Parachat Vayéchèv 21 Décembre 2024 כ' כסלו התשפ"ה |
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Le comportement de Réouven et les lumières de ’Hanoukka
Rabbi David Hanania Pinto
« Réouven l’entendit et voulut le sauver de leurs mains. Il dit : “N’attentons point à sa vie.” Réouven leur dit donc : “Ne versez point de sang ! Jetez-le dans cette citerne qui est dans le désert, mais ne portez point la main sur lui.” » (Béréchit 37, 21-22)
Il est écrit : « Les mandragores répandent leur parfum ; à nos portes se montrent les plus beaux fruits » (Chir Hachirim 7, 14). Le Midrach interprète ce verset en expliquant qu’il existe un lien entre l’intervention de Réouven pour sauver Yossef et les lumières de ’Hanoukka : les mandragores font allusion à Réouven, tandis que les portes symbolisent les lumières de ’Hanoukka. A première vue, ce Midrach semble incompréhensible. Quel rapport existe-t-il donc entre ces deux éléments ?
Réouven comprit que, lorsque sa mère donna les mandragores qu’il lui avait apportées à Ra’hel, elle fit preuve d’une grande vaillance. En effet, ces fruits symbolisaient le niveau spirituel atteint par son fils, parvenu à maîtriser son désir de les consommer et s’étant gardé de les voler (Sanhédrin 99b). Réouven, l’aîné des tribus, donnait ainsi à ses frères un exemple de retenue. Léa ne tenait pas à ces plantes dans le seul but de les consommer, mais, bien plus, afin d’en ressentir un plaisir intense, par leur signification profonde, la bravoure de son fils. Néanmoins, elle fut prête à les céder à Ra’hel.
Plus tard, lorsque Réouven perturba la couche de son père, en la déplaçant de la tente de Bilha vers celle de Léa, Yaakov se mit en colère contre lui. Il le réprimanda pour n’avoir pas su, à cette occasion, utiliser sa force de retenue et avoir réagi avec intrépidité. Moralité : celui qui possède une vertu doit l’utiliser avec constance.
Le verset « Les mandragores ont répandu leur parfum » signifie que Réouven possédait le potentiel nécessaire pour surmonter ses instincts naturels – l’attirance pour la nourriture, ainsi que les autres désirs. L’expression « A nos portes se montrent les plus beaux fruits » fait référence aux lumières de ’Hanoukka, c’est-à-dire aux mitsvot. En d’autres termes, celles-ci sont à la portée de tout Juif, qui a la possibilité de les accomplir de façon continue, comme il est dit : « Le Saint béni soit-Il a voulu rendre le peuple juif méritant, c’est pourquoi, Il a augmenté, en sa faveur, la mesure de la Torah et des mitsvot. » (Makot 23b) A présent, le verset semble plus cohérent : lorsqu’un homme se montre à la hauteur et maîtrise son mauvais penchant dans le but d’accomplir une mitsva – « les mandragores ont répandu leur parfum » –, il enclenche une série interminable de mitsvot – « à nos portes se montrent les plus beaux fruits » – qu’il lui incombe d’accomplir sans relâche.
Les lumières de ’Hanoukka sont à cette image : chaque jour, on en allume une de plus, pour finalement accomplir la mitsva de façon complète. Le message que Réouven retira de la remontrance de son père pénétra son essence profonde, puisqu’il se distingua une nouvelle fois par sa vertu de retenue en sauvant Yossef. En effet, Yaakov avait montré sa préférence pour ce dernier, qui avait donc, en quelque sorte, pris à Réouven sa place d’aîné. Or, en dépit de cela, Réouven sut se maîtriser et intervenir pour le sauver. En outre, lorsque Léa donna à Ra’hel les mandragores, Réouven n’émit aucune objection.
Ajoutons que la mitsva d’allumer les lumières de ’Hanoukka n’atteint sa plénitude que lorsqu’on allume les huit bougies, le huitième jour de la fête – conformément à l’école d’Hillel selon laquelle « on cherche à progresser dans la sainteté » (Chabbat 21b). Or, Réouven ne put atteindre la perfection dans sa vertu de retenue, à cause d’une seule occasion où il négligea d’utiliser ce potentiel enfoui en lui.
Nous lisons la section hebdomadaire de Vayéchev pendant la fête de ’Hanoukka. L’expression « A nos portes se montrent les plus beaux fruits » fait référence aux lumières de cette fête, allumées au seuil de notre maison, en face de la mézouza. De plus, chaque jour de ’Hanoukka, nous lisons le passage de la Torah rapportant les sacrifices des princes lors de l’inauguration du tabernacle. Cette lecture vise à nous rappeler que, de même que les tribus étaient à ce moment-là unies et que chaque prince apporta sa contribution personnelle au tableau général, nous devons veiller à éviter tout désaccord au sein de notre peuple.
Il est écrit (Zohar III 73a) : « Les enfants d’Israël, la Torah et le Saint béni soit-Il ne font qu’un. » Les lumières de ’Hanoukka symbolisent la Torah ; nous les allumons pendant huit jours, valeur numérique de la première lettre de cette fête. De plus, le chiffre huit (chémoné) est composé des mêmes lettres que le terme néchama (âme) et que le mot hachémen (l’huile). Le peuple juif est comparé à l’huile, car, de même que cette substance ne se mélange jamais à l’eau et remonte toujours à la surface, nous reprenons toujours le dessus suite aux exterminations des autres nations.
Or, si nous désirons être en mesure d’accomplir les mitsvot de façon parfaite, nous devons être solidaires les uns des autres, tout Juif étant intrinsèquement lié à son prochain. L’union représente la condition sine qua non garantissant notre survie. A ’Hanoukka, nous disons : « Pendant ces jours-là, à cette époque-ci. » A chaque génération, il nous incombe de nous élever au niveau de solidarité qui régnait du temps de l’inauguration du tabernacle. Le mot ’hanoukka a la même signification que cet événement (’hanoukkat hamizbéa’h), du fait qu’il nous rappelle notre obligation de nous éduquer (lé’hanekh) à l’amour et la solidarité réciproques. Chémoné fait référence à la néchama, tandis que les lumières représentent la Torah, notions qui se recoupent toutes.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « Ainsi parle l’Eternel : “A cause du triple (…)” » (Amos chap. 2 et 3)
Lien avec la paracha : cette haftara fait allusion à la vente de Yossef par le verset « parce qu’ils vendent le juste pour de l’argent », sujet largement développé dans la paracha.
CHEMIRAT HALACHONE
La permission de se méfier
La permission de nos Sages de se méfier de paroles de médisance entendues n’a été donnée qu’afin de se préserver d’un préjudice. Cependant, il est interdit d’agir de quelle que façon que ce soit à l’encontre de la personne dont on se méfie, ni de l’humilier ou de lui causer le moindre dommage. Plus encore, il est même défendu, d’après la Torah, de la haïr dans son cœur.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Rancune et vengeance
En Eloul 5765, la semaine de la paracha de Choftim, je me trouvais à Montréal, au Canada, où j’avais été invité à prendre la parole devant une importante assemblée. Avant cette intervention, je reçus les personnes souhaitant recevoir des conseils ou bénédictions – parmi elles se trouvait un homme, accompagné de sa femme et de ses enfants.
Au cours de cet entretien, je réalisai qu’il n’avait pas l’intention de rester pour le cours, et insistai pour qu’il le fasse, en disant : « Ne partez pas encore, car nous sommes au mois d’Eloul – le moment idéal pour la téchouva et les bonnes actions. Un cours de renforcement en cette période ne peut faire de mal à personne. »
Il décida donc de suivre mon conseil et entra dans la salle avec sa femme et ses enfants. Au cours de mon intervention, j’évoquai les interdits édictés par la Torah de recevoir des pots-de-vin, ainsi que de garder rancune ou de se venger.
Quand j’eus terminé, cet homme, visiblement très ému, vint m’embrasser la main et me remercier. « De toutes les personnes venues vous parler avant votre cours, je suis la seule à laquelle vous avez demandé de rester, ce qui était d’autant plus étonnant que mes enfants m’accompagnaient et que leur présence aurait pu déranger. »
Je ne voyais toujours pas où cet homme voulait en venir, ce que je compris ensuite : « Tout votre cours m’était apparemment destiné directement ! Car j’avais l’intention de me venger d’un certain Rav, du fait qu’au cours d’un din Torah, il avait donné raison à mes opposants. Cependant, maintenant que j’ai entendu votre intervention, je comprends qu’il m’est interdit de garder rancune ou de chercher à me venger de lui et que je dois accepter son verdict.
« En outre, en y réfléchissant bien, j’ai réalisé qu’il avait raison, et c’est pourquoi je vous remercie de m’avoir ouvert les yeux et détourné de ces mauvaises pensées de rancune et de vengeance. Grâce à vous, j’ai échappé à la faute. »
« Ce n’est pas moi qu’il faut remercier, rétorquai-je. Je n’ai été qu’un intermédiaire désigné par D.ieu pour que vous ouvriez les yeux et ne fautiez pas. Réfléchissez bien, ajoutai-je. Peut-être avez-vous dernièrement accompli une bonne action grâce à laquelle vous avez mérité cette intervention providentielle et qui vous a sauvé de cette grave faute… »
PAROLES DE TSADIKIM
Pourquoi les oiseaux sont venus près du lit de Rav Steinmann
« Yaakov demeura dans le pays des pérégrinations de son père. » (Béréchit 37, 1)
Avant d’arriver dans le pays des pérégrinations de son père, Yaakov subit de difficiles épreuves. Lavan et Essav le firent souffrir, tandis qu’il eut des soucis avec deux de ses enfants, Dina et Yossef. En marge du verset « Je ne connais plus paix, ni sécurité, ni repos : les tourments m’ont envahi », nos Sages (Pirké de Rabbi Eliezer) commentent que Yaakov n’avait pas de paix à cause de Lavan, pas de sécurité à cause d’Essav, pas de repos à cause de Dina, tandis que des tourments l’envahirent concernant Yossef.
Pour quelle raison le patriarche devait-il passer par toutes ces souffrances avant d’avoir droit au repos ?
Dans le Midrach Talpiot, il est écrit au nom de l’auteur du Galé Razia que Yaakov devait subir toutes ces épreuves afin de ne pas tomber dans le travers de l’orgueil. S’il avait joui de paix et de sérénité, il se serait en effet enorgueilli devant Essav. Or, « tout cœur hautain est en horreur à l’Eternel », aussi la Présence divine se retire-t-elle de cet individu. En son absence, ce dernier perd également l’assistance divine, sans laquelle ses actes ne peuvent être couronnés de réussite. C’est pourquoi D.ieu confronta Yaakov à l’adversité et le priva de la tranquillité, afin qu’il se sente abattu et éprouve un sentiment de bassesse. A l’abri du vice de la fierté, il mériterait de pouvoir s’installer dans le pays des pérégrinations de son père sans craindre les visées offensives d’Essav.
Il est important de prendre conscience que toutes les difficultés rencontrées sont l’expression de la main divine à l’œuvre. Leur raison profonde nous échappe certes, mais ce qui est certain, c’est qu’après les avoir surmontées, nous avons gagné une chose : l’annihilation de notre fierté. Car, celui qui jouit d’une sérénité constante risque fort de tomber dans ce travers, haï par D.ieu.
Une des vertus marquantes de Rabbi Aharon Leib Steinmann zatsal, qu’il transmit au peuple juif, était son extrême humilité, sa fuite des honneurs et de la fierté. D’après lui, une grande part des difficultés rencontrées par les gens est à imputer à leur fierté.
Un de ses fidèles proches, Rav Its’hak Lévinstein zatsal, raconte l’histoire qui suit à son sujet.
L’une des fois où le Rav Steinmann dut se faire hospitaliser à Mayané Hayéchoua, dès l’annonce de son arrivée, on chercha à lui donner la chambre la plus confortable du service. Mais, après vérification, il s’avéra qu’elle était déjà occupée par un vieux Juif distingué. On ne savait comment lui présenter la nécessité d’être transféré dans une autre chambre.
La chef de service se dévoua pour remplir cette tâche délicate. Elle lui expliqua que le Gadol hador devait être hospitalisé et qu’on cherchait à lui assurer un repos optimal, ce que seule cette chambre pouvait lui offrir. Le vieillard se réjouit beaucoup de pouvoir accomplir un acte de charité envers cette sommité religieuse et accepta immédiatement de rejoindre une autre pièce.
Quelques jours plus tard, lorsque Rav Steinmann put quitter l’hôpital, ses proches lui racontèrent qu’un vieux Juif, hospitalisé dans l’une des chambres voisines, lui avait cédé la plus confortable ; il méritait donc qu’il lui donne sa bénédiction.
Lorsque le juste entendit cela, il dit : « Je comprends maintenant ce qui explique la présence continuelle de ces pigeons sur le bord de la fenêtre de ma chambre d’hôpital. J’étais étonné qu’ils ne bougeaient pas de là. Il est écrit, dans les ouvrages saints, que les oiseaux purs ont l’habitude de se figer à un endroit saint, mais je ne voyais pas quelle était la source de cette sainteté. A présent, tout s’éclaircit : cette chambre était occupée par un vieillard ayant accompli un acte noble de renoncement en faveur d’autrui. Une telle conduite diffuse immédiatement de la sainteté, d’où la présence de ces pigeons. »
Maran ne pensa pas un seul instant avoir lui-même attiré ces oiseaux par la sainteté émanant de sa personne. Il ne comprit pas leur présence, jusqu’à ce qu’il en trouvât l’explication, mais bien-sûr, en-dehors de lui. Telle est la véritable humilité – un éloignement absolu de toute pointe de fierté.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
L’effacement de Yossef devant ses frères
« Voici les générations de Yaakov : Yossef, âgé de dix-sept ans, menait paître les brebis avec ses frères. Passant son enfance avec les fils de Bilha et ceux de Zilpa, épouses de son père, Yossef débitait sur le compte des autres frères des médisances à leur père. » (Béréchit 37, 2)
Il est écrit : « Voici les générations de Yaakov : Yossef », pour nous enseigner que, de la même façon que notre patriarche Yaakov avait l’habitude de s’effacer devant les autres, ainsi Yossef le juste était animé de la même modestie. En effet, après tout ce que ses frères lui ont fait endurer, il ne leur a pas tenu rigueur et a continué à se comporter humblement à leur égard, faisant preuve d’une grande vaillance.
Le nom Yaakov est formé à partir de la lettre Youd et du mot akev. Akev, le talon, est un petit membre modeste, situé à l’endroit le plus bas du corps humain ; pourtant, il permet à l’homme de se tenir debout. De même, la lettre Youd est la plus petite de toutes, mais elle est toujours écrite au-dessus de l’interligne, signe de sa supériorité. Yaakov se diminuait toujours face à ses frères ; cependant, une place lui était réservée dans les hauteurs et il est devint l’élite des patriarches.
« Les actes des patriarches sont un signe prémonitoire pour leurs descendants. » Yossef apprit de son père comment se comporter. C’est pourquoi, il resta humble devant ses frères, même lorsqu’il fut nommé vice-roi d’Egypte. Avant que ses frères ne reprennent la route pour Canaan, Yossef leur dit : « Ne vous affligez point. » (Béréchit 45, 5) Car la Présence divine ne peut résider qu’en celui qui se trouve dans la joie. Pour cette raison, il les a encouragés à être joyeux, afin qu’ils puissent avoir l’inspiration divine et que leur soit révélée la vérité, à savoir que « c’est ma bouche (pi) qui vous parle » (ibid. 45, 12). Le mot pi fait référence au fait que Yossef a eu une conduite irréprochable sur le plan sexuel, ce qui constituait la preuve qu’il n’avait pas réellement médit de ses frères (car autrement, la médisance aurait porté atteinte à la sainteté de sa mila).
Nous comprenons, à présent, pourquoi il est écrit : « Voici les générations de Yaakov : Yossef », parce que les nobles vertus possédées par Yaakov se retrouvèrent chez Yossef.
PERLES SUR LA PARACHA
Un principe fondamental dans l’éducation
« Yaakov demeura dans le pays des pérégrinations de son père. » (Béréchit 37, 1)
Rachi explique que, lorsque le patriarche voulut s’installer paisiblement dans le pays, des soucis lui vinrent du côté de Yossef. Le Machguia’h Rabbi ‘Haïm Frielander zatsal en déduit un principe fondamental dans l’éducation (rapporté dans l’ouvrage Kol Ram).
Il va sans dire que l’Eternel désire accorder la sérénité aux justes, conformément à cet enseignement de nos Sages : « Heureux les justes qui le méritent. » (Horayot 10b) Mais notre verset fait ici allusion à l’éducation des enfants. Yaakov pensait qu’il n’avait plus besoin de s’inquiéter à ce sujet, puisque tous ses enfants avaient emprunté la bonne voie. Survint alors l’épisode de Yossef, visant à lui rappeler son devoir permanent dans ce domaine.
Nous en déduisons que, même un père ayant des enfants déjà grands et pieux ne doit jamais détourner son attention de leur éducation, mais au contraire veiller à la poursuivre en les réprimandant et en leur indiquant la bonne manière de se conduire.
Subjuguer son penchant par la foi
« Il s’y refusa en disant à la femme de son maître : “Vois, mon maître ne me demande compte de rien dans sa maison, et toutes ses affaires il les a remises en mes mains.” » (Béréchit 39, 8)
Rapprochant le verbe vayémaen (il refusa) du verbe vayéamen (il eut foi), l’auteur de l’ouvrage Ilana dé’hayé explique, au nom de Rav Chlomo ‘Haïm de Kodnaw zatsal, que Yossef parvint à subjuguer son mauvais penchant grâce à sa foi pure.
Il ajoute que le neume biblique figurant en-dessous de ce terme, une chalchélèt, vient souligner que Yossef dut repousser plusieurs fois les avances de la femme de Potifar.
Comment identifier le mauvais penchant
« Et comment puis-je commettre un si grand méfait et offenser le Seigneur ? » (Béréchit 39, 9)
Qu’est-ce qui permit à Yossef de trancher, de manière si certaine, qu’il s’agissait d’une faute ? D’après nos Maîtres, la femme de Potifar était animée d’intentions pures, car elle avait vu, par inspiration divine, qu’elle devait lui donner des enfants. Vraisemblablement, elle lui fit part de sa pureté d’intentions et essaya de le convaincre en le persuadant que cet acte était permis. D’où Yossef savait-il donc que, au contraire, cela reviendrait à un péché ?
Le Sfat Emèt explique que ses nombreuses insistances et son refus de céder constituèrent, pour lui, une preuve que le mauvais penchant était le moteur de sa conduite. En effet, cet éternel adversaire de l’homme ne lâche jamais prise.
Le Gaon de Vilna (sur Routh 1, 18) développe cette idée en expliquant que Naomi accepta que Routh la suive parce « qu’elle s’efforçait de marcher ». Celui qui désire déterminer la source de ses motivations, en l’occurrence le bon ou le mauvais penchant, vérifiera si, au moment où il accomplit l’acte, ses membres sont lourds ou légers. Dans le premier cas, il sera sans doute en train d’exécuter une mitsva, poussé par son bon penchant, tandis que, dans le second, il aura suivi les incitations de son mauvais penchant. En effet, comment les membres du corps humain, de lourde constitution, formés à partir de poussière, pourraient-ils s’empresser d’accomplir la volonté divine ? Cela ne peut être dû qu’aux incitations du mauvais penchant, cherchant à le faire ensuite tomber dans ses filets.
Pour en revenir à l’histoire de Routh, le fait qu’elle avançait péniblement, en fournissant des efforts, constitua pour Naomi une preuve qu’elle avait été poussée par le bon penchant. Son mauvais penchant, désirant lui augmenter la difficulté de cette marche vers le bien, alourdit ses membres.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
Si quelqu’un se trouve dans une voie sans issue, un profond abîme lui faisant face et des ennemis avides de le tuer à ses trousses, il lui est préférable de sauter dans l’abîme que de tomber entre les mains de ces derniers, conformément à la décision du roi David : « Livrons-nous cependant à la main de l’Eternel, car Il est plein de miséricorde, plutôt que de tomber dans la main de l’homme. » (Chmouel II 24, 14)
Car, quand un homme croyant est confronté à un danger, il ne se repose que sur D.ieu qu’il implore de toutes ses forces. Le Tout-Puissant, exerçant sur lui Sa Providence, lui accorde alors un miracle. Par contre, lorsqu’il se tient face à un ennemi, il a tendance à chercher un moyen de s’en sortir en s’adressant à celui-ci, oubliant de tourner les yeux vers le Ciel. En conséquence, le Saint béni soit-Il retire quelque peu Sa Providence de lui et il devient vulnérable à son ennemi. S’il oublie totalement la réalité divine et ne perçoit plus que l’être humain se tenant face à lui, D.ieu le soustraira totalement à Sa Providence et il tombera immanquablement dans les mains de son adversaire.
Les commentateurs expliquent dans cette optique l’épisode au cours duquel Yossef fut jeté dans le puits. Ses frères avaient décidé de le tuer. Réouven, réalisant leur détermination, voulut le sauver de leurs mains. Aussi, leur suggéra-t-il de le jeter dans un puits vide. Vide d’eau, souligne Rachi, mais non pas de scorpions et de serpents venimeux…
A priori, ceci ne manque de nous surprendre : en quoi sa suggestion sauverait-elle la vie de Yossef ? En toute logique, ces animaux le piqueraient et causeraient sa mort. S’il était livré à ses frères, il pourrait au contraire les prier de lui laisser la vie sauve.
Dans son ouvrage Gan Haémouna, Rabbi Chalom Arouch chelita explique que Réouven comptait sur le fait que, face au danger du puits, Yossef, animé d’une puissante foi en D.ieu, se tournerait immédiatement vers Lui, Le suppliant de tout son cœur de le sauver. Car, telle est bien la condition posée par D.ieu à la nature : dès l’instant où l’homme L’implore de tout son être, la nature se doit de déroger à ses habitudes en sa faveur. Il est rapporté à ce sujet (Likouté Halakhot, birkot hacha’har) : « Le Saint béni soit-Il a posé à la mer la condition de se fendre devant le peuple juif. Cela signifie que l’Eternel a averti la nature et tous les anges préposés à la conduite du monde de leur devoir de se comporter ainsi : dès que les enfants d’Israël prieraient pour modifier les lois de la nature, ils devraient se plier à leur volonté. La mer devrait s’assécher, le soleil s’arrêter de tourner, le feu renoncer à son pouvoir de brûler et les lions à leur tendance à déchiqueter. »
Aussi, en proposant à ses frères de jeter Yossef dans un puits, Réouven était persuadé qu’il lui sauvait la vie, malgré la présence de serpents et de scorpions. Tel est bien le sens des mots : « Et il le sauva de leurs mains », exprimant la certitude et non l’espoir de le sauver. Car, les justes sont conscients de l’extraordinaire pouvoir de la prière. Ils savent pertinemment que, lorsque l’homme implore l’Eternel, la nature se modifie aussitôt.
Par contre, Réouven ne compta pas sur la foi de Yossef dans le cas où il devrait confronter un homme. Connaissant la difficulté d’une telle épreuve, il craignait que Yossef, pris dans la confusion, n’y succombe, en implorant ses frères de l’épargner au lieu de s’adresser au Très-Haut. D’ailleurs, la confession prononcée plus tard par les tribus prouve qu’il les supplia : « En vérité, nous sommes punis à cause de notre frère ; nous avons vu son désespoir lorsqu’il nous criait grâce, et nous sommes demeurés sourds. » (Béréchit 42, 21) Du fait que la confrontation avec ses frères l’aurait mené à compter sur eux, et pas uniquement sur D.ieu, il n’aurait plus bénéficié de Sa pleine Providence et ses frères auraient donc été à même de le tuer.
Par contre, en étant jeté dans une citerne emplie de serpents et de scorpions, Yossef n’avait vers qui se tourner, si ce n’était vers son Père céleste qu’il implora de toutes les fibres de son être, ce qui lui valut Son secours.
Sache devant Qui tu te tiens
Il en ressort que celui qui doit faire face aux persécutions d’autrui – par exemple un conducteur arrêté par un policier ou quelqu’un importuné par des membres de sa famille – doit décider fermement devant qui il se tient, dans l’esprit de l’adage : « Sache devant Qui tu te tiens. » Si, animé d’une puissante foi en D.ieu, il ressent qu’il se tient devant Lui et non face à un adversaire de chair et de sang, il ne cherchera pas à influencer cet être doté du libre arbitre en le suppliant ou l’amadouant. A fortiori, il ne s’emportera pas contre lui, ne l’humiliera pas ni ne le maudira. Il se tournera plutôt vers Celui qui exerce Sa Providence sur lui et l’a confronté à cette épreuve, le seul en mesure de l’assister – le Créateur.
Même quand il arrive à l’homme de souffrir à cause d’un faux-pas de sa part qui, a priori, ne résulte que de son libre arbitre, il doit savoir que, si cette erreur aurait certes pu être évitée, une fois faite, il est tenu de croire qu’elle recèle un message du Créateur à son intention. C’est pourquoi il n’a aucune raison de culpabiliser et d’avoir mauvaise conscience.
Ce principe s’explique aisément. Un homme croyant sait indubitablement que, quand il a opté pour le bon choix, le Ciel l’y a aidé. Celui qui refuse de l’admettre manque de foi en D.ieu et a l’orgueil de se créditer ses réussites. C’est la raison pour laquelle nous avons l’habitude d’ajouter à nos phrases les expressions « avec l’aide de D.ieu», « grâce à D.ieu » etc. Mais, l’homme croyant doit aussi avoir foi dans le fait que, même s’il s’est trompé dans l’exercice de son libre arbitre, c’est uniquement parce qu’il n’a pu bénéficier de l’aide divine. Aussi, lui incombe-t-il d’accepter ses échecs avec foi et amour et d’en tirer leçon.
En conclusion, toute souffrance ou manque éprouvés par un homme doivent être perçus, avec foi, comme le fruit de la volonté divine.