Béréchit 26 Octobre 2024 כד תשרי התשפ"ה |
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Le devoir de l’homme : se plier inconditionnellement à la volonté divine
Rabbi David Hanania Pinto
« La femme vit que l’arbre était bon comme nourriture, qu’il était attrayant à la vue et précieux pour l’intelligence ; elle prit de son fruit et en mangea, puis en donna aussi à son époux et il en mangea. » (Béréchit 3, 6)
A priori, il semble surprenant que ’Hava se soit laissée entraîner à consommer du fruit de l’arbre interdit, alors qu’elle n’avait pas en elle de mauvais penchant. En outre, pendant ce temps, Adam se promenait avec D.ieu dans le jardin d’Eden, ce qui atteste son degré exceptionnel, sans doute aussi celui de sa conjointe. Comment donc a-t-elle pu être séduite par les vains propos du serpent ?
Le serpent a convaincu la femme de manger du fruit en lui disant que, si elle en consommait, elle pourrait distinguer le Bien du Mal ou, d’après le Midrach (Tan’houma, Metsora, 2), créer des mondes comme l’Eternel. Cette explication est surprenante : ‘Hava pensait-elle réellement pouvoir ressembler au Saint béni soit-Il ? Comment le serpent a-t-il pu la convaincre avec un argument tellement éloigné de la réalité ? Il est évident que l’homme ne peut se comparer à D.ieu !
Proposons l’explication suivante. Comme nous le savons, le serpent est la personnification du Satan ; ces deux termes hébraïques ont d’ailleurs la même valeur numérique. Le Satan n’incite pas l’homme en lui disant carrément de violer la volonté divine ; au contraire, il le persuade d’accomplir des “mitsvot” particulières pour le Nom de D.ieu et, de cette manière, il le précipite en fait dans un profond abîme. Telle a aussi été son approche ici : il a convaincu la femme de consommer du fruit en lui garantissant que, par ce biais, elle serait en mesure de distinguer le Bien du Mal et pourrait donc s’attacher au Bien et s’éloigner du Mal. Ce faisant, elle aurait l’opportunité de se rapprocher davantage du Saint béni soit-Il, de Lui procurer de la satisfaction et de créer des mondes supérieurs en Son honneur.
Aussi, sans avoir en elle de mauvais penchant, ‘Hava s’est malgré tout laissée séduire par les propos du serpent, convaincue qu’elle agissait pour la gloire divine et procurait de la satisfaction à son Créateur. C’est en cela que résidait son erreur. Adam tomba dans le même piège qu’elle. Au début, il ne voulait pas écouter sa femme, mais elle lui expliqua ensuite que la consommation de ce fruit revenait à agir pour le Nom de D.ieu, leur permettant d’acquérir une grande sagesse, de distinguer le Bien du Mal afin de s’éloigner totalement du Mal et de créer des mondes en l’honneur de l’Eternel. Face à de tels arguments, Adam accepta de manger du fruit.
Il était si sûr qu’il accomplissait là une mitsva que, lorsque le Saint béni soit-Il lui demanda s’il avait mangé du fruit, il répondit par l’affirmative quant au passé, et ajouta qu’il était prêt à en manger également à l’avenir, c’est-à-dire, pensait-il, à accomplir à nouveau cette mitsva pour l’honneur divin. Le mauvais penchant s’attaque toujours à l’homme en usant de cette tactique : faire passer une avéra pour une mitsva. L’homme se laisse alors convaincre, se trouvant ainsi pris au piège, et il lui est ensuite difficile de s’en sortir.
A une certaine occasion, j’ai entendu un Juif médire de son prochain. Je l’ai aussitôt réprimandé en lui rappelant l’interdiction de la médisance. Mais il m’a répondu qu’il le faisait pour la gloire divine et que c’était donc permis. Je l’ai réprimandé une seconde fois en lui disant qu’il ne s’agissait pas d’un acte en l’honneur de D.ieu et que c’était le mauvais penchant qui le lui faisait croire, car telle est sa tactique pour faire pécher l’homme. Après réflexion, il reconnut que ses paroles n’étaient effectivement pas innocentes et qu’il s’était laissé convaincre par cet argument du mauvais penchant afin de pouvoir médire de son prochain, pour des raisons entièrement personnelles, tout en ayant bonne conscience.
En quoi résidait, de façon plus précise, l’erreur d’Adam et de ’Hava ? Il est vrai que le fait de distinguer le Bien du Mal pouvait leur permettre de s’éloigner du Mal et de se rapprocher du Bien, provoquant ainsi de la satisfaction au Saint béni soit-Il. Mais leur erreur était la suivante : l’Eternel ne désire pas que l’homme crée des mondes ou apporte des offrandes tout en transgressant Ses ordres ; l’essentiel, pour Lui, est que l’homme exécute Ses directives, sans s’ingénier à vouloir en ajouter. Adam et ‘Hava se sont dit que D.ieu ne leur avait donné qu’une mitsva et ils ont donc désiré en faire davantage en apprenant à distinguer le Bien du Mal. C’est en cela que résidait la racine profonde de leur erreur.
A la lumière de cet enseignement, nous comprenons à présent pourquoi Adam et ‘Hava n’ont pas immédiatement été punis, lorsque le Saint béni soit-Il est venu leur parler, mais ont simplement été chassés du jardin d’Eden. En outre, même cette punition n’était qu’une conséquence du fait, qu’à ce moment, leur présence à cet endroit n’était plus justifiée, puisqu’ils n’avaient plus rien à y garder. Etant alors capables de distinguer le Bien du Mal et de se mesurer au Mal, étapes préparatoires à la vie en ce monde, Adam et ‘Hava y furent projetés. Ils n’ont donc pas subi de réelle punition, car leur volonté était pure et ils n’avaient aucunement l’intention de se rebeller contre l’Eternel.
Malheureusement, au lieu d’en tirer leçon et de prendre conscience de la gravité considérable d’un tel faux pas – qui consiste à prendre une transgression pour une mitsva –, l’homme retombe souvent dans ce piège, prétendant qu’il n’y a aucun mal à ce qu’il fait, et continue à enfreindre la volonté divine.
CHEMIRAT HALACHONE
Mériter d’être jeté aux chiens
Nos Maîtres affirment : « La médisance tue trois personnes : celui qui la prononce, celui qui y prête crédit et celui sur lequel elle est prononcée. Ainsi, pour avoir colporté, Doëg fut privé de sa part au monde futur, les prêtres de Nov, sur lesquels portaient ses propos, furent massacrés, tandis que Chaoul, qui y crut, fut tué. Il est encore plus grave de prêter crédit à de la médisance que d’en dire. »
Nos Sages vont jusqu’à dire que quiconque prononce de la médisance ou y prête crédit mérite d’être jeté aux chiens, comme le laisse entendre la juxtaposition des versets « Vous l’abandonnerez aux chiens » et « N’accueille point un rapport mensonger ».
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Congé et souci de la communauté
Après la période de ben hazmanim – congés des Yéchivot calqués sur le calendrier juif –un ‘hassid de Tsanz me confia qu’il avait vainement tenté de me contacter à plusieurs reprises.
Je lui expliquai alors que j’avais pris quelques jours de congé, en compagnie de ma famille.
Très étonné, le ‘hassid se permit la réflexion suivante : « Pardonnez-moi, mais il me semble qu’il vous est interdit de vous reposer, car vous vous devez d’être toujours disponible pour les membres de la communauté. Les gens ont besoin de vous. Et comment pouvez-vous vous reposer lorsqu’un Juif a besoin de vous, de vos conseils, de vos directives et bénédictions ? »
Dans un premier temps, choqué par ses réprimandes, j’eus l’intention de répliquer. Comment osait-il me parler ainsi ? De quel droit décidait-il que j’« appartenais » à la communauté et que celle-ci passait avant ma famille ? En outre, ne suis-je pas un être humain ayant besoin de temps à autre, comme tout un chacun, de quelques jours de pause au milieu de toutes mes activités communautaires ?
Cependant, tout bien réfléchi, je compris qu’il avait raison. Moché Rabbénou, qui était le dirigeant de la nation, se sacrifiait en faveur du peuple juif individuellement et collectivement, et c’est pourquoi il alla jusqu’à se séparer de sa femme, avec le consentement divin. Et ce, afin qu’il puisse se dévouer corps et âme au peuple juif et à D.ieu.
De nos jours, on n’exigera certes pas de celui qui se consacre aux besoins du public de se séparer de sa femme comme Moché Rabbénou, qui se trouvait à un niveau de sainteté suprême et était resté quarante jours dans les cieux. Mais, il doit savoir et être conscient que la communauté a besoin de lui, et c’est pourquoi il ne peut la délaisser subitement, même pour une période courte.
Dans une certaine mesure, ce Juif avait donc raison lorsqu’il prétendait que je devais toujours laisser au public la possibilité de me contacter en cas de besoin pendant mes jours de congé.
Je remerciai ce ‘hassid de m’avoir ouvert les yeux et lui promis que, la prochaine fois que je prendrai des vacances, je resterai disponible pour le public.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Ainsi parle le Tout-Puissant, l’Eternel qui a créé les cieux et les a déployés. » (Yéchaya 42)
Lien avec la paracha : la prophétie de Yéchaya mentionne le sujet de la Création du ciel, de la terre et de tous leurs composants, sujet largement décrit dans la paracha de Béréchit.
PAROLES DE TSADIKIM
« Au commencement, D.ieu créa le ciel et la terre. » (Béréchit 1, 1)
Pour la Torah, appelée « début », commente Rachi.
Avec la bénédiction et les directives du Rav Aharon Leib Steinman zatsal, un avrekh s’engagea à assumer le joug financier des autres avrékhim, plongés dans l’étude de la Torah. Constatant, avec le temps, que ses efforts étaient couronnés de succès et que les portes et les cœurs des donateurs s’ouvraient devant lui, il décida de fonder une chaîne de plusieurs Collelim.
Mais, comme le rapporte l’ouvrage Mizkénim Etbonan, il traversa ensuite une période difficile. Il ne parvenait plus à trouver les fonds nécessaires pour soutenir toutes ces institutions. Durant les dix jours de pénitence, il se rendit chez le Roch Yéchiva pour lui annoncer qu’il lui manquait deux cent cinquante mille dollars. Que devait-il faire ?
Ce dernier, surpris, lui répondit de placer sa confiance en D.ieu et, pour être quitte de son devoir de hichtadlout, de voyager à l’étranger pour un jour.
Se conformant aux conseils du Sage, notre avrekh voyagea et s’efforça de ramasser de l’argent pendant deux jours. A son retour, il raconta au Rav qu’il n’était parvenu à rassembler que la moitié de la somme requise.
Le Tsadik rétorqua aussitôt : « Si tu n’avais voyagé qu’un jour, tu aurais mis la main sur toute la somme. Du fait que tu as placé ta confiance dans tes efforts en doublant le temps de ton séjour, tes recettes ont été divisées en deux. »
A la clôture de Kippour, il revint le voir : que devait-il faire à présent, alors qu’il lui manquait encore cent vingt-cinq mille dollars et que les fêtes, coûteuses, approchaient ?
Après quelques instants de réflexion, Rav Steinman trancha : « Voyage de nouveau. Mais, comme la dernière fois tu as fait plus de hichtadlout qu’il ne fallait, cette fois, tu vas en faire moins. Tu ne voyageras que pour une heure ! »
Le verdict avait été prononcé. Mais comment calculer cette heure ? Depuis l’atterrissage, du moment où il quitterait l’aéroport ou de son arrivée en ville ?
« De ton arrivée en ville », l’éclaira le Sage.
Il reçut sa bénédiction et prit congé. Avant de s’envoler, il alla acheter deux étroguim de qualité qu’il emporta avec lui.
Arrivé à destination, il prit un taxi et lui donna l’adresse d’un mécène. En chemin, ils passèrent par le bureau d’un autre mécène. Il demanda alors au taxi de s’arrêter pour parler à ce dernier. Non seulement il était dans son bureau, mais en plus, il lui ouvrit lui-même la porte. Il l’invita cordialement à entrer et l’interrogea sur l’objet de sa visite.
L’avrekh répondit : « J’ai un très bel étrog pour vous ! »
Il ouvrit le paquet et le lui montra. Emerveillé, le nanti lui demanda : « A combien le vendez-vous ? »
« Cent vingt-cinq mille dollars, répondit-il.
– Non, vous plaisantez… »
Mais notre homme était sérieux. Ne sachant que faire, le riche téléphona à son Rav. Pas de réponse. Puis une nouvelle fois et, grâce à D.ieu, il lui répondit.
Il lui dit : « Un avrekh d’Israël gérant une grande chaîne de Collelim est venu me voir [il le connaissait des fois précédentes où il s’était présenté à lui]. Il me propose un étrog à cent vingt-cinq mille dollars. »
Le Rav lui répondit : « Ne comprends-tu pas qu’il n’est pas venu pour te vendre un étrog à un prix si élevé, mais pour te donner le mérite de soutenir l’étude de la Torah ? Achète-le lui au prix qu’il te demande. »
Il s’empressa de signer le chèque et l’avrekh retourna à l’aéroport… exactement une heure après qu’il l’eut quitté !
PERLES SUR LA PARACHA
D’où sait-on qu’ils sont heureux ?
« Et D.ieu les plaça dans l’espace céleste pour rayonner sur la terre. » (Béréchit 1, 17)
Quand nous bénissons la nouvelle lune, nous affirmons au sujet du soleil et de la lune : « Heureux et joyeux d’accomplir la volonté de leur Créateur. »
Mais comment être certains qu’ils en éprouvent de la joie ? Peut-être, au contraire, le soleil se plie-t-il à son obligation de se lever tous les matins et la lune à celle de se présenter sous différentes phases au cours du mois, sous la contrainte ? Comment donc nos Sages peuvent-ils affirmer le contraire, en insérant ce fait dans les mots composant la bénédiction sur la nouvelle lune ? Cette brakha ne risque-t-elle pas d’être vaine ?
Le Rav David Heller nous éclaire par la parabole suivante. Comment savoir si un employé est heureux de venir à son travail ? Il suffit de vérifier à quelle heure il y arrive le matin et quand il le quitte le soir. S’il aime son travail, il arrivera exactement à l’heure, pour remplir aussitôt la tâche qui lui a été confiée, et il ne quittera son lieu de travail qu’après l’avoir terminée.
Dans le cas contraire, il arrivera en retard – en supposant qu’il y pointe –, et trouvera un quelconque prétexte, parmi la panoplie de son registre, pour partir à l’avance, sans scrupule pour le travail inachevé.
Ainsi, en constatant que les astres « n’ont pas dévié de leurs missions », nos Sages en sont venus à la conclusion qu’ils sont « heureux et joyeux d’accomplir la volonté de leur Créateur ».
Nous pouvons nous tester de cette manière : éprouvons-nous de la joie dans l’accomplissement des mitsvot et le service divin ? Cherchons-nous des prétextes pour nous déroger à nos obligations ou, au contraire, des occasions d’observer toujours plus de mitsvot ?
L’espoir n’est pas perdu
« L’homme répondit : “La femme que Tu m’as associée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre et je mangerai.” » (Béréchit 3, 12)
Dans le Midrach Rabba, Rav Aba bar Kahana commente : il n’est pas dit « et j’ai mangé », mais « et je mangerai », ce qui signifie « j’ai mangé et je mangerai encore ».
Le ‘Hidouché Harim explique que le Saint béni soit-Il demanda à Adam : « Qu’as-tu pensé au moment où tu as mangé ? As-tu fauté en comptant sur le fait que tu pourrais ensuite te repentir, auquel cas Je prive l’homme d’une telle aubaine ? »
Le premier homme lui répondit : « Non, j’ai mangé et je compte récidiver. Telle était mon intention au moment où j’ai mangé. J’ai donc encore droit au repentir. »
Pas de brakha pour le sens de l’ouïe
« Et à l’homme Il dit : “Parce que tu as cédé à la voix de ton épouse (…)” » (Béréchit 3, 17)
L’auteur de l’ouvrage Ma’hazé Avraham déduit de ce verset la raison pour laquelle nous ne récitons pas de bénédiction sur le sens de l’ouïe, ce que nous faisons sur celui de la vue en disant : « Béni (…) qui décille les yeux des aveugles. » Car, Adam ayant fauté après avoir écouté les propos de ‘Hava, péché qui eut des répercutions sur le monde entier, il ne convient pas de bénir le sens de l’ouïe.
L’effort à fournir pour la malédiction
« C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain. » (Béréchit 3, 19)
Si l’homme doit fournir des efforts jour et nuit pour remplir les termes de cette malédiction, commente Rav Yossef Zoundel de Novardok zatsal, combien plus lui incombe-t-il d’en déployer pour avoir droit à la bénédiction « Béni l’homme qui croit en D.ieu » !
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La difficulté de la mort chez les Tsadikim
« Tout le temps qu’Adam vécut fut donc de neuf cent trente ans ; et il mourut. » (Béréchit 5, 5)
D’après nos Sages, mille ans d’existence avaient été impartis au premier homme. Mais, lorsque l’Eternel lui montra tous les hommes des générations à venir, il constata que le roi David devrait mourir à peine quelques heures après sa naissance. Aussi, eut-il pitié de lui et lui céda-t-il soixante-dix de ses années. Le Créateur lui ordonna alors de signer cet engagement sur un acte. Adam, surpris, Lui demanda s’Il ne lui faisait pas confiance. Le Très-Haut répondit par la négative et Adam obtempéra.
Quand ce dernier atteignit l’âge de neuf cent trente ans, l’Eternel vint pour lui retirer son âme. Adam rétorqua qu’il était supposé vivre jusqu’à mille ans. Sur ces entrefaites, D.ieu lui rappela sa promesse à l’égard du roi David, tout en lui montrant l’acte signé de sa main.
Toutefois, comment comprendre qu’Adam ait pu oublier son engagement ? En outre, pourquoi était-il nécessaire que le Saint béni soit-Il lui fasse signer un acte ?
Il semble que cet oubli de la part du premier homme puisse s’expliquer de deux manières.
Premièrement, ayant fauté en consommant du fruit de l’arbre interdit, il en est venu à oublier, le péché conduisant à l’oubli.
Deuxièmement, après qu’Adam eut fauté et reconnu sa faute, il se repentit durant cent trente ans, durant lesquels il se recouvrit d’un cilice et jeûna. Le Créateur accepta son repentir et lui cousit une tunique de peau. Or, durant ces années-là, Adam s’attacha tant à la Torah qu’il ressentit, dans ce monde, la saveur du jardin d’Eden, comme s’il s’y trouvait à nouveau – alors qu’il en avait été chassé suite à son péché. Cette sensation dissipa de son esprit le souvenir de sa faute et lui fit penser qu’il vivrait éternellement ou, tout au moins, mille ans. C’est pourquoi, quand l’Eternel vint lui reprendre son âme, il argua qu’il était supposé vivre mille ans, jusqu’à ce que le Tout-Puissant le détrompât en lui montrant l’acte où figurait son engagement.
Dès lors, nous comprenons pourquoi Il lui demanda d’apposer sa signature sur cet acte. Car Il savait qu’il se repentirait et que, suite à cela, il oublierait sa promesse et aspirerait à continuer à vivre.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Al-Kapon innove une approche de la souguia
« L’Eternel-D.ieu façonna l’homme, poussière détachée du sol, fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie. » (Béréchit 2, 7)
Le Gaon Rav Leib ‘Hasman illustre remarquablement la dualité de l’homme, fait de poussière de la terre et doté d’une âme spirituelle, par la parabole suivante, que Rabbi Chalom explique et de laquelle il tire une édifiante leçon de morale.
Imaginons que, suite à une accusation diffamatoire de laïcs, le gouvernement ait condamné le ‘Hafets ‘Haïm à une longue peine de détention. Le Sage est arrêté et conduit derrière les barreaux. Or, à la même période, Al-Kapon, assassin et chef de la mafia, personnage si dangereux qu’il inspire même la crainte aux autorités au pouvoir et dont le seul nom fait trembler les cœurs, est lui aussi arrêté. Après de nombreux efforts, on parvient en effet à mettre la main sur ce bandit et à l’incarcérer… dans la même pièce que le ‘Hafets ‘Haïm.
Voilà que ces deux hommes, si opposés, sont assis l’un à côté de l’autre dans la promiscuité de la cellule – le Sage, sans doute frêle et de taille basse, et le rebelle, certainement grand, large d’épaules et robuste. En un seul poing, Al-Kapon pouvait donner le coup de grâce au ‘Hafets ‘Haïm.
Pourtant, contrairement à toute attente, un spectacle bien différent se joue. S’adressant à son voisin, le ‘Hafets ‘Haïm lui pose une question épineuse sur le Rambam, et l’autre lui répond, preuve à l’appui, avec un enseignement du Rachba ! Si une telle scène s’offrait à nos yeux, parviendrions-nous à y croire ? Certainement, nous penserions délirer.
Les deux hommes s’assoient ensuite à table pour manger. Le Sage récite la bénédiction sur le pain et l’autre détenu répond « Amen ». Puis, il prononce des paroles de Torah, attentivement suivi par son auditeur. Incroyable, mais vrai.
Et pourtant, cette scène fabuleuse n’est pas une histoire imaginaire, mais la réalité quotidienne dont le théâtre n’est autre que le corps humain. Notre corps abrite un Al-Kapon, tandis que notre âme recèle un ‘Hafets ‘Haïm.
Le ‘Hafets ‘Haïm et Al-Kapon étudient ensemble au Beit hamidrach, s’amusent ensemble au jardin d’enfants, grandissent ensemble, mangent et dorment ensemble. De véritables partenaires.
Le vendredi soir, quand l’homme rentre de la synagogue, le ‘Hafets ‘Haïm qui est en lui commence à réciter le traditionnel « Chalom Alékhem ». Puis, il prononce le Kidouch avec ferveur et, quand il arrive au verset « Ainsi furent terminés les cieux et la terre », une grande émotion le saisit, car le voilà devenu associé de l’Eternel dans la Création.
Une fois que le ‘Hafets ‘Haïm a terminé de réciter le Kidouch, Al-Kapon se hâte de s’asseoir à table pour se délecter du vin doux. Le ‘Hafets ‘Haïm procède à l’ablution des mains et récite la bénédiction sur le pain, tandis qu’Al-Kapon mange avec appétit.
Le ‘Hafets ‘Haïm entonne des zmirot, emporté par un sentiment d’adhérence au Créateur, et Al-Kapon savoure déjà des yeux le plat de viande ornant la table. Au moment où il peut enfin assouvir son envie, le ‘Hafets ‘Haïm s’empresse de rectifier ses intentions en rappelant qu’il convient de manger « en l’honneur de Chabbat ».
Une fois qu’Al-Kapon a calmé sa faim et s’est lassé de manger, c’est lui qui prend le sidour pour réciter les actions de grâce d’après le repas. Les deux rivaux continuent encore à se quereller un peu : le ‘Hafets ‘Haïm désire aller étudier au Beit hamidrach, alors qu’Al-Kapon veut dormir. Finalement, ils arrivent à un compromis : notre homme s’effondre sur le fauteuil et lit le journal… « en l’honneur de Chabbat » !
Mais quelle est donc la mission de l’homme sur terre ? On pourrait la définir ainsi : transformer le Al-Kapon enfoui en lui en Rav Al-Kapon, autrement dit, en convertissant ses pulsions bestiales en aspirations spirituelles, vouées au service divin. Ceci corrobore l’enseignement de nos Sages : « Tu aimeras l’Eternel, ton D.ieu, de tout ton cœur » – avec tes deux penchants, le bon et le mauvais. De cette manière, plutôt que d’utiliser ses différents membres pour poursuivre des avérot et satisfaire ses sens, il les emploiera afin d’accomplir des mitsvot. Au lieu de se livrer au plaisir du palais en consommant une oie fumée, il retirera sa jouissance des débats talmudiques entre Abayé et Rava. Ainsi, il s’élèvera et, ayant annulé l’Al-Kapon de son sein, s’identifiera exclusivement au ‘Hafets ‘Haïm.
Mais comment donc parvenir à mener notre Al-Kapon intérieur à un repentir sincère ? Placer une petite kipa sur sa tête ne serait pas suffisant, car il serait encore prêt à commettre des transgressions. « Si cet être vil t’attaque, entraîne-le à la maison d’étude », nous recommandent nos Maîtres. En l’attelant au joug de l’étude, en l’obligeant à s’y plonger et à la réviser, en épuisant son corps à cette tâche, on parviendra à cette métamorphose intérieure.
L’homme est habité par deux penchants : le mauvais, surnommé « roi vieux et stupide », le pousse à assouvir ses désirs, et le bon, appelé « homme pauvre et intelligent », l’encourage à agir selon la raison. Il dispose donc du libre arbitre : se laissera-t-il entraîner par ses pulsions ou les subjuguera-t-il à son intellect ?
Comment donner la préséance aux bonnes tendances sur les mauvaises ? En étudiant la Torah, comme l’ont signifié nos Sages : « J’ai créé le mauvais penchant et J’ai créé la Torah comme antidote. »
(Lèv Chalom)