Parachat Devarim 10 Août 2024 ו' אב התשפ"ד |
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La médisance entrave la gratitude
Rabbi David Hanania Pinto
« Comment donc supporterais-je seul votre labeur et votre fardeau et vos contestations ? » (Dévarim 1, 12)
Nos Sages expliquent que ces paroles, adressées par Moché au peuple d’Israël avant son entrée en Terre Sainte et dans lesquelles nous retrouvons le terme eikha (comment donc), font allusion à la plainte prononcée par Yirmiya dans le livre des Lamentations (1, 1) : « Hélas (eikha) ! Comme elle est assise solitaire, la cité naguère si populeuse ! Elle, si puissante parmi les peuples, ressemble à une veuve. » Du fait que les enfants d’Israël émirent des propos dépréciatifs sur la Terre promise, D.ieu leur déclara : « A Ticha Béav, au retour des explorateurs, vous avez versé des pleurs vains, aussi ce jour se transformera-t-il en jour de pleurs pour les générations. » Et, comme nous le savons, cette date correspond à la destruction des deux Temples.
Nous pouvons nous demander pourquoi le Tout-Puissant fut si sévère avec les explorateurs, ainsi qu’avec les enfants d’Israël qui acceptèrent leurs propos. S’ils avaient calomnié une personne, nous aurions pu comprendre. Mais la terre n’a pas de sentiments. Alors pourquoi fallait-il être si rigoureux avec ces mauvaises langues ?
C’est que des propos dévalorisants à l’égard de la Terre Sainte, « constamment sous l’œil du Seigneur, depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin », constituent de l’ingratitude. Or, il existe un principe fondamental : la reconnaissance est la clé de l’accomplissement de la Torah et des mitsvot. Lorsqu’un homme reconnaît les bienfaits prodigués par son Créateur, cette gratitude l’amène à s’attacher à la Torah et à accomplir les mitsvot. Mais, afin de faire de cette reconnaissance une habitude, il doit s’entraîner à la développer avec son entourage. De la sorte, il en viendra à être reconnaissant envers le Tout-Puissant qui l’a créé et le maintient en vie à chaque instant. C’est également la raison de notre obligation de respecter nos parents, mitsva basée en grande partie sur la notion de reconnaissance. En effet, comme nous l’avons mentionné, lorsque l’enfant éprouve de la reconnaissance envers ses parents pour leurs bienfaits et leur bonté à son égard, il en viendra à en avoir également envers son Créateur qui l’a conçu avec sagesse.
Moché ne se contenta pas de sa reconnaissance envers les êtres humains, mais s’imposa d’en avoir également à l’égard de la matière. C’est ce que nous rapporte le Midrach : Dieu n’a pas voulu qu’il frappe le Nil, lors de la plaie du sang et celle des grenouilles, car, lorsqu’il était nourrisson, ce fleuve lui avait sauvé la vie en le cachant. Notons que la Torah, habituellement concise, insiste en précisant que Moché ne frappa pas le Nil et la terre, mais que son frère Aharon le fit à sa place, pour nous enseigner la grandeur de ce trait de caractère – la gratitude –, racine de nombreux autres bons attributs.
D.ieu fut intransigeant à l’égard des enfants d’Israël pour avoir accepté les propos désobligeants sur la Terre Sainte, car Il savait que, s’ils s’habituaient à décrier la terre qu’Il leur avait donnée en héritage, ils finiraient inévitablement par s’accoutumer à dire des propos malveillants sur leur entourage, jusqu’à ce que la terre finisse par les vomir. Effectivement, nous voyons qu’ils furent exilés de leur terre parce qu’ils prononcèrent des propos médisants les uns sur les autres, du fait de la haine gratuite régnant entre eux.
Ainsi, la dureté du châtiment divin vient enseigner aux enfants d’Israël la gravité de la médisance à l’égard de la Terre Sainte. Aux antipodes de la reconnaissance, cette faute finit, progressivement, par mener l’homme à sa perte.
Je me souviens que, lorsque mon père – que son mérite nous protège – voyait de petits morceaux de pain par terre, il faisait l’effort de les ramasser, par gratitude envers cet aliment qui nourrit l’homme. L’interdiction de bal tach’hit (gaspillage) existe, car nous n’avons pas le droit d’abîmer ou de détruire une chose dont on peut profiter, par gratitude envers celle-ci pour son utilisation éventuelle. A force de se montrer rigoureux dans les petits détails et de respecter les objets, une personne finira par avoir la même révérence à l’égard des Rabbanim et des Tsadikim et, par-dessus tout, à l’égard de son Créateur qui l’a conçue et la maintient en vie.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Quand tu seras grand, tu me remercieras !
En l’an 5719 (1959), alors que j’étais encore jeune enfant, mon père et Maître – que son mérite nous protège – m’envoya étudier dans une Yéchiva éloignée de la maison. Ainsi, durant presque sept ans, je ne vis presque pas ma famille. En outre, je ne pouvais communiquer avec elle que par des lettres, le téléphone étant encore très rare à l’époque.
En vérité, tous les Grands Rabbanim de la génération précédente ont étudié de longues années à la Yéchiva, à l’écart total de leur foyer. Ce sacrifice, conjugué à leur assiduité dans l’étude de la Torah, fit ses preuves.
Je me souviens que, lorsque je fréquentais la Yéchiva de Rav Guerchon Liebmann zatsal, une année, l’hiver était particulièrement rude. Mais, du fait de la difficile situation de la Yéchiva, nous n’avions pas même une couverture digne de ce nom pour nous réchauffer et étions donc obligés de nous couvrir de matelas ! Malgré tout, nous nous attelions assidûment à la tâche de l’étude. Rien d’étonnant que nombreux d’entre nous devinrent de grands Rabbanim.
À vrai dire, à l’époque, j’avais dans mon cœur des récriminations contre mon père qui m’avait envoyé au loin affronter seul de telles difficultés. Une fois, alors que je lui décrivais mes souffrances à la Yéchiva, il me répondit calmement : « Maintenant, c’est ce que tu dis mais, quand tu seras grand, tu me remercieras ! »
Il avait raison. En grandissant, j’ai souvent caressé l’idée de devenir homme d’affaires, mais, à chaque fois que cette pensée me venait à l’esprit, je me souvenais des paroles de Papa si justes, si sensées, et me rappelais aussitôt que mon véritable objectif était de diffuser la Torah dans le peuple juif.
A ce jour, lorsque je regarde en arrière et que je réalise combien de chemin j’ai parcouru pour en arriver jusque-là, j’ai envie de m’écrier : « Merci infiniment, Papa ! »
PAROLES DE TSADIKIM
Le Rav, tel un père
« Te porter comme un père porte son fils. » (Dévarim 1, 31)
Une des caractéristiques propres aux dirigeants du peuple juif, à ses grands Rabbanim, trouve son expression dans notre verset décrivant la conduite divine à notre égard : « Te porter comme un père porte son fils. »
Afin d’illustrer cette vertu des Tsadikim, nous allons nous pencher sur la personnalité de l’un d’eux, contemporain, Rav Nathan Tsvi Finkel zatsal, Roch Yéchiva de Mir.
Dans l’ouvrage Békhol Nafchékha, il est rapporté qu’à l’une des périodes où la Yéchiva rencontra des difficultés financières, il fut décidé, de manière provisoire, de ne pas accepter de nouveaux avrékhim. De nombreux vinrent se présenter, mais tous se virent refusés pour ce motif.
Un avrekh demanda néanmoins à parler au Roch Yéchiva. Il lui expliqua que, s’il n’était pas accepté, cela pourrait compromettre sa paix conjugale. En effet, sa femme, sachant qu’il est facile de se faire accepter à Mir, risquerait de ne pas le croire s’il lui disait qu’il a été refusé et regarderait cela d’un mauvais œil. Face à cet argument, il l’accepta aussitôt.
Un avrekh de la Yéchiva dont la femme était malade se rendait de temps à autre chez Rav Finkel pour lui demander de prier en sa faveur. Il était toujours surpris de constater que ce dernier se souvenait de sa maladie et des plus petits détails de son développement. Or, de la même manière, il se rappelait avec exactitude de toutes les demandes de prière de centaines d’autres avrékhim. Il s’empressait, chaque fois, de noter le nom dans un carnet réservé à cet usage, bien que, finalement, il se souvînt de dizaines de noms par cœur.
Rabbi Avraham ‘Hachin, qui faisait partie de ses proches, raconte qu’il devait une fois parler au Roch Yéchiva d’un certain sujet. Sachant qu’il devait se rendre à un mariage, il alla l’y trouver. Lorsqu’il arriva, le Rav était en train de prier la Chemoné Esré d’arvit. Rabbi Avraham attendit donc qu’il termine. Le voyant se prosterner, il comprit qu’il était déjà arrivé à la fin de modim et en déduisit qu’il achèverait bientôt sa prière. Mais il dut finalement attendre encore presqu’un quart d’heure.
Lorsqu’il eut terminé, Rabbi Avraham lui demanda pourquoi il avait mis si longtemps à prier. Rav Finkel lui expliqua que, dans la prière d’arvit, il mentionnait les noms de tous les malades et pauvres qui lui avaient demandé de prier en leur faveur. Il se souvenait donc par cœur de très nombreux noms.
La petite anecdote qui suit démontre combien le Roch Yéchiva sanctifia le Nom divin par sa conduite. L’un des ingénieurs du bâtiment de la Yéchiva de Mir à Brakhfeld, éloigné du judaïsme, fut vivement impressionné par sa conduite. Un jour, il tomba malade et on lui proposa de donner son nom à des Rabbanim pour qu’ils prient en sa faveur. Il répondit qu’il ne désirait qu’on le donne qu’à l’un d’entre eux : le Rav Finkel de Jérusalem…
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Oracle de Yéchayahou (…) » (Yéchaya chap. 1)
Lien avec le Chabbat : la haftara relate les punitions qui s’abattront sur le peuple juif à cause de ses fautes, à la période de la destruction du Temple. C’est la dernière des trois haftarot lues lors des trois Chabbatot précédant le 9 Av.
CHEMIRAT HALACHONE
L’obligation éducative du père
Si le père entend son jeune fils ou sa jeune fille dire de la médisance, il a le devoir de les gronder, au même titre qu’il doit le faire concernant tous les autres interdits de la Torah.
Le père a l’obligation d’éduquer ses enfants, dès leur plus jeune âge, à ne pas prononcer ou écouter de la médisance ou d’autres paroles interdites, comme celles évoquant des conflits ou du mensonge, écrit le Gaon. Car la parole et les traits de caractère ont besoin d’être beaucoup travaillés et, plus on les travaille, plus on les maîtrise. En outre, ces efforts nous donnent droit à la vie du monde futur et à tout le bien dans ce monde.
PERLES SUR LA PARACHA
La sainteté des paroles de Moché
« Ce sont là les paroles que Moché adressa à tout Israël. » (Dévarim 1, 1)
Il existe une règle générale selon laquelle l’emploi du terme élé (ce sont là) vient exclure autre chose que celle évoquée. Qu’exclut-il donc ici ?
Le Or Ha’haïm – que son mérite nous protège – explique que, dans ce verset, la Torah atteste que, bien que Moché dirigeât le peuple juif durant des dizaines d’années, il ne lui adressa jamais de paroles futiles. Tout au long de ses fonctions, il ne prononça pas la moindre parole profane ni le moindre mot ne lui ayant pas été ordonné par D.ieu. Seulement ce qui est rapporté dans le livre de Dévarim a été dit de sa propre initiative.
Or, comme le soulignent nos Maîtres, même ces paroles-là prononcées de sa propre initiative correspondent pleinement à des paroles de Torah, de sagesse et de morale. A l’instar de Moché, nous avons l’obligation d’éduquer nos enfants en leur adressant des paroles de Torah – « tu t’en entretiendras » – et non des paroles futiles.
Etre l’avocat du peuple juif
« Ce sont là les paroles que Moché adressa à tout Israël. » (Dévarim 1, 1)
Rachi explique que, du fait que Moché leur adressa des reproches, il le fit de manière allusive, de sorte à ne pas les offenser.
Rabbi Israël Baal Chem Tov – que son mérite nous protège – était très rigoureux envers les Rabanim qui, dans leurs discours aux membres de la communauté, mentionnaient leurs fautes.
Une fois, il se rendit dans un Beit hamidrach où il constata que celui qui parlait réprimandait sévèrement l’assemblée, détaillant publiquement ses méfaits.
Il l’apostropha en disant : « Comment peux-tu ainsi médire des enfants d’Israël ? Ne sais-tu pas que, quand un Juif ayant couru toute la journée afin de trouver un gagne-pain pour sa famille, rentre vers le soir, se souvient qu’il n’a pas encore prié min’ha et se lève d’un bond pour le faire, quelle que soit la ferveur qu’il y met, toutes les créatures célestes tremblent ? Alors, comment n’as-tu pas veillé à garder ta langue… ? »
Les paroles pacifiques entraînent la guerre
« Vois, je livre en ton pouvoir Si’hon, roi de ‘Hechbon, l’Amoréen, avec son pays ; commence par lui la conquête! Engage la lutte avec lui ! » (Dévarim 1, 24)
Le Saint béni soit-Il ordonna à Moché de faire la guerre contre le roi de ‘Hechbon. Or, que fit-il ? « Et j’envoyai (…) une députation à Si’hon, roi de ‘Hechbon, avec ces paroles pacifiques (…). » Apparemment, le contraire de l’ordre divin.
L’auteur de l’ouvrage Kerem ‘Hémed explique cette réaction surprenante de Moché à la lumière de ce verset des Téhilim : « Je suis, moi, tout à la paix, et quand je la proclame, eux ne méditent que guerre. » (120, 7) Par ses paroles pacifiques, Moché cherchait en réalité à provoquer le roi de ‘Hechbon afin qu’il sorte en guerre contre lui. Il n’a donc fait que se plier à l’ordre divin.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Le cœur, la clé de la réussite
« Ce sont là les paroles que Moché adressa à tout Israël. » (Dévarim 1, 1)
Avec l’aide de D.ieu, j’ai trouvé que le premier mot de ce verset, élé (ce sont là), a la même valeur numérique, en lui ajoutant un, que le terme halev (le cœur).
Ceci laisse entendre que les directives données aux enfants d’Israël par Moché avant sa mort, leur indiquant la voie de la Torah et des mitsvot et les admonestant, surgirent d’un cœur empli d’amour pour eux. Il leur parla à la manière dont un père miséricordieux s’adresse à ses enfants. Or, nos Sages affirment que « les paroles qui sortent du cœur pénètrent le cœur [d’autrui] ». Aussi, prêtèrent-ils une attention particulière à ses propos.
Le Gaon Rabbi Yé’hezkel Sarna zatsal dit une fois à un célèbre enseignant de Bné-Brak que « celui qui aime véritablement ses élèves peut être assuré que lui et eux réussiront ». Car des paroles prononcées avec amour s’ancrent dans le cœur de leur auditeur.
Personnellement, je m’efforce d’appliquer ce principe dans les discours de morale que je tiens au particulier comme au public. Je n’ai jamais réprimandé quelqu’un pour sa mauvaise conduite de manière dure et en témoignant ma colère. Même lorsque je m’adresse à des personnes très éloignées du judaïsme, j’essaie de leur communiquer mon amour et ma compassion et mes reproches viennent directement du cœur. Plutôt que de m’énerver ou de m’émouvoir outre mesure, je leur dis calmement et avec une réelle affection ce qu’ils doivent corriger. Percevant la pureté de mes intentions et ma volonté d’agir en leur faveur, ils acceptent le message et se repentent.
Grâce à D.ieu, cette approche m’a permis de rapprocher nombre de mes frères juifs de nos sources, y compris des fauteurs invétérés qui, auparavant, haïssaient la Torah. Il arriva même que mes paroles prononcées au grand public aient eu un effet sur certains non-juifs venus les écouter, au point qu’ils connurent une métamorphose intérieure et voulurent se convertir.
Cette manière d’admonester avec amour et douceur nous a été léguée par notre maître Moché, dont le cœur était empli de compassion pour chaque membre du peuple juif.
LA FEMME VERTUEUSE
« Elle confectionne des tissus, qu’elle vend, et des ceintures, qu’elle cède au marchand. »
Lors du grand rassemblement organisé par la Yéchiva « Torat David » d’Ashdod, dirigée par notre Maître Rabbi David ‘Hanania Pinto chelita, les ba’hourim se sont engagés à terminer l’étude de tout le Chass durant les chelochim de sa mère, la Rabbanite – qu’elle repose en paix –, en guise de reconnaissance pour tous les efforts du Rav en faveur de la Yéchiva. Parmi les intervenants, le petit-fils de la Rabbanite, Rabbi Yoël Pinto chelita, insista sur la pudeur qui la caractérisait.
La vertu de la pudeur a toujours été le symbole de la femme juive, en vertu du verset : « Toute resplendissante est la fille du roi dans son intérieur. » La pudeur, telle une couronne royale, orne la tête de la femme juive et c’est à son aune qu’elle pose les bases de son foyer et transmet la tradition aux générations suivantes.
Rabbi Yoël chelita souligna la pudeur particulière de sa grand-mère et la récompense qui lui en est réservée dans le monde futur.
« Généralement, une mère transmet sa voie à ses enfants, les éduque selon sa vision du monde. Nos Sages rapportent (Yoma 47a) qu’une femme, nommée Kim’hit, eut sept fils qui accédèrent aux fonctions de Cohen gadol. Lorsqu’on lui demanda ce qui lui valut un tel mérite, elle répondit que les murs de sa maison ne virent jamais ses cheveux. J’expliquerai sa réponse comme suit. Elle ne chercha pas à justifier ce mérite, mais à souligner par quel pouvoir ses enfants devinrent des Tsadikim : la pudeur de sa conduite et ses efforts pour cacher ses cheveux témoignaient sa considérable crainte du Ciel, ce que ses enfants perçurent. Témoins de cette grandeur, ils voulurent l’imiter. Ce n’est donc pas sa pudeur qui lui donna le mérite d’avoir des enfants si justes, mais ceci fut la conséquence même de son comportement, la réalité voulant que, dans un foyer respirant la crainte de D.ieu, les enfants deviennent des Tsadikim. Voilà ce qui explique sa réussite. »
Que signifie « des ceintures qu’elle cède au marchand » ?
Le niveau de pudeur des générations précédentes était vraiment exceptionnel, comme le témoigne le commentaire du Gaon Rabbi Raphaël Berdugo – que son mérite nous protège – sur notre verset. L’un des Sages du Maroc d’il y a environ deux cent cinquante ans, il composa de nombreux ouvrages de halakha et de Haggada et fut si saint que tous le surnommèrent « l’ange Raphaël ».
D’après lui, notre verset parle de la femme vertueuse qui prend sur elle le joug de la subsistance afin de permettre à son mari de se vouer jour et nuit à l’étude de la Torah. Elle confectionne des tissus pour les vendre et avoir ainsi de quoi subvenir aux besoins de sa famille.
Cependant, si on explique ainsi le début de notre verset, la suite pose problème. En effet, pourquoi vendre des tissus afin d’en retirer un gagne-pain, puis donner gratuitement des ceintures à ses clients ? Un tel cadeau lui ferait perdre tout le bénéfice de sa vente.
On pourrait être tenté d’interpréter le don de ceintures comme un moyen d’attirer des clients potentiels pour ses tissus. Mais il serait étonnant que le roi Chlomo, le plus sage des hommes, se soit attardé sur ce stratagème du commerce dans un chapitre où il chante l’éloge de la femme vertueuse. Il faut donc envisager une autre lecture.
Voilà celle que nous propose Rabbi Raphaël Berdugo et qui atteste l’exceptionnel niveau de pudeur des générations antérieures. Le verset parle effectivement d’une femme qui, pour permettre à son mari d’étudier la Torah, tenait une boutique à sa place.
Néanmoins, du fait de sa grande pudeur, elle savait qu’il ne convenait pas à une femme de recevoir les clients et de prendre l’argent de leur main. C’est pourquoi elle confectionnait un tissu destiné à la cacher et à la séparer des clients. Elle l’étendait à la manière d’une cloison, derrière laquelle elle pouvait se tenir pour vendre ses produits.
Non contente de cela, elle chercha un moyen de recevoir l’argent du client, conformément aux exigences de la pudeur. Sortir sa main à l’extérieur du drap aurait constitué un manque de pudeur, nos Sages ayant souligné l’interdit de montrer même son petit doigt à un homme.
D’où la suite du verset « et des ceintures qu’elle cède au marchand » : la femme vertueuse avait la sagesse d’attacher, à l’extérieur du tissu, une ceinture qui était tendue sur le comptoir et sur laquelle le client déposait ses pièces. Une fois qu’il avait payé, elle tirait la ceinture vers elle, à l’intérieur du tissu, et récupérait l’argent. Voilà comment « l’ange Raphaël » explique notre verset.
Si ces extrêmes mesures de pudeur semblent très éloignées de notre conception moderne, elles furent pourtant appliquées par les femmes des anciennes générations, sans quoi le Sage Rabbi Berdugo n’aurait pas interprété ainsi le verset. D’ailleurs, d’innombrables histoires de femmes pieuses de notre peuple confirment que telle était bien leur ligne de conduite. Tentons de nous inspirer de leur exemple et de nous renforcer, autant que nous en sommes capables, dans le domaine de la pudeur qui fait la gloire du peuple juif.