Pessa'h 16 Avril 2022 טו ניסן התשפ"ב |
|
La sainteté et la particularité des fêtes
Rabbi David Hanania Pinto
Dans la section d’Émor, nous lisons : « Parle aux enfants d’Israël et dis-leur les solennités de l’Éternel que vous devez célébrer comme convocations saintes. Les voici, Mes solennités : pendant six jours, on se livrera au travail, mais le septième jour, il y aura repos, repos solennel pour une sainte convocation : vous ne ferez aucun travail. Ce sera le Chabbat de l’Éternel dans toutes vos habitations. Voici les solennités de l’Éternel, convocations saintes, que vous célébrerez en leur saison. » (Vayikra 23, 2-4)
Le Or Ha’haïm s’interroge : « Il faut comprendre pourquoi le texte répète “Les voici, Mes solennitésˮ. De plus, pourquoi revient-on sur l’ordre d’observer le Chabbat et pour quelle raison est-il encore répété ensuite “Voici les solennités de l’Éternelˮ ? »
Le Saint béni soit-Il désirait ainsi enseigner au peuple juif la grande sainteté des fêtes, afin qu’on ne pense pas qu’elle serait inférieure à celle du Chabbat. Cette pensée erronée pourrait nous pousser à ne respecter que la sainteté du jour saint, sachant que quiconque la bafoue est puni, et à négliger celle des fêtes, en s’appuyant sur les quelques permissions données par nos Maîtres concernant certains travaux, formellement interdits le Chabbat. C’est pourquoi la Torah répète la mitsva du Chabbat lorsqu’elle évoque les fêtes, afin de signifier que leur sainteté est identique.
Il nous incombe de veiller à la sainteté des fêtes et nos Maîtres soulignent la sanction de celui qui la méprise : « Celui qui profane les sacrifices, qui méprise les fêtes (…), même s’il a étudié la Torah et accompli de bonnes actions, n’a pas de part au monde futur. » (Avot 3, 11)
Bien que, d’après la Loi, on ne prononce pas la bénédiction sur l’encens à la clôture des fêtes, parce que, durant celles-ci, on ne reçoit pas de supplément d’âme (Pessa’him 102b, Tosfot), néanmoins, certains Sages des anciennes générations avaient l’habitude de le faire. Nous pouvons en déduire que l’homme jouit d’un supplément d’âme également lors des fêtes, ce qui est l’avis d’une partie des Richonim.
Cependant, la notion de supplément d’âme dont l’homme bénéficie le Chabbat est déduite du verset « Il a mis fin à l’œuvre et s’est reposé (vayinafach) », interprété par nos Maîtres (Bétsa 15b) : « Dès la clôture du Chabbat, hélas, le supplément d’âme repart (vaï avda néfech). » Or, le terme vayinafach n’est pas employé au sujet des fêtes, aussi d’où sait-on que durant celles-ci, l’homme a également un supplément d’âme ?
La réponse se trouve dans le Talmud de Jérusalem (Chabbat 15, 3) : « Le Chabbat et les jours fériés n’ont été donnés que pour qu’on y étudie la Torah. » Lorsque l’homme étudie la Torah durant les fêtes, au lieu de gaspiller son temps en promenades ou discussions vaines, il a le mérite de jouir de la lumière de la Torah et un supplément d’âme, engendré par son étude, s’introduit en lui. Celui qui exploite la sainteté des fêtes en étudiant, pendant que les autres la bafouent en délaissant l’étude, étudie de manière véritablement désintéressée ; il a droit à un supplément d’âme, car, lors des fêtes, l’Éternel se rapproche davantage de nous qu’en semaine.
Par conséquent, le supplément d’âme des fêtes n’est pas identique à celui du Chabbat : ce dernier nous est automatiquement accordé, tandis que nous bénéficions du premier uniquement si nous étudions la Torah. Aussi, nous ne récitons pas la bénédiction sur l’encens à la clôture des fêtes, puisque seule une élite de notre peuple, qui profite de celles-ci pour étudier, y reçoit un supplément d’âme.
Dès lors, nous comprenons pourquoi le texte juxtapose le sujet de la sortie d’Égypte à celui des fêtes, car l’Éternel libéra Ses enfants de ce pays afin qu’ils acceptent la Torah, et les fêtes leur ont justement été données pour qu’ils aient le loisir d’étudier. Lorsqu’ils respectent la sainteté des fêtes en y étudiant, elles deviennent les « solennités de l’Éternel » et Il y déploie Sa Présence.
Ceci explique également la répétition des mots « Les voici, Mes solennités ». Quand le Créateur se sanctifie-t-Il par les fêtes ? Lorsqu’elles sont Siennes, et non nôtres. Autrement dit, au-delà d’une réunion familiale où on se délecte de mets raffinés, elles doivent avoir, avant tout, un caractère spirituel.
C’est aussi pourquoi la sortie d’Égypte est évoquée ici, pour souligner que de même que la Présence divine résidait alors parmi nos ancêtres, prêts à accepter l’ensemble de la Torah et ayant déjà commencé à s’y engager par l’observance de la fête de Pessa’h, ainsi, lorsqu’ils respecteraient la sainteté des autres fêtes, l’Éternel résiderait également en leur sein.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Un enracinement profond
Je reçus à l’occasion un Juif non pratiquant, qui me fit part d’un certain problème dont il souffrait. Dans l’espoir de s’en débarrasser, il voulait que je lui donne ma brakha.
« Engagez-vous à mettre les téfillin, observer le Chabbat et la pureté familiale, et je vous promets que vous verrez des miracles », lui dis-je.
Peinant au départ à prendre sur lui cet engagement de taille, il protesta : « N’est-ce pas payer un prix élevé pour un problème si simple ?
– Si vous voulez avoir le mérite que vos problèmes s’arrangent, vous devez accomplir les mitsvot », répondis-je fermement.
Il changea alors d’avis et décida sur-le-champ de se soumettre au joug divin et à celui des mitsvot. Je restai pantois : d’où ce Juif avait-il puisé cette force d’âme extraordinaire qui l’avait poussé à accepter tout cela en bloc, alors qu’il était jusque-là très éloigné de la voie de la Torah ?
Nul doute que cette démarche témoigne des racines, celles d’une foi inébranlable, profondément ancrées dans notre peuple depuis des générations, enracinement qui n’a fait que se consolider avec le temps et les épreuves que nous avons traversées. Cet enracinement a le pouvoir de ramener à la Torah même les Juifs les plus éloignés.
UNE HISTOIRE POUR LA FÊTE
Bien éveillé et non en rêve
La vertu d’hospitalité faisait partie intégrante de la vie de Rabbi ‘Haïm Pinto. Il invitait des gens du monde entier et les accueillait avec joie et générosité. Il ne refusait jamais d’héberger qui que ce soit sous prétexte d’un manque de place.
Un jour, un envoyé d’Israël arriva chez lui. Il s’agissait d’un éminent érudit, dont la réputation avait traversé les frontières. Il s’appelait Rabbi Its’hak Shapira. Rabbi ‘Haïm sortit à sa rencontre et lui réserva un accueil des plus dignes, comme il sied à un invité de ce rang.
C’était la veille de Pessa’h. Naturellement, Rabbi Its’hak Shapira resta passer la fête chez son hôte. La nuit du Sédèr, Rabbi Its’hak était attablé avec Rabbi ‘Haïm quand soudain, son invité se mit à pleurer abondamment. Rabbi ‘Haïm essaya de le calmer, mais il continua de plus belle.
« Je vous en prie, racontez-nous ce qui vous est arrivé et je vais essayer de vous aider », lui dit le Tsadik. « Votre peine est la nôtre, car nous ne pouvons nous réjouir, assis à la table du Sédèr, si parmi nous se trouve quelqu’un qui pleure. »
Rabbi Its’hak écouta mais ne dit mot. Il continuait à pleurer. Rabbi ‘Haïm essaya de nouveau : « Rabbi Its’hak ! Je m’engage à prendre en charge tous vos besoins. Si c’est cela qui vous fait de la peine, je vous donnerai tout ce qui vous manque. Mais pourquoi pleurez-vous ?
L’émissaire se calma un peu et commença à raconter son histoire : « Je suis parti seul d’Israël. Chaque année, je m’assois joyeusement avec ma famille à la table du Sédèr. En voyant les matsot, le vin et la Haggada, je me suis souvenu d’eux. Je ne sais même pas comment ils vont, ni s’ils sont heureux ? Sont-ils au contraire tristes à cause de mon absence ? Est-ce que tout va bien en Israël ? »
Rabbi ‘Haïm partagea sa peine et lui dit : « Ne vous inquiétez pas, la délivrance de D.ieu arrive en un clin d’œil. Suivez-moi dans ma chambre, je voudrais vous montrer quelque chose. »
Ils y entrèrent tous les deux. Là, Rabbi ‘Haïm lui dit : « Regardez, s’il vous plaît. »
L’envoyé scruta la pénombre et voici qu’il vit distinctement, devant lui, les visages des membres de sa famille, assis autour de la table, célébrant joyeusement la fête.
Quand il se remit de cette extraordinaire vision – il avait vu sa famille alors qu’il se trouvait à des milliers de kilomètres de là –, sa joie lui revint. Il quitta la pièce avec Rabbi ‘Haïm, afin de poursuivre le rituel du Sédèr.
Puis le Sage lui dit : « Ne pensez pas que cette vision était le fruit de votre imagination. Lorsque vous retournerez en Israël, avec l’aide de D.ieu, vous questionnerez votre famille sur ce qu’ils ont ressenti en votre absence. Puis, vous m’enverrez une lettre où vous me raconterez ce qu’ils vous auront dit. »
À la fin de la fête, Rabbi Its’hak se sépara de son hôte en le remerciant pour cet agréable séjour, où il s’était senti comme un membre de la famille. Il quitta le Maroc et arriva en Terre Sainte. Passées les premières retrouvailles, il demanda aux membres de sa maisonnée comment ils avaient vécu la période de son absence et quel fut leur sentiment lors de la soirée du Sédèr.
Ils lui racontèrent que les premiers temps, ils avaient cruellement ressenti son départ et souffert de se retrouver seuls. Mais, quand vint la nuit du Sédèr, ils avaient soudain éprouvé une exaltation et célébré la fête dans une immense joie.
En entendant ces paroles, le cœur de Rabbi Its’hak se remplit d’allégresse et d’émotion. Comme promis, il s’empressa d’envoyer une lettre à Rabbi ‘Haïm Pinto et lui confirma que tout ce qu’il avait vu dans sa chambre n’était pas un rêve, mais bien la réalité.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Reconnaître le miracle en ressentant la douleur
Dans la Amida de Pessa’h, nous disons : « Tu nous as donné, Éternel notre D.ieu, avec amour, des solennités pour nous réjouir, des fêtes et des temps réservés à la joie, le jour de la fête de Pessa’h, ère de notre liberté, solennité sainte, en souvenir de la sortie d’Égypte. »
A priori, cette affirmation recèle une contradiction : au départ, nous définissons Pessa’h comme l’ère de notre liberté, sous-entendant que nous remercions l’Éternel pour la liberté dont nous jouissons actuellement, alors qu’ensuite, nous disons que cette fête est « en souvenir de la sortie d’Égypte », c’est-à-dire uniquement une commémoration de la libération de nos ancêtres de ce pays, et pas forcément de la liberté.
En réalité, pour qu’un homme puisse parvenir à une foi ferme en D.ieu, ressentir au plus profond de son être que s’Il n’avait pas libéré ses ancêtres d’Égypte, lui-même et ses enfants auraient encore été asservis à Paro, il doit multiplier ses prières pour atteindre ce niveau. De même, il lui appartient d’éduquer ses enfants à la foi, dès leur plus jeune âge. C’est pourquoi, lors de la nuit de Pessa’h, nous devons nous étendre sur le récit de la sortie d’Égypte, de sorte à ancrer dans leur cœur une foi pure, dénuée de tout doute, dans le Créateur.
Celui qui réfléchit au passé et s’efforce de s’attacher à cette période où les enfants d’Israël étaient asservis en Égypte et endurèrent de terribles souffrances, qui s’efforce de ressentir leur douleur, de se représenter les merveilleux miracles accomplis par l’Éternel en leur faveur et les douloureuses plaies qu’Il infligea à leurs tortionnaires, de ressentir la joie de ses ancêtres au moment de la libération, pourra lui-même partager ce sentiment d’homme libre. Par contre, si nous n’essayons pas de ressentir leur douleur causée par l’asservissement, puis leur joie d’être enfin délivrés, nous ne serons pas en mesure de reconnaître le formidable miracle accompli par le Tout-Puissant à nos ancêtres et à nous-mêmes ni d’éprouver ce sentiment de liberté.
C’est la raison pour laquelle Pessa’h correspond à l’ère de notre liberté, en vertu de celle qui fut accordée à nos ancêtres, par le biais d’immenses miracles, sans lesquels nous-mêmes n’aurions pas été des hommes libres. Lorsque le Saint béni soit-Il accomplit ces prodiges en Égypte, Il veilla à ce qu’ils continuent à transmettre une influence de sainteté aux générations suivantes, leur permettant de ressentir le miracle et de retirer un éclairage infini de la sainteté de la fête. Celui en qui s’éveille une grande joie parviendra, sans aucun doute, à éprouver celle de ses ancêtres au moment où ils acquirent le statut d’hommes libres.
EN SOUVENIR DU JUSTE
Rabbi Eliahou Bakachi Doron zatsal
« Durant les dix-huit ans où le Rav Bakachi Doron remplit les fonctions de Rav de la ville, un des pauvres venait chez lui pour calmer sa faim. Non seulement il l’invitait à sa table, mais, ensuite, il le raccompagnait et se promenait avec lui pendant cinq minutes. Il le faisait le Chabbat comme après Chabbat, une année après l’autre, sur une période de dix-huit ans. » Voici une petite histoire, parmi de nombreuses autres, qui témoigne de la prestigieuse personnalité, aux multiples facettes, du Richon Létsion Rabbi Eliahou Bakachi Doron, qui nous a quittés à Pessa’h, il y a deux ans.
Avant d’accéder à ce poste, il fut Grand Rabbin de ‘Haïfa, ville peuplée par de nombreux rescapés de la Shoah. Une de ces rescapés apporta une fois au Rav du pain moisi. Pour ne pas la vexer, il se força à en manger une ou deux bouchées, en faisant mine que c’était le meilleur pain qu’il ait jamais goûté.
Ses enfants racontent que, plus d’une fois, ils devaient céder leurs lits à des individus sans toit et, parfois, ils y trouvaient ensuite des punaises. Quand on leur demandait comment ils purent vivre dans de telles conditions, ils répondaient simplement : « C’est comme cela que nous vivions, nous ne connaissions pas d’autre réalité. »
L’un de ses assistants fait l’incroyable récit de sa première visite à Kiriat-Arba : « Nous arrivâmes là pour Chabbat, où nous étions sensés manger avec toutes les personnalités importantes de la ville. Mais, au dernier moment, le Rav refusa ; il m’informa de sa décision de se faire inviter chez une certaine famille. Au départ, je ne compris pas pourquoi et insistai pour qu’il déjeune en compagnie du maire, lui expliquant que tous l’attendaient. Cependant, il campa sur sa position. Au cours du Chabbat, je compris son point de vue. Il s’agissait d’une famille dont la mère s’était fait assassiner peu de temps auparavant, et il désirait donc être aux côtés du veuf et de ses enfants tout au long du jour saint afin de les réconforter par sa chaleur et son amour. »
Rabbi Eliahou Bakachi Doron zatsal naquit dans la vieille ville de Jérusalem en 5701. Au départ, il apprit la Torah de la bouche de son père, le Sage Bentsion Bakachi Doron, l’un des présidents de la communauté sépharade de Jérusalem et le trésorier de la synagogue Raban Yo’hanan ben Zakaï de la vieille ville. Par la suite, il étudia à la Yéchiva Hadarom, à Ré’hovot, puis à celle de ‘Hevron, à Jérusalem. Après son mariage, il étudia au Collel Kol Yaakov, nommé d’après le Sage Yaakov Ades, Roch Yéchiva de Porat Yossef.
Rabbi Eliahou Bakachi Doron avait de très bonnes relations avec son beau-père, Rabbi Chalom Lopes zatsal, Rav d’Acco. Lorsque ce dernier venait passer Chabbat chez sa fille, son gendre renonçait à ses coutumes pour adopter les siennes. Il passait toujours le Sédèr en leur compagnie. Rav Lopes avait l’habitude de prier au nets. Bien que dans la synagogue de Rabbi Eliahou, il y eût toujours trois offices de cha’harit durant toute l’année, quand Rabbi Chalom venait pour Chabbat, le vendredi soir, son gendre annonçait aux fidèles que le lendemain, la prière ne se déroulerait qu’au nets.
Vers la fin de sa vie, quand Rav Lopes ne pouvait plus vivre seul et n’avait plus beaucoup de forces, il habita chez son gendre, qui lui donnait à manger, à boire et l’habillait. Durant six mois entiers, il s’occupa de lui avec dévouement, se mettant à son entière disposition, jusqu’au moment où il rendit l’âme. À chaque fois qu’il lui demandait de l’aider à accomplir une tâche, Rabbi Eliahou lui répondait : « Voudriez-vous m’empêcher de vêtir un séfèr Torah ? »
Lors des derniers mois de la vie de Rabbi Chalom, une dizaine d’élèves se rendaient dans la maison de son gendre où ils priaient en minian. Malgré son amour et son estime pour son beau-père, Rabbi Bakachi Doron allait prier avec la communauté et, seulement après, les rejoignait pour quelque temps.
La pensée de Rabbi Eliahou Bakachi Doron zatsal peut se lire à travers les arrêts rabbiniques qu’il rédigea, ses centaines d’articles toraniques et ses centaines de cours. Certains d’entre eux ont été inclus dans la série Binian Av, comprenant des responsa, des éclaircissements halakhiques, l’explication de sujets talmudiques, ‘hidouchim et cours sur la Torah ainsi que sur les fêtes.
Il emploie un langage clair et simple, accessible à tous. Ses verdicts témoignent à la fois de sa grande sensibilité à autrui et de sa volonté de trancher en conformité avec la Loi.