Beha'alotkha (en Israël Chela'h) 10 Juin 2023 כא סיון התשפ"ג |
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Comme un élève qui fait l’école buissonnière
Rabbi David ’Hanania Pinto
Nos Sages rapportent qu’après le don de la Torah, les enfants d’Israël s’éloignèrent du mont Sinaï à une distance de trois jours de marche, à l’image d’un enfant à qui les études pèsent et qui s’enfuit de l’école.
Comment comprendre une telle attitude de la part d’hommes ayant atteint un niveau si élevé d’élévation qu’on les surnomme « la génération de la connaissance » ? Ils venaient pourtant à peine de recevoir la Torah et d’assister aux visions éblouissantes du Créateur, dont ils virent clairement la Chékhina se dévoiler. L’amour d’Hachem et de Sa Torah devait certainement être ancré en eux, ce qui rend leur attitude encore plus déconcertante.
On peut dès lors se demander qu’est-ce qui prouve a priori, dans les mots « Et ils firent (nassou), à partir de la montagne de l’Éternel, trois journées de chemin », qu’ils fuirent les lieux comme des cancres détalant à la sortie de l’école. Pourquoi ne pas interpréter le verbe nassou dans son sens habituel, puisqu’il est employé pour tous les voyages alternant avec les campements successifs des Hébreux dans le désert, sans forcément indiquer un départ précipité ?
En outre, dire qu’ils voyagèrent « à partir de la montagne d’Hachem », n’est-ce pas souligner qu’ils emportèrent avec eux le souvenir du moment historique qu’ils venaient d’y vivre, de même que quand ils « partirent de Réfidim », ils se démarquèrent du relâchement en Torah ? Le fait de signaler qu’ils partirent de la montagne d’Hachem ne souligne-t-il pas au contraire un renforcement en Torah ?
Il me semble que l’optique de nos Sages découle de la difficulté de compréhension à laquelle ils se heurtaient face au comportement de nos ancêtres. Voilà, en effet, que, peu de temps après avoir connu une ascension spirituelle exceptionnelle et avoir reçu la Torah, ils manifestaient les symptômes d’une grosse chute, par toutes sortes de plaintes et récriminations contre Hachem et Son émissaire – manque d’eau, de viande, grave médisance sur la Terre sainte...
Devant une telle volte-face, une question lancinante se posait aux commentateurs : comment était-il possible que ces mêmes hommes qui avaient assisté à moult miracles et avaient reçu la Torah au milieu du tonnerre et des éclairs faillirent soudain et tombèrent coup sur coup dans les pièges du mauvais penchant ? Comment se fait-il que la Torah qu’ils venaient de recevoir ne les ait pas prémunis contre le yetser hara, alors qu’elle est en l’antidote ?! Question difficile, s’il en est, et qui allait pousser nos Sages à conclure que le problème se situait au niveau de leur réception de la Torah, et c’est pourquoi celle-ci n’eut pas sur eux l’effet escompté.
Ils devaient certes quitter les lieux selon l’ordre divin – « c’est sur l’ordre de l’Éternel qu’ils faisaient halte, sur l’ordre de l’Éternel qu’ils partaient » (Bamidbar 9, 23) –, mais ils n’auraient pas dû le faire avec joie et précipitation. Ils auraient dû vivre ce départ comme une contrainte difficile. « Quel dommage de devoir quitter un endroit aussi pur et saint ! » auraientils dû se dire, en ressentant une sorte de déchirement intérieur. « Dommage qu’un endroit si saint que le bétail ne pouvait camper à proximité soit destiné, après notre départ, à lui servir de pâture ! » Au lieu de partir à contrecœur, ils s’en allèrent sans ressentir le moindre manque, preuve qu’ils avaient reçu la Torah comme un fardeau et non de leur plein gré. Ils craignaient en fait, nous révèlent nos Sages, qu’Hachem leur ajoute d’autres mitsvot. C’est dire combien ils étaient loin d’avoir compris qu’un homme sans Torah est comme un corps sans âme. En outre, tant qu’ils se trouvaient au pied de la montagne et qu’Hachem se trouvait au-dessus, le Sinaï conservait sa sainteté. Mais à présent que la Chékhina l’avait quitté, l’endroit devenait semblable à tout autre, et il leur appartenait d’en faire, comme de tout autre lieu, un endroit apte à accueillir Hachem et Sa Chékhina. Or, ils firent le contraire puisqu’ils fuirent les lieux comme des enfants fuyant l’école, sans se soucier de faire d’un autre endroit un « nid » pour la Chékhina semblable au mont Sinaï.
Le principe est exactement identique pour la téfila. Même si l’on a prié de tout son coeur et avec ferveur, si l’on est déjà en dehors du Beth Haknesset lors de la prière « Alénou Léchabéa’h », on montre ainsi que toute cette prière était un fardeau et que l’on attendait en fait avec impatience de se libérer de ce joug. Il est évident qu’une telle téfila n’a pas d’utilité positive et ne laisse pas de marque durable.
De même, dès lors qu’aussitôt après avoir quitté le mont Sinaï, les enfants d’Israël fautèrent et se mirent à exprimer toutes sortes de plaintes injustifiées contre le Créateur et Sa conduite, c’est la preuve qu’ils fuirent les lieux comme un cancre quitte l’école, trop heureux de partir. Et c’est surtout la preuve qu’ils n’avaient pas encore pris toute la mesure de la valeur et de l’importance de la Torah, ce qui explique que celle-ci n’ait pu les influencer et améliorer leur comportement. Car s’ils avaient vraiment réalisé sa valeur et son importance, ils auraient dû se désoler de quitter ce lieu saint, la « montagne de l’Éternel », et ce, même s’ils étaient contraints de partir selon l’ordre divin.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Perles de l’étude de notre Maître le Gaon et Tsadik Rabbi David ’Hanania Pinto chelita
Un silence éloquent
« Et ils firent, à partir de la montagne de l’Éternel, trois journées de chemin » (Bamidbar 10, 33)
Et nos Sages d’expliquer qu’ils parcoururent cette distance à leur départ du mont Sinaï comme un enfant fuyant l’école, ce qui est considéré comme un tort de leur part.
On peut illustrer cela par un exemple : imaginons-nous qu’un homme accueille généreusement un invité, comblant ses moindres besoins matériels – dans le domaine financier, de la santé – et même spirituels, en lui permettant d’atteindre de hauts niveaux dans le Service divin et la crainte du Ciel. Et cela sans la moindre contrepartie. Or, voilà qu’un beau jour, son protégé vient le trouver pour lui faire part de son désir… de le quitter. Notre mécène va-t-il se contenter de lui souhaiter la réussite et un bon voyage puis le laisser partir après de brèves salutations ? Certainement pas. Il fera au contraire tout son possible pour le persuader de rester encore un peu chez lui…
De manière comparable, lorsque les enfants d’Israël se trouvaient au mont Sinaï, ils assistèrent à des prodiges de grande ampleur et eurent le mérite de s’élever à un niveau remarquable. Puis, lorsque Moché leur dit d’aller en Terre Sainte, ils ne manifestèrent pas la moindre opposition. Nulle crainte, nulle protestation. Ils n’évoquèrent pas l’appréhension de s’éloigner d’Hachem et d’être amenés à négliger la Torah en se trouvant confrontés aux tracas de ce monde, avec la charge d’une terre à cultiver. Non, ils n’évoquent aucun de ces problèmes, ils sont prêts à partir.
C’est là le reproche qui leur est fait : comment se fait-il qu’ils n’aient pas tenté d’obtenir un répit ? Et c’est pourquoi on les compare à ce cancre qui file au-dehors à la sortie des classes. Et cette chute les a menés, de fil en aiguille, à vouloir manger de la viande – une demande dont Rachi souligne l’inanité puisqu’ils en avaient déjà – puis à la faute des explorateurs qui médirent de la Terre sainte. Laquelle fut sanctionnée par quarante années d’errance dans le désert, pendant lesquelles leurs enfants ne furent pas circoncis. Et tout cela, à cause d’un manque d’implication et de bonne volonté pour servir Hachem dans la pureté.
Et lorsque le cœur refoule les pensées de sainteté et de pureté, le mauvais penchant parvient à s’y introduire et s’y installer. Tel est le sens de ce que nous disons dans le piyout Azreni E-l ‘Haï :
« Éloigne d’elle, je T’en prie, la compagnie de la clique du Nord » – c’est-à-dire le mauvais penchant, qui réside dans le corps de l’homme.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Étincelles de émouna et de bita’hon consignées par le Gaon et Tsadik Rabbi David ’Hanania Pinto chelita
L’histoire suivante illustre combien les souffrances ont le pouvoir de rapprocher tout homme, quel qu’il soit, du Créateur. Et même s’il n’est pas juif, cela peut lui permettre de percevoir clairement l’existence d’Hachem.
Mon ami, M. Haber, que j’ai grâce à D.ieu eu le mérite de ramener à la Torah, rencontra en Argentine un ami non-juif à la fortune colossale, M. Rivero. Lors de cette entrevue (en 2011), après les salutations d’usage, leur conversation prit un tour inattendu. M. Haber confia en effet à son ami que son Rav, Rabbi David, se trouvait alors en Argentine, et lui proposa de l’accompagner pour lui demander une brakha. « J’ai tout ce qu’il me faut, répliqua son ami avec suffisance. Je suis très riche ; j’ai une femme et des enfants, et je ne manque de rien. Pourquoi est-ce que j’aurais besoin d’une bénédiction ? » M. Rivero mentionna au passage que sa femme était juive. « Dans ce cas, reprit M. Haber, vous avez un lien avec les Juifs, et vos enfants sont juifs ! »
Cette fois, M. Rivero eut une réaction pleine de mépris : « Ma femme et mes enfants n’ont aucun lien avec le judaïsme ! Ils vont tous les dimanches à l’église et n’ont absolument rien de juif… »
« À ce moment, nous confiera M. Haber, je ne pus m’empêcher de considérer avec pitié cet homme qui n’était pas capable de comprendre quel est le but de l’homme dans ce monde. “Loué soit Celui Qui ne m’a pas fait naître goy !” me suis- je dit, plein de reconnaissance envers le Créateur, qui a distingué notre lot et notre sort des autres nations. »
Deux jours après cette rencontre, notre ami reçut un appel d’un M. Rivero visiblement paniqué. D’une voix brisée et étouffée par les larmes, il demanda à son ami de lui organiser une rencontre avec Rabbi David…
M. Haber était stupéfait : deux jours auparavant, son ami avait montré du mépris pour les bénédictions du Rav et était même allé jusqu’à prétendre qu’il n’en avait nullement besoin, puisqu’il avait tout et ne manquait de rien. Qu’est-ce qui était soudain arrivé ? Son ami, dont le ton était devenu méconnaissable, lui révéla qu’il s’était soudain senti mal, et qu’à l’hôpital où il avait été transporté d’urgence, on lui avait fait passer des examens prouvant qu’il était atteint de la maladie dont on préfère taire le nom.
En un instant, son existence paisible et heureuse avait basculé. C’est alors qu’il se remémora soudain sa rencontre avec M. Haber, qui lui avait parlé des bénédictions données par son Rav. Une lueur d’espoir s’était alors allumée dans son esprit et il tenait à présent à recevoir une telle bénédiction.
« Quelques heures plus tard, témoigne le Rav, il était devant moi et me racontait ce qui lui était arrivé. Je le bénis de tout cœur en lui souhaitant qu’Hachem lui envoie la guérison et qu’il retrouve une parfaite santé. Je savais en effet clairement que s’il guérissait, cela générerait un immense kiddouch Hachem.
« En outre, il me proposa de faire don d’une somme très importante pour nos institutions, mais je rejetai fermement son offre généreuse, car mon seul but était de sanctifier le Nom d’Hachem.
« Cet incident s’est gravé dans ma mémoire, et j’y ai beaucoup réfléchi par la suite. Il démontre combien l’homme peut se fourvoyer en ayant la fatuité de croire que rien ne peut lui arriver. M. Rivero était au départ si sûr de lui et débordant d’orgueil qu’il avait l’impression de détenir les clés du succès, d’avoir tous les atouts en main et que tous ses biens, sa richesse et sa situation familiale jouissaient d’une garantie de stabilité. Mais voilà qu’en un instant, tout avait basculé et maintenant que sa santé était remise en question, c’était un homme brisé. C’est la preuve qu’en fait, tout dépend du Maître du monde.
« Et qu’est-ce qui l’avait mené à cette claire prise de conscience ? La découverte soudaine de sa maladie lui avait ouvert les yeux et le cœur, lui permettant d’en arriver à cette conclusion. L’homme doit donc cesser de rejeter l’évidence tangible que tout vient d’Hachem et d’attendre qu’on lui envoie du Ciel de douloureuses piqûres de rappel pour le comprendre. Il convient au contraire de renforcer sans cesse cette conscience dans son cœur et d’aspirer continuellement à continuer à progresser en Torah et en crainte du Ciel. »
PAROLES DE TSADIKIM
Perles de Torah sur la paracha entendues à la table de nos Maîtres
L’humilité des Guédolim
« Or, cet homme, Moïse, était fort humble, plus qu’aucun homme qui fût sur la terre. » (Bamidbar 12, 3)
Comment Moché, qui était supérieur à tous les autres Juifs, pouvait-il être modeste ?
Le ‘Hafets ‘Haim répond que Moché partait du principe qu’il ne pouvait se comparer à eux, alors qu’il avait été dans les cieux où il avait eu le mérite d’étudier la Torah de la Bouche divine.
« S’ils avaient eu un Enseignant comme moi, eux aussi auraient pu être comme moi », raisonnait-il.
Le Gaon Rav Zalman Sorotskin ajoute que lors de l’épisode du buisson ardent, quand Hachem ordonna à Moché Rabbénou d’aller délivrer le peuple juif, celui- ci protesta : « Qui suis-je pour aller trouver Paro ? » (Chémot 3, 11) A priori, Hachem aurait dû lui répondre :
« Toi seul conviens à cette mission ! C’est toi qui as été choisi pour délivrer les Hébreux ! Ne refuse pas cette mission, sans quoi ils resteront éternellement en Égypte ! » Mais concrètement, Il lui dit tout autre chose :
« Je serai avec toi », ce qui laisse entendre que Moché ne convenait réellement pas à cette importante mission, mais Hachem s’engageait à être avec lui et à l’aider envers et contre tout.
Cela pose toutefois une difficulté : si Moché Rabbénou ne convenait réellement pas à ce rôle de Libérateur, ce que même Hachem semble confirmer, pourquoi ne pas avoir choisi une personne plus adaptée ?
C’est qu’Hachem voue un amour particulier à ceux qui « ne conviennent pas ». Ce sont justement les « bras cassés » qui ont droit à Son affection et Sa proximité, comme le souligne le verset des Téhilim (51, 19) : « Un cœur brisé et abattu, ô D.ieu, Tu ne le dédaignes point ».
Le grand-rabbin de Jérusalem, Rav Chlomo Moché Amar chlita, rapporte l’anecdote suivante, soulignant la modestie du Gaon Rav Mordékhaï Eliahou zatsal (dont la Hilloula tombe vendredi prochain) :
À la fin du deuil de Rabbi Chalom Messas zatsal, l’un des anciens Sages du Maroc qui fut grand-rabbin de Jérusalem, se tint un grand rassemblement d’hommages à sa mémoire dans la Yéchiva Porat Yossef. D’éminents Rabbanim y participèrent, dont certains grands rabbins d’Israël, comme le Rav Mordékhai Eliahou zatsal et le Rav Bakchi Doron, qu’il ait une longue vie. Le Rav Mordékhai Eliahou s’interrompit soudain au beau milieu de son discours lorsque le Rav Ovadia Yossef zatsal fit son entrée. Il descendit même de la tribune en son honneur.
« Après qu’il eut accueilli le Rav Ovadia Yossef, rapporte le Rav Amar, je le priai de continuer à parler en attendant que le Rav Ovadia Yossef se repose un peu. Mais il refusa de prendre la parole devant lui, arguant qu’il fallait avant tout honorer la Torah de Rav Ovadia Yossef. »
À MÉDITER
Une histoire édifiante sur le Rav Chmouel Wozner zatsal est rapportée dans l’ouvrage Hapossek (« le Décisionnaire »). On sait combien ce Gaon s’investit toute sa vie pour maintenir et développer la sainteté de notre peuple. Il se distingua notamment dans sa lutte pour que les innovations technologiques néfastes ne s’infiltrent pas dans le camp de ceux qui ont la crainte de D.ieu. Il combattit de toutes ses forces et sans crainte ceux qui cherchaient à ouvrir des brèches dans ce domaine.
Le fils du Tsaddik, Rav Mordékhaï Elimélekh Wozner chlita, témoigne que cette histoire remonte à l’été 1969, où son père fit un séjour dans la ville de Tsfat (Safed). Comme à son habitude, il passait sa journée à étudier, et sortait pendant seulement une heure prendre l’air. On connaît l’importance que ce Maître accordait à l’entretien d’une bonne santé, mais même lors de cette promenade, il emportait quelques livres d’étude avec lui, précise son fils, qui était présent lors des faits.
Lors d’une de ces randonnées, ils s’éloignèrent davantage et gravirent une des montagnes de Galilée. Ce jour-là, le Rav avait emporté un livre de Téhilim très ancien, à la reliure antique et agrémenté des commentaires d’un des plus prestigieux Rabbanim des générations précédentes. C’était un livre estimé par les spécialistes à plusieurs milliers de dollars.
Or, la précieuse relique fut malheureusement oubliée ce jour-là sur l’une des tables qui se trouvaient sur les lieux et ce n’est que quelques heures après la prière d’Arvit que sa disparition fut remarquée. On s’imagine aisément la consternation qui s’ensuivit, et ce, d’autant plus qu’à cette époque, il n’existait pas de routes développées entre les monts Meron et Tsfat. Même en pleine journée, c’était loin d’être un voyage facile.
L’un des accompagnateurs du Rav, se sentant coupable de l’oubli du précieux livre, voulut retourner sur les lieux le chercher. Aussi quelques ba’hourim s’adressèrent-ils à son chauffeur pour lui demander de bien vouloir les conduire à l’endroit où il avait été laissé. Le chauffeur, qui craignait d’entreprendre la nuit un voyage sur ces routes chaotiques répondit finalement qu’il y consentait si le Rav lui donnait sa brakha pour qu’il fasse une bonne route. Rav Mordékhaï Elimélekh demanda alors à son père la permission de faire ce voyage, mais celui-ci secoua la tête :
« Je vous interdis de retourner là-bas maintenant », répondit-il fermement.
Certain que son père avait en tête des raisons de sécurité, il tenta d’insister : le chauffeur était bien conscient du danger et s’était engagé à rouler lentement et prudemment. Mais le Rav n’était pas prêt à céder et, face à l’entêtement de son fils, s’expliqua : « Tu penses que je m’oppose à ce voyage pour des raisons de sécurité, mais là n’est pas le problème. Je crains plutôt les images impures que vous risquez d’y voir à cette heure-ci, et c’est pourquoi je vous défends d’y aller !
– Mais ton Téhilim ! protesta Rav Mordékhaï.
– Je préfère le perdre plutôt que de vous savoir confrontés au risque de visions impures. »
La discussion était close. Trente- cinq ans après cet incident, en 2003, le Gadol alla passer ses vacances dans une villégiature d’Autriche. Un notable Juif des environs vint lui rendre visite et, lui tendant un présent, expliqua : « Je viens de faire l’acquisition auprès d’un marchand d’antiquités d’un livre de Téhilim ancien de très grande valeur. J’ai remarqué, après achat, qu’y était inscrit le nom “Chmouel Halévi Wozner” et c’est pourquoi je voudrais vous l’offrir. »
Le vendredi, lorsque son fils lui téléphona comme à son habitude, le Rav lui apprit la nouvelle avec émotion : « Tu te souviens ce livre de Téhilim qu’on avait oublié sur les montagnes à côté de Meron ? Cette semaine, je l’ai récupéré après trente-cinq ans ! »
Rav Mordékhaï en fut bouleversé, réalisant que se concrétisait ainsi le verset « aucune calamité ne surprend le juste ». Le Tsaddik avait refusé à l’époque d’aller chercher le livre tant il accordait d’importance au fait de préserver son regard, et du Ciel, on le lui avait finalement restitué.
DES HOMMES DE FOI
Tranches de vie – extraits de l’ouvrage Des hommes de foi, biographie des Tsaddikim de la lignée des Pinto
Rabbi Yaïch Krispin, qui était un éminent érudit du village Wald-Rahil, était aussi négociant de métier. Il parcourait tout le pays, allait de ville en ville et de village en village pour acheter et vendre sa marchandise.
Quand la nouvelle se répandit que Rabbi Yaïch était sur le point de partir pour Mogador, plusieurs de ses voisins lui remirent des dons destinés à Rabbi ‘Haïm Pinto Hakatan, qu’il emporta de bon cœur.
Quand il quitta les faubourgs du village, il entendit soudain une voix qui l’appelait :
« Rabbi Yaïch, Rabbi Yaïch ! »
C’était Mme Messaouda Wizman qui voulait lui remettre également un don pour le Rav. Rabbi Yaïch prit l’argent qu’elle lui tendait, le glissa machinalement dans la poche de son manteau et poursuivit sa route.
Comme il ne connaissait pas Mogador et n’avait jamais contemplé le visage majestueux de Rabbi ‘Haïm, il demanda au premier Juif qu’il rencontra à l’entrée de la ville de lui indiquer le chemin de la maison du Tsaddik. En chemin, un homme distingué l’aborda et lui demanda :
« Etes-vous Rabbi Yaïch Krispin, du village Wald-Rahil ?
– Oui, répondit-il.
– Je suis Rabbi ‘Haïm Pinto », lui dit l’homme.
Rabbi Yaïch fut un peu surpris par cette rencontre imprévue. Mais Rabbi ‘Haïm continua sans s’interrompre :
« Pessa’h arrive et de nombreux Juifs me demandent de l’aide afin d’avoir de quoi célébrer la fête. Le temps est court et le travail abondant. Je te serais reconnaissant si tu pouvais d’ores et déjà me remettre les dons que tu as apportés.
– L’argent se trouve parmi mes affaires, s’excusa Rabbi Yaïch, je préfère d’abord me rendre à mon hôtel et ouvrir les paquets. Cela me permettra de le trouver plus aisément et de vous le donner.
– Je ne bougerai pas d’ici tant que je n’aurai pas reçu l’argent. Les besoins sont nombreux et le temps presse », insista le Rav.
Rabbi Yaïch se laissa convaincre et déballa ses paquets. Il en sortit l’argent et le transmit à Rabbi ‘Haïm.
« Il reste encore quelque chose, lui fit remarquer Rabbi ‘Haïm.
– J’ai tout donné au Rav, certifia Rabbi Yaïch d’un ton assuré.
– À ta sortie de la ville, lui rappela Rabbi ‘Haïm, Mme Messaouda Wizman t’a demandé de me transmettre son don. Tu l’as mis dans la poche supérieure de ton manteau. Il semblerait qu’à cause de toutes les péripéties du voyage, tu l’aies oublié. »
Rabbi Yaïch se réjouit des paroles du Rav qui, par inspiration divine, pouvait voir à distance. Il lui dit : « J’avais entendu parler de la réputation du Rav mais je me rends maintenant compte de sa grandeur. » Immédiatement, il sortit l’argent de la poche de son manteau et le lui donna.
Rabbi ‘Haïm se hâta d’aller le distribuer aux pauvres, tandis que Rabbi Yaïch retourna à son hôtel pour s’occuper de ses affaires. Puis il sortit faire min’ha à la synagogue, dans l’intention de rencontrer ensuite les négociants avec lesquels il avait convenu de parler affaires.
Au moment où Rabbi Yaïch entra dans la synagogue, les Sages de la ville étudiaient le traité Pessa’him, comme l’ont institué nos Sages (Pessa’him 6a) : « Trente jours avant Pessa’h, on en étudiera les lois. »
Rabbi Yaïch s’installa et tendit l’oreille. Au cours de l’étude, un des étudiants posa une question pertinente, bloquant la progression de celle-ci.
Rabbi Yaïch se dirigea vers les étudiants et leur présenta l’ensemble de la souguia suivant ce qu’il avait compris. Elle était maintenant très compréhensible et d’une clarté limpide.
Tous furent d’accord avec l’explication de Rabbi Yaïch sauf un des étudiants qui ne vit pas cette immixtion d’un œil favorable et s’en plaignit devant tout le monde : « Notre Yéchiva s’est-elle transformée en ville refuge ? Chaque personne de passage qui y entre nous dérange. »
Rabbi Yaïch comprit fort bien à qui ces propos s’adressaient mais préféra ne pas répliquer et faire partie de « ceux que l’on offense et qui n’offensent pas, qui entendent l’humiliation et ne répondent pas ». Il se tut et les étudiants en firent de même. Aucun ne protesta contre cette atteinte à l’honneur d’un érudit.
Seul Rabbi ‘Haïm Pinto, qui se trouvait chez lui et vit l’incident par inspiration divine, prit sur lui de défendre l’honneur de la Torah. Immédiatement, il appela son serviteur, Rav Yéhouda ben Azar, et lui demanda de l’accompagner.
« Je sens que l’on offense Rabbi Yaïch, lui dit-il. C’est l’érudit que nous avons rencontré ce matin. Un des étudiants de la Yéchiva l’a humilié et l’a mis dans l’embarras. »
Rabbi ‘Haïm et son serviteur se hâtèrent vers la synagogue. Lorsqu’ils le virent, les étudiants se levèrent et lui offrirent un siège. Le Tsaddik ne tint pas compte de ces marques de respect et s’adressa à eux le visage sévère :
« Je ne m’assiérai pas dans une assemblée de moqueurs, dans un endroit où on ne respecte pas un invité de marque et un brillant érudit comme Rabbi Yaïch. Personne d’entre vous n’a sa grandeur en Torah. Cette Yéchiva est une ville refuge pour des gens de votre nature et non pour un invité de marque comme Rabbi Yaïch Krispin. » En entendant ces remontrances, les étudiants comprirent qu’ils devaient s’excuser auprès de Rabbi Yaïch. Tous sans exception lui demandèrent pardon de ne pas avoir protesté contre leur camarade qui avait outragé l’honneur de la Torah. Ils s’excusèrent également de ne pas l’avoir honoré ni accueilli comme il le méritait.
Rabbi Yaïch accepta leurs excuses. Sitôt après leur avoir exprimé son pardon, il continua à débattre avec eux du difficile sujet étudié, jusqu’à ce qu’il devienne limpide pour tous.
À la suite de cet évènement, les étudiants se repentirent et prirent la résolution d’accueillir à l’avenir chaque visiteur aux portes de la ville et d’accomplir la mitsva d’hospitalité avec joie, en particulier avec les érudits.