il faut faire l’éloge des autres, avoir pitié d’eux, tout comme de leur argent, et rechercher sans cesse leur bien. Ce dernier point inclut l’obligation de prier pour tout Juif devant se repentir afin qu’il en ait le mérite (cette prière sera efficace si l’individu en question a déjà éprouvé lui-même des sentiments de contrition, car, le cas échéant, il bénéfice de l’aide divine).
PAROLES DE TSADIKIM
Pourquoi l’homme est comparé au poisson
Après que Noa’h et ses enfants sortirent de l’arche, ils reçurent la bénédiction du Créateur. Il leur souhaita de croître, de se multiplier et de dominer les animaux. « Tous les poissons de la mer sont livrés en vos mains » (Béréchit 9, 2), précise l’Éternel.
Dans son ouvrage Dorech Tsion, Rabbi Bentsion Moutsafi chelita fait remarquer que, dans ‘Habakouk, l’homme est comparé au poisson : « Les hommes pareils aux poissons de la mer. » (1, 14) Le Midrach commente : « Ne soyez pas comme ces poissons, dont les grands avalent les plus petits. » De même, dans le Yalkout Chimoni, nous pouvons lire : « Chez les poissons de la mer, le plus grand avale le plus petit. Rabbi ‘Hanina, suppléant des Cohanim en déduit notre devoir de prier pour la paix de la royauté, parce que, si les hommes ne la craignaient pas, ils s’avaleraient vivants les uns les autres. »
La mère de Rabbi Yéhouda Tsadka zatsal raconta l’histoire qui suit sur une femme pieuse qui, lors de son enfance, eut le mérite de servir le Ben Ich ‘Haï, frère de sa mère. Lorsque des femmes se gênaient de lui poser directement leurs questions, elle entrait à leur place pour les soumettre au Sage. Elle devint ainsi très versée dans les lois.
Un vendredi, elle acheta un poisson en l’honneur de Chabbat. Quand elle l’ouvrit, elle découvrit un autre dans son ventre. Elle eut pitié de celui-ci, avalé par le plus grand. Cependant, en le coupant, elle remarqua de nouveau un petit poisson à l’intérieur. Elle en déduisit que les poissons n’échappaient pas, eux non plus, aux calculs divins. Le poisson moyen ayant avalé un plus petit que lui, il subit lui-même ce sort. Quoi qu’il en soit, elle eut trois poissons pour le jour saint.
La Guémara souligne que, pour pêcher un poisson, il faut l’attraper par la bouche. On jette sa canne à pêche avec un hameçon et, quand il le mord, on profite pour le tirer hors de l’eau. De même, poursuit-elle, les enfants d’Israël tombent dans le piège par leur bouche, lorsqu’ils prononcent des propos interdits.
Le prophète exhorte le peuple au repentir : « Reviens, Israël, jusqu’à l’Éternel ton D.ieu, car tu n’es tombé que par ton péché. Armez-vous de paroles [suppliantes] et revenez au Seigneur ! (…) Nous voulons remplacer ces taureaux par cette promesse de nos lèvres. » (Hochéa 14, 2-3) Le Saint béni soit-Il ne nous demande pas de nous imposer des jeûnes supplémentaires ni de Lui apporter des sacrifices, mais simplement de Lui adresser de bonnes paroles, de Torah et de prières.
Comme le poisson, le peuple juif retire sa force de sa bouche. Pendant la saison de reproduction des poissons, ils pondent une grande quantité d’œufs. Le tilapia, par exemple, en pond des centaines. Après la ponte, le père et la mère prennent les œufs dans leur bouche et les y gardent jusqu’à l’éclosion des alevins. À l’aide de leur bouche, les poissons bâtissent donc des mondes entiers. Telle est leur force.
Le prophète exhorte les enfants d’Israël en leur disant : « Soyez comme des poissons, en utilisant votre bouche pour créer des mondes ! » Celui qui se rend à la synagogue pour prier et répondre « Amen » et « Baroukh hou oubaroukh chémo » agit sur tous les mondes, par le pouvoir de la parole. L’homme retire sa force de sa bouche, aussi bien lorsqu’il l’empêche d’émettre des paroles interdites que quand il l’utilise pour prier ou étudier la Torah, assurant ainsi le maintien du monde entier.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
La nuit de Hochana Rabba, Monsieur Mickaël Bensoussan, l’un des élèves de notre Yéchiva, conduisit à l’hôpital son épouse, sur le point d’accoucher. Arrivés sur place, on leur dit que la mère comme le bébé encourraient un grand danger et qu’il fallait un miracle pour que les deux restent en vie, d’autant plus que le poids du bébé était très bas. Le père, qui n’était pas pleinement en accord avec l’avis des médecins, leur demanda de vérifier une nouvelle fois leurs propos. Comme il les connaissait personnellement, ils acceptèrent de procéder une seconde fois aux examens. Ceux-ci indiquèrent que la situation était encore plus délicate qu’ils ne l’avaient imaginé.
Quand Mickaël entendit ces résultats plutôt alarmants, il dit aux docteurs : « Cette nuit, c’est Hochana Rabba. Avec l’aide de D.ieu, par le mérite de Rabbi ‘Haïm Pinto, grâce auquel je me suis repenti, ma femme accouchera à un moment propice et tout rentrera en ordre, pour elle et le bébé. De plus, je m’engage à donner à la tsédaka la somme d’argent correspondant au poids du bébé, trois kilos. »
Les membres de l’équipe médicale ne purent s’empêcher de rire et répondirent : « Comment voulez-vous qu’en quelques heures, le bébé, qui pèse moins de deux kilos, arrive à trois kilos ? » Loin de se laisser intimider, il reprit : « Avec l’aide de D.ieu, un bon papier sera écrit dans le ciel pour l’embryon et tout se transformera en sa faveur et en faveur de sa maman. » Le sourire aux lèvres, les médecins dirent : « Nous vous souhaitons, ainsi qu’à votre famille, un joyeux Sim’hat Torah. » Il conclut : « D’ailleurs, je dois m’y préparer en allant étudier et écouter les cours de Torah de la nuit de Hochana Rabba. » Il prit ensuite congé d’eux.
Grâce à D.ieu, le grand miracle arriva : l’accouchement se passa bien, tandis que le bébé pesait trois kilos. Les médecins ne parvenaient pas à y croire. Ils consultèrent de nouveau tous les examens et radios effectués la veille et ne comprirent pas comment la situation avait pu changer si radicalement.
Cette anecdote illustre l’incroyable réalité selon laquelle quiconque s’attelle assidûment à la tâche de l’étude est animé par la force de la Torah, qui lui permet de croire de plus en plus en D.ieu.
Dans cet hôpital, tous ne parlèrent que de ce prodige ; certains y crurent, d’autres refusèrent d’y croire. Mais, ce qui est certain, c’est qu’il eut lieu.
Monsieur Bensoussan eut droit à un immense miracle parce qu’il plaçait toute sa confiance en D.ieu. En retour, le Créateur lui donna la possibilité de déterminer les faits, de les modifier à son avantage, modifiant en sa faveur les lois de la nature. Cette prérogative lui fut accordée en récompense à la fermeté de sa foi, de son assiduité dans l’étude et de son dévouement pour la communauté.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Réjouis-toi, femme stérile qui n’as point enfanté ! (…) » (Yéchaya chap. 54)
Lien avec la paracha : dans sa prophétie, Yéchaya évoque la promesse de l’Éternel de ne plus jamais frapper le monde par un déluge : « Certes, Je ferai en cela comme pour les eaux de Noa’h », ce qui correspond au sujet central de notre paracha.
Les achkénazim ajoutent le passage « Ô infortunée, battue par la tempête (…) ».
LA CHÉMITA
Cas des jardins décoratifs entourant les maisons :
Lorsque tous les résidents participent aux dépenses de l’entretien du jardin, s’ils respectent les mitsvot, ils s’abstiendront d’y pratiquer les travaux interdits durant la septième année, comme le taillage, la fertilisation et le débroussaillage. Ils se contenteront de faire les travaux permis. [Il est permis d’arroser l’herbe et les plantes dans le cas où, sans cet arrosage, cela causerait des dommages. Néanmoins, à la saison des pluies, on s’abstiendra complètement d’arroser.]
Si certains des résidents ne sont pas pratiquants et qu’il est impossible, en restant en bons termes, de leur demander de cesser les travaux interdits durant la chémita dans le jardin commun, il existe trois possibilités pour ne pas les transgresser soi-même.
La première est de préciser, en payant sa part au syndic, que notre versement est destiné aux autres frais de l’immeuble, et non pas aux travaux du jardin. Si ceux-ci représentent les seuls frais du syndic, il faut préciser que notre paiement est destiné aux travaux permis effectués durant la chémita.
La deuxième est de demander au syndic une procuration et de se rendre au Rabbinat pour vendre le terrain à un non-juif ; de cette manière, on ne s’associera pas à une transgression. Néanmoins, si les voisins acceptent de ne pas pratiquer de travaux interdits dans le jardin durant la chémita et qu’il n’y a pas de risque qu’ils fassent une erreur à ce sujet par ignorance, il n’est a priori pas nécessaire de faire cette vente pour un jardin décoratif.
La troisième est d’abandonner au public sa part dans le jardin.
Tailler une haie dans les cours des maisons entraîne la pousse de branches. Pourtant, il est permis de tailler une haie se trouvant sur les côtés d’une maison, si on le fait afin d’éviter qu’elle ne s’étende trop et pour que cela reste joli. Du fait qu’on la taille uniquement pour l’esthétique, l’intention est de préserver la haie, et non de stimuler sa pousse, et c’est donc permis. Par contre, il est interdit de tailler une haie qui n’est pas encore remplie et présente des cavités, parce que le taillage n’a pas uniquement un but esthétique, mais vise aussi à stimuler la pousse, ce qui est interdit durant la chémita.
Une pelouse décorative n’acquiert pas la sainteté de la septième année ; il est donc permis d’y courir, de l’abîmer ou de la brûler, par exemple. Il est également permis de couper l’herbe par le haut pour l’égaliser, tant que notre intention est que la pelouse reste belle et entretenue et que nous ne le faisons pas pour stimuler la pousse. Cependant, si l’herbe n’est pas mûre ni dense – par exemple dans le cas où on l’a soi-même plantée [plutôt que d’apporter des tapis d’herbe prêts à l’emploi] – et qu’on doit la tondre plusieurs fois pour qu’elle croisse et prenne de la densité, il faut s’en abstenir durant la chémita, car, le cas échéant, l’intention est de stimuler la pousse.
Certains, voulant se montrer stricts à cet égard, s’abstenaient de tondre l’herbe durant la chémita. À la place, ils apportaient dans leur jardin un animal du menu bétail pour qu’il broute l’herbe, de sorte qu’elle repousse de nouveau mieux. Mais, il ne faut pas adopter cette ‘houmra, car elle nous oblige par ailleurs à être indulgents au sujet d’un autre interdit : celui d’élever du menu bétail en Terre Sainte. Bien que cet interdit ne fût pas toujours en vigueur, de nos jours, avec la réinstallation du peuple juif en Israël, il l’est de nouveau.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La position de Noa’h et celle du corbeau
« Il lâcha le corbeau, qui partit, allant et revenant jusqu’à ce que l’eau ait séché de la surface du sol. » (Béréchit 8, 7)
Nous pouvons apprendre une grande leçon de l’opposition du corbeau à Noa’h. Le Midrach rapporte qu’au bout de quarante jours de déluge, Noa’h ouvrit la fenêtre de l’arche, puis décida d’envoyer le corbeau en mission. Le corbeau refusa de s’exécuter, et Noa’h lui rétorqua : « À quoi sers-tu dans le monde ? Tu n’es apte ni à être consommé, ni à être offert en sacrifice ! Accomplis donc ta mission ou trouve la mort à l’extérieur de l’arche. » Noa’h voulut l’en repousser. Le Saint béni soit-Il lui dit alors : « Accepte le corbeau dans l’arche, car, plus tard, le monde aura besoin de lui : lorsque le prophète Éliahou sera dans la grotte, on aura recours à son aide. » Suite à cela, Noa’h permit au corbeau d’entrer dans l’arche.
Je me suis posé la même question que l’Admour de Tsanz, de mémoire bénie, sur cet enseignement : pourquoi D.ieu a-t-Il voulu que le corbeau retourne dans l’arche ? N’aurait-il pas pu accomplir également cette mission de Noa’h ?
Selon un principe connu, un ange n’accomplit pas deux missions à la fois (Béréchit Rabba 50, 2). Cette règle ne s’applique pas à l’homme, qui a la possibilité de mettre simultanément les téfillin et le talith, ou d’étudier la Torah en même temps que d’accomplir de nombreuses autres mitsvot. Pour quelle raison ? L’Éternel a créé l’homme avec des forces exceptionnelles, qui lui permettent de réaliser conjointement de nombreuses mitsvot. Considérons, par exemple, le cas d’un homme qui étudie la Torah. Superficiellement, on croira que l’action de cet homme se limite à son étude ; une analyse plus approfondie nous révélera que, par son mérite, il a une part dans l’accomplissement de milliers de mitsvot, puisque son étude assure la pérennité du monde, comme il est dit : « Si Mon pacte avec le jour et la nuit pouvait ne plus subsister, Je cesserais de fixer des lois au ciel et à la terre. » (Yirmiya 33, 25) Autrement dit, par le mérite de son étude, il garantit le maintien de tous les mondes, ainsi que de tous les êtres vivants qui y vivent.
Nous comprenons, à présent, le sens de l’intervention du Créateur auprès de Noa’h. Il lui dit de faire entrer le corbeau dans l’arche, car celui-ci, contrairement à l’homme, ne peut accomplir plusieurs missions. Aussi était-il suffisant qu’il remplisse celle qui lui sera donnée à l’époque d’Éliahou, et il n’y avait aucune raison de le condamner pour son refus d’accomplir la présente tâche. Cette anecdote nous livre un message fondamental : nous détenons de remarquables forces et avons même la capacité extraordinaire d’assurer la pérennité de l’univers. À nous de nous montrer vigilants dans notre étude de la Torah et de l’estimer à sa juste mesure !
LE SOUVENIR DU JUSTE
Le Gaon Rabbi Meïr Shapira de Lublin zatsal
Cette semaine, tombe la Hilloula du Gaon Rabbi Meïr Shapira de Lublin zatsal, promoteur de l’étude du daf hayomi. S’il n’eut pas le mérite d’avoir des enfants, grâce à lui, des milliers de Juifs du monde entier étudient la même page de Guémara et, au bout de quelques années, terminent l’ensemble du Chass.
Le Nom de ce Sage est resté célèbre pour deux de ses œuvres remarquables dans le monde de la Torah. La première est son initiative de lancer l’étude du daf hayomi, idée qu’il proposa lors de la première grande réunion de la « Agoudat Israël ». La seconde est l’édification de la célèbre Yéchiva « ‘Hakhmé Loublin », qui apporta une grande modification dans les Yéchivot et fut surnommée la « mère des Yéchivot ». Les nombreux élèves de cette Yéchiva ont gardé un puissant lien spirituel avec leur Maître, dans l’esprit de l’enseignement de nos Sages « Quiconque enseigne la Torah au fils de son prochain, on considère comme s’il l’avait mis au monde ».
L’ouvrage Nitsotsé Or Hameïr décrit avec émerveillement l’événement qui précéda la déclaration de l’acceptation du joug de la Torah, si l’on peut dire, qui eut lieu à Vienne :
« 3 Éloul 5683. L’amphithéâtre de Vienne brille de tous feux. Il s’agit là d’un rassemblement organisé pour le Nom divin. Sur la tribune se tient un Gaon qui électrifie l’atmosphère. Les yeux étincelants, il prend son envol et, comme porté par des ailes, il lance son formidable projet : “Si, dans toute maison juive, en tout lieu, on étudiait chaque jour la même page de Guémara, aurions-nous une expression plus palpable de l’union suprême et éternelle entre le Saint béni soit-Il, la Torah et le peuple juif ?ˮ »
Telle fut la question rhétorique de Rabbi Meïr Shapira, qui présenta son projet du daf hayomi à travers cette belle image, cette description tellement fascinante et vivante.
Quoi de plus magnifique ? Un Juif, résidant en Israël, qui voyage en Amérique pour deux semaines, peut y poursuivre son habitude d’étudier quotidiennement le daf hayomi au crépuscule. En effet, arrivé dans ce continent, il remarquera à sa grande surprise, dès son entrée dans un beit hamidrach, que les Juifs locaux y étudient la même page de Guémara que lui. Il pourra alors s’associer à eux, débattre des sujets abordés et faire des échanges fructueux. De cette manière, le Nom divin se trouvera unifié et glorifié.
De même, un Juif originaire des États-Unis qui voyage au Brésil ou au Japon se dirige immédiatement vers le beit hamidrach. Qu’y trouve-t-il ? Des hommes étudiant la même page de Guémara que lui. Existe-t-il une plus grande expression de la solidarité ?
En outre, ce projet présente un autre avantage majeur. Jusqu’alors, il restait de nombreux traités très peu étudiés, sur lesquels ne se penchait qu’une petite élite d’hommes. Or, avec l’étude du daf hayomi, tout un chacun allait s’y initier. Enfin, ce projet était avant tout destiné à la jeunesse, qui représente l’avenir de notre peuple.
Le projet qui devient réalité
De très nombreux hommes, de par le monde entier, se lancèrent ce même soir dans ce gigantesque défi. Dans chaque ville, on fonda des groupes d’étude commune ou des cours de daf hayomi. Sur certains documents et journaux, on commença à préciser la page de Guémara étudiée ce jour-là.
Cette idée devint l’« enfant préféré » de Rabbi Meïr Shapira. Il avait l’habitude de raconter : « Lorsque germa dans mon esprit l’idée du daf hayomi, je voulais proposer ce projet à l’assemblée des Sages pour les jeunes. Je ne rêvais pas un instant qu’ils l’acceptent également pour les hommes plus âgés. Cependant, quand j’ai commencé à expliquer l’intérêt que j’avais trouvé à cette étude quotidienne de la même page de Guémara par des milliers de Juifs, une véritable surprise m’attendait : tous admirent unanimement que c’était bénéfique pour chaque Juif. » Puis, il ajoutait modestement : « Heureuse soit la génération où les Grands du peuple écoutent les petits ! »
« Dans l’idée du daf hayomi, se dissimulent les germes d’une conception du monde », disait-il souvent. La prière, au sein du peuple juif, a toujours été le devoir individuel de chaque homme et, pourtant, le Ari Zal nous enjoint de nous unir, au moment de la prière, avec le peuple juif, en disant : « Pour unifier le Nom divin avec amour et crainte, au nom de tout le peuple juif. » Jusqu’à présent, chaque individu étudiait une autre page de Guémara, l’un dans Brakhot, l’autre dans Békhorot, etc. Depuis l’étude commune du daf hayomi, nous nous unissons également dans l’étude. En outre, si le Saint béni soit-Il, le peuple juif et la Torah forment une seule entité, combien plus cela est-il vrai lorsqu’ils sont tous plongés dans un même traité du Talmud !
À chaque jour, correspond une page de Guémara. On ne peut donc sauter une page, car, le cas échéant, on perdrait un jour. Or, un jour perdu ne peut jamais être récupéré.
La place dans le jardin d’Éden
Des années après le décès de Rabbi Meïr Shapira, il apparut en rêve à Rabbi Tsvi Arié Froumer, qui lui succéda aux fonctions de Roch Yéchiva. Ce dernier lui demanda : « Où est ta place dans le jardin d’Éden ? »
Il lui répondit : « Sache que, dans le ciel, on ne tient pas tant compte des actes ; ce qui est déterminant, c’est Rabbi Lévitas, homme de Yavné. » Rabbi Shapira voulait ainsi se référer à la Michna dans Avot (4, 4) où ce Tana affirme : « Sois extrêmement humble. »