Parachat Vayigache 4 Janvier 2025 ד' טבת התשפ"ה |
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La difficulté d’une introspection sincère
Rabbi David Hanania Pinto
« Et il dit à ses frères : “Je suis Yossef ; mon père vit-il encore ?” Mais ses frères ne purent lui répondre, car il les avait frappés de stupeur. » (Béréchit 45, 3)
D’après nos Sages (Midrach Tan’houma), au moment où Yossef révéla son identité à ses frères, ils voulurent le tuer. L’ange Gavriel vint alors pour les disperser.
Ceci ne manque de nous étonner. Comment ces princes de tribus qui, toute leur vie durant, se distinguaient par leur piété et se soumettaient à des examens de conscience pour déterminer s’ils avaient, ou non, bien agi, purent-ils envisager de tuer Yossef ?
Par exemple, avant de le vendre, ils réfléchirent quelle conduite adopter envers lui et arrivèrent à la conclusion qu’il fallait agir ainsi. C’est pourquoi, même face à la peine de leur père – comme il est dit : « Yaakov déchira ses vêtements et il mit un cilice sur ses reins et il porta longtemps le deuil de son fils » (Béréchit 37, 34) –, ils ne changèrent pas d’avis, car d’après eux, Yossef le méritait.
Néanmoins, les rêves de Yossef s’étaient à présent réalisés, il était devenu vice-roi de l’Egypte, mais parlait encore en langue sainte, tandis que ses fils étaient restés fidèles à la religion. Comment expliquer qu’à ce moment de vérité où ses frères comprirent qu’ils s’étaient trompés, ils désirèrent malgré tout le tuer ?
En outre, nous trouvons qu’à toute occasion, les frères de Yossef réfléchissaient s’ils avaient, ou non, bien agi en le vendant. S’il en est ainsi, comment expliquer qu’au moment où il se révéla à eux et où ils le virent à un poste si important, ils ne réalisèrent pas que le Créateur l’avait élevé à ce rang et qu’ils s’étaient donc amèrement trompés en le vendant ? Pourquoi persistèrent-ils dans leur volonté de le tuer, au point que l’ange Gavriel dut intervenir ?
C’est que, même lorsque l’homme fait une introspection et passe sa conduite à la loupe pour déceler d’éventuelles scories, il peut se leurrer dans son jugement en faisant son examen de conscience de manière incorrecte. Des commerçants faisant leur bilan peuvent également se tromper si leur estimation des gains et des pertes n’est pas juste.
Ainsi en fut-il des frères de Yossef. Bien qu’ils eussent quelque peu regretté leur conduite, lorsque vint l’heure de vérité, ils firent un nouvel examen de conscience, mais erroné. Ils se dirent : « Voilà l’homme que nous avions jugé passible de peine de mort, en tant que poursuivant. Maintenant qu’il se tient face à nous, profitons de cette opportunité pour exécuter notre verdict. » L’ange Gavriel descendit alors sur terre pour les en empêcher. Lorsqu’il les dispersa, ils comprirent leur erreur et, cette fois, regrettèrent pleinement leur conduite et se repentirent sincèrement. Dès lors, saisis d’effroi, ils furent incapables de lui répondre et se réconcilièrent avec lui.
C’est pourquoi, quand ils s’apprêtèrent à prendre la route du retour, Yossef leur dit : « Point de rixes durant le voyage ! » Yossef leur signifiait ainsi de ne pas s’accuser les uns les autres de s’être trompés dans leur jugement à son encontre, l’essentiel étant qu’ils avaient reconnu leur erreur et s’étaient pleinement repentis.
Nous en déduisons qu’une assistance divine particulière et un esprit droit sont les deux éléments indispensables à l’établissement d’un examen de conscience juste.
Parfois, il arrive qu’on lutte contre son prochain à cause de son comportement infidèle à la voie divine. En faisant une introspection, on arrive à la conclusion qu’on est animé d’intentions pures, celles de défendre l’honneur divin. Or, il se peut qu’en réalité, on se trompe, étant motivé de mobiles impurs comme des sentiments de vengeance ou de haine, dissimulés au fond de soi. Le mauvais penchant nous fait simplement croire qu’il s’agit d’une lutte désintéressée.
Par conséquent, il est indispensable d’apprendre à peser honnêtement ses actes sur une balance, en analysant chacun d’eux avec la plus haute précision, afin de déterminer sa réelle valeur. Il s’agit de bien réfléchir si l’Eternel, qui scrute les cœurs et les reins, retirerait de la satisfaction de l’acte qu’on s’apprête à exécuter, ou si, au contraire, il L’irriterait, à D.ieu ne plaise. Celui qui réfléchit ainsi peut être assuré qu’il est sur la bonne voie, celle d’une perpétuelle ascension spirituelle, et que tous ses actes sont désintéressés.
DE LA HAFTARA
Haftara de la semaine : « La parole de l’Eternel me fut adressée en ces termes : “Or, toi, fils de l’homme (…)” » (Yé’hezkel chap. 37)
Lien avec la paracha : la haftara mentionne les royaumes de Yéhouda et de Yossef qui finiront par se réunir, comme il est dit : « Or toi, fils de l’homme, prends une pièce de bois et écris dessus : “Pour Yéhouda et pour les enfants d’Israël, ses associés.” Puis, prends une autre pièce de bois et écris dessus : “Pour Yossef (…)” et elles seront réunies dans ta main. »
C’est également le sujet de notre paracha, où Yéhouda combat pour sauver son frère Binyamin et où, finalement, toutes les tribus se réunissent avec Yossef le juste, vice-roi de l’Egypte.
GUIDÉS PAR LA ÉMOUNA
Poser ses questions à un Rav
Un jour, un élève de la Yéchiva vint me poser une question sur un certain détail dans l’accomplissement des mitsvot. Au cours de la conversation, nous en vînmes à évoquer d’autres points et d’autres mitsvot. C’est ainsi que, de fil en aiguille, nous avons découvert que, sans y prêter attention, il transgressait une faute extrêmement grave.
Je lui en fis la remarque et lui montrai comment faire téchouva et la manière de procéder pour ne plus récidiver. Cela nous démontre l’importance de poser ses questions à un Rav.
Du fait que mon élève n’avait pas eu honte et était venu me demander le point de vue de la Torah sur un certain point, il eut le mérite qu’à un moment donné de la conversation, nous avons évoqué un autre domaine dans lequel il devait radicalement rectifier son comportement. Or, s’il n’était pas venu prendre conseil, qui sait combien de temps il aurait réitéré cette faute par ignorance ?
Tout dépend de la volonté
Un jour, une mitsva se présenta à moi, mais jusqu’à ce que je me libère pour l’accomplir, il était trop tard. Cela me désola au plus haut point et je me torturai à l’idée d’avoir laissé passer cette occasion.
Apparemment, du Ciel, on avait vu combien j’étais désolé d’avoir raté cette opportunité, et voilà que, quelques instants plus tard, une nouvelle occasion se présenta d’accomplir exactement la même mitsva. Grâce à D.ieu, cette fois-ci, elle ne m’échappa pas et j’eus le mérite de l’accomplir avec joie et de manière optimale.
Cela m’apprit une grande leçon : lorsqu’un homme regrette sincèrement d’avoir laissé passer une mitsva, on lui donne une nouvelle occasion de la réaliser, et ce, afin de lui montrer combien le Saint béni soit-Il apprécie ses mitsvot.
CHEMIRAT HALACHONE
Les hommes médisants
Il existe un point sur lequel de nombreuses personnes trébuchent malheureusement. Dans une ville, certains individus sont considérés comme pauvres et les autres habitants ont l’obligation de leur donner de la tsédaka. Il arrive parfois que quelqu’un médise d’eux en affirmant qu’en réalité, ils ne sont pas pauvres, mais feignent de l’être afin de tromper les gens. De tels propos dissuaderont nombre de leurs concitoyens de les soutenir financièrement comme ils en avaient l’habitude.
PAROLES DE TSADIKIM
Pourquoi le Rabbi de Baloujov se hâta-t-il vers Manhattan ?
« Tu nous donneras de la semence et nous vivrons au lieu de périr. » (Béréchit 47, 19)
Sur une feuille de paroles de Torah « Tiv Hakéhila », Rabbi Gamliel Rabinovitz chelita raconte l’histoire suivante au sujet de l’Admour de Baloujov zatsal.
Alors qu’il avait déjà atteint un âge avancé, approchant les quatre-vingt-dix ans, un Juif de sa connaissance vint le voir pour lui faire part de ses difficultés financières. « Comment pourrais-je vous aider ? » lui demanda-t-il.
L’homme répondit qu’il était propriétaire d’une usine de ceintures et avait un ami qui tenait un immense magasin de vêtements à Manhattan. Chaque mois, il vendait des milliers de pantalons. S’il était prêt à acheter les ceintures de son usine, il pourrait remettre son entreprise sur pied. Aussi désirait-il que le Rabbi lui téléphone pour lui proposer cette offre.
Face à cette requête, ce dernier se dit : « Aider un Juif à trouver son gagne-pain est une mitsva de la Torah, celle de soutenir son frère. On ne peut se contenter de l’accomplir par téléphone. Prenons donc la route pour Manhattan pour que je puisse rencontrer le patron du magasin et lui parler de vive voix. De cette manière, il considérera ma demande avec plus de sérieux. »
Interdit, l’autre se mit à s’excuser : « Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire. Je n’avais nullement l’intention de causer un tel dérangement au Rav. Je suis certain qu’un simple coup de téléphone suffit. »
Mais le Rabbi n’était pas prêt à renoncer. Il lui demanda : « Avez-vous une voiture ? »
« – Oui, répondit-il.
– Alors, prenons la route ! » s’exclama le Tsadik.
Malgré sa grande faiblesse, il se leva courageusement de sa place, prit sa canne et se mit à avancer doucement en direction de la voiture pour un long voyage.
Lorsqu’ils arrivèrent enfin à l’immense région commerciale de Manhattan, le Rabbi dut encore gravir quatre étages pour parvenir au magasin. Ils n’avaient pas prévenu le propriétaire de leur visite.
Celui-ci fut donc très surpris de voir le vieux Rabbi en personne face à lui, au seuil de sa boutique. Il s’empressa d’aller l’accueillir, lui souhaita la bienvenue et le fit entrer respectueusement dans son bureau. Là, il l’interrogea avec vénération sur le but de son déplacement. « Si le Rabbi avait besoin de vêtements, j’aurais été prêt à lui apporter à domicile tout ceux dont il avait besoin ! » s’étonna-t-il.
Le juste sourit et répondit : « Effectivement, je n’ai pas besoin de vêtements. Je savais que vous auriez eu la gentillesse de m’en livrer jusqu’à chez moi. Mais j’ai une autre demande à vous présenter : dans votre magasin, vous vendez de nombreux pantalons et la plupart d’entre eux ont besoin d’une bonne ceinture. Je connais un Juif de New York qui possède une usine de ceintures de qualité, belles et d’une grande variété. J’aimerais que vous lui achetiez sa marchandise. Il est bien préférable d’aider un Juif qu’un non-juif dans son gagne-pain. »
« Bien-sûr, répondit le gérant du magasin d’un ton joyeux. Je vais suivre vos directives. »
Le Rabbi lui donna une bénédiction pour la réussite de son affaire, puis reprit la route du retour.
Sa bénédiction s’accomplit pleinement en faveur de ces deux hommes d’affaires. Durant de nombreuses années, le propriétaire de l’usine fournit des ceintures à celui du magasin d’habillement, tandis que tous deux s’enrichirent.
DANS LA SALLE DU TRÉSOR
Rabbi David Hanania Pinto
Servir l’Eternel sans pression
La paracha de Vayigach est lue autour de ‘Hanouka, car un lien étroit existe entre les deux. Nous allumons les bougies de cette fête conformément à l’avis de l’école d’Hillel, chaque jour une supplémentaire pour, finalement, arriver au compte de huit. En hébreu, ce chiffre se dit chémoné, à rapprocher du terme néchama, signifiant âme. Car, seule cette gradation permet à l’homme d’allumer les lumières intérieures de son âme. En effet, il est impossible de se hisser en un coup au summum spirituel, car, le cas échéant, on risquerait de retomber bien vite. Il convient, au contraire, de s’élever de manière progressive, de s’armer de patience pour ajouter, quotidiennement, de nouvelles bonnes résolutions. Il s’agit d’avancer chaque jour un peu, à l’instar de Yossef le juste qui, comme son nom l’indique, ajouta continuellement. Par ce biais, l’homme aura le mérite de renforcer son lien avec le Saint béni soit-Il, chaque pas en avant le rapprochant de Lui.
Aujourd’hui, le problème central de notre génération est l’immense pression avec laquelle vivent les gens. Impatients, ils désirent avoir tout à leur disposition en un instant. Un jeune marié veut tout de suite avoir des enfants, ainsi qu’un gagne-pain très satisfaisant. Il veut avoir des meubles et encore bien d’autres choses. Mais, évidemment, on ne peut pas tout acquérir en une fois. L’homme est alors stressé, cherchant constamment à mettre la main sur ce qui lui manque, tandis que la longue route des épreuves est toute tracée devant lui.
Il en est de même concernant le service divin. Si, dès le départ, l’homme désire que sa prière soit entièrement pure, dénuée de toute pensée étrangère, que son étude de la Torah soit d’une assiduité irréprochable, perfection à laquelle il aspire également pour l’ensemble des mitsvot, il finira bien vite par s’effondrer sous ce joug trop pesant et sortira perdant. Car, il aura cherché à gravir trop rapidement la montagne de l’Eternel, à en atteindre immédiatement le sommet.
Nos Sages ont affirmé (‘Haguiga 17b) à ce sujet : « Tu as beaucoup acquis : [sache que] tu n’as rien acquis. » Aussi, a-t-on tout intérêt à envisager notre ascension à l’exemple de Yossef, en s’élevant chaque jour un peu plus dans la sainteté. Illustrons cette idée par l’exemple d’un homme désirant remplir une bouteille d’eau en la plaçant sous le robinet. S’il l’ouvre trop grand, pressé de terminer au plus vite, presque toute l’eau tombera à côté de la bouteille, où seules quelques gouttes entreront. Par contre, s’il se contente d’ouvrir un peu, cela prendra du temps, mais, au bout du compte, la bouteille sera remplie.
PERLES SUR LA PARACHA
Un envoi évocateur
« Pareillement, il envoya à son père dix ânes, chargés des meilleurs produits de l’Egypte. » (Béréchit 45, 23)
Rachi explique que le terme kazot (pareillement) signifie « selon ce compte-là ».
L’auteur de l’ouvrage Irin Kadichin rapporte la question qu’il a posée au Rav de Rozin : que vient nous apprendre Rachi par ce commentaire ? Le verset semblait clair par lui-même, détaillant ce que Yossef envoya à son père. En quoi les mots « selon ce compte-là » nous éclaircissent davantage ?
Il explique que, comme nous le savons, le Nom divin préposé au gagne-pain est ‘Hata’h, que l’on retrouve à travers les dernières lettres du verset : « Qui ouvre les mains (…). » Or, ce Nom a la même valeur numérique que le mot kazot.
Lorsque Yossef envoya des vivres à son père en cette période de famine, il le fit en évoquant allusivement le Nom ‘Hata’h, afin que Yaakov y médite, ce qui pourrait mettre fin à la disette.
D’où la précision de Rachi. Se demandant pourquoi le verset écrit kazot, alors qu’il détaille ensuite clairement la nature de l’envoi, il répond que ce terme signifie « selon ce compte-là », c’est-à-dire renvoie au Nom ‘Hata’h, de même valeur numérique, afin que le patriarche médite sur la Source du gagne-pain.
Ce qu’évoque la compagnie Osem
« Il vit les voitures que Yossef avait envoyées pour l’emmener et la vie revint au cœur de Yaakov leur père. » (Béréchit 45, 27)
Rachi explique que ces voitures (agalot) envoyées par Yossef à son père avaient une valeur symbolique : elles évoquaient le dernier sujet qu’ils avaient étudié ensemble, la génisse (égla) à la nuque brisée.
Lorsque Yaakov les vit, il se réjouit grandement, car il comprit ainsi que les pensées de son fils étaient restées pures, puisqu’il avait encore gardé à l’esprit la dernière souguia étudiée avant leur séparation. Il en fut si heureux que « la vie revint [à son] cœur ».
Mais, comment Yossef pensa-t-il que, lorsque son père verrait les chariots, il les relierait au sujet de la génisse à la nuque brisée ? Car il savait que l’esprit du patriarche n’était plongé que dans la Torah.
Dans la même veine, on raconte l’histoire qui suit. Autrefois, à l’entrée de Bné-Brak, il y avait une grande usine de la compagnie Osem. Elle se trouvait dans un énorme bâtiment, dont le mur extérieur portait l’inscription Osem en grandes lettres.
Un jour, Rav Avraham Gani’hovsky zatsal passa par là et, remarquant l’inscription, commenta : « Cela me rappelle une guémara. » Ses accompagnateurs, désirant en savoir davantage, l’interrogèrent à ce sujet. Il leur expliqua alors, avec un sourire : « Dans Baba Kama, il est question de “sa pierre (avno), son couteau (sakino) et sa charge (massao)” qui seraient tombés d’un toit ; les initiales de ces mots forment le nom Osem. »
Ce Tsadik n’avait à l’esprit que des paroles de Torah. Au lieu de penser aux bislis et aux bambas comme la plupart des gens, en voyant l’usine d’Osem, il se souvenait d’un sujet évoqué dans Baba Kama.
L’influence des malheurs sur l’apparence extérieure
« Il a été court et malheureux, le temps des années de ma vie. » (Béréchit 47, 9)
D’après le Midrach, D.ieu punit Yaakov pour cette phrase en lui retirant 33 années de vie, comme le font allusion les 33 mots des versets 8 et 9.
Le Maharil Diskin ajoute que le nombre 33 se retrouve également à travers la phrase du patriarche « Et il ne vaut pas les années de la vie de mes pères, les jours de leurs pérégrinations », composée de 33 lettres. Yaakov affirma à Paro qu’il ne vécut pas autant que ses pères, aussi, mesure pour mesure, le Créateur lui retira 33 années de vie.
Rav ‘Haïm Chmoulevitz zatsal demande pourquoi Yaakov fut puni, non seulement pour la réponse qu’il donna à Paro, mais aussi pour la question de ce dernier – le compte des mots aboutissant à 33 commençant à partir de la phrase : « Paro dit à Yaakov : “Quel est le nombre des années de ta vie ?” »
Il répond que le roi d’Egypte l’interrogea sur son âge du fait qu’il avait la barbe et les cheveux blancs. Son aspect extérieur lui fit penser qu’il était extrêmement vieux, d’où sa question. Yaakov lui répondit : « Il a été court et malheureux, le temps des années de ma vie. » Autrement dit, il n’était pas si âgé qu’il en avait l’air, mais ses souffrances avaient accéléré sa vieillesse.
Par conséquent, c’est l’apparence physique du patriarche qui suscita l’interrogation de Paro, et il fut donc puni pour n’avoir pas su cacher les malheurs endurés.
LA PARACHA SOUS UN NOUVEL ANGLE
« Je suis Yossef ; mon père vit-il encore ? » (Béréchit 45, 3)
Pourquoi Yossef posa-t-il cette question ? Il savait pourtant que son père était en vie, puisque, lorsque ses frères étaient revenus une deuxième fois du pays d’Israël, il leur avait déjà demandé : « Comment se porte votre père, ce vieillard ? » et ils lui avaient répondu : « Il vit encore. » De plus, tout au long de sa discussion avec Yéhouda, celui-ci mentionnait son père : « Nous avons un père âgé », « Car comment retournerais-je près de mon père sans ramener son enfant ? » Yossef savait donc pertinemment que son père vivait, aussi, pourquoi interrogea-t-il ses frères à ce sujet ?
Le Beit Halévi répond en s’appuyant sur le Midrach suivant : « Aba Cohen Bardéla affirme : “Malheur à nous au jour du jugement, malheur à nous au jour de la réprimande !” Yossef était le plus jeune des tribus et ses frères n’eurent que répondre à sa réprimande. Qu’en sera-t-il donc à l’heure où le Saint béni soit-Il réprimandera chacun d’entre nous en fonction de ce qu’il est, comme il est dit : “Je te reprendrai et te mettrai [Mes griefs] sous les yeux” ? »
Ce Midrach soulève deux questions. Pourquoi insiste-t-il en disant « au jour du jugement » et « au jour de la réprimande » ? Que signifie l’expression « en fonction de ce qu’il est » ?
Le Beit Halévi introduit sa réponse en disant que de nombreux commentateurs ont déjà expliqué ce Midrach, mais qu’il désire nous l’expliquer à sa manière.
En réalité, la question de Yossef concernant son père n’en était pas une, puisque, comme nous l’avons souligné, il savait qu’il était en vie. Il s’agissait plutôt d’un reproche. Yéhouda avança qu’il ne pouvait retourner auprès de leur père en l’absence de Binyamin. Yossef lui rétorqua alors : « Je suis Yossef ; mon père vit-il encore ? » En d’autre termes, avez-vous pris en considération, vingt-deux ans plus tôt, la peine que vous causeriez à votre père en me vendant, les retombées sur sa santé et sur sa vie ? Une telle question n’admet pas de réponse. Il s’agit d’une réprimande pertinente.
Le Beit Halévi poursuit : ce Midrach nous enseigne que, lorsque l’homme comparaît au tribunal céleste, il doit faire face à deux types de jugements, le jugement à proprement parler et la réprimande. On lui pose des questions auxquelles il doit répondre. Parfois, sa réponse, bien que pas pleinement satisfaisante, est acceptable d’après la justice, alors que, selon le critère de la réprimande, elle ne l’est pas du tout.
Pour éclaircir cette idée, il apporte l’exemple suivant. On demande à un homme pourquoi, durant les dizaines années de sa vie, il n’a pas donné de tsédaka. Il répond que, père d’une famille nombreuse, sa situation financière ne le lui permettait pas. D’après nos Sages (Guitin 7a), même un pauvre tirant sa subsistance de la tsédaka n’est pas exempt du devoir d’en donner lui-même à autrui. En outre, il est écrit que, si quelqu’un constate que son gagne-pain a été réduit, il doit donner de la tsédaka, contrairement à ce qu’on aurait pu penser. Enfin, il est dit que, de même que la tonte du mouton entraîne une prolifération de sa laine, le fait de dispenser de son argent à son prochain suscite un accroissement de ses biens. Néanmoins, d’après la justice, l’argument de cet individu sera plus ou moins acceptable.
Cependant, on lui demandera ensuite pourquoi il a dépensé de l’argent pour d’autres choses. D’où avait-il donc soudain cet argent ?
Pour se quereller, défendre son honneur, ou encore financer les études profanes de ses enfants à l’université, il trouvait de l’argent. Telle est la réprimande qui lui sera adressée : la contradiction inhérente à sa conduite. Ce reproche invalidera son prétexte selon lequel il n’avait pas suffisamment d’argent pour donner de la tsédaka, puisque, pour en dépenser autrement, il en trouvait aisément.
Tel est, d’après le Midrach, le sens de la question de Yossef : après cent vingt ans, chaque homme se voit réprimander (tokha’ha) sa conduite par D.ieu, « en fonction de ce qu’il est ». Autrement dit, quand il répondra à un réquisitoire en avançant un certain prétexte, il lui sera démontré (hokha’ha), preuves à l’appui, l’invalidité de celui-ci, comme il est dit : « Je te reprendrai et te mettrai [Mes griefs] sous les yeux. »
Les premiers à arriver pour l’excursion
La réprimande la plus pertinente est la confrontation de deux tableaux, tirés de son existence, que l’on présente à l’homme. A travers sa question au sujet de leur père, Yossef signifiait à ses frères : « Comment désirez-vous que j’aie pitié de votre père, alors que vous n’avez pas eu pitié de lui en me vendant ? »
Comment un homme peut-il se considérer exempt du devoir de tsédaka, sous prétexte qu’il n’en a pas les moyens, alors qu’il en trouve pour des choses futiles ?
De même, nos Sages dénoncent (Esther Rabba 3, 4) celui qui s’assoit toute la journée pour se perdre dans de vaines discussions, sans se fatiguer, alors que, lorsqu’il s’agit de se lever pour prier ou étudier, il se sent soudain pris d’une grosse fatigue.
Accusant ce type de contradiction, Rabbi Chalom Chwadron zatsal l’illustre par un exemple actuel avec lequel nous pouvons tous nous identifier : les enfants arrivant quotidiennement en retard à l’école sont les premiers à se présenter pour une excursion.
Combien devons-nous veiller à ne pas nous contredire ! Heureux celui dont le comportement est cohérent et qui suit toujours une même ligne de conduite.