Parachat Balak 20 Juillet 2024 כד תמוז תשפ"ד |
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L’effort, le moyen d’acquérir les vertus
Rabbi David Hanania Pinto
« Tu ne maudiras point ce peuple, car il est béni » (Bamidbar 22, 12)
Nos Sages affirment que les enfants d’Israёl n’avaient pas de plus grand ennemi que Bilam l’impie. Ce dernier chercha à les anéantir par ses malédictions, mais le Saint béni soit-Il, dans Sa grande bonté, les prit en pitié et lui tint la bride haute pour l’empêcher de les maudire. Lorsqu’il constata qu’il était incapable de les maudire, il voulut les bénir. Cependant, l’Eternel lui signifia qu’ils n’avaient pas besoin de sa bénédiction, « car il est béni » – comme le dit le proverbe : « Je ne veux ni de ton miel, ni de ton dard ! » (Rachi)
Il va sans dire que, même lorsqu’il voulut les bénir, son intention n’était pas de leur apporter la bénédiction, mais il espérait les maudire par ce biais ; aussi D.ieu ne lui en donna-t-Il pas le loisir.
Mais, d’où provenait donc cette aversion profonde de Bilam pour le peuple juif ? Pourquoi le haïssait-il au point de vouloir l’exterminer ?
Nos Maîtres (Avot 5, 19) affirment : « Quiconque a les trois défauts opposés peut se réclamer de Bilam l’impie (…) : un regard malveillant, un esprit arrogant et une âme avide. » Le vice principal de Bilam était son regard malveillant ; c’est ce qui le caractérisait. Celui qui possède ce défaut ne supporte pas de constater la réussite de son prochain. Ainsi, Bilam ne parvenait pas à accepter la réussite des enfants d’Israёl et était jaloux du fait que l’Eternel était constamment à leurs côtés, veillait à leurs moindres besoins, leur accordait une Providence individuelle et les conduisait miraculeusement dans le désert. D’où la haine cuisante qu’il nourrissait à leur égard et sa volonté de les exterminer.
Pourtant, ceci demande à être éclairci : si Bilam était un si grand mécréant, comment mérita-t-il de parvenir au niveau de la prophétie ? Le texte dit à son sujet « Qui perçoit la vision du Tout-Puissant » (Bamidbar 24, 16) et nos Maîtres de commenter qu’il connaissait l’heure où D.ieu était en colère, tout comme l’avenir, et avait atteint le même niveau de prophétie que Moché. Il est dit, en effet : « Mais il n’a plus paru, en Israël, un prophète tel que Moché » (Dévarim 34, 10), d’où ils déduisent que tel fut le cas au sein du peuple juif, mais non pas parmi les nations. Aussi, comment un homme ayant de si grands vices, une profonde haine pour le peuple juif et un comportement des plus immoraux, put-il atteindre un si haut degré de prophétie ?
La réponse est simple. Bilam ne s’est jamais travaillé pour parvenir à ce niveau : il l’a atteint gratuitement, reçu en cadeau. En effet, il n’a jamais aspiré à se sanctifier ni à purifier ses pensées pour mériter de se hisser à un haut niveau spirituel ; au contraire, de vilains défauts et un esprit de révolte étaient implantés en lui et il les suivait volontiers, cédant aux incitations de son mauvais penchant. Mais il reçut gratuitement du Créateur un très haut niveau de prophétie, afin que les nations du monde ne puissent plus tard justifier leur mauvais comportement par le fait qu’elles eussent été défavorisées.
Toutes proportions gardées, Moché se hissa à un très haut niveau au prix de nombreux efforts. Paré de vertus et d’un comportement droit, il pouvait se réclamer de notre patriarche Avraham, puisqu’il avait, tout comme ce dernier, « un œil bienveillant, un esprit humble et une âme tempérée » (Avot 5, 19). En effet, il se sacrifia pour le peuple juif et se travailla afin d’acquérir ces trois vertus.
Dès sa jeunesse, dans le palais de Paro, Moché ne chercha pas à profiter de sa place prestigieuse. Au contraire, partageant la souffrance de ses frères asservis, il ôtait ses vêtements princiers pour aller les aider et les réconforter. C’est ainsi qu’il acquit les vertus de bonté et d’humilité qui s’enracinèrent en lui et devinrent partie intégrante de son être. Car il se travailla pour les acquérir. En outre, ces sublimes vertus lui permirent également de se renforcer en crainte du Ciel et d’atteindre un niveau de proximité divine jamais inégalé par aucun être humain.
Or, il est important de savoir que, malheureusement, l’offensive de Bilam contre notre peuple n’est pas uniquement un fait passé. Toujours existante, elle prend aujourd’hui la forme de technologies nouvelles comme l’Internet ou le Smartphone non filtré et cause de nombreux ravages. Il nous incombe de prendre conscience de notre devoir de veiller à nous préserver de ce danger, tout en sachant que, si nous nous efforçons dans ce sens, commençons à nous sanctifier, à purifier notre cœur et nos pensées et à nous éloigner des vices et de l’abomination, l’Eternel nous accordera Son assistance, car « celui qui vient se purifier, D.ieu lui vient en aide ».
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
La bourse contre la vie
C’est une femme quasi désespérée qui vint me trouver, suite à l’échec d’innombrables traitements et aux résultats des derniers examens qu’elle avait subis. Le verdict des plus grands médecins était sans appel : elle ne pourrait jamais avoir d’enfants !
Elle ne pouvait cependant se résoudre à l’évidence et, en dépit de leur diagnostic, elle voulait garder espoir et foi en D.ieu, tout-puissant. Elle revint à plusieurs reprises, me demandant de prier pour qu’elle finisse par mettre au monde des enfants.
Afin de ne pas la peiner davantage, je la bénis à chaque fois, tout en ajoutant qu’elle ne devrait pas placer trop d’espoirs dans cette brakha – je voulais ainsi la pousser à continuer à prier elle-même –, car elle n’avait normalement aucune possibilité de devenir mère. Il valait donc mieux éviter qu’elle s’attriste ou se focalise là-dessus.
Un jour, elle réapparut, m’annonçant qu’elle avait le sentiment que quelque chose se passait en elle et qu’elle était enceinte. Je me dis au départ, qu’étant stérile, elle ne devrait pas tenir compte de cette impression. Toutefois, après mûre réflexion, je changeai d’avis et l’encourageai, au contraire, à aller au plus vite consulter un spécialiste pour savoir si son intuition était juste.
À la surprise de tous, son désir intense d’être mère fut exaucé, et même doublement puisque, neuf mois plus tard, elle donna naissance à des jumeaux – garçon et fille.
La nuit précédant la brit-mila, son mari, l’heureux père, rêva qu’on lui volait dix-huit mille euros. Du rêve à la réalité, il n’y avait qu’un pas, puisque c’est ce qui lui arriva le lendemain.
Lorsqu’il me relata les faits, je réalisai aussitôt que le nombre dix-huit est particulièrement significatif puisque c’est la valeur numérique de ‘haï – vivant. En outre, nos Sages affirment qu’« un pauvre est considéré comme un mort ».
Lorsque cette somme lui fut dérobée, c’est comme si on lui avait retiré la vie. Dans Sa Miséricorde infinie, le Tout-Puissant avait anticipé le mal par son remède, en lui accordant deux fois la vie, à travers la naissance de ces jumeaux, fruits d’un miracle.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Les survivants de Yaakov seront (…) » (Mikha chap. 5 et 6)
Lien avec la paracha : la haftara relate la bonté du Saint béni soit-Il qui fit en sorte que Bilam loue le peuple juif au lieu de le maudire, sujet de notre paracha qui rapporte la volonté de Balak, roi de Moav, et de Bilam l’impie de maudire le peuple juif, finalement béni contre le gré de ce dernier.
CHEMIRAT HALACHONE
Quand il faut s’abstenir de louer
Si quelqu’un ayant obtenu un prêt de son prochain raconte en public combien il s’est montré généreux à son égard, il risque d’encourager les autres à lui demander cette même faveur, ce qui pourra lui être préjudiciable.
A ce sujet, il est dit : « Assourdir de grand matin son prochain par de bruyants saluts, c’est comme si on lui disait des injures. » (Michlé 27, 14)
PAROLES DE TSADIKIM
Le sidour caché par Rabbi Salman Moutsafi
L’histoire nous montre le fossé séparant les Sages de notre peuple et les personnalités des nations du monde. Tandis que les premiers ont toujours vécu dans la discrétion et fui les honneurs, les seconds se complaisent au contraire à se voir glorifier, comme le laisse transparaître la promesse de Balak à Bilam figurant dans notre section : « Car je veux te combler d’honneurs. »
Dans la haftara de notre semaine, le prophète Mikha souligne l’importance de garder le profil bas : « Ce que le Seigneur demande de toi (…) de marcher humblement avec ton D.ieu. » (6, 8) D’ailleurs, tout au long des générations, force est de constater que, plus un Sage est grand en Torah, plus il est humble.
En réalité, le concept de publicité est, à la base, impur. A l’inverse, la pudeur est l’apanage du peuple juif et, plus ses membres se distinguent dans cette vertu, plus ils sont grands en Torah et en crainte du Ciel.
Rav Bentsion Moutsafi chelita dépeint, dans l’ouvrage Dorech Tsion, le portrait de son père, Rabbi Salman zatsal. Il raconte qu’il avait l’habitude de se rendre chaque jour au Kotel pour y prier min’ha et arvit. Il prenait alors le sidour du Rachach dans lequel il priait avec la plus grande ferveur. Il était recouvert d’une enveloppe qui en cachait le contenu. Il se tenait debout dans un coin, le tenant à moitié fermé, et priait pendant environ une demi-heure.
« Une fois, un homme, lui aussi venu prier au Kotel, fut curieux de savoir quel était ce livre duquel mon père lisait. Il s’approcha de lui pour regarder de plus près. Mon père comprit son intention (…) et s’empressa de refermer et de tourner sur le côté le sidour afin qu’il ne puisse pas deviner duquel il s’agissait. Mais l’autre s’entêta et se pencha pour essayer de voir l’autre côté du livre (…) Mon père mit son sidour à l’intérieur de sa tunique et poursuivit sa prière. Il se dit : “J’ai renoncé à une prière avec les kavanot élevées, l’essentiel étant qu’on ne me voie pas prier dans le sidour du Rachach et qu’on dise : quel grand Tsadik !” »
Le Pélé Yoets explique que les actes et les conduites obéissant à la halakha peuvent être exécutés en public, mais ceux qui correspondent à des ajouts volontaires faits par piété doivent être accomplis dans la discrétion. Celui qui désire faire des ‘houmrot doit le faire entre lui et lui-même, sans publicité.
S’appuyant sur le Zohar, le ‘Hida écrit que, si quelqu’un publie ses bons actes, il reçoit ainsi sa récompense dans ce monde, tandis que, dans le suivant, il sera puni pour cela. Non seulement il ne recevra pas de récompense, mais en plus, il sera puni.
A l’inverse, celui qui cache ses bonnes actions, le Saint béni soit-Il le protège et le cache, le mettant à l’abri des puissances impures, comme le souligne le verset : « Je veux (…) suivre la droiture de mon cœur dans l’enceinte de ma maison (…) Je déteste les agissements des pervers : rien de commun entre eux et moi. » (Téhilim 101, 2-3) Celui qui œuvre discrètement dans ce monde en sera grandement récompensé dans le suivant, en vertu de la promesse du verset : « Ah ! Qu’elle est grande Ta bonté, que Tu tiens en réserve pour Tes adorateurs. » (Ibid. 31, 20)
PERLES SUR LA PARACHA
Celui qui est apte à bénir
« Car, je le sais, celui que tu bénis est béni. » (Bamidbar 22, 6)
Le Tsadik Rabbi Meïr Abou’hatséra – que son mérite nous protège – raconte que, dans sa ville natale, au Maroc, habitait un homme simple auprès duquel les gens venaient demander des bénédictions qui, très souvent, s’accomplissaient.
Dans l’ouvrage Pékoudot Elazar, son fils, l’Admour Rabbi Elazar – que son mérite nous protège – raconte qu’il demanda à son père une explication de ce fait.
Avec sa douceur habituelle, Rabbi Meïr lui répondit que, s’il s’agissait certes d’un homme simple, tout comme son père, ce dernier était aussi connu comme une personne pratiquant beaucoup de charité.
Il était couturier et, parmi ses actes charitables, il avait l’habitude de récupérer les vêtements usagés ou déchirés des gens pour les réparer et les distribuer ensuite aux pauvres. Les nombreux mérites du père valurent au fils la réalisation des bénédictions qu’il prononçait.
Dans cet esprit, on raconte que, lorsque le Saba de Slabodka était malade, il envoya des émissaires chez des Tsadikim pour leur demander de prier en sa faveur. Or, il en envoya également chez le pharmacien de son village, se disant que, s’étant montré bon envers les autres par la préparation de médicaments nécessaires à leur guérison, il avait sans doute de nombreux mérites et de fortes chances que ses bénédictions se réalisent, à l’instar des justes et des saints.
Les pas répréhensibles de Bilam
« Mais D.ieu étant irrité de ce qu’il partait. » (Bamidbar 22, 22)
Que signifient les mots « de ce qu’il partait » ?
La Guémara raconte (Brakhot 7a) que Rabbi Yéhochoua ben Lévi avait pour voisin un Saducéen l’irritant sans cesse, au point qu’il souhaitait sa mort.
Sachant qu’il existe un moment, vers le lever du jour, où la colère règne en maîtresse dans le monde, Rabbi Yéhochoua ben Lévi prévit d’être alors réveillé afin d’en profiter pour maudire cet homme, malédiction qui s’appliquerait sans doute. Comment distinguer cet instant ? Il correspond à celui où la crête du coq devient entièrement blanche.
Aussi, le Sage prit-il un coq qu’il observa attentivement, dans l’attente de ce moment précis. Mais, lorsque celui-ci arriva, il s’était endormi. A son réveil, il comprit que le Créateur l’avait voulu ainsi, afin que sa malédiction ne puisse pas s’appliquer.
Dans l’ouvrage Hatsadik Rabbi Chlomo, il est expliqué que Bilam, qui désirait maudire le peuple juif, voulut profiter de l’heure où D.ieu se met en colère pour accomplir ce sombre dessein. Il prit alors un coq et attendit le moment opportun. Constatant qu’il commençait à somnoler, il fit les cent pas pour lutter contre le sommeil, ce qui déplut fort au Très-Haut, comme le laisse entendre le verset « Mais D.ieu étant irrité de ce qu’il partait. »
D.ieu nous regarde même quand on tombe
« Et il proféra son oracle en ces termes : “Parole de Bilam, fils de Béor, parole de l’homme borgne, de celui qui entend le verbe divin, qui perçoit la vision du Tout-Puissant – il fléchit, mais son œil reste ouvert.” » (Bamidbar 24, 3)
Citant le Rav de Rojin, le Gaon de Tchabin zatsal explique ainsi ce verset. « Parole de l’homme borgne » : lorsque les choses ne vont pas comme il le voudrait, l’homme simple prétend que D.ieu est borgne, n’exerce pas Sa Providence sur lui.
Par contre, « celui qui entend le verbe divin », qui craint le Ciel et se plie à la parole divine, « perçoit la vision du Tout-Puissant », c’est-à-dire réalise que, même lorsqu’il « fléchit », « Son œil reste ouvert », le Créateur exerce Sa Providence sur lui et telle est Sa volonté.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Etre émerveillé, oui. Changer, non !
Bilam l’impie, impressionné par les qualités du peuple juif, s’écria : « Qu’elles sont belles, tes tentes, ô Yaakov ! » (Bamidbar 24, 5)
La Guémara (Sanhédrin 105b) commente : il faisait allusion aux synagogues et lieux d’étude dans lesquels les enfants d’Israёl prennent place pour étudier la Torah.
Cet émerveillement de Bilam ressemble beaucoup à celui éprouvé par les gens venant visiter des institutions de Torah. C’est la première fois de leur vie qu’ils se trouvent confrontés de près au monde de la Torah, ayant face à eux le spectacle de centaines d’avrékhim ou ba’hourim qui s’attellent assidûment à la tâche de l’étude. Il est aisé de s’imaginer combien ces personnes sont impressionnées par cette vision, à ce moment-là. Elles réalisent la beauté et la splendeur de notre sainte Torah et ont alors une estime inouïe pour ceux qui se vouent à son étude, prêts à se sacrifier dans la « tente de la Torah », renonçant à tous les vains plaisirs de ce monde.
Cependant, si ce merveilleux spectacle remue tant ces visiteurs, comment expliquer qu’il ne laisse pas son empreinte en eux ? En effet, leur émerveillement fait vite de s’estomper et ils ne décident pas de suivre le mouvement en se joignant aux étudiants de Yéchivot et Collélim. Pourquoi donc aucun changement essentiel ne s’opère-t-il en eux ?
La réponse est simple : telle est l’œuvre du mauvais penchant. S’il permet à l’homme d’être impressionné par ce qu’il voit, il ne lui laisse pas le loisir d’éveiller ses sentiments intérieurs plus dissimulés, ceux qui susciteraient en lui un véritable changement, de peur qu’il n’emprunte le droit chemin. Nous constatons à cet égard combien il est difficile, pour l’homme, de se défaire de ses mauvaises habitudes et, à l’opposé, combien il lui est facile de continuer à suivre ses désirs, plutôt que de se soumettre au joug de la Torah et des mitsvot. C’est ainsi qu’il persiste dans ses voies corrompues, refusant de se corriger en quoi que ce soit.
Il en fut de même concernant Bilam : il fut hautement impressionné par les enfants d’Israёl, assis par groupes pour étudier la Torah et, pourtant, il ne fut pas prêt à modifier son propre comportement. De son point de vue, il était trop difficile, voire impossible, de se conformer aux lois de la Torah. Aussi préféra-t-il poursuivre son mode de vie licencieux, ce qui explique pourquoi son émerveillement face au monde de la Torah n’entraîna pas de changement profond en lui.
LA FEMME VERTUEUSE
A la mémoire de Mazal Tov bat Mo'ha Sim'ha Zal
« Elle ouvre sa main au pauvre et tend le bras au nécessiteux. »
L’ouvrage Léhaguid rapporte l’histoire suivante racontée par un grand Sage.
Un jour, nous avancions prudemment entre les sépultures du grand cimetière de Vilna quand, soudain, nos yeux se posèrent sur une curieuse épitaphe : « Ci-gît untel fils d’untel, décédé tel jour (…) Elle ouvre sa main au pauvre et tend le bras au nécessiteux. »
Quoi de plus surprenant : ce verset de Michlé, extrait de l’éloge prononcé par le roi Chlomo sur la femme vertueuse, avait été choisi pour figurer sur l’épitaphe d’un homme de Vilna.
Notre curiosité aiguisée, nous voulûmes savoir ce qui se cachait derrière ces mots. Nous décidâmes alors d’aller à la source en cherchant dans les vieux registres de la ‘hévra kadicha. Après maints efforts, nous parvînmes au but : nous retrouvâmes le nom de ce monsieur et l’histoire expliquant cette dernière phrase de son épitaphe. Une histoire incroyable.
Dans la ville de Vilna, habitait un homme spirituel, aimant pratiquer la charité. Dans tous les villages voisins, il était célèbre pour son opulence. Pour le définir, on pouvait dire qu’il était aussi généreux que riche. Durant de nombreuses années, il distribua de sa grande fortune aux pauvres juifs, à ceux auxquels la chance ne souriait pas, aux nécessiteux et à tous ceux dans le besoin. Tous étaient ébahis du bonheur qu’il éprouvait à dispenser ainsi son argent. Il aimait de tout cœur céder ses biens, remplir de son argent les poches vides des plus démunis. Il poursuivait littéralement la tsédaka.
Mais voilà que la roue de la fortune tourna. Les affaires de notre Tsadik ne furent plus aussi prospères qu’à l’accoutumée et sa fortune commença à s’amoindrir de jour en jour. D’un petit déclin, il connut finalement une véritable faillite. Il ne lui restait plus que sa somptueuse maison, emplie d’ustensiles d’or et d’argent. A défaut d’espèces, il ne pouvait plus donner d’argent aux pauvres. Tous les habitants de Vilna se demandèrent comment un homme si généreux avait pu mériter une telle punition. Sans doute était-ce là un de ces voilements de la face divine…
La confusion était telle qu’elle s’empara même des dirigeants de la communauté, des décisionnaires et des Rabanim qui décidèrent de se regrouper pour examiner ensemble la question. Après de longues réflexions, on trouva la nature de sa faute : il n’avait pas appliqué les paroles de nos Sages selon lesquelles on ne doit pas dispenser plus qu’un cinquième de ses biens. En effet, il aimait tant donner aux nécessiteux qu’il n’avait pas respecté cette limitation.
Or, notre philanthrope trouva un autre moyen de satisfaire son envie de secourir les autres, en leur distribuant des objets de valeur en sa possession.
Les membres du tribunal, constatant que sa générosité dépassait maintenant ses moyens, lui interdirent formellement de sortir de chez lui. Ils pensaient que, ne pouvant être en contact avec l’extérieur, il ne rencontrerait plus de misérables dans la rue et ceux-ci s’adresseraient alors à d’autres nantis.
Cependant, les pauvres, connaissant l’extrême bonté de cet homme, ne baissèrent pas les bras. Cherchant un moyen d’entrer en contact avec lui, ils tentèrent de frapper à ses fenêtres. Se rassemblant aux heures tardives de la nuit, ils se lamentaient sur leur situation, jusqu’à ce qu’il se réveillât. Touché par ce spectacle, il se levait et leur jetait toutes sortes d’objets précieux – lampes en argent, montres… Sa maison se vida de plus en plus ; tout or et argent avaient disparu. Néanmoins, son propriétaire était heureux et ces dons lui procuraient toute son énergie vitale.
Et ce, jusqu’à ce que sonnât sa dernière heure. Vers minuit, deux pauvres, en pleurs, frappèrent à sa fenêtre. L’ancien riche les prit en pitié. Il fouilla sa maison de fond en comble, à la recherche d’objets de valeur à leur donner, mais en vain. Tous ses biens trônaient déjà dans les foyers des autres. Toutefois, les démunis insistèrent. N’aurait-il pas, tout de même, un moyen de les tirer d’embarras et de leur permettre de nourrir les membres de leurs familles affamés ?
Il fit une seconde fois le tour de sa maison, examina ses moindres recoins, ouvrit les armoires et regarda ce qui se trouvait au-dessus. Finalement, il trouva une cuillère en or pur, reçue de son beau-père le jour de son mariage. Mais que faire pour partager ce bien entre les deux pauvres ? Mettant à contribution ses cellules grises, il trouva une idée ingénieuse : la couper en deux. Ce qu’il fit. Ainsi, il put donner le manche de la cuillère à l’un et la partie creuse à l’autre. Les pauvres s’empressèrent d’aller vendre ces objets pour avoir de l’argent qui leur permettrait de satisfaire les besoins de leurs familles.
Le lendemain matin, notre philanthrope n’était plus en vie. Il venait de rendre son âme au Créateur. Cette remarquable histoire marqua sa dernière nuit sur terre. C’est pourquoi il fut décidé d’en commémorer le souvenir en inscrivant, dans l’épitaphe figurant sur sa sépulture, le verset « Elle ouvre sa main au pauvre et tend le bras au nécessiteux. » Celui-ci peut en effet également se lire ainsi : « Donnant au pauvre la partie creuse (kapa) de la cuillère et son manche (yadéha) au nécessiteux. »