Parachat Toldot 30 Novembre 2024 כט חשון התשפ"ה |
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Le détournement des bénédictions
Rabbi David Hanania Pinto
« Or, Rivka entendit ce qu’Its’hak disait à Essav son fils. Essav alla aux champs pour capturer du gibier et le rapporter. » (Béréchit 27, 5)
Nos Sages interprètent l’insistance du verset « et le rapporter » comme une allusion au fait que, si Essav ne trouvait pas de gibier, il en volerait. Il est également expliqué que, n’ayant pas trouvé d’animal cachère, Essav prépara de la viande de chien. Il agit de façon stupide, car le mécontentement de son père serait incontournable. Par contre, s’il lui avait simplement dit qu’il n’avait pas trouvé d’animal cachère, Its’hak l’aurait malgré tout béni pour l’effort fourni et pour son abstention de prendre un animal volé ou taref. Mais, au moment où Essav présenta à Its’hak ce plat taref, Its’hak vit la géhenne face à lui. Il est donc évident qu’il ne l’aurait de toute façon pas béni.
Dès lors, pourquoi Rivka, consciente de tout cela, désirait-elle que Yaakov se présente vite à la place d’Essav et apporte, lui, un plat à son père ? En tout état de cause, Essav ne mériterait pas les bénédictions et il était donc probable qu’Its’hak aurait de lui-même appelé Yaakov pour le bénir à sa place.
Dans sa grande sagesse, Rivka cherchait à créer une séparation entre Yaakov et Essav, plus encore, à susciter la haine entre les deux frères. Lorsque Sarah avait voulu renvoyer Ichmaël de son foyer afin qu’il n’exerce pas une mauvaise influence sur Its’hak, l’Eternel avait dit à Abraham : « Ecoute sa voix. » A cette occasion également, Its’hak accéda à la demande de Rivka de bénir Yaakov et de l’envoyer à la recherche d’une conjointe. Car nos saintes matriarches savaient appréhender les faits avec du recul. Ici, Rivka était consciente qu’un juste comme Yaakov ne pouvait pas vivre dans la proximité d’un homme prêt à présenter à son père des plats interdits. Rivka envoya donc Yaakov à la place d’Essav afin de provoquer entre eux une haine éternelle, projet qui s’est réalisé, puisque nos Maîtres affirment : « Il existe un dogme selon lequel Essav hait Yaakov. » Comment et quand ce principe a-t-il été fixé ? Il semblerait que Rivka en soit à l’origine.
Agir par ruse dut être pénible pour Yaakov, plongé corps et âme dans la vérité de la Torah. Or, Rivka lui tint tête en affirmant : « Sur moi, ta malédiction », que certains commentateurs expliquent ainsi : « Si tu ne vas pas détourner les bénédictions, c’est moi qui te maudirai. » Yaakov se tenait devant une voie sans issue : s’il se présentait à son père et que ce dernier comprenait qu’il était Yaakov, il le maudirait, et s’il n’y allait pas, c’était sa mère qui le maudirait.
Comment comprendre que Rivka ait tenu à prendre des mesures si contraignantes pour Yaakov, plutôt que de laisser simplement les événements évoluer naturellement – qu’Essav présente à son père le plat taref et ne reçoive pas les bénédictions ? Car, elle aurait pu trouver un autre moyen de créer une séparation et de provoquer la haine entre les deux frères.
La sainte Torah nous interdit de consommer des animaux taref ou abattus contrairement au rite. Cependant, le Rambam explique que nous ne devons pas dire que le porc n’est pas bon, mais plutôt qu’il est certainement bon, et néanmoins interdit à la consommation par la Torah. De même, il arrive parfois que l’on sente de bonnes odeurs de plats préparés par des non-juifs ; celui qui évite de respirer ces odeurs, afin de s’éloigner le plus possible de la transgression de consommer des plats interdits, méritera une récompense d’autant plus importante.
Rivka avait vu par prophétie qu’Essav avait l’intention de dérober un animal taref. Elle savait, par ailleurs, que son mari s’était intentionnellement laissé affamer dans le but de pouvoir donner les bénédictions d’un cœur entier, grâce à la joie qu’il aurait lorsqu’on lui présenterait le plat demandé. Aussi, dans sa grande sagesse, a-t-elle voulu éviter qu’un juste comme Its’hak se trouve contraint de respirer l’odeur d’un plat interdit alors qu’il était affamé.
Nous comprenons, à présent, pourquoi Rivka tenait à ce que Yaakov, plongé dans son étude, s’interrompe : à cause de la mitsva « Ne sois pas indifférent au danger de ton prochain » (Vayikra 19, 16), afin que l’âme d’Its’hak ne soit rassasiée que d’odeurs saintes, comme celle du jardin d’Eden émanant de Yaakov. En effet, de cette manière, lorsque Essav se présenterait à son père avec son plat taref, ce dernier serait déjà repu par celui de Yaakov, et les odeurs provenant du plat interdit ne risqueraient nullement de l’attirer, un homme rassasié ne prêtant pas attention aux odeurs qui lui parviennent. La mission donnée à Yaakov concordait donc avec la vérité, puisqu’il s’agissait d’éviter à un Juif de tirer profit de l’odeur d’un aliment interdit.
Par ailleurs, Rivka ne cuisina pas elle-même le plat pour son mari, car l’intention d’Its’hak était que son fils l’accommode afin qu’il le bénisse d’un cœur plus joyeux. J’ajouterai que le plat préparé par Yaakov pour Its’hak contenait sans doute une épice raffinée et authentique, celle de la Torah, ce qui a dû lui procurer un plaisir particulier…
Le Saint béni soit-Il ramènera tous les pécheurs du peuple juif vers un repentir intègre. A cet égard, le saint Or Ha’haïm fait remarquer (Bamidbar 25, 14) que Zimri a été appelé Israélite, en dépit du fait qu’il était mécréant. En outre, après son repentir, il mérita la vie du monde futur. Car, tout Juif possède en lui une étincelle divine provenant des sphères supérieures et aucun ne peut donc être repoussé.
PAROLES DE TSADIKIM
L’étude de la Torah, génératrice de miracles
« Its’hak implora l’Eternel au sujet de sa femme, parce qu’elle était stérile ; l’Eternel accueillit sa prière, et Rivka, sa femme, devint enceinte. » (Béréchit 25, 21)
Le Maguid Rabbi Chlomo Lévinstein chelita a raconté, à maintes occasions, l’incroyable histoire d’un couple juif habitant en Diaspora qui, n’ayant pas eu d’enfant après vingt ans de mariage, décida de s’installer en Israël – comme le rapporte Rachi, l’installation en Terre sainte est une ségoula pour avoir des enfants. Mais, ils durent supporter trois nouvelles années d’attente déçue.
Un ami de Diaspora les rencontra et vint aux nouvelles. Quand ils lui dirent qu’ils continuaient à espérer et à prier pour le salut, il leur répondit : « Vous vous êtes assez affligés ! Si vous n’avez pas eu d’enfant pendant vingt-trois ans, vous n’en aurez jamais. Il existe beaucoup de couples sans enfant ; ils continuent à vivre. Il y a d’autres mitsvot dans la Torah… »
Loin de vouloir les peiner, il désirait au contraire les consoler et les encourager. En voyant leur visage abattu et leurs yeux humides de larmes, il cherchait à leur donner du courage pour continuer à vivre heureux.
A son retour en Diaspora, cet homme rapporta cette discussion à son épouse. Elle la lui reprocha vivement : « Pourquoi avais-tu besoin de te mêler de leurs affaires ?
– Si tu avais vu leur mine, tu leur aurais sûrement dit la même chose, se justifia-t-il.
– Et d’où tiens-tu qu’ils n’auront pas d’enfants ? demanda-t-elle.
– Tu commences toi aussi ? Ils n’en auront pas, point final. S’ils n’en ont pas eu pendant vingt-trois ans, ils n’en auront jamais.
– Et s’ils en ont ?
– Tu sais quoi ? S’ils ont des enfants, je ferme mon affaire ici et je vais m’installer en Israël pour être avrekh. Cela te convient ?
– Oui, parfaitement », répondit-elle.
Après deux nouvelles années d’attente et de prières, leur naquirent des jumeaux, une fille et un garçon.
La ville entière, ébahie, fut au comble de la joie. Pourtant, un homme sentit la tension s’éveiller en lui…
Il monta dans le premier avion pour Israël. De l’aéroport, il prit un taxi pour se rendre directement auprès de Rabbi ‘Haïm Kanievsky chelita. Il lui raconta ce qui s’était passé, les paroles qu’il avait prononcées, et lui demanda ce qu’il devait faire.
« Quelle est la question ? Remplis ton engagement !
– Rav, y a-t-il une possibilité d’annuler mon vœu ?
– Non. Ton vœu a le statut d’un néder mitsva qu’on ne peut délier.
– Puis-je nommer un chalia’h qui étudierait à ma place et que je soutiendrais financièrement de manière complète ?
– Cela pourrait être une bonne idée, mais fais-le plutôt dans l’autre sens : étudie au Collel et nomme quelqu’un pour diriger ton affaire. Qui sait si ce n’est pas le mérite de l’étude que tu t’es engagé à faire qui leur a valu cette double naissance ? »
Incroyable : cet homme n’avait même pas encore commencé à étudier que, déjà, le mérite de son étude avait permis à une femme stérile d’avoir des enfants !
Car, l’étude de la Torah est l’oxygène, ce qui apporte la vitalité au monde entier. Elle rend les femmes stériles fécondes, guérit les malades… Elle dépasse tout le reste.
CHEMIRAT HALACHONE
Regret et engagement
Si quelqu’un a fauté en donnant crédit à des propos médisants, il devra réparer son péché en s’efforçant de les effacer de son cœur et de ne plus y croire.
Même s’il lui est difficile de croire que celui qui lui a raconté ces faits les a inventés, il se dira qu’il y a peut-être ajouté ou omis un élément de l’histoire, ou encore les a rapportés sur un ton prêtant à une interprétation négative. Il s’engagera aussi à ne plus donner crédit à la médisance et au colportage et se confessera pour ce péché. Il l’aura ainsi réparé, si toutefois il n’avait pas lui-même rapporté ces propos à d’autres.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Enoncé de la parole de l’Eternel (…) » (Malakhi chap. 1 et 2)
Lien avec la paracha : la haftara parle de Yaakov et d’Essav, comme il est dit : « Essav n’est-il pas le frère de Yaakov ? », sujet évoqué dans notre paracha où il est question de la naissance de ces jumeaux, puis de leur évolution respective.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Se réveiller de sa torpeur
Je me souviens qu’un jour, nous avons entendu, en France, qu’un terrible attentat venait d’être perpétré en Israël. « Pourvu qu’il n’y ait pas de morts », me suis-je dit en frémissant d’horreur. Mais malheureusement, nous avons peu à peu pris l’ampleur du drame, découvrant qu’il y avait au moins six morts.
Cette nouvelle m’a fait très mal au cœur et j’ai prié pour qu’il n’y en ait pas plus. Malheureusement, ma prière a été une fois de plus repoussée et le nombre des victimes s’éleva à huit, pour ensuite atteindre les onze, en dépit de mes implorations répétées. Onze Juifs, morts parce que tels, en sanctifiant le Nom divin, que D.ieu venge leur mort !
En entendant le rapport concernant les blessés, qui se comptaient par dizaines, dont une partie dans un état grave, je me dis que même s’ils n’avaient pas péri dans l’attentat, leur vie n’en était plus une ; qui sait s’ils pourraient un jour revenir à l’état dans lequel ils étaient avant la catastrophe ?
Lorsque ces informations nous parvinrent, un certain nombre de personnes hochèrent tristement la tête. « Les pauvres ! », s’écrièrent-elles spontanément. Mais quelques heures plus tard, je remarquai que ces mêmes personnes avaient déjà tout oublié, sans tirer leçon des faits, puisqu’elles étaient allées se détendre dans des lieux où un Juif n’a pas à mettre les pieds.
S’il faut, certes, continuer à vivre normalement au quotidien, en dépit des catastrophes qui frappent notre peuple, sans se laisser aller à la déprime ni au découragement, nous devons prendre conscience que ces Juifs, en Israël, souffrent pour leurs frères du monde entier. Cela doit nous pousser à nous réveiller et à progresser dans le service divin, afin que nous n’ayons pas besoin d’autres douloureuses piqûres de rappel.
PERLES SUR LA PARACHA
Qui est le « juste fils d’un mécréant » ?
« L’Eternel accueillit sa prière. » (Béréchit 25, 21)
Rachi commente : « D.ieu agréa la prière d’Its’hak, et non celle de Rivka. Car, on ne peut comparer la prière d’un Tsadik fils d’un Tsadik à celle d’un Tsadik fils de racha. C’est pourquoi Il agréa celle d’Its’hak et non celle de Rivka. »
Cette interprétation pose deux difficultés : pourquoi est-il écrit, au sujet de Rivka, « un Tsadik fils de racha » et non « une Tsadékèt fille de racha » ? Pourquoi Rachi insiste-t-il en répétant « c’est pourquoi Il agréa celle d’Its’hak et non celle de Rivka » ?
L’auteur de l’ouvrage Gan Ravé explique que Rachi avait des difficultés à comprendre pourquoi Avraham devait changer de lieu d’habitation pour avoir des enfants, afin que s’applique à son sujet la promesse « qui change de place, change de mazal », alors que Its’hak put se contenter de prier.
Aussi Rachi explique-t-il que la prière d’un Tsadik fils de Tsadik, en l’occurrence Its’hak, ne peut être comparée à celle d’un Tsadik fils de racha, en l’occurrence Avraham. D’où sa conclusion, dans laquelle il établit une analogie avec Its’hak et Rivka.
Un homme double
« Essav devint un homme sachant chasser, un homme des champs. » (Béréchit 25, 27)
Soulignant la répétition du terme « homme », l’auteur du Min’hat Elazar explique qu’Essav était une personnalité double : il semblait parfois craindre D.ieu et être méticuleux dans l’observance des mitsvot, et parfois avait l’air d’un tout autre homme, quand il sortait dans les champs.
Par contre, Yaakov était un homme entier, se conduisant toujours de la même manière, « un homme intègre, assis sous les tentes ».
Etre félicité pour son meurtre
« Et Essav se dit en lui-même : “Le temps du deuil de mon père approche ; je ferai périr Yacov mon frère.” » (Béréchit 27, 71)
L’auteur du Sia’h Yaakov Yossef explique avec perspicacité les intentions d’Essav. A priori, nous pouvons nous demander pourquoi il n’a pas immédiatement mis ses desseins à exécution et a voulu attendre la mort de son père pour le faire.
Il explique le raisonnement d’Essav : s’il tuait Yaakov dès le moment où il en conçut le projet, les gens l’auraient critiqué, car de quel droit tuer un frère innocent – comme dans l’histoire de Caïn et Hével, retenue comme un drame. C’est pourquoi il eut l’idée d’attendre le décès de son père. Le Chabbat précédant la askara, pensa-t-il, il irait à la synagogue avec Yaakov, auquel on donnerait certainement l’honneur d’être l’officiant, de réciter le Kadich et d’être appelé pour le maftir lors de la lecture de la Torah. Ce serait alors le moment idéal pour se quereller avec lui, en réclamant lui aussi de tels honneurs. Dans ce désordre, il en profiterait pour le tuer. Sans doute, une partie des fidèles lui donneraient raison pour son dévouement témoigné à l’égard de son père.
Tel est donc le sens de notre verset : Essav désirait attendre le deuil de son père pour tuer son frère, car, dans ces circonstances, on en viendrait sans doute à louer son meurtre.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La tente de Yaakov, en opposition au champ d’Essav
« Les enfants ayant grandi, Essav devint un habile chasseur, un homme des champs, tandis que Yaakov, homme entier, vécut sous les tentes. » (Béréchit 25, 27)
Yaakov et Essav sont deux frères ; le premier est désigné comme un « homme assis sous les tentes » et le second, défini comme un « homme des champs ». Généralement, on plante une tente dans un champ à l’aide de pieux, afin de la fixer solidement pour qu’elle résiste aux vents, même violents. Plus la tente est grande, plus les piquets utilisés doivent être grands et solides, de sorte qu’elle ne soit pas déracinée du sol, quelles que soient les conditions météorologiques.
Lorsque le verset affirme que Yaakov vivait sous les tentes et qu’Essav était un homme des champs, c’est une allusion au fait que Yaakov a dû construire une tente, solidement rivée au sol, afin de se protéger de l’influence d’Essav qui travaillait dans les champs, symbole de la matérialité de ce monde. Dans cette tente de la Torah, Yaakov s’est dévoué corps et âme, se préservant ainsi de l’influence de son frère mécréant.
Nous pouvons en retirer une leçon : l’homme qui désire se préserver des vanités de ce monde – symbolisées par le champ – doit se construire une tente et la renforcer avec autant de piquets que nécessaire ; de cette façon seulement, il pourra échapper aux vanités du temps.
Ainsi, grâce à la tente que Yaakov a construite dans les champs, il a pu s’isoler du monde qui l’entourait, pour se consacrer de tout son être à l’étude de la Torah et atteindre un niveau très élevé. Par le mérite de la Torah qu’il a étudiée, Yaakov est parvenu, depuis sa tente, à propager l’esprit de la Torah dans tout son entourage, transformant le champ en « champ béni par l’Eternel ».
Lorsqu’il quitta Beer-Chéva, les habitants de cet endroit ressentirent son départ et, avec lui, celui de la bénédiction qui l’entourait. Nos Sages expliquent : « Le départ d’un juste laisse des marques dans la ville ; sa beauté s’en va, son éclat s’en va, sa majesté s’en va. » Yaakov, qui s’était enfermé dans la tente pour y étudier assidûment la Torah, représentait la beauté, l’éclat et la majesté de l’endroit où il résidait et vers lequel il attirait la bénédiction.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
En marge du verset « les enfants s’entre-poussaient dans son sein » (Béréchit 25, 22), Rachi explique que Yaakov et Essav se disputaient le partage des deux mondes.
Pourtant, nos Sages ont enseigné (Brakhot 61b) que « les mécréants sont dominés par leur mauvais penchant », c’est-à-dire, explique le Gaon, qu’ils sont sous sa tutelle.
S’il en est ainsi, s’interroge Rav Isser Zalman Meltser zatsal dans son ouvrage Otsarot Hatorah, au nom de Rav Its’hak Blazer de Peterburg zatsal, l’un des éminents élèves du Or Israël de Salant, il aurait semblé logique que le mauvais penchant fasse en sorte que l’impie reste farouchement sur ses positions et ne regrette nullement ses agissements. Pourquoi nos Maîtres affirment-ils donc que « les mécréants sont pleins de regrets » (Nédarim 9b) ? Comment expliquer que leur mauvais penchant, qui les a poussés au péché, leur permet ensuite de le regretter ?
De fait, ils soulignent par ailleurs que l’un des noms du mauvais penchant est « ennemi » et le ‘Hovot Halévavot va jusqu’à dire qu’il est le plus grand ennemi de l’homme dans ce monde. Il serait erroné de penser que le mauvais penchant ne cherche qu’à faire fauter l’homme ; en plus de cela, il tente aussi de le conduire à sa perte, de façon générale, à la manière d’un adversaire. C’est pourquoi il le pousse à commettre des transgressions, de sorte à lui faire perdre le monde futur, puis introduit en lui des remords, afin de l’empêcher également de jouir de ce monde. Ainsi, il lui fait perdre les deux mondes.
Nous pouvons en retirer une leçon de morale édifiante.
Le mauvais penchant nous incite à transgresser un interdit en nous faisant miroiter la jouissance qu’on en retirera. Cependant, il faut savoir qu’il ne nous laissera pas le loisir d’en profiter. Aussitôt après nous avoir fait commettre un péché, il introduit en nous des sentiments de regrets qui nous en dégoûteront, outre le fait que les jouissances de ce monde, imaginaires, sont éphémères. Aussi, non seulement nous ne profiterons pas du péché, mais, en plus, nous souffrirons des sentiments de regrets qu’il entraînera dans son sillage. Telle est l’œuvre du mauvais penchant, ennemi juré de l’homme.
Afin d’illustrer à quel point une vie licencieuse, dénuée de toute spiritualité, n’a aucun sens, rapportons les paroles de Rav Its’hak Gold chelita :
« Il y a quelques années, l’un des médias non-religieux fêta l’anniversaire du Tsadik Rav Ouri Zohar chelita, parvenu à l’âge de quatre-vingts ans.
« Au début de l’interview, on lui adressa des vœux pour cet âge de vaillance auquel il était parvenu. Le Rav Zohar s’empressa alors de corriger : “En réalité, je fête aujourd’hui mes quarante ans.”
« Face à la stupeur de ses interlocuteurs, il leur expliqua qu’il n’eut le mérite de reconnaître le Créateur qu’à l’âge de quarante ans et que, seulement depuis, son existence en était réellement une. Il ressentait que ses quarante premières années, dénuées de mitsvot, de foi et de religion, ne pouvaient être qualifiées de vie.
« Bien-entendu, les présentateurs contestèrent ce fait, rétorquant que, durant ces années, il était un artisan qualifié, ce qui l’avait sans doute aidé à parvenir où il en était, et autres arguments similaires. Face à leur obstination de ne pas vouloir comprendre son message, il leur répondit, avec sa vivacité caractéristique : “Bon, vous savez quoi ? Pour vous, je fête aujourd’hui mon anniversaire de quarante plus quarante ans !”
« Vendredi soir, poursuit le Rav Gold, je suis allé souhaiter au Rav Zohar mazal tov pour ses “quarante plus quarante ans”. Puis, j’ajoutai que je voulais lui apporter une preuve à ses paroles selon lesquelles une vie dénuée de spiritualité n’en est pas une. Car, on ne retire aucun profit des jouissances que le mauvais penchant nous fait miroiter.
« Rav Its’hak Zilberstein chelita rapporte, au nom de Rav Eliachiv zatsal, la description qu’il avait l’habitude de donner de Yaakov et d’Essav. Ce dernier est un chasseur, sans doute vêtu des plus beaux habits, dernier cri, d’un blouson protecteur, d’une arme, bref de bonne présentation. Tous les plaisirs de ce monde sont à sa disposition, rien ne lui fait obstacle à en profiter. A l’opposé, Yaacov, homme intègre, assis dans les tentes, est vraisemblablement vêtu modestement et simplement. Ne quittant pas les bancs du beit hamidrach, il se voue à l’étude, totalement à l’écart de toute jouissance de ce monde, de tout restaurant de luxe ou excursion excitante.
« Mais qu’advient-il ensuite de notre premier personnage, intellectuellement faible et dominé par son imagination ? La Torah écrit que “Essav revint des champs, fatigué”. Après avoir joui de tous les plaisirs du monde s’offrant à lui, la fatigue s’empare de son être. En d’autres termes, il ne lui en reste rien ! Epuisé, il s’effondre sur son lit, alors que les jouissances de ce monde n’ont plus aucun goût pour lui. A quoi bon se lever le lendemain matin ?
« Aux antipodes, Yaakov, après une journée d’étude bien remplie, en ressort vivifié. Son âme emplie du bien véritable, il éprouve de la satisfaction et est au comble du bonheur. Il attend impatiemment le lendemain, qui lui réserve une nouvelle jouissance de plénitude spirituelle. »
Alors, à nous de bien garder à l’esprit ce principe fondamental : le mauvais penchant pousse l’homme au péché et ne lui permet même pas d’en jouir.