Se rapprocher de D-ieu
« Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi, Lui qui fait paître Son troupeau parmi les roses – ani ledodi vedodi li haroé bachochanim. » (Chir Hachirim 6:3)
La corrélation entre ce verset et le mois d’Elloul, évoquée en filigrane à travers ses initiales, est célèbre, indiquant que ce mois est particulièrement propice à la techouva, à une démarche de rapprochement vis-à-vis du Créateur.
On peut cependant se demander pourquoi D. est allusivement évoqué dans ce verset sous la forme « dodi », nom traditionnellement traduit par « bien-aimé », mais qui, en vérité, signifie littéralement « mon oncle ». Pourquoi, concernant le mois d’Elloul, le Créateur est-il évoqué comme un proche, comme un membre de la famille, et non comme un Roi ? En outre, s’il est question de proximité familiale, pourquoi ne Le qualifierait-on pas de Père, en allusion à cette situation favorable ?
Après mûre réflexion, il me semble possible d’avancer qu’un homme se venge et garde rancune de son antagoniste davantage lorsqu’il s’agit de son frère ou de son neveu. En effet, même lorsqu’un père est en colère contre son fils, dès qu’arrive une accalmie, sa miséricorde s’éveille et il lui pardonne du fond du cœur. De même, lorsqu’un roi est mécontent de l’un des ses sujets et veut le condamner à mort, il est fréquent qu’il le prenne en pitié et le gracie.
Pourtant, étonnamment, lorsqu’un homme est en conflit avec son frère, la haine est persistante et peut ne jamais cesser, se transmettant à la génération suivante, s’étendant même à son neveu.
Or, il faut savoir que même les pires antagonismes peuvent se résoudre et aboutir au pardon et à la réconciliation, dénouement qu’encouragent nos Sages lorsqu’ils disent (Avot 1:6 ; Torat Cohanim 19:16) : « Juge tout homme favorablement ».
Dès lors, on comprend pourquoi le Saint béni soit-Il est désigné comme un oncle, au mois d’Elloul ; le but est de signifier au pécheur que, même si ses fautes et mauvaises actions l’ont considérablement éloigné de D., au point qu’il devrait être haï et rejeté comme un neveu détesté, le Saint béni soit-Il ne le traite pas comme cet oncle sévère et intransigeant.
Bien qu’il soit notre « oncle », si nous regrettons nos errements et les confessons, nous repentant de tout cœur, le Saint béni soit-Il nous ouvre une trappe sous Son trône de gloire, comme Il le fit en faveur de Menaché (Ruth Rabba 5:6), dont Il agréa le repentir sincère, en dépit de la légitime réprobation des anges.
Tel est le sens du verset (Tehilim 90:3) : « Tu ramènes le mortel à l’accablement (ad daca) », qui fait allusion au repenti qui regrette ses fautes. Or, le mot daka a, plus ou moins un, la même valeur numérique que dodi (mon oncle), ce qui nous permet de comprendre ce verset, dans le sens du Talmud de Jérusalem (‘Haguiga 2:1) : quand est-ce que le mortel est amené à ressentir l’accablement le plus intense ? Lorsqu’il est au plus bas, détesté de D. suite à ses fautes, tel un neveu abhorré par son oncle.
Pourtant, à Roch Hachana, en dépit des péchés de l’homme, le Tout-Puissant quitte le trône de Justice pour siéger sur celui de Miséricorde (Tikouné Zohar 18:34) ; Il agrée la techouva de l’homme, qu’Il désire toujours rapprocher de Lui, afin qu’il Le serve d’un cœur entier, avec un amour et une crainte véritables.
Nos Sages affirment par ailleurs (Berakhot 19a ; repris dans Tanna debé Elyahou Rabba 3) : « Si tu vois un érudit pécher la nuit, ne le regarde pas de travers le lendemain, car il aura sans doute déjà fait techouva. »
Rabbi Yaakov Benchabbat, élève émérite de Rabbi ‘Haïm Pinto, que son mérite nous protège, propose une remarquable explication, dans son Rou’ah Yaakov : « Tout homme a l’obligation d’accomplir six cent treize mitsvot, la techouva étant l’une de celles-ci. C’est pourquoi si un érudit commet volontairement une légère faute, c’est certainement pour accomplir ce commandement positif. De ce fait, “si tu vois un érudit pécher la nuit, ne le regarde pas de travers le lendemain car il aura sans doute fait techouva”, ayant agi dans ce dessein. »
Ce principe nous permet également de comprendre l’axiome (Kohélèt 7:20) : « Il n’est pas de juste sur terre qui fasse le bien sans jamais faillir. » Toutefois, une question subsiste. Le but de l’homme n’est-il pas d’échapper à la faute et d’accomplir à la lettre la Volonté divine ? En outre, « le Saint béni soit-Il a créé le mauvais penchant et lui a créé la Torah comme antidote » (Kiddouchin 30b). Or, si la Torah est censée aider l’homme à échapper à la faute, comment Chelomo Hamelekh peut-il affirmer que tout homme, même tsaddik, faute ?
La réponse se trouve justement dans le Roua’h Yaakov : il est évident que tout homme a l’obligation d’accomplir les six cent treize mitsvot, y compris celle de la repentance, qui ne peut être accomplie qu’au prix d’une faute. Pour cette raison, Kohélèt écrit que nul homme n’échappe à la faute toute sa vie, même le juste, puisque celui-ci sera certainement amené un jour à accomplir une légère transgression pour accomplir la mitsva positive de techouva. Pour cette raison, il est interdit de le déconsidérer après l’avoir vu commettre une faute, car il s’est en réalité « abaissé pour mieux sauter » – cet abaissement permettant d’accomplir le commandement du repentir.
Nous pouvons comprendre, à la lumière de ces explications, comment nous rapprocher de D. La réponse se trouve condensée dans le verset (Tehilim 122:4) : « les tribus divines, témoignage pour Israël, pour louer le Nom divin ». Quand les tribus sont-elles qualifiées de « tribus divines » ? Seulement lorsqu’elles accomplissent ce qui est écrit dans la Torah, « témoignage pour Israël » : s’il arrive qu’elles transgressent une seule des mitsvot mentionnées dans la Torah, elles se repentent immédiatement et se confessent devant D. – « pour louer (lehodot) le Nom divin ». Le verbe lehodot est en effet de la même famille que lehitvadot – se confesser. Autrement dit, il faut prendre pour modèle Adam Harichon qui, aussitôt après sa faute, se repentit totalement et récita le Psaume 92 : « Cantique pour le jour du Chabbat. Il est bon de louer (lehodot) l’Eternel » (cf. Beréchit Rabba 22:13 ; Zohar II 138a). Cependant, en l’absence de repentir, le mérite d’être « les tribus divines » leur est retiré, jusqu’à ce qu’elles fassent effectivement techouva. A l’inverse, lorsque les enfants d’Israël mettent à profit le mois d’Elloul pour se repentir, ils sont appelés « tribus de l’Eternel » et se rapprochent de Lui, au point d’arriver au niveau de l’idéal : « Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi ».
Résumé
•Le verset : « ani ledodi vedodi li » – qu’on peut traduire littéralement dans le sens : « Je suis à mon oncle et mon oncle est à moi » – fait allusion, à travers ses initiales, au mois d’Elloul. Or, pourquoi D. est-il qualifié d’« oncle » (dod), et non de père ou de roi ? Un père pardonne facilement à son fils, de même qu’un roi est enclin à la miséricorde avec ses sujets. Cependant, lorsqu’il s’agit de relations entre frères, la haine s’avère persistante, englobant jusqu’aux neveux d’un homme. Si, relativement au mois d’Elloul, D. est mentionné comme un « oncle », c’est pour souligner qu’Il est alors prêt à oublier même une haine de cette intensité, à pardonner – en passant du trône de Justice au trône de Miséricorde – et à rapprocher l’homme de Lui, à condition toutefois que l’homme s’abaisse (daka, de valeur numérique identique à dodi).
•En ce sens, nos Sages soulignent qu’il est interdit de regarder de travers un érudit ayant commis une faute, car il aura certainement fait techouva. En effet, la repentance étant l’une des six cent treize mitsvot, il est vraisemblable qu’il a commis une transgression afin de pouvoir accomplir cette mitsva positive. Même un juste est ainsi amené à pécher, comme l’affirme par ailleurs le plus sage des hommes. Lorsque les enfants d’Israël se repentent, ils méritent l’appellation de « tribus divines (…) pour louer (lehodot) le Nom divin », à l’instar du premier homme de l’humanité, qui s’exclama, après avoir fait techouva : « Psaume, cantique en l’honneur du Chabbat. Il est bon de louer (lehodot) l’Eternel » – lehodot ayant, dans ces deux cas, un sens de confession. Tel est donc le secret pour se rapprocher du Créateur.