Parachat Vayéra 16 Novembre 2024 טו חשון התשפ"ה |
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Le zèle, la parure des mitsvot
Rabbi David Hanania Pinto
« Puis, Avraham courut au troupeau. » (Béréchit 18, 7)
Ce verset soulève la question suivante : pourquoi était-il nécessaire qu’Avraham coure pour chercher un veau à servir à ses invités ? Ne pouvait-il pas se contenter d’y aller calmement, d’autant plus qu’il se trouvait dans un état fébrile suite à sa circoncision ?
Ceci met en exergue la condition de base indispensable au service divin : le zèle. A une autre occasion, le patriarche fit également preuve de zèle, lorsque D.ieu lui ordonna de sacrifier son fils Its’hak sur l’autel. Comme le souligne le verset, « Avraham se leva de bonne heure » (Béréchit 22, 3) et nos Maîtres en déduisent le principe selon lequel « les personnes zélées s’empressent d’accomplir les mitsvot » (Pessa’him 4a). Bien que l’Eternel ne lui eût pas enjoint d’obtempérer immédiatement et qu’il avait donc la possibilité de différer l’exécution de cet ordre, il s’y plia aussitôt et de son plein gré.
Telle fut aussi sa conduite à l’égard de ses invités. En dépit de ses douleurs, « il était assis à l’entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour » (ibid. 18, 1). Rachi commente qu’il s’agissait du troisième jour après sa circoncision et que le Saint béni soit-Il était venu prendre de ses nouvelles. Il va sans dire que, dans un tel état, il était dispensé de la mitsva d’hospitalité, outre le fait que le Très-Haut était venu lui rendre visite. Pourquoi donc Avraham chercha-t-il des hôtes ?
Imaginons un malade, allongé sur son lit, qui reçoit la visite du roi. Des coups résonnent ensuite sur sa porte, sur le seuil de laquelle se tient un visiteur quelconque. Conviendrait-il que le malade aille discuter avec le nouveau venu et ignore le roi ? Or, Avraham se comporta d’une manière similaire. En dépit de la présence du Créateur, il était en quête de passants qu’il pourrait faire entrer chez lui. Pourtant, D.ieu ne lui tint pas rigueur, lui donna Son aval et attendit qu’il termine de s’occuper de ses invités. Car, même lorsqu’il les servit, il ne détacha pas son esprit de la Présence divine et lui resta attaché, tous ses actes étant désintéressés.
Avraham mérita d’atteindre un tel niveau en raison de son ardeur dans l’accomplissement des mitsvot. Plutôt que de s’en tenir à la règle voulant que « la personne impliquée dans une mitsva est exempte d’une autre mitsva », il évitait à tout prix de renoncer à l’une d’elle, tant qu’il lui était possible d’exécuter les deux à la fois. C’est pourquoi, même lorsqu’il était faible et que l’Eternel était à ses côtés, il chercha malgré tout à pratiquer l’hospitalité.
Cela étant, pourquoi la manière d’accomplir une mitsva, avec ou sans zèle, est-elle si importante ? L’ouvrage Or’hot Tsadikim nous éclaire à ce sujet : « Le zèle est une grande vertu, adoptée par les justes, pour la Torah, les mitsvot et le service du Créateur. Ornement de toutes les vertus, elle les corrige. Celui qui agit avez zèle prouve qu’il aime son Créateur, tel un serviteur s’empressant de se plier à la volonté de son maître. Ainsi, Avraham avinou fit abstraction de son amour pour son fils afin de le remplacer, dans son cœur, par l’amour du Créateur. Avec zèle, il se leva de bonne heure pour accomplir Sa volonté d’un cœur entier, tant son esprit était passionnément lié à l’amour du Créateur. »
Il se comporta également de la sorte pour accueillir des invités. Agé de cent ans et souffrant suite aux douleurs de la circoncision, il ne pouvait cependant se résoudre à se reposer, tant brûlait en lui le zèle, le désir d’accomplir toujours plus de mitsvot. Aussi, oubliant ses douleurs, se leva-t-il avec l’entrain d’un jeune homme pour se mettre avec dévouement et amour au service de passants. Car, comme nous l’avons dit, le zèle pour une mitsva témoigne notre grand amour pour le Créateur, qui nous l’a donnée, et représente un ornement embellissant et rehaussant la mitsva.
Nos Maîtres nous avertissent : « Ne repousse pas une mitsva qui se présente à toi. » Au contraire, il nous incombe de nous empresser de l’exécuter, afin de développer et de témoigner notre amour pour le Créateur. Nous devons ressentir que la mitsva est une partie indissociable de notre être et que notre vie entière en dépend ; le cas échéant, nous ferons montre de zèle dans ce domaine.
C’est pourquoi Avraham, poussé par ce dévouement, ne tint pas compte de sa faiblesse physique et de ses maux. Il éduqua ses enfants et serviteurs selon cette ligne de conduite. Bien qu’Eliezer eût été circoncis ce jour même et souffrît donc également, il le pressa de sortir à la recherche d’invités, afin d’ancrer en lui la vertu du zèle. Il lui enseignait ainsi le devoir d’accomplir les mitsvot avec enthousiasme et joie, afin de témoigner son amour pour l’Eternel et la Torah.
Le patriarche agit de la même manière envers son fils Ichmaël qui, lui aussi, souffrait des douleurs consécutives à la circoncision. Cette apparente dureté ne visait en fait qu’à lui démontrer la valeur suprême du zèle, ornement des mitsvot.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Le contrat Issakhar-Zévouloun
J’ai eu l’occasion de rencontrer un Juif qui peinait à comprendre pourquoi les érudits et les étudiants en Yéchivot ne travaillent pas, s’investissant toute la journée dans la seule étude de la Torah. J’ai eu beau lui expliquer que le monde ne se maintient que par le mérite de l’étude de la Torah et de ceux qui s’y consacrent, cela fut sans effet. Il continuait à chaque occasion à témoigner son mépris pour l’étude de la Torah et ceux qui s’y livrent, lesquels, à l’en croire, ne font que perdre leur temps.
Un jour, je lui lançai sans ambages : « Le monde subsiste pour le peuple d’Israël et par son mérite. Or, notre peuple se partage en deux groupes : ceux qui étudient la Torah et ceux qui travaillent pour leur subsistance. Issakhar et Zevouloun avaient conclu un pacte, selon les termes duquel Issakhar étudierait la Torah sans souci de sa subsistance, tandis que son frère se chargerait d’assurer sa subsistance, en échange de la moitié du mérite de son étude. De nos jours, le monde est encore régi selon ce mode de fonctionnement : certains Juifs se consacrent seulement à l’étude de la Torah, tandis que d’autres se soucient d’assumer leur subsistance, ainsi que celle de ceux qui étudient – ce qui leur assure une partie des mérites de l’étude des étudiants qu’ils parrainent. On retrouve l’existence d’un tel pacte entre Efraïm et Menaché : le premier étudiait la Torah auprès de son grand-père, Yaakov, tandis que le second était en charge de l’aspect matériel pour les deux, ce qui lui valait une part non négligeable dans les mérites de l’étude d’Efraïm. »
Mes paroles, cependant, tombèrent dans l’oreille d’un sourd, puisque cet homme continua à témoigner ouvertement son mépris pour ceux qui étudient la Torah. Cela arriva au point où je l’avertis qu’à cause de telles paroles, viendrait un jour où il aurait besoin des étudiants en Torah pour qu’ils implorent le Ciel en sa faveur.
Je constatai, hélas, que ces avertissements ne l’arrêtèrent pas plus, puisqu’il continua à médire des étudiants en Torah.
Sa punition, toutefois, finit par venir. Il tomba gravement malade, et il semblait que même les prières des Tsadikim et des érudits en sa faveur ne pouvaient le sauver de sa maladie.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « La femme de l’un des jeunes prophètes (…) » (Mélakhim II chap. 4)
Lien avec la paracha : la haftara rapporte la bénédiction que le prophète Elicha donna à la Chounamite pour la naissance d’un enfant, promesse qui s’accomplit au moment où il le lui avait prédit et, dans notre paracha, les anges annoncent à Avraham qu’un an plus tard, il aura un garçon.
CHEMIRAT HALACHONE
Dis-moi ce qu’ils ont dit sur moi !
De nombreux individus trébuchent sur le point suivant : ils ont l’habitude de demander à leur prochain ce qu’untel a dit d’eux, même s’ils n’en retirent rien. De plus, quand il refuse de le leur révéler, ils insistent jusqu’à ce qu’il accepte.
Ils entendent alors leur blâme, donnent entièrement crédit à ces paroles et en viennent à haïr celui qui les a prononcées.
PAROLES DE TSADIKIM
Aider sa femme, un acte de charité
« Or çà, prends ton fils, ton fils unique. » (Béréchit 22, 2)
Rabbi Chalom Chwadron raconte l’histoire suivante :
« Il y a une vingtaine d’années, un de mes jeunes enfants tomba malade. Craignant que les autres le deviennent également, je décidai de les amener chez ma mère pour un ou deux jours. Le matin, après ma prière, je les pris donc avec moi. En route, je rencontrai Rabbi Eizik Sar zatsal. J’inclinai courtoisement la tête pour le saluer et il me répondit : “Bonjour, Rabbi Chalom.” Je lui répondis bonjour.
« “Où va-t-on ?”, s’enquit-il.
« Je lui racontai alors qu’un de mes enfants était malade et que j’amenais les autres chez ma mère. Un instant de silence fut bientôt interrompu par la nouvelle question de Rabbi Eizik : “Et alors, quoi ?”
« Ne comprenant pas la signification de ces mots, je ne sus quoi répondre. En fait, il m’interrogeait sur les motivations qui m’avaient poussé à agir ainsi. Je lui expliquai alors mes appréhensions relatives à la contagion du reste de mes enfants.
« “Mais pourquoi et pour quelle raison ?” reprit-il sous cette autre tournure.
« Comme froissé par cette insistance, je lui redonnai la même réponse qu’avant.
« Un silence tendu nous sépara de nouveau. Soudain, Rabbi Eizik me fixa du regard et me dit :
“Cela veut dire que la grande bête prend la petite et l’emmène avec elle.”
« Surpris par sa phrase, je ne réagis point. Réalisant mon désarroi, il s’empressa de s’expliquer : “En résumé, tu fais de la charité envers un enfant juif qui, en l’occurrence, est aussi ton enfant.”
« Nous nous quittâmes chaleureusement. Mais, après quelques pas, je me sentis bouleversé. “Ah ! Quels mots précieux m’avait-il prononcés !” J’en restai figé d’émotion. Comprenez-vous donc quel cadeau il venait de me donner par cette petite phrase ?
« Ce même matin, je vis de loin mon épouse marcher de l’autre côté de la rue, tandis qu’elle portait deux sceaux d’eau qu’elle venait de puiser du puits. Je m’empressai de la rejoindre pour les lui prendre, tout en chuchotant : « Me voilà prêt à pratiquer de la charité envers une femme juive qui, en l’occurrence, est mon épouse. »
« Six mois plus tard, cette phrase de Rabbi Eizik devint ma véritable devise, au point que je me la répétais des dizaines de fois, aussi bien lors d’une bonne action envers mon épouse, mes enfants qu’à toute autre occasion. Ma conduite entière était focalisée autour de ce principe édifiant.
« Combien le Sage est-il capable de transformer la poussière en or ! Telle est bien la vérité énoncée par les Sages de la Torah et du moussar : toute action au sein de notre foyer peut être interprétée ainsi.
« Certaines femmes, qui se contentent d’élever leurs enfants, pensent qu’elles ne font rien. Quelle lourde erreur qui, de surcroît, leur cause de la peine ! Pourtant, chaque pas effectué dans sa maison avec la bonne intention vaut de l’or. Elever ses enfants, les nourrir afin qu’ils soient en bonne santé et aient des forces, leur ancrer les valeurs de la Torah et de la crainte du Ciel ne reviennent-ils pas, à la fois, à des actes de charité et de Torah ? »
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La connaissance prénatale du Créateur
Le Tsadik Rabbi Israël de Rozin – que son mérite nous protège – dit un jour à ses élèves : « La Guémara (Nédarim 32a) affirme qu’Avraham reconnut son Créateur à l’âge de trois ans, tandis que moi, je L’ai connu dès le ventre maternel. »
En effet, tout enfant né de parents craignant D.ieu, Le reconnaissant et observant Sa Torah, a l’insigne mérite de Le reconnaître, par leur biais, avant même sa venue au monde, alors qu’il se trouve encore dans le ventre de sa mère. Car, tout acte empreint de sainteté accompli par les parents transmet au fœtus une influence positive.
Par exemple, quand une maman, enceinte, allume les bougies de Chabbat, l’âme du fœtus jouit elle aussi de cet éclairage spirituel. Quand, avant de manger un aliment cachère, elle prononce la bénédiction avec ferveur, elle amplifie la reconnaissance du Créateur de son fœtus.
Tel est bien le sens de cet enseignement de Rabbi Israël de Rozin. La sainteté et la piété des parents influent sur leur enfant de manière prénatale. Dans cet esprit, le roi David affirme avoir entonné un cantique à l’Eternel alors qu’il était dans le ventre de sa mère. Car, plongée ainsi dans une atmosphère de sainteté, son âme s’en trouva purifiée et il en vint, d’ores et déjà, à reconnaître le Créateur et à désirer Le servir d’un cœur entier.
Par contre, Avraham ne jouit pas d’une telle prérogative. Conçu dans une atmosphère d’impureté, entouré par une population d’idolâtres renégats, il ne put reconnaître D.ieu dès le sein maternel. Ce ne fut que suite à un travail personnel de longue haleine qu’il en vint à cette reconnaissance, découvrant, à l’âge de trois ans, l’existence du Créateur. A partir de ce moment, il s’attacha à l’Eternel de toutes les fibres de son être et se plia à Ses directives avec une exceptionnelle abnégation.
PERLES SUR LA PARACHA
Eduquer à ne pas déranger autrui
« Puis, Avraham courut au troupeau (…) et le donna au serviteur. » (Béréchit 18, 7)
Qui était ce serviteur ? Rachi explique qu’il s’agissait d’Ichmaël qu’Avraham désirait éduquer à l’observance des mitsvot.
L’auteur de l’ouvrage Zé’her ‘Haïm demande pourquoi le patriarche courut lui-même chercher un veau s’il avait ensuite l’intention de laisser Ichmaël le préparer.
L’ouvrage Bamidbar Yéhouda propose une réponse s’appuyant sur une anecdote au sujet du Imré Emet de Gour zatsal. Une fois, il était assis à table avec son petit-fils et, avant de réciter le birkat hamazon, il se leva pour procéder à l’ablution des mains d’après le repas.
La Rabbanite lui demanda alors pourquoi il n’avait pas demandé à son petit-fils de lui apporter le nécessaire pour ce faire, afin de l’éduquer aux mitsvot. Il lui expliqua qu’il désirait ainsi l’éduquer à la vertu de ne pas déranger autrui pour ce qu’on est en mesure de faire soi-même.
Vraisemblablement, Avraham désirait ici donner deux enseignements à son fils : en courant lui-même à la recherche d’un veau, il l’éduquait à ne pas déranger autrui, et en lui demandant de terminer cette mitsva, il l’éduquait à en accomplir.
La vue d’un ange ou d’un juste apporte la guérison
« Comme il levait les yeux et regardait, il vit trois personnages debout près de lui. En les voyant, il courut à eux du seuil de la tente et se prosterna contre terre. » (Béréchit 18, 2)
Le Or Ha’haïm propose une explication inédite de ce verset. D’après lui, Avraham guérit de ses maux par la seule vue de l’ange, et ce, malgré la distance le séparant de lui. La guérison lui étant parvenue de manière spirituelle, rien ne l’entravait.
Citons-le : « Par les mots “il regardait”, le texte nous indique que, lorsqu’il les vit, il fut guéri de ses maux et courut à leur rencontre. Car l’ange était visible de loin, mais, sur le plan spirituel, ceci ne représente pas un obstacle pour empêcher la guérison. Immédiatement, Réphaël remplit sa mission et le guérit. Sentant qu’il était guéri, il se prosterna à terre devant ces envoyés célestes. »
On retrouve cette idée dans la section de Réeh, où le Or Ha’haïm explique l’incipit, réeh anokhi, dans le sens de « regardez-moi et vous comprendrez et accepterez [le bien absolu du monde futur] ».
En d’autres termes, ce verset fait allusion à l’idée selon laquelle la seule observation du visage de Moché allait conduire le peuple à choisir la voie de la bénédiction et du salut.
La pudeur de Sarah, même chez elle
« Ils lui dirent : “Où est Sarah, ta femme ?” Il répondit : “Elle est dans la tente.” » (Béréchit 18, 9)
De cette réplique d’Avraham, Rachi déduit la pudeur de Sarah.
Le Pardès Yossef demande en quoi le fait qu’elle se trouvait dans la tente prouve sa pudeur, alors qu’en ce jour-là, il faisait extrêmement chaud et personne ne sortait donc de chez soi.
Le Yé’hi Réouven explique que, si elle était dans la tente et que les anges ne la virent pas, c’était la preuve qu’elle était pudique, puisqu’elle se cachait chez elle dès l’apparition d’étrangers.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Au début du traité Avot, nous pouvons lire : « Le monde tient sur trois piliers : la Torah, le service divin et la bienfaisance. » D’après nos Sages, ces trois piliers renvoient aux trois patriarches : la Torah, à Yaakov ; le service divin, à Its’hak et la bienfaisance, à Avraham.
Comme nous le savons, Avraham est désigné par l’appellation de « pilier de la bienfaisance ». Pourtant, il n’était pas le premier homme à pratiquer des actes charitables. Vingt générations le précédèrent depuis la création du monde. Durant celles-ci, le monde se maintint grâce à la charité des hommes les uns envers les autres, et ce, jusqu’à la génération du déluge qui annihila cette vertu en prônant le vol.
Si la charité représentait un pilier du monde, pourquoi personne ne fut appelé « pilier de la bienfaisance » ?
Le Maguid Mécharim, Rabbi Baroukh Rozenblaum chelita, nous éclaircit à ce sujet en apportant un principe édifiant relatif au concept de la charité, tel qu’il est expliqué dans l’ouvrage Sia’h Its’hak. En réalité, il faut faire la distinction entre la vertu du ‘hessed (la bonté) et l’un de ses dérivés, ra’hamim (la compassion).
Dans les suppliques suivant la akédat Its’hak, nous implorons l’Eternel en disant : « Conduis-toi à notre égard selon la vertu de la bonté et selon la vertu de la compassion. » Dans le passage de néfilat apaïm (quand on se penche en avant et incline la tête sur le bras gauche), nous disons : « La grandeur de Ta compassion et de Ta bonté, Tu te souviendras aujourd’hui en faveur de la descendance de Ton ami, comme Tu lui as fait savoir dès les temps anciens. » Dans le birkat hamazon, nous affirmons : « Qui nourrit le monde entier avec grâce, bonté, largesse et une grande miséricorde » et dans nichmat kol ‘haï : « Qui dirige le monde avec bonté et Ses créatures avec miséricorde. »
Par conséquent, il existe un concept de bonté et un autre de miséricorde. A quoi se réfèrent-ils respectivement ? Dans son ‘Hovot Halévavot, Rabbénou Bé’hayé nous l’explique. Introduisons ses propos par l’exemple qui suit.
Si, après la prière de arvit, un Juif vient solliciter les fidèles pour un don financier en faveur de son fils, malade, dont les soins médicaux s’élèvent à des sommes très importantes, dépassant ses moyens, sans nul doute, chacun se portera volontaire pour le soutenir, l’un en donnant cinquante chékalim, l’autre cent. S’agit-il de ‘hessed ou de ra’hamim ?
D’après le Malbim, c’est de la ra’hamim. Quand son prochain nous demande de l’aide et que nous la lui accordons, il s’agit de miséricorde. La bonté, quant à elle, consiste à donner à autrui de sa propre initiative, sans qu’il nous l’ait demandé.
Qu’en était-il donc d’Avraham ? Non content d’attendre que des invités viennent frapper à sa porte, il allait en chercher. Par contre, donner de la tsédaka à quelqu’un venu nous le demander à la synagogue est un acte de miséricorde, répondant à ce sentiment qui s’éveille en nous. Il en est de même quand on met la tétine à un bébé qui pleure. S’il ne pleure pas, on ne la lui mettra pas. Aussi, c’est notre miséricorde qui nous pousse à agir ainsi. Le ‘Hovot Halévavot affirme que, parfois, ce type d’acte charitable n’est pratiqué que par miséricorde, afin d’apaiser notre mauvaise conscience.
Quand quelqu’un nous demande de la tsédaka, notre conscience nous souffle : « Ne sois pas lâche et donne-lui ! » Mais, si on lui donne sans qu’il nous l’ait demandé, c’est de la bonté pure, et non de la miséricorde.
Noa’h accomplit certes de nombreux actes charitables, mais il le fit après avoir été sollicité. Ses contemporains lui demandèrent en effet de construire une arche pour abriter les animaux, tâche qu’il accepta de remplir. Au bout d’une semaine, quand la colombe revint de sa mission, Noa’h lui tendit la main. Il ne fit rien de sa propre initiative, c’est pourquoi il ne mérita pas le titre d’homme bon, mais uniquement d’homme charitable.
Par contre, Avraham chercha constamment des opportunités d’accomplir du bien autour de lui. Il ouvrit des soupes populaires sans que personne ne lui en présentât la demande. Il courait à la rencontre d’invités. Le troisième jour après sa circoncision, il demanda à Eliezer de lui en ramener et interpréta son échec comme un signe d’infidélité. Pourquoi n’en avait-il pas trouvé ? Car il cherchait des passants qui lui demanderaient du pain, alors que, du point de vue d’Avraham, le fait de se montrer bon à leur égard lui était aussi vital que de l’air pour ses poumons.
Dès lors, nous comprenons en quoi le premier patriarche incarnait le pilier de la bonté. Nos Sages affirment qu’en se montrant bon envers autrui, Avraham imitait les voies divines. Il se dit : « L’Eternel ne nous accorde-t-Il la pluie que lorsque nous la Lui demandons ? Non, Il nous la donne dans tous les cas. De même, Il nous donne un gagne-pain même quand nous ne L’implorons pas. » Tel est bien le sens de l’éloge de notre prière : « Qui dirige le monde avec bonté et Ses créatures avec miséricorde. » Il nous assiste, que nous Le sollicitions ou non.
Ainsi donc, Avraham personnifie la vertu de la bonté – et non de la miséricorde – qu’il fut le premier à pratiquer dans le monde. Pour le patriarche, la vie entière revenait à être bon envers autrui.