La matsa ou le pain de l’humilité

En ce qui concerne la mitsva de consommer de la matsa, il est écrit (Devarim 16:3) : « Sept jours tu mangeras avec lui [l’agneau sacrifié] des matsot, pain de misère (…). » A propos du korban Pessa’h lui-même, il est par ailleurs écrit : « Ils mangeront la chair rôtie au feu, accompagnée de matsot et d’herbes amères. » (Chemot 12:8)

D’un côté, l’homme se sent à Pessa’h tel un prince (cf. Pessa’him 99b), libre de toute entrave et en phase d’élévation intense. Ce sentiment est renforcé par la somptueuse décoration et la vaisselle fine dont il orne sa table, garnie de sa plus belle nappe (Choul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm 472:2). Pourtant, cela contraste avec le fait qu’il mange du « pain de misère » (Devarim 16:3). Ainsi, en dépit de tous les plaisirs de la table et du raffinement de la décoration, il brisera son cœur et mangera le korban Pessa’h accompagné, comme nous l’avons vu, de matsot et de maror, afin de ressentir une certaine humilité.

Il nous a été ordonné avant Pessa’h de rechercher le ‘hamets dans les moindres trous et recoins (Pessa’him 2a), commandement particulièrement significatif. Le levain représente les fautes graves, nous suggère la Guemara (Berakhot 17a) à travers la prière suivante : « Maître du monde, notre volonté est d’accomplir la Tienne, mais qu’est-ce qui nous en empêche ? Le levain de la pâte » – autrement dit, le mauvais penchant. Dans le même ordre d’idées, les anfractuosités symbolisent les fautes légères dont l’homme n’a pas conscience. Après avoir débusqué tout ce ‘hamets, l’homme peut parvenir à l’humilité, à l’effacement (bitoul) notamment vis-à-vis de D., et c’est le sens que l’on peut donner, au second degré, à cette précision de nos Sages (Pessa’him 4b) : « D’après la Torah, le bitoul (annulation du ‘hamets) seul suffit. »

La matsa, quant à elle, est comparable à la modestie. De même qu’elle est difficile à mâcher et se digère lentement, l’humilité est très difficile à acquérir. Elle nécessite des efforts intenses et beaucoup d’amertume (idée du maror) pour parvenir à l’acquérir vraiment.

Une certaine année, j’ai participé physiquement au ménage de Pessa’h. J’ai vérifié des dizaines de fois qu’il n’y avait plus de ‘hamets, et j’ai été aussi pointilleux sur les petits détails que sur les points fondamentaux. J’ai passé plusieurs nuits à éliminer le ‘hamets de la maison, et ce, jusqu’à la veille de Pessa’h.

Lorsqu’arriva le soir de la recherche du ‘hamets, je rentrai de la synagogue épuisé, montant avec peine les cinq étages qui mènent chez moi, éreinté par les efforts fournis pour nettoyer la maison dans la joie. Cependant, quand j’arrivai à la maison, en la voyant illuminée par la sainteté de la fête, je ressentis une sensation d’intense sainteté comme je n’en avais jamais ressentie jusque là. Je compris que cela était la conséquence et la récompense de tous les efforts que j’avais fournis en l’honneur de Pessah. Toute l’application que j’avais consacrée au nettoyage me permettait à présent d’avoir un avant-goût des délices du Monde futur.

Cependant, à l’instant où je vis le plateau avec les matsot, je me rappelai que l’essentiel de cette fête, c’est la matsa et le maror, conformément à ce que nos Sages ont écrit (Pessa’him 116b) : « Celui qui ne cite les trois éléments suivants – pessa’h, matsa et maror – à Pessa’h ne s’est pas acquitté de son devoir », car ils nous rappellent toutes les souffrances que les Egyptiens ont fait endurer à nos pères en Egypte.

S’il en est ainsi, me suis-je demandé, tout mon dévouement et les efforts que j’ai fournis pour le nettoyage en valaient-ils la peine, juste pour arriver au moment où les matsot et le maror se trouvent sur la table ? Est-ce grâce à ces activités de nettoyage que l’on ressent à présent une telle sainteté dans la maison ? Je me repris immédiatement en pensant aux paroles de nos Sages (Avot 1:17) qui disent : « L’essentiel n’est pas l’étude, mais l’accomplissement » ; ainsi, tous les préparatifs en vue de la fête sont de l’ordre de l’étude, tandis que l’action c’est le fait d’appliquer ce qu’on a étudié, c’est-à-dire l’acte de consommer matsa et maror. Il fallait donc passer par l’acte afin de ressentir cette dimension spirituelle.

Comment un homme qui n’a jamais fait l’expérience de l’asservissement et ne connaît donc pas la véritable signification de cette condition, peut-il dire, le soir du séder, « nous étions esclaves de Paro en Egypte » (Devarim 6:21) ? N’est-ce pas un mensonge de sa part ? Mais, lorsqu’il nettoie avec dévouement sa demeure de toute trace de ‘hamets, il trime comme un esclave. Il parvient alors à se représenter, dans une certaine mesure, l’esclavage et la souffrance de ses pères en Egypte, et l’ampleur du miracle dont ils bénéficièrent. Par ce biais, il brise son orgueil et s’efface devant le Créateur pour Le servir.

Car, comme le souligne le verset (Divré Hayamim II 17:6), on ne peut et ne doit s’enorgueillir que « dans les voies du Seigneur », sans quoi il s’agit d’un orgueil mal placé, vice particulièrement haï du Créateur, comme le souligne le plus sage des hommes : « Tout cœur hautain est abhorré de l’Eternel » (Michlé 16:5). Ce type d’orgueil est incompatible avec le fait d’être un serviteur de D., puisque l’orgueilleux est bien plus l’esclave de Paro – des forces impures.

L’essence du Juif est fondamentalement différente de celle du goy, tant au niveau des pensées que des gestes. Chaque caractéristique du Juif a en vérité une profonde signification dans le Service divin. A ce titre, le Juif qui se consacre à une mitsva en devient serviteur, dans l’esprit de la maxime suivante (Erouvin 31a ; Yerouchalmi fin de Teroumot) : « Les mitsvot n’ont pas été données pour en tirer plaisir » ; elles représentent un joug pour l’homme, reconnaissent nos Maîtres. S’il se fait serviteur du Créateur, il en ressentira une jouissance digne du Monde futur. Procurant de la satisfaction à son Créateur, il s’élève à travers la sainteté de la mitsva – élévation qui constitue un avant-goût du Monde futur.

En outre, en transpirant, en peinant pour accomplir les mitsvot, l’homme prouve qu’il n’est assujetti qu’au Créateur. S’il va jusqu’à annuler totalement son ego, en s’effaçant devant le Tout-Puissant, il sera certainement gratifié de bénédictions en profusion et toutes ses fautes seront expiées. Car seul l’homme saint totalement à l’écart des forces impures peut prétendre à une telle bénédiction. Telle est d’ailleurs l’idée développée par le Noam Elimelekh, qui souligne l’importance de la techouva qui doit précéder toute mitsva. Et pour cause : cet influx divin ne peut se déverser que sur un homme saint, dénué de fautes.

 

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