Parachat Vayétsé 7 Décembre 2024 ו כסלו התשפ"ה |
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La prière d’Arvit, instituée par notre patriarche Yaakov
Rabbi David Hanania Pinto
« Il atteignit l’endroit et il y passa la nuit, parce que le soleil s’était couché. Il prit une des pierres de l’endroit, la mit sous sa tête et se coucha en ce lieu. » (Béréchit 28, 11)
Rachi explique le verbe vayifga (littéralement : il atteignit) dans le sens de prier ; le soleil venant de se coucher, il en déduit que Yaakov institua la prière du soir – arvit.
Par ailleurs, nos Sages expliquent (Brakhot 27b) que les prières du matin (cha’harit) et de l’après-midi (min’ha) sont obligatoires et correspondent, pour l’homme, aux moments opportuns de remercier son Créateur, qui lui a donné des forces et l’a maintenu en vie tout au long de la journée, alors que la prière du soir (arvit) est facultative. Dans la pratique, nous avons pris l’habitude de nous montrer plus stricts et de prier de façon fixe, y compris le soir.
C’est avec un grand dévouement que Yaakov a initié la prière du soir. En effet, malgré son extrême fatigue – il n’avait pas dormi pendant une période de quatorze ans, lorsqu’il étudiait dans la Yechiva de Chem et Ever (Béréchit Rabba 68, 11) –, il n’alla pas se coucher avant de l’instaurer et de remercier l’Eternel pour tous Ses bienfaits.
Il est écrit : « Il prit une des pierres de l’endroit, la mit sous sa tête. » Rachi commente : « Il s’en fit comme une murette en forme de gouttière autour de la tête, pour se garder des bêtes sauvages. » Je me suis demandé comment Yaakov a pu penser qu’un simple tas de pierres pouvait représenter une protection contre l’attaque des bêtes sauvages. Si l’on s’en tient à la loi donnée par nos Sages selon laquelle l’homme est toujours considéré comme « averti » de ce qui lui arrive, comment comprendre que le patriarche se soit contenté de compter sur quelques pierres pour le protéger de l’attaque des bêtes féroces ? En effet, si un incident était survenu lors de son sommeil, on lui aurait tenu rigueur pour sa négligence.
Nous pouvons en déduire que l’intention de Yaakov, lorsqu’il plaça des pierres autour de sa tête, ne se limitait pas uniquement à s’assurer une protection physique. Cet acte, symbolique, visait à transmettre aux générations à venir un message, « les actes des pères [étant] un signe pour leurs descendants ».
Aujourd’hui, il existe de nombreuses personnes éternellement insatisfaites qui, malheureusement, ont tendance à sombrer dans la mélancolie ou la dépression. Ce phénomène semble être dû à une fuite de leur identité réelle, elle-même résultant d’un refus de placer leur confiance en Dieu et de reconnaître qu’Il pourvoit à leur subsistance dans ce monde et exerce Sa Providence à chacun de leurs pas.
Celui qui s’attribue toutes les vicissitudes de sa vie risque fort d’être précipité dans les abîmes de la dépression, du fait qu’il imputera ses faux-pas à une erreur de sa part. Il sera constamment replié sur lui-même, car ce sentiment de culpabilité l’empêchera d’agir convenablement, l’écartant du bonheur et de la sérénité. A l’inverse, l’homme plaçant toute sa confiance en son Créateur, qui « confie [son] souffle en [Sa] main » (Téhilim 31, 6), méritera une vie heureuse, car, même lorsqu’un incident malheureux surviendra, il ne s’en voudra pas, convaincu que Celui qui dirige les événements l’a voulu ainsi. Même s’il ne perçoit pas l’aspect positif de ce qui lui arrive, il saura de façon claire que le Créateur ne recherche que son bien.
Si une réparation doit être faite sur un véhicule loué, le locataire n’en fera pas grand cas, sachant que son propriétaire porte la responsabilité de son entretien. Par contre, celui qui possède une voiture sera anxieux dès la moindre avarie, conscient qu’il devra débourser l’argent nécessaire aux réparations. De même, les personnes plaçant toute leur confiance en D.ieu vivent de manière sereine, car elles sont conscientes que tous les incidents survenant dans leur vie ont été programmés par Lui. Cette foi se traduit, de leur part, par les expressions : « Tout ce que l’Eternel fait est pour le bien » ou « Tout est entre les mains du Ciel. » A l’opposé, les personnes qui fuient leur identité réelle et s’obstinent à penser qu’elles dirigent leur propre vie finissent bien vite par sombrer dans l’amertume et la dépression.
Nos saints patriarches savaient que le jour se compose de trois phases : le matin, l’après-midi et le soir. Chaque partie du jour offre à l’homme de nouvelles opportunités et des épreuves spécifiques auxquelles il doit faire face. Or, la clé lui permettant de surmonter toutes ces embûches se trouve dans la prière, chacune des trois répondant à ses besoins particuliers du moment. La prière crée un lien entre l’homme et son Créateur, renforçant ainsi sa foi en Lui. Elle aiguise sa conscience de l’existence d’un D.ieu omniscient, qui dirige ses voies et exerce Sa Providence sur lui.
A présent, nous sommes en mesure de comprendre pourquoi Yaakov plaça des pierres autour de sa tête : à travers cet acte symbolique, il désirait supplier le Tout-Puissant de protéger son esprit contre l’attaque des puissances impures rôdant à la tombée de la nuit – auxquelles les bêtes sauvages, apparaissant sous cette forme à l’esprit de l’homme, font référence.
La prière du soir étant facultative, le mauvais penchant se renforce, ce qui accentue la difficulté des épreuves de la nuit ; ainsi, seule la prière donne à l’homme le pouvoir de les surmonter. Yaakov institua la prière du soir, malgré son état de fatigue extrême, parce qu’il était conscient de la nécessité, pour l’homme, de renouveler à ce moment de la journée ses forces spirituelles, afin de faire face aux épreuves nocturnes.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Oui, Mon peuple se complaît dans sa rébellion contre Moi (…) » (Hochéa chap. 11)
Les achkénazes lisent la haftara : « Yaakov s’était réfugié sur le territoire d’Aram (…) » (Hochéa chap. 12)
Lien avec la paracha : la haftara dit de Yaakov que, « dès le sein maternel, il supplanta son frère » et la paracha raconte que le patriarche fuit devant Essav.
CHEMIRAT HALACHONE
Le silence, pas toujours approbateur
De même qu’il est interdit de donner crédit à des propos médisants, même s’ils sont prononcés en présence de l’intéressé, il en est de même concernant le colportage. Et même si celui-ci se tait en entendant ce qu’on a rapporté à son sujet, il sera interdit d’y croire en interprétant son silence comme une approbation. Cet interdit reste toujours valable dans le cas où il s’agit d’une personne qui a généralement l’habitude d’exprimer sa position.
PAROLES DE TSADIKIM
Deux règles pour démonter des marches
« Une échelle était dressée sur la terre, son sommet atteignait le ciel. » (Béréchit 28, 12)
Des enseignements édifiants peuvent être retirés de l’image de l’échelle. Rabbi Bentsion Moutsafi chelita nous les enseigne par le biais de la remarquable allégorie suivante :
Le propriétaire d’une maison s’adressa un jour à un homme peu futé pour lui demander : « Peux-tu monter sur le toit pour me ramener quelques sacs de sable ? »
« Comment ? demanda-t-il. Il n’y a pas d’escalier.
– C’est vrai, répondit l’autre. Mais il y a une échelle. »
Le sot prit l’échelle et se dirigea vers une des façades de l’immeuble. Il la colla contre le mur et essaya d’y monter. Mais en vain : l’échelle tombait à chaque fois.
« Ce mur est tordu », pensa-t-il. Il renouvela alors sa tentative sur une autre façade, mais se heurta à un nouvel échec. Alors qu’il persistait dans ses essais, un passant lui dit : « Pour monter sur l’échelle, il faut l’éloigner un peu du mur. Seulement si on la place en oblique elle peut tenir, sinon elle n’est pas stable. »
Moralité : voulez-vous vous élever ? Aménagez un peu d’espace, ne soyez pas trop intransigeant, montrez-vous prêts à renoncer en cas de nécessité.
Une autre allégorie mettant en jeu un sot nous enseignera une seconde leçon.
Le propriétaire d’une maison lui dit : « Il y a des marches qui mènent à mon toit et c’est dangereux pour les enfants. Je crains qu’ils n’y montent en cachette, sans que je m’en aperçoive. J’aimerais que tu démolisses ces marches. »
« Pas de problème », répondit-il. Que fit-il ? Il gravit les marches une à une, démontant chaque fois la plus basse et progressant dans son ascension. Il se retrouva alors sur le toit… sans escalier pour en redescendre.
« Au secours ! Au secours ! » s’écria-t-il.
« Qu’est-il arrivé ? demandèrent les voisins.
– Je suis monté sur le toit et suis coincé là. Je ne peux plus descendre.
– Descends de la même manière que tu es monté.
– Non ! cria-il avec hystérie. Avant, il y avait des marches et je pouvais monter. Maintenant, il n’y en a plus, parce que je les ai démontées. Je ne peux plus descendre.
– Ecoute bien, lui répondirent-ils. Quand on démonte des marches, on commence par celles du haut, en descendant au fur et à mesure pour démonter celles du bas. » Le sot répéta cet axiome quarante fois, jusqu’à ce qu’il l’eût intégré.
Avec le temps, il devint célèbre comme le démonteur professionnel d’escaliers de la ville. Quand les chats découvrirent la cage où il gardait ses vins et en vinrent à abîmer ses fûts, le propriétaire eut l’idée de démonter l’escalier y menant.
Il convoqua le sot qu’il rémunéra pour ce travail. Celui-ci se répéta la leçon : « Quand on démonte des marches, on commence par celles du haut. » Il défit alors la marche supérieure, puis les inférieures. Mais il se retrouva alors dans la cave, sans possibilité d’en ressortir.
« Au secours ! Au secours ! », cria-t-il de nouveau.
Un Juif, qui passait par là, l’interrogea : « Dis-moi, que t’est-il donc arrivé ? Pourquoi t’es-tu coincé ici, en bas ?
– C’est comme ça qu’on m’a dit de faire : quand on démonte des marches, on commence par celles du haut.
– On procède dans cet ordre pour un toit, mais pour une cave, dans le sens contraire ! », lui fit-il remarquer.
Ainsi en est-il de l’homme. Il confond le toit et la cave. Quand il constate que son gagne-pain se réduit, où fait-il des économies ?
Si sa foi en D.ieu n’est pas ferme, il restreint ses dépenses dans ce qui a trait au service divin. Il donne moins de tsédaka, réduit les frais de l’enseignement toranique de ses enfants. Par contre, il essaie à tout prix de ne pas devoir renoncer à ses loisirs, refusant de diminuer son niveau de vie.
Quand sa situation financière s’améliore, il peut de nouveau se permettre de dépenser plus. Dans quoi ? S’il ne se tient pas à un niveau spirituel élevé, il investira son surplus d’argent dans l’acquisition de vêtements, de nourriture, de meubles et d’une voiture. Peut-être se souviendra-t-il finalement d’augmenter aussi ses dons à la tsédaka, de donner aux plus démunis ce qu’il avait l’habitude de leur donner avant que sa situation se détériore.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Un sommeil de qualité…
Au cours de l’un de mes séjours au Canada, mes hôtes me préparèrent une chambre, agréable et confortable, au premier étage de leur maison. Du fait qu’à ce moment l’étage était également occupé par un certain nombre de femmes et de couples mariés, je demandai à dormir à un autre étage, ou même au sous-sol.
Lorsque je fis part de ce désir au maître de céans, il en fut choqué et protesta qu’il ne pouvait décemment me laisser dormir au sous-sol. Il ne pouvait se résoudre à m’offrir d’aussi mauvaises conditions d’hébergement. À l’en croire, c’était même un endroit malsain pour y passer la nuit. Il me semblait cependant infiniment plus malsain de dormir dans un endroit où de mauvaises pensées pouvaient me venir à l’esprit, et c’est pourquoi j’insistai en ce sens.
Je dois dire, pour son éloge, que mon hôte accéda à ma demande et me fit préparer une chambre au sous-sol. Les gens croient parfois que l’on ne peut avoir une bonne nuit de sommeil que si l’on dort dans une chambre spacieuse et confortable, dans un lit douillet. C’est faux. La plus grande jouissance est de vivre selon la Torah.
En vérité, je n’eus pas du tout la désagréable sensation de dormir en sous-sol et passai au contraire une nuit excellente, avec un sommeil aussi pur que détendant. J’eus vraiment le sentiment que, grâce à D.ieu, le mauvais penchant n’était pas parvenu à le troubler, sentiment qui m’apportait joie et délassement.
Avant min’ha, je m’accordai une sieste. Cette fois encore, en dépit du confort relatif de ma couche, je dormis très bien. Pourtant, je sentis soudain que ma kippa tombait. Je me réveillai en sursaut et voulus aussitôt la récupérer. J’eus alors la sensation d’une main invisible qui ramassait ma kippa et me la remettait sur la tête.
Cette anecdote peut, me semble-t-il, susciter tant l’étonnement que l’incrédulité, et peut-être certains lecteurs, sceptiques, penseront que ce n’était qu’un rêve. Mais je suis pourtant certain que c’est réellement arrivé.
Lorsque je racontai cela à mon fils, Rabbi Raphaël, et à Rav Moché Mirally, mon accompagnateur, ils me demandèrent si cela ne m’effrayait pas. Je les détrompai, étant certain de ne pas avoir eu affaire aux forces impures, qui auraient plutôt cherché à m’empêcher de récupérer ma kippa. Au contraire, cette main n’avait visé qu’à me la remettre rapidement sur la tête.
Du Ciel, on avait certainement voulu me montrer que ce renoncement au confort douillet de la chambre, qui m’avait été préparée au départ, pour me contenter d’un sous-sol où de mauvaises pensées ne viendraient pas me perturber, avait été très apprécié.
PERLES SUR LA PARACHA
La pensée d’un impie
« J’aime mieux te la donner que de la donner à un autre époux : demeure avec moi. » (Béréchit 29, 19)
Comment comprendre cette phrase, prononcée par Lavan à Yaakov ? Généralement, un impie refuse de donner la main de sa fille à un homme fidèle à la Torah et aux mitsvot. Pourquoi donc Lavan préféra-t-il que sa fille épouse Yaakov plutôt qu’Essav ?
Le Maharam Chik zatsal nous éclaircit sur les motivations secrètes de Lavan : si sa fille, qui était Tsadékèt, se mariait avec un mécréant, elle parviendrait sans doute à le rendre Tsadik ; il était donc préférable qu’elle se marie avec un homme déjà Tsadik. Ainsi, ce mariage ne risquait pas d’augmenter le nombre de Tsadikim dans le monde.
Le pouvoir d’un mot
« Ra’hel, voyant qu’elle ne donnait pas d’enfants à Yaakov, conçut de l’envie contre sa sœur et dit à Yaakov : “Rends-moi mère, autrement j’en mourrai !” Yaakov se fâcha contre Ra’hel. » (Béréchit 30, 1-2)
A priori, la réaction de Yaakov est surprenante : au lieu de consoler sa femme se désolant de ne pas encore avoir eu d’enfant, il lui répond durement.
Le Or Ha’haïm explique que le patriarche tint rigueur à Ra’hel pour s’être exprimée à son sujet en termes de mort. Il craignait en effet que ceci n’ait de fâcheuses conséquences.
Dans la section de Vayigach, nous trouvons que le Saint béni soit-Il dit à Yaakov : « Moi-même, Je descendrai avec toi en Egypte ; Moi-même aussi Je t’en ferai remonter ; et c’est Yossef qui te fermera les yeux. » Le Or Ha’haïm s’interroge sur le sens de cette promesse divine selon laquelle ce serait Yossef qui enterrerait Yaakov.
Il répond que, du fait que Yaakov avait plusieurs fois mentionné la mort de Yossef – « Yossef a été mis en pièces » et « Je rejoindrai mon fils dans la tombe » –, l’Eternel devait lui assurer que ses paroles n’étaient pas un lapsus significateur et qu’il n’avait pas à craindre la mort de son fils.
De vaines paroles
« Lavan dit à Yaakov : “Tu vois ce monceau, tu vois ce monument que j’ai posé entre nous deux.” » (Béréchit 31, 51)
Dans son ouvrage Taama Dékra, Rav ‘Haïm Kanievsky chelita affirme, au nom de son père zatsal, que le texte désire ici mettre en exergue combien Lavan était plongé dans le mensonge. En effet, il est écrit que Yaakov prit une pierre et demanda à ses fils d’en rassembler plusieurs autres afin d’en faire un monceau ; or, Lavan affirme avoir lui-même posé ce monceau, alors qu’il ne toucha même pas à ces pierres.
Un serment prononcé par peur
« Et Yaakov jura par le D.ieu révéré de son père Its’hak. » (Béréchit 31, 53)
Its’hak avait enseigné à Yaakov l’importance de ne pas jurer en vain, mais uniquement en cas de nécessité absolue.
C’est pourquoi, explique Rabbi Azaria Fijo zatsal, dans son ouvrage Bina Léitim, lorsque Yaakov se trouvait contraint de jurer, il le faisait tout en étant inspiré de crainte à l’égard de son père, qui l’avait mis en garde à ce sujet.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
La Torah élève l’homme
« J’ai séjourné auprès de Lavan et prolongé mon séjour jusqu’à présent. » (Béréchit 32, 5)
Rachi commente : « Et j’ai observé les six cent treize commandements. » L’Admour d’Alexander, que son mérite nous protège, explique, dans son ouvrage Yisma’h Israël, que l’homme qui réalise sa piètre valeur peut, simultanément, appréhender la grandeur du Saint béni soit-Il, alors que celui qui se croit grand risque, à D.ieu ne plaise, d’en venir à penser que l’Eternel est petit.
C’est sans doute ce que Yaakov voulait insinuer lorsqu’il a affirmé : « J’ai séjourné auprès de Lavan et j’ai observé toute la Torah », à savoir, que le fait d’accéder au statut de prince ne l’intéressait nullement, car il avait compris que tout ce qui existait dans ce monde n’était que vanité, à l’exception de la Torah.
De même, il est rapporté que Rabbénou Hakadoch, pourtant très opulent, a affirmé n’avoir jamais profité en rien de ce monde, serait-ce de son petit doigt (Kétouvot 104a). Pourtant, en tant que président du Sanhédrin, ne bénéficiait-il donc pas d’honneurs qui lui revenaient de droit ? Cette affirmation de Rabbi signifie en fait qu’il n’était attaché qu’à la Torah et n’éprouvait donc aucun plaisir à profiter de quoi que ce fût de ce monde. Tel est également le sens de la déclaration de Yaakov : après avoir goûté à la Torah, il ne désirait plus devenir un prince, car la Torah elle-même offre à l’homme une élévation spirituelle, rendant inutile toute autre distinction.
J’ai entendu un Rav raconter que, lorsqu’on célébrait la Hilloula du Maguid de Mezritch, que son mérite nous protège, les hommes avaient l’habitude de prendre la cuillère avec laquelle il mangeait et de danser autour d’elle, en s’exclamant : « C’est avec cette cuillère que mangeait le Maguid ! »
J’ai pensé que ce type de célébration pouvait être mis en parallèle avec l’anecdote suivante, rapportée par nos Sages. Un Tana passa à un certain endroit où il remarqua une pierre ; il s’agenouilla alors pour l’embrasser. Lorsqu’on lui demanda la raison de son comportement, il expliqua que Rabbi Eliezer ben Hourkenos avait l’habitude de s’asseoir sur cette pierre pour étudier la Torah ; celle-ci était ainsi devenue assimilable au mont Sinaï. De même, les ’hassidim qui dansent autour de la cuillère du Maguid de Mezritch s’appuient sur le raisonnement suivant : si déjà une pierre inanimée peut acquérir de la sainteté, combien plus la cuillère qui a permis de renforcer le corps d’un juste pour son service divin peut-elle en emmagasiner !
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Ne pas manquer une opportunité
« Yaakov sortit de Beerchéva : quand un Tsadik est dans une ville, il en représente la beauté, l’éclat et la majesté. » (Rachi sur Béréchit 28, 10)
Ce commentaire, relatif au départ de Yaakov de Beerchéva, peut nous mener à la réflexion suivante.
Yaakov n’était ni le Rav de la ville, ni n’y prêchait des sermons. Il était simplement assis dans son coin, cloîtré dans son intérieur où il étudiait la Torah en toute discrétion, comme le souligne le texte : « Un homme intègre, assis sous les tentes. » Et pourtant, la Torah atteste qu’il était la beauté, l’éclat et la majesté de Beerchéva.
Il en ressort, souligne Rabbi Eliezer Tourk chelita, que l’influence d’un juste sur son entourage ne se mesure pas à son degré d’implication dans les affaires communautaires ni à sa proéminence par rapport à ses concitoyens. Il peut arriver qu’il vive retiré chez lui, mais que son influence s’étende bien au-delà de ces frontières, au point qu’il représente la figure de gloire de la ville.
Ce principe important répond également à la célèbre question : pourquoi ne dit-on pas que les départs d’Avraham et d’Its’hak de leurs villes se firent ressentir ?
Car ces derniers étaient très opulents et honorés par les autres habitants. En outre, ils enseignaient la Torah et la foi en D.ieu dans le monde entier. Par conséquent, il est évident que, lorsqu’ils quittèrent leur lieu d’habitation, cet événement ne passa pas inaperçu, ce pour quoi nos Sages ont estimé qu’il n’y avait pas lieu de le préciser.
Par contre, nous aurions pu penser que la présence de Yaakov à Beerchéva et son départ de cette ville ne marquèrent pas ses concitoyens, du fait de sa personnalité discrète et retirée. Aussi, la Torah nous détrompe-t-elle, nous enseignant qu’un juste influe toujours sur son entourage, même s’il reste confiné dans la tente de la Torah.
Dans son ouvrage Imré Daat, Rabbi Zalman Rottberg zatsal, Roch Yéchiva de Beit Meïr, écrit qu’il a eu le mérite de dormir durant environ deux semaines dans la même chambre que son Maître, le Gaon Rabbi Chimon Chkop zatsal, Roch Yéchiva de Groudna et auteur du Chaaré Yocher. Pour reprendre ses propos, ces quelques jours dans la proximité de ce géant « restèrent à jamais gravés dans [son] cœur et dans [son] âme ».
Il décrit plusieurs points qu’il releva durant cette période. Il explique que cette même personnalité dont les élèves eurent le mérite de jouir de l’éclat, lorsqu’il leur donnait ses profonds cours, qui épanchait son cœur lors de ses prières pures et accueillait ses élèves et tous les autres gens désireux de bénéficier de son influence d’un visage avenant, s’était imposée un peu de repos à son esprit fatigué d’efforts intensifs de concentration, afin de respecter l’ordre de la Torah : « Prenez donc bien garde à vous-mêmes. »
Il profita également pour observer le déroulement de la journée de son Maître. La manière dont il gérait ses besoins physiques et spirituels constitua, pour lui, « de profondes leçons concernant le service divin ». Il nota que, peu avant son sommeil et durant celui-ci, les lèvres de Rabbi Chimon chuchotaient des chapitres de la Michna, habitude qu’il commenta ainsi : « Par cette pratique, Rabbi Chimon répondait à la nécessité du sommeil, dans sa faculté de permettre à l’homme l’approfondissement et l’intégration personnelle de la Torah pour la transmuter en une réalité palpable. »
Toute sa vie durant, Rabbi Zalman ne cessa de rappeler l’insigne mérite qu’il eut de côtoyer de près son Maître durant quelques jours. Car, la proximité d’un juste et érudit représente une opportunité unique aiguisant notre esprit par son exemple de Torah vivante.
Ceux qui, à l’inverse, manquent de telles opportunités ne cessent de s’en lamenter. Ce fut le cas, par exemple, de Rabbi Moché Chmouel Chapira zatsal, Roch Yéchiva de Beer Yaakov, qui, durant sa jeunesse ne profita pas de l’occasion de voir le ‘Hafets ‘Haïm.
En effet, il arriva que ce Sage soit de passage à Bialistok pour y prononcer des paroles de renforcement, alors que Rabbi Moché Chmouel était un jeune enfant de sept ou huit ans. Son père, Rabbi Arié Shapira zatsal, président du tribunal rabbinique de la ville, avait insisté pour qu’il l’accompagne accueillir le juste et écouter son sermon. Mais il avait refusé, préférant continuer à jouer avec ses petits camarades.
Des dizaines d’années plus tard, Rabbi Moché Chmouel évoquait tristement cet épisode, les larmes aux yeux. « Une opportunité unique s’était présentée à moi et je l’ai négligée ! », concluait-il amèrement.