Chabbat Chavouot 27 Mai 2023 ז סיון התשפ"ג |
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L’éducation, Base De L’humilité
Rabbi David Hanania Pinto Chelita
D’où vient Sinaï ? demande le Midrach (Midrach Cho’her Tov 68). Du Mont Moriah. Il a été prélevé comme la ’Halah de la pâte, du lieu où Isaac devait être sacrifié. Ainsi Dieu dit : « Puisque Isaac devait y être sacrifié, il serait bon que ses enfants y reçoivent la Torah. »
On peut se poser au moins trois questions sur ce passage :
1) Si le Mont Moriah est d’une telle importance, pourquoi la Torah n’y fut-elle pas donnée (sans en prélever une partie qu’on mettrait à l’endroit du Mont Sinaï) ?
2) Que signifie exactement « a été prélevé » ? Pourquoi nos Sages ajoutent-ils « comme la pâte du levain » ?
3) Quel est le rapport entre le sacrifice d’Isaac et le don de la Torah. Les deux doivent-ils avoir lieu au même endroit ?
La Torah (Deutéronome 20:5) ordonne: «Si quelqu’un a bâti une maison neuve et n’en a pas encore pris possession, qu’il parte et s’en retourne à sa maison, car il pourrait mourir dans la bataille, et un autre pourrait l’inaugurer.» Que signifie exactement « car il pourrait mourir » ? Tous ceux qui partent en guerre sont exposés au danger. Que veut dire alors « inaugurer la maison » ? C’est que la construction même de la maison implique l’accomplissement de mitsvoth qui en sont inséparables : depuis les mitsvoth liées à la maison elle-même, comme la mézouzah (Deutéronome 6:9), l’appui (id. 22:8), jusqu’à celles qu’on accomplit à l’intérieur des murs, telles que la cacherouth, la pureté de la famille, le précepte de «procréer et multiplier», l’étude de la Torah, la présence de la Providence Divine dans le foyer, etc.. qui constituent les bases même de la Torah. Si l’homme et la femme ont du mérite, enseigne à cet effet le Talmud (Sotah 17a), la Chékhinah demeure avec eux ; s’ils n’en ont pas, ils se font dévorer par le feu. L’homme accomplit des mitsvoth et de bonnes actions dans chaque coin de sa maison ; il l’imprègne tout entière de sainteté et il lui sera difficile d’y commettre une faute. Les poutres et les murs de la maison témoigneront contre lui s’il y commet un péché (Ta’anith 11a). De la même façon qu’on éduque ses enfants, on éduque et imprègne sa maison de service de Dieu.
Si, comme le rapporte le Talmud (Yoma 47a; Vayikra Rabah 20:7), Kim’hit a engendré sept grands prêtres, c’est parce que les poutres de sa maison n’ont jamais vu les tresses de sa chevelure. Elle tenait à les cacher même quand elle se trouvait seule à la maison afin de l’imprégner de sainteté. Grâce à sa pudeur, elle a eu le mérite d’avoir sept grands prêtres.
Donc si on s’est construit une maison sans y avoir accompli les mitsvoth qu’on avait l’intention d’y faire, on n’a pas le droit de sortir en guerre. On sera jugé pour ne pas l’avoir inaugurée par des mitsvoth et de bonnes actions. D’ailleurs Yonathan ben Ouziel traduit ainsi, en araméen, le verset mentionné ci-dessus : « Si quelqu’un a bâti une maison neuve, et n’y a pas encore fixé une mézouzah, etc.… » Car c’est la mézouzah et d’autres mitsvoth qui constituent les fondements de la maison juive et engendrent l’humilité chez l’homme, garantie de l’accomplissement des commandements divins.
Sur le Mont Moriah, notre patriarche Isaac a été éduqué pour craindre l’Eternel et Le servir avec le maximum de dévouement. Nos Sages (Bérakhoth 62b; Ta’anith 16a; Zohar III, 53b) enseignent que lorsque le Peuple d’Israël se trouve en détresse, les «cendres» d’Isaac montent vers le Saint, béni soit-Il, et son mérite les épargne. D’où proviennent en fait ces cendres ? Isaac n’a pas été brûlé ! C’est que sa modestie et son humilité l’ont fait accéder au niveau de cendre et poussière éparpillées aux quatre coins du monde par le vent. C’est comme la ’halah que l’on prélève de la pâte : c’est bien du pain, mais quand on la brûle, elle se transforme littéralement en cendre.
Du Mont Moriah, enseigne le Talmud (Ta’anith 16a; Béréchith Rabah 55:9) est sorti un message éducatif pour le Peuple d’Israël: celui de la modestie, la soumission et la crainte du Ciel. Tout comme le Mont Moriah qui a été déraciné, la Torah ne reste pas en place et on la trouve partout. Nous aussi, nous devons accomplir des mitsvoth partout, dans la modestie la plus complète : c’est là l’essentiel. Comme nous l’avons vu, la Torah a été donnée sur le Mont Sinaï car c’est la plus petite des montagnes et elle fait partie du Mont Moriah.
Désirant s’imprégner de Torah et mitsvoth pour vaincre le mauvais penchant, les enfants d’Israël se sont donc installés dans le désert où les forces du mal sévissent particulièrement, à proximité du Sinaï, qui fait partie du Mont Moriah. Ils voulaient accéder à de très hauts niveaux spirituels dans ce mont, qui méromem Yah (Moriah = Méromem Yah) élève l’Eternel. Remarquons la similitude des valeurs numériques de YaH (Dieu) et gaavah (15): par l’étude de la Torah, on ne revêt de Majesté que l’Eternel.
La section biblique porte le nom de Yithro parce que ce dernier, fuyant tout honneur, est parti dans le désert pour s’imprégner du culte divin et combattre le mauvais penchant.
C’est ce que firent également les enfants d’Israël : en fuyant les honneurs, vers le désert ils furent alors « poursuivis » par le Mont Moriah, qui les éleva et les fit accéder à des niveaux sublimes.
Commentant le verset : « Ainsi tu parleras ko tomar à la maison de Jacob, vétagued et tu feras cette déclaration aux enfants d’Israël » (Exode 19:3). Le Talmud (Chabath 87a) explique que l’Eternel utilise un langage tendre à l’égard de la Maison de Jacob, c’est-à-dire pour les femmes, et un langage dur à l’égard des enfants d’Israël, c’est-à-dire pour les hommes. Pourquoi deux différents tons de discours ? Pourquoi d’autre part, contrairement à ce qui se passe d’habitude, le verset mentionne-il les femmes avant les hommes ?
C’est pour que l’homme apprenne la vertu de la modestie de la femme. Si sur le Sinaï, la Torah lui rappelle de se conduire en toute humilité, qui le lui rappellera dans son foyer, sinon sa femme ? Le Midrach enseigne que tout en étant dure, la femme est née d’un lien discret, pudique (Béréchith Rabah 18:3). C’est pourquoi, pour apprendre la modestie, qui est à la base même de toute la Torah, elle a besoin de ko tomar « Tu diras ainsi» et «Je suis l’Eternel, ton Dieu.»
QUELQUES JOYAUX SUR LA PARACHA
D’après le « Pahad David »
La Torah, un précieux trésor accordé au peuple juif
Dans la Guemara (Chabbat 88b), nous pouvons lire les lignes suivantes : « Les anges de service vinrent dire au Saint béni soit-Il : “Un précieux trésor que tu as gardé à Tes côtés durant neuf cent soixante-quatorze générations avant la création du monde, Tu voudrais à présent le céder aux êtres humains ? Qu’est donc l’homme, que Tu penses à lui ? Le fils d’Adam, que Tu le protèges ? (Tehilim 8:5)” » Cependant, en dépit de ces tentatives de dissuasion de la part des créatures célestes, l’Eternel décida de donner la Torah en cadeau au peuple juif. Dans un autre traité (Berakhot 5a), il est affirmé, au nom de Rabbi Chimon bar Yo’haï, que le Créateur donna trois bons cadeaux au peuple juif : la Torah, la terre d’Israël et le Monde futur.
Pourtant, comment est-il possible de qualifier la Torah de cadeau, alors qu’elle comprend un si grand nombre d’interdictions et de punitions venant sanctionner qui les enfreint ? Les enfants d’Israël auraient pu rétorquer qu’ils ne sont pas intéressés à recevoir ce type de cadeau, dans l’esprit de ces paroles : « Ni de ton miel, ni de tes épines » (Bamidbar Rabba 20:9). En outre, comme nous le savons, en dépit de leur déclaration : « nous ferons et nous comprendrons » (Chemot 24:7), nos ancêtres acceptèrent la Torah sous la contrainte (Chabbat 88a), et dès lors, comment peut-elle être appelée un cadeau ?
Répondons à cette problématique en nous appuyant sur l’interprétation de nos Sages des versets : « Si vous vous conduisez selon Mes lois, si vous gardez Mes préceptes et les exécutez, Je vous donnerai les pluies en leur saison (…) » (Vayikra 26:3-4). Rachi explique que le début de ces versets fait référence à l’étude de la Torah, à laquelle on doit s’atteler. Il s’agit là d’un principe de base : si l’on désire ressentir le délice que représentent les mitsvot, ce cadeau divin, il faut étudier la Torah avec assiduité, en vertu de cet enseignement de nos Maîtres : « Que l’homme s’attelle toujours à l’étude de la Torah comme un taureau à son joug et comme un âne à son fardeau ! » (Avoda Zara 5b) Il bénéficiera alors de la bénédiction divine, à travers les pluies. En outre, se présenteront à lui des opportunités d’accomplir d’autres mitsvot, en rapport avec la pluie, car « on mène l’homme dans la voie qu’il désire emprunter » (Makot 10b).
Revenons à présent à la définition de la Torah en tant que « précieux cadeau », possédé par l’Eternel et caché durant des siècles. Elle correspond effectivement à un cadeau, en cela qu’elle procure à l’homme un délice incomparable et infini. Néanmoins, il est impossible d’en ressentir la saveur ou de l’acquérir par une simple vision ou acceptation – puisqu’on ne peut acquérir un objet par la seule vision (Baba Metsia 2a). Afin d’en connaître la valeur et les secrets, l’homme doit investir toutes ses forces dans la Torah et aspirer ardemment à s’y attacher.
Seul l’homme qui s’implique de tout son être dans l’étude de la Torah, en deviendra partie intégrante. Toutes ses aspirations convergeront vers ce but, qui sera le centre de sa vie, en vertu de l’enseignement : « Tourne-la et retourne-la, car tout s’y trouve. » (Avot 5:22) Uniquement celui qui se tue à la tâche de l’étude, dans l’esprit du verset : « lorsqu’il se trouve un mort dans une tente » (Bamidbar 19:14), peut parvenir à ressentir pleinement l’immense bienfait que représente la Torah, le plus précieux des cadeaux.
Mais si, au lieu de s’investir dans l’étude, l’homme attend passivement que la Torah pénètre d’elle-même son cœur, elle lui apparaîtra comme un lourd fardeau, et ce, même s’il dispense l’aumône et croit dans les justes. Car, loin d’être pleinement vécu, tout ce qu’il fait n’est que superficiel, puisqu’il est impossible de placer toute sa confiance dans les justes sans accomplir soi-même la condition de base qu’est l’étude assidue de la Torah.
Ainsi donc, afin d’apprécier réellement l’inestimable valeur du cadeau qui nous a été donné, la Torah, nous devons l’étudier avec ardeur. Au moment historique où elle leur fut donnée, nos ancêtres ne pouvaient l’estimer à sa juste valeur, n’ayant pas encore goûté à ses subtiles saveurs ; aussi Dieu dut-Il les contraindre à l’accepter. Ils étaient alors comparables à un homme qui, ne sachant à quoi ressemblent les perles et pierres précieuses, les prend pour de simples cailloux et ne se donne évidemment pas la peine de les ramasser. A l’inverse, celui qui sait les identifier et connaît leur valeur, s’il en trouve, sera prêt à investir tous les efforts nécessaires pour les récolter, puis les astiquera et en prendra bien soin, comme de la prunelle de ses yeux.
Préparation à la fête du don de la Torah
Comme on le sait, les noms des fêtes sont en général fixés d’après l’événement qui s’y est passé. Pourquoi donc la fête de Chavouot s’appelle-t-elle le jour du « don de la Torah » ? Il faut aussi demander pourquoi dans la prière la fête de Chavouot est évoquée comme le jour du don de la Torah, et non le jour où nous avons reçu la Torah ! La fête du don de la Torah, qui a eu lieu le 6 Sivan, dépend des sept semaines qui l’ont précédée. Cela ressort des paroles du Tanna : « La Torah s’acquiert par quarante-huit choses ». L’expression « la Torah s’acquiert » vient nous enseigner qu’il ne suffit pas de connaître la Torah, mais qu’il faut l’acquérir. Et comme dans les acquisitions de ce monde, si on ne paie pas l’objet qu’on veut acheter, la transaction n’est pas valable et l’objet continue à être considéré comme étant la propriété du vendeur. C’est la même condition quand on reçoit la Torah du Créateur : si l’homme néglige fût-ce un des éléments par lesquels la Torah s’acquiert, elle restera dans le domaine du Saint béni soit-Il et l’homme n’en prendra pas possession.
A quoi est-ce que cela ressemble ? A quelqu’un de riche qui a appointé l’un de ses jeunes serviteurs comme responsable des maisons qui se trouvent en sa possession. Au cours du temps, le garçon apprend à bien connaître toutes les maisons dans tous leurs détails. Mais même s’il les connaît mieux que le propriétaire lui-même, c’est tout de même à celui-ci qu’elles appartiennent exclusivement. Par rapport à lui, ce jeune garçon, malgré les détails qu’il connaît, n’a aucune propriété fût-ce sur la plus petite parcelle des maisons. C’est ainsi en ce qui concerne la Torah. Le roi David dit : « Mais son désir est dans la Torah de Hachem et il étudiera sa Torah ». Au début, elle s’appelle la Torah de Hachem, et une fois qu’il l’a étudiée elle s’appelle sa Torah à lui (Kidouchin 32). Quand cela ? Une fois qu’il a acquis la Torah par les moyens appropriés.
Les bnei Israël étaient plongés en Egypte dans les quarante-neuf portes de l’impureté (Zohar Yitro 39). Mais dès qu’ils sont sortis d’Egypte, ils ont commencé à travailler régulièrement et avec assiduité pour quitter les portes de l’impureté et rentrer dans les portes de sainteté. Pour cela, ils ont acquis chaque jour l’une des quarante-huit choses citées, et le quarante-neuvième jour, qui est la veille de Chavouot, ils ont revu le tout. C’est avec cette préparation extraordinaire qu’ils sont allés recevoir la Torah.
C’est par conséquent la raison pour laquelle la fête porte de nom de Chavouot, car pendant ces semaines-là (chavouot), les bnei Israël ont acquis tout ce qu’il fallait pour pouvoir recevoir la Torah. Cela répond également à la deuxième question : Pourquoi la fête s’appelle-t-elle fête du « don de la Torah » et non fête où nous avons « reçu la Torah » ? C’est que le Saint béni soit-Il donne la Torah à chaque juif, et avec elle l’aide du Ciel pour en profiter, mais tout le monde ne « reçoit » pas la Torah de façon égale, chacun le fait selon les capacités qu’il a développées dans ce but, selon ce qu’il a investi pendant les sept semaines. C’est dans cette mesure qu’il est capable de recevoir la Torah. Le livre Kol Yéhouda du Rav Tsadka zatsal écrit que la fête de Chavouot porte dans la Torah le nom de « fête des Bikourim », parce que toutes les fêtes se limitent aux jours où l’événement fêté a eu lieu exclusivement, alors que ce n’est pas le cas pour le don de la Torah : il n’a pas lieu exclusivement ce jour-là, parce que Hachem donne la Torah de nouveau chaque jour, comme l’ont expliqué les Sages : « Que chaque jour ces commandements soient pour toi aussi nouveaux que le jour où ils ont été donnés ». C’est un devoir de se préparer pour pouvoir recevoir la Torah.
Le gaon Rabbi Isser Zalman Meltzer zatsal a écrit des choses merveilleuses : de la même façon que le monde est jugé en quatre occasions, à Pessa’h sur les moissons etc., ainsi à Chavouot Hachem juge l’homme sur chaque instant qui lui a été donné pendant l’année ; en a-t-il exploité chacun pour étudier la Torah, ou malheureusement l’a-t-il perdu dans des futilités ? Ce n’est qu’après la vérification de la façon dont l’homme a passé son temps qu’on décide au Ciel toute sa situation spirituelle pour l’année à venir, et la quantité d’aide du Ciel qui lui sera accordée pour l’aider à étudier la Torah.
TES YEUX VERONT TES MAITRES
Rabbi Eliahou de Vilna, « Le Gaon de Vilna »
Rabbi Eliyahou est né le premier jour de Pessa’h 5480/1720 à Selets, dans la région de Grodno en Lituanie, d’une famille de rabbanim connus. Il était le fils de rabbi Chelomo Zalman, et comptait dans son ascendance rabbi Moché Rivka’s, l’auteur du “Beor haGola”.
A l’âge de sept ans déjà, il éblouissait les sages de Vilna par une deracha qu’il prononça dans la grande synagogue de Vilna. Il étudie encore avec un ami, mais, dès dix ans, il étudie tout seul, acquérant une connaissance extraordinaire de tous les textes talmudiques.
A une occasion, il avait fait vœu d’étudier deux traités très difficiles, Zeva’him et Mena’hoth, jusqu’à la fête de Sim’hath Tora. Il avait onze ans. Le soir de cette fête, il s’est rappelé de son vœu. Au courant de la nuit, il a étudié ces deux traités. Une personnalité rabbinique se rendit compte de la chose, et testa la manière dont ce jeune savait ces traités, en lui posant des questions. A chacune, il sut donner plusieurs réponses, et l’interrogateur prit conscience qu’il avait devant lui un jeune à l’avenir plus qu’exceptionnel.
Son fils, rabbi Avraham, écrit qu’à l’âge de dix ans il étudiait déjà les écrits du Ari zal ainsi que le Zohar (6), A rabbi ‘Hayim de Volozhyne qui le questionnait quant à la possibilité de créer un Golem en utilisant le Séfer Yetsira, en particulier selon les commentaires du Gaon, ce dernier répondit qu’en effet cela n’était pas hors de portée ; quant à lui, il avait une fois tenté d’en créer un, mais constata qu’on ne le laissait pas faire. Sans doute, ajouta-t-il, du fait de son jeune âge... Rabbi ‘Hayim a compris qu’il n’avait alors pas encore atteint alors l’âge de la Bar Mitswa.
Il ne faut cependant pas s’imaginer que les facilités d’esprit du Gaon lui ouvraient les portes sans problèmes : rabbi ‘Hayim de Volozhyne, arrivé un vendredi à Vilna, fut appelé à se rendre sans tarder auprès du Gaon. Il trouva la maison sens dessus dessous : depuis trois jours, le Gaon ne mangeait ni ne buvait plus, et le peu de contacts qu’il avait avec son entourage était rompu. Rabbi ‘Hayim rentra chez le Gaon, qui l’accueillait toujours. Le problème ? Un texte spécifique du Talmud de Jérusalem dont la teneur échappait au Gaon depuis quelques jours. Rabbi ‘Hayim proposa une ouverture qui fut acceptée par le Gaon, lequel conclut : comme le disent nos sages, ce sont les disciples qui apportent le plus au maître !
Son assiduité dans l’étude dépassait elle aussi la norme : une année, il fit les comptes du temps perdu durant les douze mois passés. A ses élèves, surpris, il déclara qu’il était arrivé à la conclusion qu’il avait perdu trois heures entières au courant de l’année sans étudier.
Du fait de cette assiduité extraordinaire, il n’avait que peu de contacts avec sa famille. A une sœur venue lui rendre visite après des dizaines d’années sans s’être rencontrés, il n’a accordé que quelques instants, avant de retourner à son étude.
Ses fils racontent qu’il ne dormait pas plus de deux heures sur 24. Et, en tout cas, il n’a jamais dormi plus d’une demi-heure de suite.
Il ne faut pas croire que le Gaon vivait dans l’aisance, il avait beau être une des personnalités uniques en sa génération, il n’en a pas moins vécu dans la pauvreté, sans jamais accepter de poste officiel, et la faim et le froid étaient monnaie courante dans sa maison.
Bien qu’entièrement plongé dans l’étude, le Gaon était mêlé à de nombreuses actions sociales : il accordait jusqu’à concurrence d’un cinquième de ses maigres revenus pour aider autrui, mariage d’orphelins ou délivrance de prisonniers.
On ne reculait pas, dans les générations passées, devant les difficultés : des personnalités importantes quittaient leur domicile et leur communauté pour un exil volontaire, se comportant alors comme l’un des mendiants qui abondaient à l’époque. L’exil, sans doute, permettait d’expier certaines fautes de jeunesse ; c’était l’occasion également de rencontrer les justes de la génération, et de s’inspirer de leur conduite.
Il se peut que l’exil du Gaon ait été fondé sur un troisième motif : les livres imprimés étaient rares en Lituanie, à plus forte raison les anciens manuscrits. Or le Gaon était très impliqué dans la correction des textes : il se peut qu’il ait cherché à vérifier le plus de textes possibles.
Certains précisent qu’à cette période, le Gaon a rencontré deux des 36 justes que l’on trouve à chaque génération : rabbi Yechaya’ de Zochovitz et rabbi Moché de Ivye. Le premier était surtout connu pour son accueil généreux à tout venant ; le second était un «simple» précepteur privé, que le Gaon, déjà sur le retour et célèbre, avait forcé à se dévoiler.
Cet exil l’a amené jusqu’en Allemagne et a duré quelques années. On ignore quand il a commencé. Le Gaon est rentré à Vilna en 5508/1748. Bien que déjà célèbre, il refusa, sa vie durant, tout poste public, restant enfermé dans sa chambre, jour et nuit, à étudier à la lumière de la bougie. De nombreuses personnes voulaient lui demander conseil, mais rares étaient ceux qui y parvenaient.
A partir de l’âge de quarante ans, il enseigna surtout à ses disciples.
Il avait des relations très spéciales avec le rav Ya’aqov Kranz, le « maguid » de Doubno, qu’il invitait de temps à autre pour lui faire la morale.
Ce qui se passe du reste avec Ie Gaon quand il se permet d’aller à l’encontre de Richonim dans les textes, sans le moindre appui des grands auteurs, est valable également dans le domaine de la Qabbala : alors qu’il est inconcevable que quiconque s’oppose au Ari zal, le Gaon se le permet assez souvent ! Nul ne lui a refusé ce droit, ce qui prouve à quel point le Gaon a été perçu en son temps comme étant d’une dimension dépassant largement celle de ses contemporains.
Du reste, les sages contemporains du Gaon savaient tous que toute leur sagesse s’arrêtait à la porte du Klauz du Gaon : là, toujours, ils se trouvaient en face d’une personne supérieure, sachant répondre immédiatement, avec originalité et précision, à chaque question, à chaque remarque, à chaque interrogation.
Le Gaon a, lui aussi, joué un rôle d’une très grande importance dans la guerre d’influence qui avait cours à son époque - quand les Frankistes étaient au summum de leur hérésie et que les Maskilim commençaient eux aussi à provoquer certaines réformes dans le Judaïsme traditionnel.
Dans les dernières années de sa vie, le Gaon fut aussi mêlé à une affaire concernant un jeune Juif de la ville, qui avait abandonné la Tora. Suite à diverses tentatives pour le sortir des mains de l’Eglise, le Gaon, ainsi que d’autres dignitaires, furent jetés en prison. Le Gaon traversera derrière les barreaux deux périodes qui l’éprouveront fortement. Il tomba malade, mais n’ira pas consulter les médecins, suivant l’avis du Ramban. Vers la fin, le médecin juif de la ville, rav Ya’aqov Lioubavitch, fut invité : à la question des fils de savoir où en était le Gaon. Le docteur répondit : « Il en est au traité de Kélim », d’après ce que le médecin avait pu entendre du Gaon, qui ne cessait d’étudier, même en ses derniers moments…
Il décéda le troisième jour de Souccoth de l’an 5557/1797.
Le Ba’al ha Tanya a fait une déclaration formelle de prise de deuil lors du décès du Gaon, dont personne n’était parvenu à égaler la grandeur.
HISTOIRE VECUE
LA FORCE D’UN SOUPIR
Le Ba’al Chem Tov a raconté à ses disciples l’histoire suivante.
Dans une maison vivaient deux voisins. L’un d’eux était un érudit et l’autre était forgeron. Les deux se levaient avant l’aurore pour leurs occupations, l’un allait au beit midrach pour étudier, et l’autre se rendait à la forge pour travailler.
Quand arrivait l’heure du petit déjeuner, les deux rentraient à la maison. Sur le chemin du retour, le forgeron se dépêchait d’entrer au beit midrach pour « attraper » une courte prière du matin. Tous les jours les deux voisins se rencontraient sur le chemin. Sur le visage de l’érudit reposait un léger sourire de satisfaction, et ses yeux exprimaient une certaine condescendance envers son voisin, comme s’il se disait en lui-même : Nous travaillons dur tous les deux, moi j’ai étudié quelques pages de Guemara, je me suis purifié au mikvé avant la prière, et la prière elle-même était faite avec concentration, calmement, comme on compte des pièces de monnaie, alors que lui…
Par contre, le visage du forgeron était rempli de souci, et ses yeux exprimaient la douleur. Comme s’ils disaient : Malheur à mes années qui s’en vont en fumée ! Mon voisin s’est bien sûr rempli de beaucoup de Torah aujourd’hui, et moi, de quoi est-ce que je remplis ma vie ? Toujours à côté de l’enclume, toujours avec les sabots et les chevaux. Qu’est-ce que je vais devenir ?
Les années passèrent, le deux quittèrent cette vie et furent appelés au Tribunal céleste pour répondre de leurs actes en ce monde. On appela d’abord le talmid ‘hakham pour qu’il rapporte ses actes. Il monta sur la scène d’un pas assuré, la tête haute, sûr de lui-même, et dit : Juges suprêmes, je ne viens pas vers vous en pauvre et en indigent, j’ai appris beaucoup de Torah et j’ai fait beaucoup de mitsvot. Tous les jours avant le chant du coq, j’étais assis devant la Guemara, j’unissais les Noms divins au moment de la prière et j’étais pointilleux dans l’exécution des mitsvot, faciles ou difficiles.
Du Trésor céleste, les anges de la défense sortirent tout le tas des pages de Guemara qu’il avait étudiées pendant sa vie, et les posèrent sur le plateau droit de la balance. Ils ajoutèrent également les prières et les i’houdim, tout fut vérifié et pesé, et il n’y avait aucun doute que le verdict des juges serait une place honorable dans le Gan Eden. Mais avant que le juge suprême n’ouvre la bouche, l’accusateur leva la main et dit : « Il y a dans le Trésor un léger sourire de condescendance, que ce talmid ‘hakham avait aux lèvres quand il rencontrait son voisin le forgeron. » Et tout en parlant, il sortit ce sourire et le déposa sur le plateau gauche de la balance. Le sourire fut également soigneusement vérifié et pesé, et voici que ce petit sourire avait un tel poids qu’il fit pencher la balance à gauche et que le verdict fut une condamnation.
L’érudit descendit de la scène et à sa place monta le forgeron avec de gros sanglots, la tête baissée, et il dit d’une voix douce : « Je me tiens devant vous comme un ustensile rempli de honte, juges équitables. Je n’ai pas appris la Torah, et ma prière était aussi toujours à la hâte. Tous les jours de ma vie, depuis les petites heures du matin jusque tard le soir, j’ai ferré des chevaux et graissé des roues, j’avais la meule de la subsistance autour du cou, j’avais une femme à nourrir et des filles à marier… »
Quand le forgeron eut fini de parler, les anges apportèrent les deux paquets qui accompagnent tout homme. Sur le plateau droit de la balance ils mirent le paquet des mitsvot, et sur le gauche, celui des fautes. Cette fois-là aussi, on vérifia le poids de chaque mitsva et on examina la nature de chaque faute, et l’aiguille de la balance oscillait de droite à gauche. Alors l’ange défenseur s’approcha et dit : « J’ai gardé en réserve un soupir, un petit « hélas » qui s’échappait du cœur du forgeron quand il voyait son voisin l’érudit. Un soupir de chagrin de ne pas pouvoir étudier la Torah comme lui. Que ce soupir lui soit un mérite ! »
Et c’est ce soupir qui fit pencher la balance du côté droit, et qui ouvrit au forgeron les portes du Gan Eden.
LA RAISON DES MITSVOT
Les coutumes de la fête de Chavouot
Il y a des coutumes nombreuses et variées concernant la fête de Chavouot. Nous allons en citer quelques-unes.
La décoration de la synagogue et de la maison :
On a l’habitude de décorer les synagogues et les maisons de feuillage et de fleurs, ainsi que de mettre des arbres dans la synagogue (Rema 494). La Michna Beroura (494 al. 10) écrit qu’on le fait en souvenir du fait qu’en ce jour on est jugé sur les fruits de l’arbre. Le Gra a annulé cette coutume parce qu’elle rappelle des coutumes non-juives, mais beaucoup de décisionnaires ont écrit qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte, parce que c’est une coutume qui a une raison et qui s’est déjà répandue dans toutes les communautés d’Israël (Da’at Torah 494). Il faut simplement faire attention à ne pas cueillir des branches d’arbres fruitiers, parce que certains estiment qu’on transgresserait ainsi le verset (Devarim 20, 19) : « Tu ne détruiras pas ses arbres ». Le Ya’avets décrit ainsi la raison de cette coutume : C’est en souvenir du don de la Torah qui a eu lieu sur une montagne verte, c’est pourquoi on emploie beaucoup d’arbres et toutes sortes de fleurs odorantes pour se réjouir de ce grand jour. Milin ‘Hadetin écrit : Moché est né le 7 Adar, et il est écrit « Elle le cacha pendant trois mois », donc jusqu’au 6 Sivan, et alors « elle le mit dans les joncs », c’est-à-dire les roseaux et les herbes que nous étalons en souvenir du miracle qui a été fait à Moché. Bnei Issakhar écrit : La coutume des bnei Israël doit être considérée comme la Torah, et ils préparent des roses et autres herbages à Chavouot en accord avec les paroles suivantes du Midrach (Vayikra parachat A’harei) : « Cela ressemble à un roi qui avait un verger planté. Au bout d’un certain temps, le roi est venu regarder son verger et il était rempli de ronces. Il a amené des ouvriers pour les enlever, et a vu dedans une rose. Le roi a dit : à cause de cette rose, tout le verger sera sauvé. Ainsi, par le mérite de la Torah, le monde entier sera sauvé. »
L’étude pendant la nuit de Chavouot :
Yessod Véchorech HaAvoda écrit : Dans la prière de Arvit de Chavouot, on dit avec une grande joie la bénédiction « ahavat olam », car c’est aujourd’hui que Hachem a choisi nos pères et les a sanctifiés par une Torah de vérité et des lois droites, réjouissons-nous donc de notre Dieu, de Sa Torah et de Ses mitsvot, et que l’homme fasse attention à ne pas trop manger cette nuit-là pour pouvoir dire le tikoun. Immédiatement après le birkat hamazone, on ira rapidement au Beith Hamidrach, sans perdre un seul instant en conversations profanes. Le Yaavets écrit que ceux qui restent réveillés fassent attention à ne pas s’occuper de futilités. Il n’y a pas à plaisanter ni à tenir des propos légers, car alors mieux vaudrait dormir, ce serait mieux pour eux et pour le monde. Pélé Yoets écrit que le tikoun de la nuit de Chavouot est un grand tikoun pour réparer ce que l’homme a abîmé en regardant des spectacles interdits… et par ce qu’il a abîmé en quelques nuits de travail et de colère, parce qu’il était éveillé pour irriter son Créateur par ses rires, sa légèreté et autres choses mauvaises.
Les aliments lactés :
Le Rema écrit (494 3) : On a l’habitude à certains endroits de manger des aliments lactés le premier jour de Chavouot, et la raison en est de prendre deux sortes d’aliments, comme la nuit de Pessa’h où l’on évoque à la fois le sacrifice de Pessa’h et le sacrifice de ‘Haguiga. De même, à Chavouot, on mange des produits lactés et ensuite de la viande. (Voir Michna Beroura ibid., qui explique les propos du Rema).
La Michna Beroura donne une deuxième raison au nom d’un grand de la Torah qui a dit qu’au moment où les bnei Israël se sont tenus sur le mont Sinaï, ils ont reçu la Torah, sont descendus de la montagne chez eux, et n’ont pas tout de suite trouvé de quoi manger en dehors des produits lactés, car cela demande une grande préparation d’apprêter la viande. Il faut égorger la bête avec un couteau vérifié, enlever les graisses interdites, saler la viande, et la faire cuire dans des ustensiles neufs puisque les ustensiles qui leur avaient servi jusque là se trouvaient maintenant interdits. C’est pourquoi ils ont choisi des produits lactés.
Une troisième raison se trouve dans Colbo : On a l’habitude à certains endroits de manger du miel et du lait parce que la Torah est comparée au miel et au lait, ainsi qu’il est écrit : « Le miel et le lait sont sous ta langue ».
Une quatrième raison est citée par Maguen Avraham : D’après ce qui est dit dans le Zohar, ces sept semaines étaient pour les bnei Israël comme les sept jours de purification d’une femme, et l’on sait que le sang se transforme en lait, c’est-à-dire qu’il passe de la couleur de la stricte justice à la couleur de la miséricorde. Or les coutumes de nos pères doivent être considérées comme la Torah.
Maté Moché cite une cinquième raison : Il y a une allusion dans la Torah au fait de manger des produits lactés à Chavouot, ainsi qu’il est dit : Min’ha ‘Hadacha LeHachem BeChavouot (« on amène une offrande nouvelle à Hachem à Chavouot »), mots dont les initiales forment le mot ‘HaLaV (le lait).
Sixième raison : Quand le Saint béni soit-Il a voulu donner la Torah à Israël, les anges du service ont voulu la retenir dans le Ciel, et Hachem leur a dit : Quand vous êtes descendus chez Avraham, vous avez mangé de la viande et du lait, ainsi qu’il est écrit : « il prit du beurre et du lait et un jeune veau qu’il prépara ». Quand leur enfant vient de l’école et que sa mère lui donne du pain avec de la viande et du lait, il lui dit : Aujourd’hui, le Rabbi nous a appris « Tu ne feras pas cuire le chevreau dans le lait de sa mère ». On en conclut que par le mérite de cette précaution de ne pas mélanger les aliments de viande et de lait, Hachem a repoussé les raisons des anges. Cette précaution nous a valu de recevoir la Torah, donc on mange des aliments de lait à Chavouot, pour montrer que nous faisons très attention à séparer entre ces aliments et ceux de viande.
Septième raison : Le mot ‘halav (lait) a la valeur numérique de quarante, allusion à la Torah qui a été donnée en quarante jours. Et c’est l’importance de la Torah, que tous les délices de la terre ne valent rien à côté d’elle. Pour montrer combien ils l’aiment, les bnei Israël ont pris l’habitude de manger du lait, qui est une allusion à cette idée.
(Sources : Rema 494, Maguen Avraham al. 6, Michna Beroura ibid., Beit Halévi parachat Yitro, Baer Heitev 494, Séfer Nezirout Chimchon, Kovets Mevakchei Torah par. 187, Séfer HaToda’ah).