Un jour de pardon, d’absolution et d’annihilation du mauvais penchant

Dans le Midrach (Tan’houma Tissa 31), nos Maîtres expliquent que Moché Rabbénou, avant de descendre les premières Tables de la Loi et de les briser, resta cent vingt jours auprès du Créateur. Puis, il remonta de nouveau (…). La troisième ascension eut lieu Roch ’Hodech Elloul et il resta jusqu’à Yom Kippour, où D. lui dit : « J’ai pardonné selon ta demande ». Le Tout-Puissant établit ce jour comme jour de pardon et d’absolution pour toutes les générations, comme il est dit (Vayikra 16:30) : « Car en ce jour, on fera propitiation sur vous afin de vous purifier (…) ».

Dans le désert, les enfants d’Israël reçurent donc la Torah à Yom Kippour, et chaque année, nous la recevons de nouveau en cette date.

En outre, D. accorde annuellement Son pardon à Ses enfants, car Il est heureux de constater qu’ils se repentent, si bien qu’Il leur a fait don de ce jour, qui se renouvelle chaque année, pour y opérer un repentir absolu. Le verbe yekhaper, du verset : « Car en ce jour, on fera propitiation sur vous (yekhaper alékhem) », a d’ailleurs la valeur numérique du mot chaï (un cadeau).

Nous souhaiterions approfondir cette notion de joie. Comment expliquer une telle allégresse, qui valut aux enfants d’Israël le don de ce jour exceptionnel ? Au moment où Moché s’apprête à descendre pour la troisième fois, les enfants d’Israël étaient en proie à une épreuve redoutable concoctée par le mauvais penchant. Or, si celui-ci était parvenu à les faire trébucher une seconde fois – après la faute du veau d’or –, Moché Rabbénou n’aurait pas pu de nouveau intercéder en leur faveur.

De fait, les enfants d’Israël étaient conscients des viles tentatives du Satan, et c’est pourquoi ils se préparèrent à ce jour pendant quarante jours, se mortifiant pour triompher du mauvais penchant (Yalkout Chimoni Ki Tissa 391). Leur succès absolu de ce jour se répercute dans toutes les générations, puisqu’il est alors totalement aboli et ne peut accuser.

Le remarquable triomphe des enfants d’Israël provoqua chez le Créateur une vive joie, au point qu’Il décida de faire don de ce jour de façon immuable à toutes les générations comme jour de pardon et de rémission. Peut-être que si les enfants d’Israël parvenaient à se maintenir dans l’influence de ce jour toute l’année, ils parviendraient à se débarrasser définitivement du Satan.

On pourrait donc se demander pourquoi ils n’agirent pas dans ce sens ? Lorsque Moché Rabbénou descendit pour la seconde fois muni des Tables de la Loi, pourquoi ne firent-ils pas l’effort de se défaire définitivement du Satan ? N’était-ce pas pourtant l’occasion rêvée, alors que D., dans Sa joie, avait décidé de leur faire don de ce jour ainsi que de la fête de Souccot, visant à prolonger cet état de contrition et d’humilité ?

En outre, les enfants d’Israël s’étaient tant élevés que D. leur avait dit, au cours du huitième jour : « il m’est difficile de Me séparer de vous » (Soucca 55b). Dès lors, pourquoi leur repentir ne permit-il pas de déraciner définitivement le mauvais penchant du monde ?

L’explication tient dans le fait que, lorsque les enfants d’Israël commirent la faute du veau d’or, ils conférèrent au Satan de telles forces qu’il était ensuite impossible de le liquider totalement, ce qui n’aurait été réalisable qu’à travers la construction du Temple par Moché Rabbénou, pénétré en Israël, auquel cas cet édifice serait éternel. C’est donc avec l’énergie du désespoir que le Satan entreprit tout ce qui était en son pouvoir pour les faire trébucher.

Mesures prises, le Satan triompha, puisque les enfants d’Israël se plaignirent du manque de nourriture et de la soif, ainsi que de la mort de nombre de pécheurs parmi eux (cf. Chemot 16:2 ; Chemot 20:2 ; Bamidbar 17:6). Moché et Aharon se mirent en colère et leur dirent : « Ecoutez donc, rebelles » (Bamidbar 20:10). Il fut alors décrété que Moché et Aharon ne pénétreraient pas en Terre Sainte (ibid. v.12).

En outre, le Satan parvint à leur faire émettre des propos médisants sur la terre d’Israël (ibid. 13:32 ; Bamidbar Rabba 16:5), faute si grave qu’elle scella ce jour comme jour de deuil universel, notamment à travers la destruction des deux Temples (cf. Sota 35a ; Sanhedrin 104b). Suite à ces fautes, les enfants d’Israël n’eurent plus la possibilité de faire disparaître le Satan qu’un seul jour – celui de Yom Kippour.

Les enfants d’Israël réussirent alors un coup de maître, puisque, grâce à eux, à Yom Kippour, même les impies désirant prier et se repentir pourront le faire sans interférence, sans être dérangé par le moindre accusateur.

A l’issue de Yom Kippour, lorsque le Satan constate combien D. est satisfait des prières de son peuple, il n’ose pas jouer les rabat-joie et recommencer à accuser les bené Israël. De leur côté, ceux-ci regagnent leur maison avec confiance et sérénité, dans l’esprit du verset (Kohélèt 9:7) : « Va donc, mange ton pain allègrement et bois ton vin d’un cœur joyeux ; car dès longtemps D. a agréé tes œuvres. »

Ainsi, le mauvais penchant est extrêmement affaibli suite à la techouva des enfants d’Israël, qu’il ne peut alors accuser et ceux-ci sont acquittés lors de leur jugement.

Au-delà, si l’on veut vraiment placer toute son année sous le sceau de la sainteté de ce jour, et qu’on fait l’effort de courber l’échine et de s’effacer devant le Tout-Puissant, il serait possible d’échapper à l’emprise du mauvais penchant et de faciliter ainsi le choix, qui pencherait toujours du côté du bien.

Ainsi, dans le désert, les enfants d’Israël étaient entourés par les nuées de gloire (Soucca 11b ; Tan’houma Bechala’h 3) et mangeaient la manne, ce « pain des vaillants » (Tehilim 78:25), nourriture consommée par les anges. Cette génération n’eut jamais de vision impure et n’assista qu’à des miracles et prodiges.

Celle-ci aurait donc certainement pu annihiler et déraciner le Satan de façon définitive, s’ils avaient prolongé le travail de Yom Kippour tout au long de l’année. D’ailleurs, « le Satan » a une valeur numérique de trois cent soixante-quatre, comme pour suggérer que s’ils avaient fourni tout au long d’une année les mêmes efforts qu’à Yom Kippour, au bout de cette période, il aurait complètement disparu.

Pour conclure, la génération du désert, dite « de la connaissance » (Vayikra Rabba 9:1), disposait de tous les moyens pour mener à bien cela. Mais ils fautèrent envers le Créateur et récriminèrent contre Moché et Aharon, leurs dirigeants, irritant D. et Le mettant à l’épreuve à dix reprises (Avot 5:7), et c’est pourquoi ils ne réussirent pas à l’anéantir totalement.

A la lumière de ces commentaires, on peut comprendre l’affirmation de nos Sages (Sanhedrin 110b), selon lesquels « la génération du désert n’a pas de part au monde futur, comme il est dit (Bamidbar 14:35) : “C’est dans ce désert qu’elle prendra fin, c’est là qu’elle doit mourir.” Elle “prendra fin” dans ce monde, et “doit mourir”, dans le Monde futur, comme il est dit (Tehilim 95:11) : “Aussi jurai-Je, dans Ma colère, qu’ils n’entreraient pas dans Ma paisible résidence”. »

Et pour cause : cette génération détenait la possibilité de sanctifier le Nom divin et de déraciner l’écorce (puissances impures) pour l’éternité. Or, non contents de ne pas réaliser cette mission, ils médirent au contraire de la Terre Sainte (Bamidbar 13:32), ce qui amplifia leur faute et causa le décret de deuil en ce jour pour toutes les générations (Taanit 29a). Ce manquement est si grave qu’ils perdirent le droit au Monde futur.

Sous un autre angle, on peut avancer qu’après la faute du veau d’or, lorsqu’ils se repentirent et reçurent l’assurance du pardon divin, les enfants d’Israël atteignirent certainement un niveau supérieur à celui qu’ils avaient lors de la sortie d’Egypte. En effet, lors de celle-ci, l’impulsion venait d’en Haut : les enfants d’Israël ne pouvaient rester de marbre face aux prodiges et miracles observés. Après la faute du veau d’or, en revanche, cela provenait d’eux-mêmes – la techouva et l’attente des deuxièmes Tables de la Loi.

Dans ce cas, lorsqu’ils reçurent les secondes Tables de la Loi à Yom Kippour, pourquoi ne se maintinrent-ils pas toute l’année dans cet esprit de sainteté, ce qui leur aurait permis d’anéantir le mauvais penchant pour l’éternité ?

On peut lire en allusion à ce point de vue dans le verset : « car en ce jour ». Le mot « car » – « ki » en hébreu – est en effet composé des premières lettres respectives de l’expression kol yom (« chaque jour »). Autrement dit, ce travail de prolongation de la sainteté de Yom Kippour doit s’étendre sur toute l’année. Celui qui n’agit pas ainsi n’opère pas une techouva complète tandis que celui qui accomplit ce travail est purifié pour toute l’année.

La réparation de Yom Kippour

A Yom Kippour, chaque homme a son propre moment propice, où D. le sonde et scrute ses actes. Or, du fait que personne ne sait quand il a lieu, dans le doute, on ne prend pas de risque et on s’efforce de ne pas gaspiller le moindre instant de ce jour saint, dont il faut au contraire mettre chaque minute à profit.

Même si ce moment n’est pas encore arrivé, de toute façon, « tous les enfants d’Israël sont responsables l’un de l’autre » (Chevouot 37a ; Sanhedrin 27b). Par solidarité, chacun peut donc indirectement intervenir en faveur d’autrui.

En ce sens, nos Maîtres affirment (Baba Kama 92a) : « Celui qui prie en faveur de son prochain dans un domaine où il a le même besoin, est exaucé le premier. » D’après cela, il est certain que ses mérites en seront augmentés et qu’il aura un moment propice où sa prière sera entendue. Il sera alors scellé pour une longue vie de bonheur et de paix.

Cette notion également apparaît en filigrane dans le verset : « Car en ce jour, il sera fait propitiation sur vous (…) » (Vayikra 17:30). On mentionne ici un « jour » et non une heure ou un moment précis. De ce fait, l’homme doit maintenir l’ensemble de la journée dans un esprit de sainteté, sans perdre ne serait-ce qu’une seconde. Le cas échéant, sa prière ne sera pas vaine, outre le fait qu’il augmente ses propres mérites en permettant à son prochain d’obtenir la délivrance, par l’effet de cette solidarité.

Si l’homme veut tirer profit de chaque instant de ce saint jour, il doit tout d’abord courber l’échine en se rappelant le jour de sa mort, pensée qui a pour effet de briser son cœur.

La preuve en est que le matin de Yom Kippour, on lit dans la Torah le passage évoquant la mort des deux fils d’Aharon (Vayikra 16:1), tandis qu’à Min’ha, on lit les mises en gardes suivantes (ibid. 18:3) : « Les pratiques du pays d’Egypte, où vous avez demeuré, ne les imitez pas, les pratiques du pays de Canaan où Je vous conduis, ne les imitez pas (…) ». Le lien entre les deux est clair : en gardant présent à l’esprit le jour de la mort, l’homme peut parvenir à se détacher totalement des coutumes non-juives et de leurs désirs, ferments d’orgueil. En s’humiliant devant D., il n’en vient pas à commettre les abominations des goyim.

Par ailleurs, lorsque nous évoquons nos Patriarches dans nos prières, nous voulons souligner combien, en dépit de leur grandeur, leur cœur ne s’est pas enorgueilli dans le Service divin, au point qu’ils se qualifiaient de « poussière et cendre » (cf. Beréchit 18:27).

Ils sont comparables aux racines d’un arbre. De même que celles-ci sont couvertes de terre et de sable, leur vitalité demeurant dissimulée, ils étaient d’une humilité extrême et cachaient leur grandeur. Les grosses branches d’un arbre sont certes visibles mais, en dépit de leur beauté et de leur couleur, le moindre souffle de vent les ébranle et manque de les arracher. Si c’est le cas, elles retournent à la terre, à la racine. Ainsi, la racine est bien le cœur de l’arbre ; s’il est humble, l’ensemble du corps l’est.

De même en l’homme, lorsque le cœur est soumis, l’ensemble du corps se plie à la discipline du Service divin. Seule cette soumission permet à l’homme de ressentir la sainteté de Yom Kippour.

Pour conclure, il faut savoir que même si on a commis une faute, on peut tout réparer par la techouva, comme il est dit (Yoma 86b) : « Grande est la techouva qui atteint jusqu’au trône de gloire ! » Nul accusateur ne peut fermer la porte des larmes devant le repenti, car « les portes des larmes n’ont jamais été fermées (Berakhot 32b), comme il est dit (Tehilim 39:13) : “Ecoute ma prière, Eternel, prête l’oreille à mes cris, ne reste pas silencieux devant mes larmes” ».

Le Chabbat aide également dans ce sens, ce nom étant d’ailleurs composé des mêmes lettres que la racine du mot techouva. A cet égard, nos Sages affirment (Chabbat 118b) : « Si Israël observait dûment deux Chabbat, il serait immédiatement délivré. » En effet, par le mérite du Chabbat, les portes de la techouva restent ouvertes, du fait qu’il est la raison d’être de la Création, jour de dévoilement de la Royauté et de l’Unicité divine dans l’univers.

A présent, le lien entre Chabbat et techouva est clair : de même que le Chabbat a la dimension du Monde futur, celui qui se repent révèle la Royauté divine dans toute sa splendeur – là aussi, dimension qui relève du monde futur –, se détache de toutes les vanités de ce monde et se soumet à D., source d’une jouissance digne de celles du Monde à venir.

Or, Yom Kippour est aussi surnommé « le Chabbat des Chabbat ». Ce redoublement évoque la fusion entre pouvoir du Chabbat et pouvoir de la techouva. Par la techouva, l’homme sacre le Créateur comme Roi du monde et permet le dévoilement de la gloire divine. C’est là l’essence de la techouva et du rapprochement vis-à-vis de D., à travers une soumission absolue à D.

Puissions-nous tous ensemble avoir le mérite de nous maintenir tout au long de l’année dans la sainteté de ce jour et puissions-nous, par l’effet de toutes nos prières conjuguées dans une unité parfaite permettre de rapprocher la Délivrance, bientôt et de nos jours ! Amen.

Résumé

 •Nous avons tenté d’expliquer les racines de la joie que les enfants d’Israël éprouvèrent à Yom Kippour. Ceux-ci avaient surmonté l’épreuve, suite à la faute du veau d’or ; ils avaient vaincu le mauvais penchant et reçu les deuxièmes Tables de la Loi. Cette joie était donc liée à leur techouva. Or, s’ils avaient persévéré, ils auraient anéanti le Satan définitivement. Ils ne concentrèrent leurs efforts que sur Yom Kippour, si bien qu’en ce jour, le Satan ne peut les accuser et ils sont blanchis. Pourquoi n’eurent-ils pas le mérite de prolonger ce phénomène ? Car le Satan savait que la construction du Temple sous l’égide de Moché, pénétré en Terre Sainte signerait son arrêt de mort. En désespoir de cause, il provoqua donc les récriminations des enfants d’Israël, de sorte que Moché se mette en colère et qu’il soit décrété à son encontre qu’il ne pénétrerait pas en Israël. Quant aux enfants d’Israël, qui s’étaient lamentés et avaient médit de la Terre Sainte, leurs pleurs furent scellés en un deuil annuel pour toutes les générations.

 •En vérité, il n’est pas impossible de réduire à néant le Satan de façon définitive, mais celui-ci s’arrange pour pousser l’homme à se plaindre, ce qui garantit sa survie. La génération du désert n’a pas de part au Monde futur, car ils fautèrent et n’anéantirent pas les forces impures, bien qu’ils eussent pu le faire, vu le niveau suprême qu’ils avaient atteint, par leur propres efforts, supérieur à celui acquis au moment de la sortie d’Egypte. L’accusation pesant sur eux est donc très lourde.

 •A Yom Kippour, chaque homme a, à son insu, un moment favorable personnel. Mais, ignorant quand il a lieu, il ne doit pas perdre une seconde de ce jour, et prier sans arrêt. Même la prière pour l’autre a un effet sur son propre sort, puisque nous sommes tous solidaires et que « celui qui prie pour autrui dans un domaine où il a le même besoin, est exaucé le premier ». Une condition toutefois : courber l’échine devant D., notamment par la pensée de la mort. De ce fait, à Yom Kippour, on lit un passage de la paracha A’haré Mot (« Après la mort des deux fils d’Aharon (…) »), afin de pouvoir s’écarter des coutumes des non-juifs. Le mérite des Patriarches, qui se considéraient comme poussière et cendre, nous aide dans ce sens. Car le cœur est la racine de tout le corps ; si celui-ci s’assujettit, l’ensemble du corps s’assujettit. A travers cette soumission, on peut ressentir la sainteté de Yom Kippour.

 •L’homme peut réparer ses errements par le pouvoir de la techouva conjugué à celui du Chabbat. Ces deux aspects se retrouvent le jour de Yom Kippour, « Chabbat des Chabbat ». Car, par la techouva, l’homme couronne le Créateur sur l’ensemble de la planète, et provoque le dévoilement de la gloire divine. Ainsi, il se soumet et mérite que toute son année soit placée sous cette influence bénéfique, par la techouva et la sainteté de Yom Kippour.

 

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